Déclaration de Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement, sur les grands axes de la politique de la montagne, à Bastelica le 25 octobre 2012.

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Circonstance : 28e Congrès de l'Association nationale des élus de montagne (ANEM), à Bastelica (Corse du Sud) le 25 octobre 2012

Texte intégral

Mesdames, messieurs,
Comme mes collègues je souhaite, à l’occasion de votre congrès, vous exprimer par ce message la très grande attention que porte le gouvernement à l’avenir des territoires de montagne.
Et bien sûr, puisque c’est à Bastelica que vous vous réunissez cette année, je salue tout particulièrement les élus corses qui oeuvrent à faire de l’île un territoire de développement dynamique et soutenable.
Et j’ai une pensée particulière pour nos compatriotes d’outre-mer qui, comme ici, ont à gérer les particularités de la gestion croisée des systèmes montagnards et des écosystèmes insulaires.
Prochaine génération des fonds européens, acte trois de la décentralisation, perspective d’un nouveau dispositif 2014/2020 pour les contrats entre l’État et les territoires : le cadre de l’action publique pour les prochaines années est en train de se transformer profondément.
C’est pourquoi j’ai suggéré au Premier ministre de réinstaller le Conseil national de la montagne, au plus tard au début de 2013 : le Conseil fera des propositions et prendra des décisions quant à la place des sujets qui vous préoccupent dans le nouveau paysage de la gouvernance territoriale.
Je voudrais cependant d’ores et déjà vous faire part de la façon dont j’aborde ces sujets sous l’angle de l’égalité des Territoires et du logement.
À bien des égards, la montagne est au carrefour des grands enjeux de la France et de l’Europe.
Si l’on veut répondre aux questions que vous vous posez à l’occasion de ce 28ème congrès, c’est autour des interdépendances et des responsabilités réciproques entre les territoires qu’il nous faut réfléchir.
De l’amont vers l’aval, du sommet vers la vallée, des hauts vers les bas, des massifs vers les aires métropolitaines, et réciproquement, la montagne n’est pas un territoire à part, elle est partie prenante des mutations globales dont elle subit certes les conséquences mais sur lesquelles elle peut en retour fortement rétroagir positivement.
Je souhaite d’abord qu’on s’entende bien sur le diagnostic de ces mutations.
Il est certain d’abord que le changement climatique aura en montagne des conséquences majeures sur l’agriculture, la forêt, les ressources naturelles, la gestion préventive des risques, le tourisme.
Il est certain que les changements de comportement de consommation des usagers de la montagne, mais aussi les aspirations nouvelles des populations montagnardes elles mêmes sont un autre aspect des changements et des mutations en cours.
La montagne d’hier a été traitée trop souvent comme un simple gisement de ressources, ou d’opportunités, dans lesquelles les visiteurs pouvaient puiser sans limites : eau, herbe, bois, main d’oeuvre, neige…
Face aux dérèglements, le repli sur les solutions d’hier ou l’idée qu’il n’y aurait qu’un seul modèle ou une seule voie pour elle, sont des attitudes tentantes.
Face à la nouvelle donne qui se profile, il nous faut inventer une montagne de demain.
Voilà pourquoi l’analyse de ces transformation doit faire l’objet sinon d’un consensus absolu, du moins d’une vision prospective partagée de l’avenir commun.
Aucune composante, aucune catégorie de population, aucun acteur, aucun professionnel ne détient seul la vérité absolue de l’avenir de la montagne, tous doivent être associés au diagnostic.
À la suite des orientations prises lors de la dernière réunion du Conseil national de la montagne de janvier 2012, les principaux ministères concernés (l’économie, l’agriculture, le logement, l’écologie) ont entrepris la réalisation, dans le cadre de l’Observatoire des territoires mis en place par la Datar, d’un Observatoire spécifique des territoires de montagne.
Il permettra d’en améliorer la connaissance sur le plan économique, social mais aussi en termes d’aménagement urbain ou rural et d’environnement.
Une meilleure connaissance des territoires, nous permettra ainsi de prendre mieux en compte les spécificités de la montagne.
Ma méthode, c’est une recherche d’adéquation permanente entre l’universalité du droit, autrement dit l’Egalité entre territoires et le respect des diversités.
S’agissant de mon ministère, au printemps dernier la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages a demandé au Conseil général de l’environnement et du développement durable un audit sur l’application des dispositions d’urbanisme particulières à la montagne dans les services déconcentrés.
Ainsi, des dispositions spécifiques, quand c’est nécessaire, peuvent-elles permettre de rendre compte de certaines particularités des zones de montagne. Cela non pas pour baisser le seuil d’exigence mais pour rendre les politiques plus efficientes.
Je prendrai deux exemples.
La réglementation thermique, applicable à tous les bâtiments neufs à compter du 1er janvier 2013, la RT 2012. Elle intègrera, comme c’est le cas pour l’existant, une caractérisation du climat dans lequel se trouve le bâtiment, avec une ’exigence de résultats tenant compte des contraintes climatiques des zones montagneuses... Il en ira de même du plan national de rénovation des bâtiments issu de la conférence environnementale.
Second exemple : la réglementation sur l’accessibilité aux personnes handicapées : les retours du terrain font apparaître que la construction en milieu contraint ne permet pas une application efficace de la règle. Je suis prête, si l’Anem a des propositions en la matière, à ce qu’un échange entre techniciens s’engage sur le sujet avec mes services.
Je souhaite à partir de ce diagnostic partagé qu’on aille vers une gouvernance stable mais mieux planifiée de la montagne.
Une gouvernance stable d’abord : au delà des divergences normales en démocratie, vous avez su inventer des outils équilibrés et consensuels de prise en compte de la spécificité de vos territoires.
Ce n’est pas le moment d’ajouter de l’instabilité institutionnelle aux interrogations, voire aux inquiétudes, que provoquent les enjeux forts de la période.
Deux couples clairs d’acteurs se sont dessinés à partir de l’expérience de ces dernières années, et il faut tenir compte de ce qui marche plutôt que de se livrer à d’hasardeuses recompositions.
D’un côté un bloc État/régions pour les actions stratégiques de développement, de l’autre et un bloc local/ département pour la gestion et les projets sur des territoires prioritaires à enjeux forts, notamment en matière de maintien et d’animation des services publics locaux.
Comme je l’ai dit devant le congrès de l’ARF, la prochaine génération 2014/2020 des contrats qui comprendra des contrats régionaux et des contrats territoriaux, assurera clairement la complémentarité de ces deux niveaux.
S’agissant de la montagne, dans la contractualisation française comme dans la programmation communautaire, nous avons impérativement besoin de reconduire les programmes interrégionaux de massifs qui ont fait la preuve de leur pertinence.
Nous devons maintenir les programmes transfrontaliers.
Nous aboutirons, j’en suis certaine, sur le dossier de macro-région alpine.
Une gouvernance stable, donc, mais aussi mieux planifiée et planifiée par un meilleur dialogue.
Les dispositions particulières aux zones de montagne prévues par le code de l’urbanisme encadrent à juste titre le développement de l’urbanisation afin d’éviter certaines dérives, afin de préserver aussi le développement des activités agricoles, pastorales et forestières.
Force est de le constater : malgré une augmentation du nombre de documents d’urbanisme au cours des dernières années, un retard demeure, en matière de planification de l’aménagement dans de nombreux secteurs de montagne.
Une accélération de l’évolution des anciens plans d’occupation des sols (POS) encore en vigueur vers les PLU mieux adaptés est aujourd’hui nécessaire.
L’établissement de schémas de cohérence territoriale (SCOT) est aussi relativement faible en territoires de montagne, de moitié par rapport à celui du reste du territoire.
De même, la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche a institué les Commissions départementales de la consommation des espaces agricoles (CDCEA) pour assurer la protection des terres agricoles ; une première amélioration est sensible dans les départements où a été mise en place cette commission.
Le développement en cours des structures intercommunales (dont je souhaite au passage qu’elle ne repose pas seulement sur la contrainte) permettra de mutualiser les moyens nécessaires à la réalisation de ces documents.
Mais l’Etat ne pourra pas non plus échapper longtemps à une clarification de ses propres responsabilités sur deux points :
* la place et le rôle de son ingénierie territoriale sur des territoires à enjeux forts comme la montagne, les littoraux et les îles ;
* l’évolution de ses propres procédures :
Deux exemples :
- la procédure d’autorisation des unités touristiques nouvelles (UTN), applicable sur les territoires non couverts par un SCOT apparait désormais inadaptée dans le contexte actuel puisque la majeure partie des lits touristiques sont réalisés hors UTN ; elle fera donc l’objet d’un réexamen à l’occasion de la préparation du prochain projet de loi relatif à l’urbanisme.
- l’application sur un même territoire des dispositions du code de l’urbanisme particulières aux zones de montagne et au littoral qui pose l’éternelle question de l’articulation entre la loi montagne et la loi littorale. On ne pourra pas plus longtemps différer une harmonisation en la matière.
Je souhaite enfin, et c’est mon rôle de ministre de l’Egalité des territoires, que nos politiques thématiques partagées s’attachent de façon cohérente et complémentaire, à faire de la montagne des territoires productifs d’avenir.
Il ne faut plus, s’agissant de la montagne, opposer les deux discours d’un côté de « la réduction des handicaps » et de l’autre de « la valorisation des atouts ».
Le lien entre le passé et l’avenir, c’est à la fois la réparation, la compensation, la péréquation, et l’investissement pour le futur.
Mais les politiques à venir tourneront obligatoirement le dos aux approches selon laquelle une seule facette du développement de l’économie de la montagne serait la reine de toutes les autres.
C’est une vision globale, jouant sur toutes les cordes, qu’il nous faut mettre en mouvement.
La ministre de l’Égalité des territoires, n’est pas la super ministre de tout.
Mais, en bout de chaine, elle a en charge la cohérence, du point de vue de leurs impacts territoriaux, des grandes politiques thématiques...
Quelques axes de cette mise en cohérence pour les temps qui viennent, sur les territoires montagnards.
En matière d’agriculture : l’appellation qualité « montagne » pour les produits fromagers, l’indemnité compensatoire de handicap naturel. La rémunération de la fourniture de surface en herbe entretenue, la lutte contre le déficit des installations d’agriculteurs (-23 % en 10 ans) via la pérennisation des aides à l’installation.
En matière d’énergie: la valorisation du potentiel extraordinaire du bois-énergie et du bois construction, par repérage et action contre des facteurs aujourd’hui limitant. La promotion du photovoltaïque sur les toitures existantes, les friches et les zones non protégées.
En matière de développement économique : une attention particulière aux difficultés quotidiennes des PME de montagne qui forment la charpente de nos tissus économiques locaux, l’appui aux filières innovantes dans le cadre de la banque publique d’investissement, le soutien aux clusters industriels et aux entreprises en grappes.
En matière d’environnement et de transition écologique : l’avancée malgré les difficultés, des trames vertes et bleues, la valorisation des sites et paysages : ce thème était ressorti fortement de l’Atelier Montagne conduit par la DGALN avec vous-mêmes, les élus, il y a deux ou trois ans.
En matière de tourisme : la poursuite de la rénovation du modèle économique : un tourisme à l’année, un tourisme écologiquement responsable, un tourisme de vallée.
La rénovation de l'immobilier de loisirs, la requalification des stations de haute et moyenne montagne, les programmes de démolition - reconstruction de résidences de tourisme, l’adaptation des résidences obsolètes aux nouvelles attentes des touristes et aux nouvelles normes, une action résolue contre des programmes et aménagements porteurs d’un gros risque de friches touristiques.
En matière de transports : la poursuite de nos efforts pour le report du transit international de montagne sur le rail ou sur la mer, une révision du Snit qui accorde une claire priorité au renforcement des infrastructures et des réseaux de transport classique, plutôt qu’à de nouveaux grands projets d’infrastructures, une action continue contre la saturation des réseaux routiers de montagne en période touristique, un effort pour l’entretien des voiries municipales et départementales, dont les coûts difficiles à surmonter pour les collectivités locales, une offre nouvelle et diversifiée de mobilité à la demande.
En matière de logement : Une réponse forte sur certaines zones tendues en développant l’offre de logements et notamment de logements sociaux, la capacité à loger les saisonniers, une attention accrue à la qualité de l’habitat en centre des villages les plus isolés.
Dans le domaine des services publics ou au public: la mutualisation de l’offre par les administrations et les opérateurs, l’application à la montagne des conclusions que nous tirons dès l’expérimentation services publics et maisons de santé suivies par la Datar.
Un mot enfin sur l’aménagement numérique qui, je le sais vous préoccupe.
Depuis dix ans, l’État a souvent été le grand absent de la couverture numérique du territoire alors que les collectivités, et parfois celles qui étaient le plus en difficulté, ont été laissées seules face à l’urgence des zones blanches.
Alors que le numérique est en train de révolutionner nos vies, les infrastructures de haut débit et de très haut constituent un élément majeur de la capacité de la France à répondre aux enjeux du futur.
J’ai dit le 19 octobre, dans une réunion de l’Avicca, les cinq scénarios possibles devant lesquels l’État était placé.
S’agissant de la montagne, Le Conseil du 31 janvier 2012 a confié à la Datar la réalisation d’une étude à ce sujet. Les premiers éléments qui ressortent de cette étude sont les suivants :
- Les prévisions de couverture par les opérateurs sont très inégales d’un massif à l’autre, mais aussi entre territoires au sein des massifs, tant en ce qui concerne la fibre que la couverture mobile de 4e génération.
- Les solutions de couverture dans des délais et à un coût acceptable passent par des « bouquets techniques ».
- Des approches interdépartementales et interrégionales doivent être privilégiées afin de gommer les effets frontières, particulièrement importants en montagne (passage d’une vallée à une autre.
- L'accompagnement au développement des services et à l'adoption des usages en zones de massif, voire l’expérimentation, doivent être organisés : si certains services sont bien ciblés comme la télémédecine, d’autres tels que les services à domicile, le télétravail, la formation, la prévention des risques, ont besoin d’être largement creusés.
- La réglementation et les financements des infrastructures numériques doivent être adaptés pour les zones de massif qui cumulent les particularités naturelles géographiques et climatiques, une organisation de l’habitat souvent dispersé, et des zones à faible ou très faible densité de population.
Les conclusions de cette étude seront présentées au prochain CNM et serviront de socle aux propositions permettant la couverture numérique des territoires de montagne dans des conditions équivalentes au reste du territoire.
Mesdames, messieurs,
Les orientations que je viens de décrire, et qui constituent votre lot quotidien, ne forment pas un catalogue. Elles correspondent à des compétences et savoir-faire d’ores et déjà présentes sur vos territoires mais qu’un renforcement de l’offre de formation initiale ou continue pourra utilement élargir.
Elles décrivent la nécessité d’inscrire l’aménagement de nos montagnes dans le sens de l’équilibre, et de la durée. Elles indiquent des directions fortes pour la contractualisation à venir.
Dès le mois prochain et s’ils en conviennent, je recevrai une délégation des dirigeants de votre association pour entendre les réflexions et propositions issues de vos travaux et voir comment intégrer vos propositions à notre agenda commun, qui est chargé.
Nous parlons souvent, au ministère, de territoires robustes, résilients, durables. Ces qualités, sont précisément celles que vous revendiquez pour décrire l’identité montagnarde à laquelle je le sais, au-delà de vos différences, vous êtes très profondément attachés.
Le Président de la République et le Premier ministre appellent notre pays à produire le grand l’effort nécessaire à la de maitrise de la dépense publique, en vue de retrouver les marges d’action nécessaires à la préparation de l’avenir.
Dans cette période de transition, les territoires de montagne, doivent pouvoir compter sur la solidarité nationale, c’est la condition de la cohésion sociale et démocratique.
Mais le pays tout entier doit pouvoir compter aussi sur leur capacité d’adaptation et d’innovation pour contribuer à la production des solutions écologiques, économiques et sociales indispensables à notre avenir à tous.
Je vous remercie.
Source http://www.territoires.gouv.fr, le 30 octobre 2012