Déclaration de Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement, sur la portée de la notion d'égalité des territoires dans la mise en oeuvre des politiques publiques, à Paris le 19 décembre 2012.

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Circonstance : Séance inaugurale du cycle 2013 de l'Institut des hautes études de développement et d'aménagement des territoires en Europe (Ihedate), à Paris le 19 décembre 2012

Texte intégral

Monsieur le Président, mesdames et messieurs les intervenants, mesdames et messieurs les auditeurs et auditrices,
Je suis très honorée d’ouvrir la séance inaugurale du cycle 2013 de l’Ihedate.
Comme chaque année, les intervenants et les auditeurs sont divers. Leurs parcours sont très différents.
La variété des organismes qui soutiennent l’Institut est une garantie d’indépendance et de qualité.
Le thème choisi pour cette année est très intéressant, j’y reviendrai.
Je puis vous le dire : dans les organismes divers que je rencontre, nombreux sont les animateurs à avoir suivi cette formation et qui s’en déclarent enchantés.
Soyez donc remerciés d’avoir demandé à y venir et félicités d’y avoir été admis.
La France, vieux pays en Europe, accorde depuis longtemps, en tout cas depuis la grande Révolution, une importance particulière à la cohésion et à l’équilibre de ses territoires.
On a pu faire de nombreuses lectures de cette attention :
* D’aucuns l’ont analysée sous l’angle d’un partage de l’espace entre les classes dirigeantes du pays et l’ont rapportée à la place particulière de la rente foncière dans notre histoire.
* D’aucuns l’ont interprétée sur le registre voisin de l’alliance des bourgeoisies des villes et des propriétaires des campagnes.
* D’autres encore comme la modalité particulière d’une originalité républicaine marquée par un haut niveau de centralisation du pouvoir et une attention particulière à l’égalité de ses citoyens.
* D’autres enfin, et plus simplement, comme un élément de fierté nationale, de passion française et d’identité partagée : nous aimons tout à la fois l’universalité et la diversité de nos paysages et de nos terroirs.
Le fait est que les républiques successives ont apporté, un grand soin à cette question, à travers des outils finalement assez constants dans la durée :
* Les grands réseaux de communication et d’infrastructures.
* La fiscalité et les transferts sociaux.
* A certains moments, une forme de volontarisme pour relocaliser des activités productives ou des services.
Ajustées aux transformations successives des comportements, ces politiques ont jusqu'à une période assez récente atteint leurs objectifs.
Elles n’ont pas réduit le magistère de la capitale sur le reste du territoire, mais elles ont globalement maintenu les équilibres entre les régions.
Elles ont dans les trente dernières années produit ou accompagné des mutations géographiques majeures de l’occupation de l’espace...
* Paris a accru sa place de mégalopole à vocation mondiale.
* Un réseau dynamique de métropoles régionales a émergé, dont quelques unes à vocation européenne.
* Le tissu de villes moyennes a été réactivé autour d’un certain modèle de qualité de vie.
* La France, qui redoutait la désertification d’une partie de ses espaces, a même inversé la tendance. A coté de l’agriculture intensive, j’allais dire productiviste, les espaces ruraux ont transformé leur économie, varié leurs activités. Une partie des campagnes s’est repeuplée…
* Enfin, l’évolution de la pyramide des âges et des qualifications, a renforcé l’attractivité des zones ensoleillées et contribué fortement à la prospérité retrouvée de la totalité des façades littorales de l’espace français.
Alors d’où vient qu’on se soit mis à reparler très récemment d’égalité des territoires ?
Le fait est qu’en contrepoint de ces réussites, des contre-tendances préoccupantes sont apparues, qui résistent depuis un certain nombre d’années aux anciennes politiques d’aménagement.
Si on change d’échelle d’observation, si on substitue le microscope à la longue vue, l’inégalité qui s’est développée à bas bruit est redevenue une tendance forte.
Il n’est qu’à regarder l’écart de niveau de revenus ou d’emplois entre certains quartiers de nos villes.
Nous avons tous en tête aussi ces bassins qui cumulent les fermetures de pme/pmi, le transfert d’un ou plusieurs services publics, un niveau élevé de chômage, l’étiolement du bâti, la déprise commerciale...
Conséquence de la pénurie et du coût du logement, conséquence aussi de l’accession mal régulée de nos concitoyens à la propriété, des phénomènes nouveaux de pauvreté sont apparus, cumulés à un sentiment de fort abandon, dans certaines formes d’habitat périurbain.
Pour répondre à ces inégalités infrarégionales et à leur dispersion dans les interstices, les dispositifs de réparation allant du centre vers les périphéries sont désormais inadaptés.
Les politiques spécifiques même massives et les outils ciblés de réparation, (par exemple la politique de la ville) ont eu leurs mérites : ils ne parviennent plus cependant à stabiliser les écarts au sein des zones denses.
Les bassins traditionnels avaient surmonté plusieurs mutations successives, par redéploiement d’activités : ils paraissent cette fois ne plus pouvoir face aux chocs qui se cumulent.
Et cela d’autant plus que devant tous équilibrer nos comptes, nous aurons moins de marge de transferts pour compenser les pertes d’emplois locaux par un surcroît de service public.
Ces nouvelles inégalités ont donc été analysées comme porteuses d’un risque global pour la cohésion sociale et démocratique.
Le Président de la République, alerté avant son élection par de nombreux élus, à ainsi décidé de la création du Ministère de l’Egalité des territoires, dont la responsabilité m’a été confiée...
De quels constats l’émergence de cette notion d’égalité des territoires, est elle au fond le symptôme ?
* D’abord que le développement économique, est un aspect certes important de la mesure de la richesse d’un territoire. mais ce n’est pas le seul : nous avons besoin de plus d’égalité en termes de développement humain, d’accès à l’éducation, à la santé à la culture, à la nature...
* Ensuite que notre prospérité économique elle-même, dans le contexte des crises, est en retour dépendante de tous les autres facteurs de qualité de vie et en premier lieu de l’état de la ressource écologique.
* Troisième constat enfin : les territoires, en plus des autres causes, accentuent parfois l’empêchement des populations à entreprendre et creusent davantage les écarts entre nos concitoyens.
De quoi alors l’égalité des territoires, inscrite au demeurant dans notre constitution, sous la forme de l’égalité entre les collectivités, (article 72.2 alinéa 3) est elle au fond le nom ?
A mes yeux, elle est le nom de l’effort pour rétablir « la justice territoriale » c’est à dire pour que tous nos concitoyens puissent atteindre le socle de droits défini par le contrat républicain.
Elle est le nom des dispositions prises pour, qu’ayant atteint ce socle, ils développent leur capacité et contribuent avec la même dignité à la construction de l’avenir commun.
Elle est enfin le nom d’une des entrées à la nouvelle économie soutenable et à la transition écologique.
Donner et recevoir. Prélever et restaurer la ressource.
L’Etat réaffirme qu’il n’y a pas de hiérarchie dans l’armature des territoires.
Ces constats et ces partis pris ne sont évidemment pas sans conséquence sur l’adaptation et le renouvellement des politiques publiques.
Prenons l’évolution des modes de vie :
Nous avions il y a un quart de siècle des populations majoritairement sédentaires et tournées essentiellement vers le travail.
Celles d’aujourd’hui sont caractérisées à la fois par une grande mobilité et par une place importante accordée aux activités en dehors du travail.
On change comme jamais auparavant de lieu d’habitation, de cadre familial, de lieu de loisirs, d’activités.
De même la nouvelle répartition des temps de la vie et leurs nouveaux usages – qui sont au coeur de votre session -, transforment ils profondément la relation aux territoires et les attentes de nos concitoyens.
Nous devons tout à la fois acter ces évolutions et les réguler démocratiquement.
En terme d’égalité des territoires, c’est l’objet de l’aménagement numérique d’une part, de la mutualisation et du développement des transports collectifs d’autre part que d’en démocratiser l’accès, d’en réduire fortement la dimension contrainte et les couts écologiques.
Prenons ensuite justement la transition écologique :
Elle implique des circuits plus courts chaque fois que possible, l’évolution vers l’économie circulaire et de la fonctionnalité, une ingénierie nouvelle de la localisation des activités, une organisation de leur relation, une attention particulière aux espaces frontaliers.
L’opposition antérieure entre hyperspécialisation et polyvalence est ainsi largement caduque.
Chaque territoire doit disposer de deux points d’appui.
Un socle de robustesse et de résilience à partir duquel il ne se délitera pas face aux chocs et à des crises de plus en plus régulières.
La spécialisation nécessaire à partir de laquelle il va transformer en forte valeur ajoutée la ressource qui lui est propre.
Ces deux points d’appui, les territoires ne pourront les développer que dans leur rapport avec les autres...
C’est l’interdépendance, l’alliance, le contrat, la coopération qui sont les valeurs montantes de l’égalité des territoires en vue de la réussite de tous.
Dans dix ans, la montagne sera le château d’eau, la pile solaire et l’ilot de fraicheur des villes...
Le rural et la forêt seront, entre autres, une source formidable de l’énergie et d’une alimentation de qualité pour les citadins.
Les villes seront le carrefour où se donneront à voir, s’échangeront et se redéployeront les richesses vers toutes les autres catégories de territoires.
Non seulement les instruments traditionnels de nos politiques en seront transformés mais également le jeu des acteurs sur les territoires.
Les métiers du développement territorial consisteront de moins en moins dans la mise en mouvement de leviers d’action plus ou moins mécaniques et semblables d’un point à l’autre.
Mais de plus en plus dans la négociation, la prévision des impacts croisés et des trajectoires de l’avenir, l’évaluation des politiques par un pilotage au plus près et en temps réel, par l’installation des modèles économiques en réseaux.
Dans l’ajustement de trois catégories d’action publique :
Celle qui portera sur les espaces.
Celle qui jouera sur le temps.
Et celle qui interviendra sur les groupes sociaux et générationnels.
Alors, à partir de là, quelle est le rôle de la ministre pour engager ces mutations ?
D’abord je dois faire en sorte que chaque acteur trouve sa place dans le compromis que va représenter la nouvelle étape de la décentralisation :
* L’Etat doit transférer des compétences sans perte de patrimoine, éviter les doublons et a fortiori les concurrences, faire en sorte que l’ingénierie publique n’ait pas à souffrir du retrait de l’ingénierie d’état.
* A tous, il appartient de veiller à la qualité des assemblages, à la définition de priorités partagées à partir de diagnostics communs.
C’est l’objet de la nouvelle phase de la contractualisation entre l’état et les territoires, pour la période 2014/2020.
C’est l’objet aussi des dispositions législatives nouvelles que je proposerai en matière d’organisation des services au public sur les territoires.
Ensuite dans la cohérence de l’intitulé de mon ministère, je dois agir sur le foncier et l’habitat :
La maitrise publique du foncier est faible en France.
Avec le cout de l’énergie importée, la rente foncière est un obstacle majeur à notre compétitivité au moins autant que le cout du travail.
L’action sur les prix, et contre les mésusages, en faveur d’une utilisation rationnelle et d’une préservation des espaces rares, les politiques de parcours résidentiels justes et cohérents, sont une composante majeure de l’égalité entre les territoires.
C’est l’objet de la loi que je porterai au printemps à propos de l’urbanisme et du logement.
Enfin, je dois agir pour que l’état renforce ses propres dispositifs d’intervention.
Je veux agir pour améliorer l’observation et la prospective aux regards des grands enjeux de l’avenir.
Je pense indispensable de mettre en cohérence les outils des politiques de la ville et des territoires ruraux.
Je dois veiller à la pertinence et aux impacts des effets des politiques de droit commun sur les territoires.
C’est le sens du futur Commissariat général à l’égalité des territoires dont le premier ministre a acté la création et dont la commission présidée par Thierry Wahl nous présentera prochainement les scenarios de création.
Mesdames et messieurs,
Vous l’aurez compris, j’ai du pain sur la planche.
Je considère la tache dont je vous ai décrit les valeurs et les priorités, comme l’une des plus passionnantes du gouvernement de la république.
Et je voudrais terminer par un proverbe berlinois.
Ce proverbe dit : « il n’y a pas plus heureux que Dieu en France ».
Ne voyez dans cette citation aucune référence à l’actualité de mes relations avec l’Eglise apostolique et romaine.
Voyez-y seulement ma volonté que l’avenir ne démente pas cette ancienne attirance de toute l’Europe pour la France.
Je suis bien certaine qu’au bout de votre session de l’Ihedate, vous aurez comme moi, envie de faire vivre davantage, chacun à l’endroit ou vous vous trouvez, ce programme et cette belle espérance.
Je vous remercie.
Source http://www.territoires.gouv.fr, le 21 décembre 2012