Texte intégral
Cher(e)s ami(e)s,
notre présence ensemble, à cette tribune de Lamoura, a une signification très forte. Elle fait écho aux journées d'été des Verts de Sanguinet, en 1996.
Avec Lionel Jospin, Robert Hue et Charles Fiterman, qui alors incarnait la diversité de petits mouvements qui avaient soutenu les Verts aux présidentielles de 95 et dont beaucoup ont depuis rejoint les Verts, nous avions eu le courage d'affirmer ensemble notre volonté de bâtir une nouvelle majorité d'alternance, enrichie de l'apport des Verts, et dont le mouvement social de décembre 95 signalait l'urgente nécessité. Moins d'un an plus tard, une hasardeuse dissolution de l'assemblée nationale offrait à notre " majorité plurielle " l'occasion historique de gouverner ensemble, un peu plus tôt que prévu. Le bilan de ces quatre années et quelques mois de travail commun, chaque composante de la majorité plurielle devra le dresser pour ce qui le concerne ; notre mouvement le fera de façon approfondie lors de l'Assemblée générale que nous tiendrons en décembre prochain.
Mais ce bilan, nous devons aussi le dresser ensemble, parce que la majorité plurielle est davantage que la somme de ses composantes, et parce que nous en sommes responsables ensemble devant nos concitoyens.
Le temps m'est (un peu) compté ce matin, et je serai donc brève sur ce bilan ; des militants Verts compléteront. Il est forcément contrasté. Il y a des audaces à saluer (35 h, parité, PACS), des dossiers courageusement ouverts comme celui du dialogue avec les élus de la Corse ; mais aussi d'incompréhensibles hésitations et des reculs au moment de concrétiser des engagements pris (fiscalité écologique, transport combiné, réforme de la PAC, réforme de l'Aide Publique au Développement, politique, loi sur l'eau, ce qui explique le trouble de bien des militants en cet instant !) Bilan donc : nous en avons besoin pour prendre la mesure de nos avancées communes, mais aussi de nos insuffisances et de nos erreurs, et surtout pour préparer l'avenir. La question qui nous préoccupe est double : quelles sont les conditions de la victoire de la gauche en 2002 ? Cette victoire acquise, de quel projet de société serons-nous porteurs au lendemain des législatives ? Depuis 48 h, on m'interroge : qu'allez-vous demander à F. Hollande ? Quelles sont, en 80 mots et 4 points, les exigences des Verts pour conclure à nouveau un accord de législature. Vous sentez bien que le débat ne se pose pas ainsi, ni dans le chantage, ni dans le marchandage. Nous savons que la gauche, ne gagnera que si elle est porteuse d'un projet de société qui tient la route, que si elle répond, sans démagogie, aux attentes des citoyens, en terme de partage des ressources, de qualité de la vie, de construction de solidarités et de sécurités collectives, et là bien sûr je ne parle pas seulement de la sécurité (comme en parle la droite), mais de sécurité : sécurité alimentaire, sécurité environnementale, sécurité routière, protection contre l'âge, le handicap, la maladie, les questions de sécurité.
En ce qui nous concerne, nous avons à de nombreuses reprises, depuis deux ans, affirmé notre volonté de faire franchir à la majorité plurielle une nouvelle étape. Pour nous, la majorité plurielle n'est pas le résultat d'un choix de circonstances, d'un calcul électoraliste permettant de rassembler des voix, ou un simple cartel de raison faute d'autres solutions. C'est un choix stratégique pour rassembler les forces politiques et sociales qui permettront à la société de s'engager progressivement dans la transition vers un développement durable et solidaire. Il ne s'agit pas seulement d'infléchir les décisions prises " en haut ", par ceux qui gouvernent, mais d'ouvrir le champ au mouvement social pour transformer la société elle-même, ses comportements de travail et de consommation, etc...
Chaque fois que la majorité plurielle a tenu ces deux bouts, chaque fois que nous avons dialogué et porté ensemble le " durable " et le " solidaire ", elle a progressé. L'engagement de la RTT, les emploi-jeunes, la Couverture maladie universelle, la loi contre les exclusions, la parité, le PACS, la Loi d'orientation agricole, la Loi d'orientation et d'aménagement durable du territoire, la promotion de l'économie solidaire, ou dans le domaine international l'opposition à la signature de l'AMI ou le rôle joué par la France dans la négociation du protocole de Kyoto : toutes ces décisions qui marquent la législature ont permis de modifier les rapports de forces, d'ouvrir de nouveaux espace de démocratie et de solidarité, de mobiliser de nouvelles générations ou de nouveaux acteurs. A chaque fois, la droite en est restée muette ou divisée.
A l'inverse, à chaque fois que nous avons tergiversé, que nous avons semblé ménager la chèvre et le chou pour justifier des arbitrages qui à la fin ne satisfaisaient personne, nous n'avons ni clarifié le message, ni fait avancer les choses, ni obtenu de bons résultats, ni mobilisé la société. Chaque fois, la droite a alors laissé libre cours à ses penchants démagogiques. La non-régularisation des sans-papiers reste ainsi une blessure ouverte pour la majorité plurielle. Les atermoiements face à l'extrême chasse ont fait perdre plus de voix du côté des environnementalistes que du côté de CPNT. Les concessions faites aux lobbies productivistes de l'agriculture intensive, à ceux des patrons routiers ou aujourd'hui devant les groupes semenciers de l'agro-chimie, sèment un véritable trouble parmi nos concitoyens pour qui les questions de qualité de vie et de santé passent par une autre agriculture et d'autres modes de déplacements. Tout ça est pain béni pour la droite et ses discours démagogiques sur l'écologie libérale. Plus près de nous, et plus au centre des grandes politiques publiques, les difficultés auxquelles nous sommes confrontés avec la baisse de 25 milliards de rentrées fiscales confirment nos interrogations sur le caractère aléatoire d'une baisse d'impôts mal ciblée et par conséquent fort peu lisible. A quoi a donc servi la suppression de la vignette ? Le bénéfice politique a été nul, et le message écologique négatif. Nos services publics, si utiles à la redistribution sociale et à la lutte contre l'exclusion, par exemple dans le domaine de l'éducation ou de la santé, ne risquent-ils pas de souffrir de ce type d'orientations ?
A partir de là, et pour l'avenir, le choix du cap à suivre dans un contexte nouveau ne se résume pas à un débat sur plus ou moins de gauche, mais sur les conditions d'un "mieux" à gauche. Il était nécessaire, comme nous l'avons fait, de remettre la machine en marche, de redonner confiance à notre pays, frappé par près d'un quart de siècle de crise et de chômage. Le million et demi d'emplois créés depuis 1997 n'est pas le seul résultat de la croissance miraculeusement retrouvée. La politique du gouvernement de la majorité plurielle y est aussi pour quelque chose ! Désormais, et tout en poursuivant les efforts déjà accomplis, il devient stratégique de s'attaquer aux noyaux essentiels des dégâts écologiques et sociaux, aux factures que nous présentera sans arrêt un système économique sans règles du jeu suffisantes ni pilotage démocratique à l'échelle européenne et de la planète. Ce qui s'est passé à Gênes, cet été, illustre mon propos : qu'un groupe de chefs d'Etats, enfermés sur un paquebot de luxe, protégés par des milliers de policiers ultra violents, soient restés sourds aux questions posées par des centaines de milliers de manifestants pacifiques, est insupportable pour nous tous. Après Göteborg et Gênes, le risque s'aggrave d'une rupture politique majeure d'une génération militante avec l'Europe, avec la démocratie, et même avec la gauche. Il est temps que les questions internationales, celles de la suppression de la dette pour les 55 pays les plus pauvres, celle d'un fonds international digne de ce nom en matière de solidarité sanitaire, celle aussi de la taxation des capitaux spéculatifs, celle enfin d'une Organisation Mondiale de l'Environnement soient mieux portées et plus collectivement par notre majorité plurielle. S'attaquer ensemble aux questions que je viens d'évoquer, c'est aussi se rendre disponibles face aux nouvelles interrogations qui montent. Refuser de renvoyer dos à dos les habitants des vallées alpines, à Chamonix et en Maurienne, ne pas stigmatiser les faucheurs d'OGM en les traitant d'obscurantistes, ce n'est pas faire preuve de démagogie, ou d'irresponsabilité : c'est au contraire préparer l'avenir et tenir compte des aspirations à de nouvelles formes de sécurité collective et de qualité de vie. Entendre les salariés en lutte contre les vagues de licenciements, ce n'est pas forcément rabâcher les dogmes éculés de l'extrême-gauche protestataire ! C'est bâtir ensemble de nouvelles formes de négociation sociale, inventer un nouveau paritarisme, créer de nouveaux droits pour les salariés, les usagers et les consommateurs, avoir le souci du développement local et de la lutte contre la précarité, devenue un véritable fléau social. Nous ne pouvons pas répondre à ces questions essentielles par le seul recours aux méthodes anciennes d'une gestion classique des équilibres économiques accompagnée de réparations écologiques et sociales. A cette nécessité de penser et de traiter les problèmes de notre temps, toute la gauche européenne est aujourd'hui confrontée. Du coup, la qualité et la forme du dialogue entre les composantes de la majorité plurielle prennent une importance particulière. Quand nous ne prenons pas les problèmes en amont, la discussion dégénère en cacophonie ou en surenchère. Nous savons qu'il peut en être autrement. A Paris, je suis heureuse de constater qu'à partir des propositions en matière de transports et de réduction de la place de l'auto en ville, propositions travaillées minutieusement au moment de la campagne, l'équipe de Delanoë résiste de façon soudée aux inévitables polémiques que soulève sa nouvelle politique ; je suis heureuse qu'elle opère de façon concertée les ajustements nécessaires pour appliquer les orientations sur lesquelles elle a été élue. Dans toute l'Europe, chez nos voisins, le débat public a lieu entre les ministres avant que les décisions soient prises. Les échanges ne prennent pas pour autant cette tournure conflictuelle que l'on perçoit chez nous : c'est, je crois, la démocratie qui y gagne. Nous aurions intérêt à nous en inspirer, je suis sûre que la majorité plurielle y gagnerait aussi. Certes les enjeux de cohabitation d'une part, les institutions de la Ve république d'autre part, ne facilitent pas le jeu démocratique. Voilà pourquoi il est temps aussi de mettre fin à la première en avril 2002, et de réformer profondément les secondes : notre pays est en retard en la matière, et l'apparente stabilité dont il jouit se paye jour après jour d'une fracture démocratique de plus en plus pesante ! Raison de plus pour améliorer le partenariat des formations de la majorité plurielle. Les Verts n'ont pas de difficulté de principe à assumer leurs responsabilités. Mais la solidarité gouvernementale (et majoritaire) nous saura d'autant plus naturelle que nous ne serons pas mis devant le fait accompli, que nous ne serons pas accablés par des arguments d'autorité assénés par nos alliés. A quoi servent nos " sommets ", si c'est pour produire de vagues résolutions dont l'impact sur le travail gouvernemental est à la fin si réduit Notre entente en 2002 sera fructueuse si elle est précédée d'une confrontation sur le fond, associant des acteurs de la société civile, un peu comme l'avaient permis les Assises de la transformation sociale. Notre entente en 2002 sera bonne si un " Comité permanent d'animation " de la majorité plurielle fonctionne pour en appuyer et en soutenir la mise en uvre, et cela non seulement à Paris, mais aussi dans toutes les régions françaises. Notre entente en 2002 sera bonne enfin, si les Verts obtiennent la représentation parlementaire et ministérielle qui correspond à leur influence et à leur poids politique dans le pays. Il eût été plus simple pour cela de décider de l'introduction d'une dose de proportionnelle, proposition à laquelle adhèrent les Français parce qu'elle est nécessaire au renouvellement social et générationnel de nos représentants. Quoi, les Verts veulent des postes ? Comme si les autres partis ne présentaient pas eux aussi des candidats aux élections pour avoir des élus et pour peser par ce biais sur les politiques publiques ! La volonté de cette juste représentation, je dois le répéter, n'est pas une affaire de tactique : elle est affaire d'équité démocratique et à terme d'efficacité. Le système actuel pousse au conflit à gauche, il sape la confiance ; il génère d'insupportables systèmes de dépendances et symétriquement de surenchères.
Je voudrais à cet instant de mon propos, rappeler avec force et une certaine solennité, que le propos des Verts n'est pas de se construire au détriment de telle ou telle composante de la majorité plurielle. L'intérêt des Verts est d'avoir des partenaires en position d'assumer le mieux possible les traditions politiques dont ils sont porteurs et la représentation de couches et groupes les plus larges de notre société. Nos " parts de marché ", c'est en réduisant le fossé démocratique et sur la droite que nous pourrons les conquérir, et non en organisant d'absurdes oppositions entre nous.
Cher(e)s ami(e)s,
Il n'y a pas le feu, mais le temps presse ! Certains d'entre vous pensent, je crois, que les campagnes de 2002 s'apparenteront plus à un sprint, nerveux et au coude à coude, qu'à une course de fond.
J'aurais alors tendance à dire que l'entraînement et la préparation physique auront d'autant plus d'importance ! C'est aujourd'hui, et non à la fin de l'automne, qu'il faut commencer à envoyer des signaux forts à l'opinion publique, aux électeurs de la majorité plurielle qui s'inquiètent de notre insuffisante reprise de dialogue.
Je souhaite que notre débat de ce matin, sans fard ni faux-fuyants, soit le premier de ces signaux et marque aussi fortement que Sanguinet, l'avenir de la majorité plurielle.
(source http://lipietz2002.net, le 31 août 2001)
notre présence ensemble, à cette tribune de Lamoura, a une signification très forte. Elle fait écho aux journées d'été des Verts de Sanguinet, en 1996.
Avec Lionel Jospin, Robert Hue et Charles Fiterman, qui alors incarnait la diversité de petits mouvements qui avaient soutenu les Verts aux présidentielles de 95 et dont beaucoup ont depuis rejoint les Verts, nous avions eu le courage d'affirmer ensemble notre volonté de bâtir une nouvelle majorité d'alternance, enrichie de l'apport des Verts, et dont le mouvement social de décembre 95 signalait l'urgente nécessité. Moins d'un an plus tard, une hasardeuse dissolution de l'assemblée nationale offrait à notre " majorité plurielle " l'occasion historique de gouverner ensemble, un peu plus tôt que prévu. Le bilan de ces quatre années et quelques mois de travail commun, chaque composante de la majorité plurielle devra le dresser pour ce qui le concerne ; notre mouvement le fera de façon approfondie lors de l'Assemblée générale que nous tiendrons en décembre prochain.
Mais ce bilan, nous devons aussi le dresser ensemble, parce que la majorité plurielle est davantage que la somme de ses composantes, et parce que nous en sommes responsables ensemble devant nos concitoyens.
Le temps m'est (un peu) compté ce matin, et je serai donc brève sur ce bilan ; des militants Verts compléteront. Il est forcément contrasté. Il y a des audaces à saluer (35 h, parité, PACS), des dossiers courageusement ouverts comme celui du dialogue avec les élus de la Corse ; mais aussi d'incompréhensibles hésitations et des reculs au moment de concrétiser des engagements pris (fiscalité écologique, transport combiné, réforme de la PAC, réforme de l'Aide Publique au Développement, politique, loi sur l'eau, ce qui explique le trouble de bien des militants en cet instant !) Bilan donc : nous en avons besoin pour prendre la mesure de nos avancées communes, mais aussi de nos insuffisances et de nos erreurs, et surtout pour préparer l'avenir. La question qui nous préoccupe est double : quelles sont les conditions de la victoire de la gauche en 2002 ? Cette victoire acquise, de quel projet de société serons-nous porteurs au lendemain des législatives ? Depuis 48 h, on m'interroge : qu'allez-vous demander à F. Hollande ? Quelles sont, en 80 mots et 4 points, les exigences des Verts pour conclure à nouveau un accord de législature. Vous sentez bien que le débat ne se pose pas ainsi, ni dans le chantage, ni dans le marchandage. Nous savons que la gauche, ne gagnera que si elle est porteuse d'un projet de société qui tient la route, que si elle répond, sans démagogie, aux attentes des citoyens, en terme de partage des ressources, de qualité de la vie, de construction de solidarités et de sécurités collectives, et là bien sûr je ne parle pas seulement de la sécurité (comme en parle la droite), mais de sécurité : sécurité alimentaire, sécurité environnementale, sécurité routière, protection contre l'âge, le handicap, la maladie, les questions de sécurité.
En ce qui nous concerne, nous avons à de nombreuses reprises, depuis deux ans, affirmé notre volonté de faire franchir à la majorité plurielle une nouvelle étape. Pour nous, la majorité plurielle n'est pas le résultat d'un choix de circonstances, d'un calcul électoraliste permettant de rassembler des voix, ou un simple cartel de raison faute d'autres solutions. C'est un choix stratégique pour rassembler les forces politiques et sociales qui permettront à la société de s'engager progressivement dans la transition vers un développement durable et solidaire. Il ne s'agit pas seulement d'infléchir les décisions prises " en haut ", par ceux qui gouvernent, mais d'ouvrir le champ au mouvement social pour transformer la société elle-même, ses comportements de travail et de consommation, etc...
Chaque fois que la majorité plurielle a tenu ces deux bouts, chaque fois que nous avons dialogué et porté ensemble le " durable " et le " solidaire ", elle a progressé. L'engagement de la RTT, les emploi-jeunes, la Couverture maladie universelle, la loi contre les exclusions, la parité, le PACS, la Loi d'orientation agricole, la Loi d'orientation et d'aménagement durable du territoire, la promotion de l'économie solidaire, ou dans le domaine international l'opposition à la signature de l'AMI ou le rôle joué par la France dans la négociation du protocole de Kyoto : toutes ces décisions qui marquent la législature ont permis de modifier les rapports de forces, d'ouvrir de nouveaux espace de démocratie et de solidarité, de mobiliser de nouvelles générations ou de nouveaux acteurs. A chaque fois, la droite en est restée muette ou divisée.
A l'inverse, à chaque fois que nous avons tergiversé, que nous avons semblé ménager la chèvre et le chou pour justifier des arbitrages qui à la fin ne satisfaisaient personne, nous n'avons ni clarifié le message, ni fait avancer les choses, ni obtenu de bons résultats, ni mobilisé la société. Chaque fois, la droite a alors laissé libre cours à ses penchants démagogiques. La non-régularisation des sans-papiers reste ainsi une blessure ouverte pour la majorité plurielle. Les atermoiements face à l'extrême chasse ont fait perdre plus de voix du côté des environnementalistes que du côté de CPNT. Les concessions faites aux lobbies productivistes de l'agriculture intensive, à ceux des patrons routiers ou aujourd'hui devant les groupes semenciers de l'agro-chimie, sèment un véritable trouble parmi nos concitoyens pour qui les questions de qualité de vie et de santé passent par une autre agriculture et d'autres modes de déplacements. Tout ça est pain béni pour la droite et ses discours démagogiques sur l'écologie libérale. Plus près de nous, et plus au centre des grandes politiques publiques, les difficultés auxquelles nous sommes confrontés avec la baisse de 25 milliards de rentrées fiscales confirment nos interrogations sur le caractère aléatoire d'une baisse d'impôts mal ciblée et par conséquent fort peu lisible. A quoi a donc servi la suppression de la vignette ? Le bénéfice politique a été nul, et le message écologique négatif. Nos services publics, si utiles à la redistribution sociale et à la lutte contre l'exclusion, par exemple dans le domaine de l'éducation ou de la santé, ne risquent-ils pas de souffrir de ce type d'orientations ?
A partir de là, et pour l'avenir, le choix du cap à suivre dans un contexte nouveau ne se résume pas à un débat sur plus ou moins de gauche, mais sur les conditions d'un "mieux" à gauche. Il était nécessaire, comme nous l'avons fait, de remettre la machine en marche, de redonner confiance à notre pays, frappé par près d'un quart de siècle de crise et de chômage. Le million et demi d'emplois créés depuis 1997 n'est pas le seul résultat de la croissance miraculeusement retrouvée. La politique du gouvernement de la majorité plurielle y est aussi pour quelque chose ! Désormais, et tout en poursuivant les efforts déjà accomplis, il devient stratégique de s'attaquer aux noyaux essentiels des dégâts écologiques et sociaux, aux factures que nous présentera sans arrêt un système économique sans règles du jeu suffisantes ni pilotage démocratique à l'échelle européenne et de la planète. Ce qui s'est passé à Gênes, cet été, illustre mon propos : qu'un groupe de chefs d'Etats, enfermés sur un paquebot de luxe, protégés par des milliers de policiers ultra violents, soient restés sourds aux questions posées par des centaines de milliers de manifestants pacifiques, est insupportable pour nous tous. Après Göteborg et Gênes, le risque s'aggrave d'une rupture politique majeure d'une génération militante avec l'Europe, avec la démocratie, et même avec la gauche. Il est temps que les questions internationales, celles de la suppression de la dette pour les 55 pays les plus pauvres, celle d'un fonds international digne de ce nom en matière de solidarité sanitaire, celle aussi de la taxation des capitaux spéculatifs, celle enfin d'une Organisation Mondiale de l'Environnement soient mieux portées et plus collectivement par notre majorité plurielle. S'attaquer ensemble aux questions que je viens d'évoquer, c'est aussi se rendre disponibles face aux nouvelles interrogations qui montent. Refuser de renvoyer dos à dos les habitants des vallées alpines, à Chamonix et en Maurienne, ne pas stigmatiser les faucheurs d'OGM en les traitant d'obscurantistes, ce n'est pas faire preuve de démagogie, ou d'irresponsabilité : c'est au contraire préparer l'avenir et tenir compte des aspirations à de nouvelles formes de sécurité collective et de qualité de vie. Entendre les salariés en lutte contre les vagues de licenciements, ce n'est pas forcément rabâcher les dogmes éculés de l'extrême-gauche protestataire ! C'est bâtir ensemble de nouvelles formes de négociation sociale, inventer un nouveau paritarisme, créer de nouveaux droits pour les salariés, les usagers et les consommateurs, avoir le souci du développement local et de la lutte contre la précarité, devenue un véritable fléau social. Nous ne pouvons pas répondre à ces questions essentielles par le seul recours aux méthodes anciennes d'une gestion classique des équilibres économiques accompagnée de réparations écologiques et sociales. A cette nécessité de penser et de traiter les problèmes de notre temps, toute la gauche européenne est aujourd'hui confrontée. Du coup, la qualité et la forme du dialogue entre les composantes de la majorité plurielle prennent une importance particulière. Quand nous ne prenons pas les problèmes en amont, la discussion dégénère en cacophonie ou en surenchère. Nous savons qu'il peut en être autrement. A Paris, je suis heureuse de constater qu'à partir des propositions en matière de transports et de réduction de la place de l'auto en ville, propositions travaillées minutieusement au moment de la campagne, l'équipe de Delanoë résiste de façon soudée aux inévitables polémiques que soulève sa nouvelle politique ; je suis heureuse qu'elle opère de façon concertée les ajustements nécessaires pour appliquer les orientations sur lesquelles elle a été élue. Dans toute l'Europe, chez nos voisins, le débat public a lieu entre les ministres avant que les décisions soient prises. Les échanges ne prennent pas pour autant cette tournure conflictuelle que l'on perçoit chez nous : c'est, je crois, la démocratie qui y gagne. Nous aurions intérêt à nous en inspirer, je suis sûre que la majorité plurielle y gagnerait aussi. Certes les enjeux de cohabitation d'une part, les institutions de la Ve république d'autre part, ne facilitent pas le jeu démocratique. Voilà pourquoi il est temps aussi de mettre fin à la première en avril 2002, et de réformer profondément les secondes : notre pays est en retard en la matière, et l'apparente stabilité dont il jouit se paye jour après jour d'une fracture démocratique de plus en plus pesante ! Raison de plus pour améliorer le partenariat des formations de la majorité plurielle. Les Verts n'ont pas de difficulté de principe à assumer leurs responsabilités. Mais la solidarité gouvernementale (et majoritaire) nous saura d'autant plus naturelle que nous ne serons pas mis devant le fait accompli, que nous ne serons pas accablés par des arguments d'autorité assénés par nos alliés. A quoi servent nos " sommets ", si c'est pour produire de vagues résolutions dont l'impact sur le travail gouvernemental est à la fin si réduit Notre entente en 2002 sera fructueuse si elle est précédée d'une confrontation sur le fond, associant des acteurs de la société civile, un peu comme l'avaient permis les Assises de la transformation sociale. Notre entente en 2002 sera bonne si un " Comité permanent d'animation " de la majorité plurielle fonctionne pour en appuyer et en soutenir la mise en uvre, et cela non seulement à Paris, mais aussi dans toutes les régions françaises. Notre entente en 2002 sera bonne enfin, si les Verts obtiennent la représentation parlementaire et ministérielle qui correspond à leur influence et à leur poids politique dans le pays. Il eût été plus simple pour cela de décider de l'introduction d'une dose de proportionnelle, proposition à laquelle adhèrent les Français parce qu'elle est nécessaire au renouvellement social et générationnel de nos représentants. Quoi, les Verts veulent des postes ? Comme si les autres partis ne présentaient pas eux aussi des candidats aux élections pour avoir des élus et pour peser par ce biais sur les politiques publiques ! La volonté de cette juste représentation, je dois le répéter, n'est pas une affaire de tactique : elle est affaire d'équité démocratique et à terme d'efficacité. Le système actuel pousse au conflit à gauche, il sape la confiance ; il génère d'insupportables systèmes de dépendances et symétriquement de surenchères.
Je voudrais à cet instant de mon propos, rappeler avec force et une certaine solennité, que le propos des Verts n'est pas de se construire au détriment de telle ou telle composante de la majorité plurielle. L'intérêt des Verts est d'avoir des partenaires en position d'assumer le mieux possible les traditions politiques dont ils sont porteurs et la représentation de couches et groupes les plus larges de notre société. Nos " parts de marché ", c'est en réduisant le fossé démocratique et sur la droite que nous pourrons les conquérir, et non en organisant d'absurdes oppositions entre nous.
Cher(e)s ami(e)s,
Il n'y a pas le feu, mais le temps presse ! Certains d'entre vous pensent, je crois, que les campagnes de 2002 s'apparenteront plus à un sprint, nerveux et au coude à coude, qu'à une course de fond.
J'aurais alors tendance à dire que l'entraînement et la préparation physique auront d'autant plus d'importance ! C'est aujourd'hui, et non à la fin de l'automne, qu'il faut commencer à envoyer des signaux forts à l'opinion publique, aux électeurs de la majorité plurielle qui s'inquiètent de notre insuffisante reprise de dialogue.
Je souhaite que notre débat de ce matin, sans fard ni faux-fuyants, soit le premier de ces signaux et marque aussi fortement que Sanguinet, l'avenir de la majorité plurielle.
(source http://lipietz2002.net, le 31 août 2001)