Lettre de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, adressée à Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, et aux présidents des groupes parlementaires à l'Assemblée nationale le 7 mai 2001, sur les propositions de la CGT concernant les licenciements dans le cadre du projet de loi de modernisation sociale.

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Texte intégral

Le projet de loi de modernisation sociale intègre de nouvelles propositions gouvernementales concernant les licenciements.
Les récents plans de licenciements ont soulevé une légitime indignation chez les salariés, dans l'opinion publique.
En ce sens, il m'apparaît nécessaire d'interpeller votre groupe par votre intermédiaire.
En premier lieu, il n'y aura pas de progrès majeur pour les droits et libertés dans les entreprises sans un droit effectif à l'emploi.
Le droit à l'emploi est inscrit dans notre constitution. Il doit, grâce à la loi, devenir un droit individuel du salarié opposable à l'employeur lorsque le projet de licenciement est envisagé.
Il faut tout à la fois améliorer le droit social et réformer le droit des affaires pour tenir compte des exigences sociales, ce qui n'a jamais été fait.
C'est l'objet des propositions que nous soumettons à l'appréciation de votre groupe représenté à l'Assemblée Nationale.
1 - Des droits permettant aux salariés d'intervenir sur la marche de leur entreprise.
Il ne vous a sans doute pas échappé, dans l'actualité récente, qu'une large proportion de nos concitoyens jugeait inacceptable l'annonce de licenciements dans des entreprises aux résultats d'exploitation pourtant très positifs.
L'expérience des organisations syndicales des entreprises leur permet de contester sérieusement les décisions et l'infaillibilité du patronat en matière de gestion.
Il s'avère désormais nécessaire que des représentants des salariés soient présents, avec voix délibérative, dans les lieux de décisions des entreprises (Conseils d'Administration et de Surveillance) afin d'y faire prendre en compte les intérêts des salariés.
2 - Une redéfinition du licenciement pour motif économique
A partir de ce nouveau cadre et quel que soit le cas de figure, une réforme du droit en matière de licenciement, notamment pour motif économique, doit nécessairement être engagée.
Il faut restreindre l'utilisation du licenciement économique.
La loi doit affirmer que le licenciement est l'ultime recours, utilisé si les difficultés économiques sont réelles et sérieuses et appréciées contradictoirement comme telles.
Le licenciement économique ne peut être fondé, lorsqu'il est avéré que des licenciements sont prononcés, au seul motif d'augmenter la rentabilité financière de l'entreprise.
3 - La procédure de consultation des représentants du personnel doit permettre une réelle contestation des motifs des projets patronaux.
Les représentants des salariés, les organisations syndicales doivent pouvoir, avant que les choix de l'employeur soient définitifs :
Ø Contester les motifs du projet de licenciement,
Ø Formuler des propositions alternatives.
A ce stade de la procédure, les élus du personnel doivent disposer d'un droit suspensif aux licenciements qui permette, dans des délais sérieux, d'examiner les différents hypothèses en rapport avec l'Inspection du Travail.
4 - Les obligations pour les employeurs.
Dès lors qu'un licenciement pour motif économique réel et sérieux intervient pour un ou plusieurs salariés, les employeurs sont solidairement responsables, notamment dans une même branche professionnelle ou un même territoire, pour formuler des propositions concrètes à leurs personnels (nouvel emploi, congé de conversion, reclassement, formation professionnelle).
La validité des propositions est suivie par une commission territoriale tripartite (élus locaux, organisations syndicales, patronat).
Cette obligation pour l'employeur et cette garantie pour le salarié doivent se matérialiser par le maintien du contrat de travail jusqu'à une solution durable, satisfaisante pour le salarié.
Elles doivent également s'appliquer pour les groupes nationaux ou internationaux dont les décisions stratégiques affectent tout autant les effectifs de leur firme que les emplois induits par leur activité, entre-autres parmi leurs sous-traitants.
Ces dispositions dessinent une nouvelle sécurité sociale professionnelle ".
5 - Les sanctions
Tout licenciement injustifié, quels que soient le motif, la taille de l'entreprise, le nombre de salariés concernés et leur ancienneté, doit être déclaré nul par le Conseil de Prud'Hommes et donner droit à la réintégration du salarié dans son emploi, dans de brefs délais.
Seule cette sanction immédiate répare le préjudice subi par la perte de l'emploi et peut avoir un effet réellement dissuasif à l'égard des employeurs qui licencient avec désinvolture.
6 - Dans le cas de délocalisations, d'activités ou d'entreprises à l'échelle internationale.
Toute délocalisation doit entraîner la suspension de toute aide publique pour l'entreprise voire le groupe ainsi que le remboursement des sommes précédemment perçues dans les dernières années.
En règle générale, apparaît la nécessité d'assurer une plus grande transparence sur les aides publiques perçues par les entreprises en donnant de nouvelles prérogatives aux institutions représentatives du personnel.
Au-delà des dispositions de la compétence du législateur, je souhaite également vous rappeler à cette occasion l'impatience du mouvement syndical européen à obtenir de véritables droits sociaux européens de nature à empêcher le dumping social dont sont trop souvent victimes les salariés. S'y ajoutent également la révision de la directive sur les comités d'entreprise européens et l'adoption de la directive sur l'information et la consultation des travailleurs en souffrance depuis Vilvorde.
En l'état actuel, la Charte des droits sociaux adoptée par le Sommet de Nice en décembre 2000, par son contenu insuffisant et son statut de simple recommandation, est loin de répondre au besoin de rééquilibrer la construction européenne dans sa dimension sociale.
Si vous le souhaitez, nous sommes bien évidemment disposés à approfondir auprès de votre groupe ces axes de réformes attendus par nos mandants.
Ces propositions novatrices s'inscrivent au-delà des nouveaux droits qu'elles génèrent pour les salariés dans notre action incessante pour l'emploi, socle indiscutable pour une croissance où le progrès social doit être le moteur de notre société.
En souhaitant que cette interpellation recueille tout votre intérêt "
(Source http://www.cgt.fr, le 14 mai 2001)