Interview de M. Benoît Hamon, ministre de l'économie sociale et solidaire et de la consommation, à RMC" le 12 février 2013, sur la fraude à la viande de cheval et les enquêtes de la répression des fraudes en cours notamment dans les entreprises Comigel et Spanghero, sur le projet de loi sur les "licenciements boursiers".

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous êtes ministre délégué à l’Economie sociale et solidaire, et à la Consommation, important la consommation avec ce qui s’est passé, ce qui se produit autour de ces plats cuisinés. Alors, alors, les agents de la DGCCRF, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, ont inspecté, continuent à inspecter, j’imagine, plusieurs entreprises dans cette affaire, SPANGHERO, COMIGEL, et d’autres entreprises, on est d’accord ?
BENOIT HAMON
Ils le feront.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui ou non ? Ils continuent, ils l’ont fait.
BENOIT HAMON
Là pour l’instant on est sur une enquête qui concerne un importateur transformateur de viande, SPANGHERO, qui vend des pains de viande de 25 kilos, de la viande surgelée, à COMIGEL, qui elle l’a met dans des fours, la transforme, et en fait des plats cuisinés pour différentes marques. C’est sur cette filière qu’aujourd’hui nous enquêtons, hier les agents étaient à la fois chez SPANGHERO et chez COMIGEL. Chez COMIGEL ils ont fait un travail d’inventaire de tous les bons de livraison de la société pour savoir, à notre demande, quels sont les clients de COMIGEL, afin qu’on puisse retirer tous les produits des rayons, au-delà même de l’initiative, louable d’ailleurs, des professionnels de retirer eux-mêmes un certain nombre de produits.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça c’est en aval.
BENOIT HAMON
Donc on veut vérifier s’il n’en reste pas un seul dans les rayons, et ça c’est le travail que nous avons fait hier, on aura, je pense dans la journée d’aujourd’hui, la liste de ces clients. Le deuxième travail qui se poursuivait hier chez SPANGHERO, il est de regarder et de comprendre comment on en arrive à ce que de la viande importée pour être du boeuf, est en fait du cheval qui rentre en ligne de compte dans la préparation de ces plats cuisinés, et là-dessus le travail se poursuit, je serai en mesure probablement jeudi de donner les premières conclusions de cette enquête, pour établir quoi ? en fait ce qui manque c’est la nature du préjudice. Est-ce qu’on affaire à une négligence de COMIGEL, de SPANGHERO, et d’autres, et cette négligence elle appellera des contraventions, mais est-ce qu’il s’agit seulement de négligences, ou est-ce qu’il s’agit de faute, c'est-à-dire d’une intention délibérée de tromper le consommateur.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce qu’une enquête judiciaire sera ouverte ?
BENOIT HAMON
Ce qui est certain c’est que s’il y a faute, je transmettrai au Parquet, et je transmettrai au Parquet à des fins de poursuites, s’il le décide, mais ça ne relèvera pas de la simple contravention, du simple procès-verbal, mais d’une décision, d’une saisine de la justice.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais qu’ont trouvé les agents de la DGCCRF jusque-là ?
BENOIT HAMON
Pour l’instant un certain nombre d’informations, et je ne peux pas vous les donner aujourd’hui…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Des informations qui vous conduisent à penser quoi ?
BENOIT HAMON
Qui nous conduisent à…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qu’on est sur une fraude ?
BENOIT HAMON
C’est possible, mais je ne veux pas trancher parce que je ne le sais pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, non, mais c’est possible.
BENOIT HAMON
Et que ce n’est pas du tout de la même nature…
JEAN-JACQUES BOURDIN
La fraude n’est pas écartée ?
BENOIT HAMON
La fraude n’est pas écartée, ce qu’on essaye de comprendre c’est comment ces pains de viande de boeuf, en théorie, ont été mis sur le marché, alors qu’il s’agissait de cheval. Les prix auxquels ils ont été acquis sur le marché européen – observez, on parle beaucoup de traçabilité, et on s’inquiète de cela, en 48 heures, la DGCCRF a réussi à mettre à jour cette filière complexe qui passait de SPANGHERO à un traiteur chypriote…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça vient des Anglais quand même.
BENOIT HAMON
Non, c’est nous qui avons remonté jusqu’à l’abattoir en Roumanie.
JEAN-JACQUES BOURDIN
D’accord. Enfin, l’alerte a été donnée par les Anglais.
BENOIT HAMON
Absolument, l’alerte a été donnée par les Anglais au luxembourgeois, la société COMIGEL, qui nous a alertés, 48 heures après les Français étaient capables de remonter jusqu’à cet abattoir en Roumanie en passant par…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous n’avez été étonné, Benoît HAMON, par ce nombre d’intermédiaires qui interviennent là, dans l’achat de cette viande ?
BENOIT HAMON
Alors, ce qu’il faut savoir c’est que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Avec ces traders, l’un aux Pays-Bas, l’autre à chypre.
BENOIT HAMON
Oui, c’est ce qui montre, quoi, qu’il y a un marché où, en gros, plusieurs intermédiaires essayent de vendre au meilleur prix et d’acheter au prix le plus bas, à la fin ça arrive à des tarifs qui sont des tarifs anormalement bas, à mes yeux, sur le marché français, et qui auraient dû justifier, je pense, davantage d’attention de la part des importateurs, et ensuite on se rend compte que, quoi, que cette viande de boeuf c’était de la viande de cheval.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, parce que l’importateur SPANGHERO dit, attendez, nous on importe de la viande, elle est étiquetée, et, hop ! On la revend tout de suite.
BENOIT HAMON
Mais on verra tout cela, et l’enquête dira qui a raisonnablement fait son travail.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il ne vérifiera pas donc ?
BENOIT HAMON
Il y a des obligations, qui sont celles des entreprises, de procéder à des points d’autocontrôle, mais qui concernent davantage leurs fournisseurs qu’elles-mêmes, or l’enjeu de la réunion que nous avons eue hier, à Bercy, avec le ministre de l'Agriculture et le ministre de l’Agroalimentaire, c’était de dire, aux professionnels, il relève de la responsabilité de l’Etat d’exercer des points de contrôle, ce que nous faisons, mais il relève aussi de votre part de mieux exercer le contrôle sur ce que vous recevez de vos fournisseurs et ce que vous donnez à vos clients. Or, sur ce point, et la réunion a été très positive hier, avec des vrais engagements de la part des professionnels, il me semble qu’on ne peut pas se renvoyer la patate chaude en disant qu’on va renforcer seulement les contrôles sur son fournisseur, il faut regarder ce que l’on a chez soi, ce qui arrive chez soi, et ce qui en sort, c’est de la responsabilité de chacun des acteurs, et s’adapter, peut-être, à une nouvelle forme de menace. Pour être très clair, notre dispositif est plutôt bien adapté aux risques sanitaires et bactériologiques, est-il adapté à un risque de tromperie économique, comme, peut-être, il s’agirait de cela dans notre affaire, peut-être pas aussi bien, et c’est de cela dont nous allons discuter demain à Bruxelles avec les autres ministres européens, c’est sur cela que nous allons travailler, et qui nous a amené, de surcroît, peut-être j’aurai l’occasion de le dire, à engager un gros dispositif de contrôle et de surveillance, que nous avons annoncé hier.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vais y revenir. Dans quel pays la viande de cheval a-t-elle été transformée en viande de boeuf sur les étiquettes ? Vous le savez ou pas, ça ?
BENOIT HAMON
A ce stade je ne le sais pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous ne le savez pas. Vous ne savez pas si ça s’est passé en Roumanie, en France, ou sur le trajet ?
BENOIT HAMON
Non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vous dis ça.
BENOIT HAMON
Non, mais je peux vous faire une réponse sur les hypothèses.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Allez-y, faites-moi une réponse.
BENOIT HAMON
La première hypothèse qui peut exister c’est que, un pain de viande de cheval est délibérément étiqueté « viande de boeuf » par un abattoir, vendu donc plus cher…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc en Roumanie.
BENOIT HAMON
Potentiellement, je ne le sais pas, mais vendu donc plus cher, puisque le boeuf vaut plus cher sur le marché, que le cheval, mais acheté à un prix, par l’importateur, en deçà du prix moyen du marché, du boeuf, et donc dans l’affaire tout le monde y gagne.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y a une marge. L’importateur, comme l’abattoir, le producteur.
BENOIT HAMON
L’autre hypothèse, mais c’est évidemment réfuté aujourd’hui par SPANGHERO, c’est qu’il se pourrait qu’il y ait eu un défaut d’étiquetage chez eux, nous ne le savons pas, et je n’ai aucun moyen, à ce stade, de pouvoir vous donner une réponse.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous le saurez ?
BENOIT HAMON
Nous travaillons à le savoir, avec les autorités roumaines.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous pensez que vous le saurez, et nous le saurons ?
BENOIT HAMON
En tout cas on met tout en oeuvre pour le savoir, mais il y a ce qui relève de l’enquête de la police de la consommation, en gros la Répression des fraudes, mon administration, et puis après, le cas échéant, si le dossier le justifie, d’une enquête judiciaire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais j’ai lu les déclarations du Premier ministre roumain, vous aussi, vous l’avez eu au téléphone le gouvernement roumain ?
BENOIT HAMON
Non, mais par contre on a, tous les jours les autorités roumaines travaillent avec nous, s’il faut des contacts téléphoniques, ils ont eu lieu entre les ministres de l’Agriculture hier, nous les verrons, je le rencontrerai mercredi puisque je serai à Bruxelles, je rencontrerai mes homologues britannique et roumain avec Stéphane LE FOLL, donc ces contacts ils ont lieu, et on travaille objectivement, pas à se renvoyer la responsabilité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parce que le Premier ministre roumain dit « aucune irrégularité n’a été commise par une société roumaine ou sur le territoire roumain, nous avons fait des vérifications, il n’existe aucune violation des règles et des standards européens. »
BENOIT HAMON
Je n’ai rien qui justifie que je mette en doute la parole du Premier ministre roumain, donc… mais nous, nous enquêtons.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc les Roumains disent « ce n’est pas nous. »
BENOIT HAMON
Nous enquêtons, et nous avons aujourd’hui…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc si ce n’est pas eux, c’est nous.
BENOIT HAMON
Oui, c’est ce qu’ils laissent entendre, mais tout le monde se renvoie un peu la balle, et ce que nous allons essayer de trouver demain, c’est les conditions pour que les Européens s’entendent pour mettre à jour l’existence, ou pas, de filières délictueuses dans ce domaine-là, sur le plan économique, de gens qui délibérément trompent les consommateurs, mais de surcroît, aussi, poser une autre question, qui est la traçabilité des produits, l’origine des viandes, dans les plats cuisinés, puisque vous savez sans doute…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ah, alors ?
BENOIT HAMON
Que quand vous achetez un plat cuisiné, de lasagnes ou de moussaka…
JEAN-JACQUES BOURDIN
On ne sait pas d’où vient la viande.
BENOIT HAMON
On ne sait pas d’où vient la viande, cette information ne figure pas sur l’étiquette, là, ou si vous achetez un steak de viande chez votre boucher, vous connaissez l’origine. Donc ce que nous avons mis en discussion hier, avec les professionnels, et c’est la position que défendra la France à Bruxelles, c’est le fait que figure, demain, l’origine des viandes aussi dans les produits…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez obliger les professionnels de l’agroalimentaire…
BENOIT HAMON
Nous allons mettre ça dans le débat européen, c’est une décision 100% européenne.
JEAN-JACQUES BOURDIN
100% européenne. C'est-à-dire que nous ne pouvons pas, nous France, imposer cette obligation ?
BENOIT HAMON
Non, on ne peut pas l’imposer aux autres, ce qui ne nous empêche pas de prendre des initiatives plus précoces que la réglementation européenne, ce qui est aussi à l’ordre du jour de la discussion.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qu’est-ce que vous allez prendre comme initiative ?
BENOIT HAMON
Justement, c’est ce que je voulais vous dire. Donc, d’abord on va poser cette question-là au niveau européen, l’objectif étant d’avoir l’origine de la viande, et quand on dit origine de la viande, où est-ce que la vache est née, où est-ce qu’elle a été élevée, où est-ce qu’elle a été abattue. Trois informations. Ça, ça va être l’objet d’une discussion. Nous voulons accélérer le calendrier européen, qui était prévu pour 2013, ça tombe bien, dans ce domaine-là. L’autre aspect, qui a été discuté hier, avec les professionnels, c’est, ne peut-on pas s’entendre entre les professionnels de l’agroalimentaire, ceux de la filière bovine, les distributeurs, sur des engagements, qui seraient pris par la France, sur l’origine de la viande, qui figurent, nous sur nos produits, sans que cela, forcément, figure dans la réglementation européenne tout de suite. En clair, est-ce qu’on ne peut pas anticiper. Nous allons y travailler, la semaine prochaine nous faisons une nouvelle réunion avec les professionnels.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et vous voulez qu’on anticipe ?
BENOIT HAMON
Moi je pense qu’il y a besoin d’un acte fort de confiance, parce que le consommateur, là aujourd’hui, se pose des questions sur ce qu’il mange.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et les professionnels de l’agroalimentaire ?
BENOIT HAMON
Je les ai trouvés très positifs hier, honnêtement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ils ont tout intérêt à être très positifs…
BENOIT HAMON
Oui, mais…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Sinon la suspicion est jetée sur ce qu’ils font, sur leurs pratiques.
BENOIT HAMON
Mais pourquoi, parce que notamment tous ceux qui sont parfaitement honnêtes, et qui souffrent des conséquences, des comportements, ou négligents, ou potentiellement – je mets des guillemets parce que je n’en sais rien et que je ne veux pas – mais potentiellement « malhonnêtes » de certains.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien sûr. Alors, vous avez décidé la mise sous surveillance de la filière viande et poisson cette année 2013. Explications. Ça veut dire quoi la mise sous surveillance ?
BENOIT HAMON
On a décidé deux choses. D’abord on s’est posé la question, est-ce qu’il y a juste les plats cuisinés liés à cette filière COMIGEL/ SPANGHERO, qui sont concernés ? Il y a d’autres filières d’approvisionnement. Ne faut-il pas regarder aussi, à partir de prélèvements, dans les congélateurs des grandes surfaces, s’il n’y a pas d’autres plats cuisinés qui pourraient être concernés. Donc, j’ai annoncé une première mesure, c’est que nos prélèvements vont s’étendre au-delà des plats cuisinés qui étaient liés à la société COMIGEL. Première chose. Donc, dans les jours qui viennent, les agents, encore de la Répression des fraudes, vont faire ce travail-là. Et la deuxième chose que nous allons faire c’est, au-delà des prélèvements dans les congélateurs des grandes surfaces, il y a tout ce qui est en amont, c'est-à-dire les points d’importation et de transformation de la viande. Et ce que nous avons voulu annoncer ce n’est pas simplement une intensification des contrôles sur les 15 jours qui viennent, qui, pour faire vite – si je suis un importateur qui change les étiquettes, si je sais qu’il y a des contrôles pendant 15 jours, je vais brûler tous mes pains de viande et je vais m’arrêter là, et je vais attendre que la fin…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vais attendre 15 jours, oui.
BENOIT HAMON
Voilà. Nous avons décidé la mise sous surveillance de l’ensemble de la filière animale, viande/ poisson, pendant 1 an, pour sécuriser le secteur et faire en sorte qu’on revienne à des pratiques qui soient des pratiques dont on s’assure qu’elles soient absolument fiables, honn??tes, dans un secteur qui est un secteur dont, je répète, qu’il n’est pas… qu’il faut arrêter de l’accabler.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, alors il y a des inspecteurs de la DGCCRF…
BENOIT HAMON
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
De moins en moins, parce que j’ai vu 600 emplois…
BENOIT HAMON
Il y en a eu de moins en moins…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Supprimés ces 5 dernières années.
BENOIT HAMON
Avant l’arrivée de la gauche au pouvoir. Cette année il y a avait – on a eu un budget, qui a été fait, qui est un budget en réduction des déficits, et mise à contribution de toutes les administrations sauf, vous le savez, l’Education nationale, la police et la gendarmerie, et sauf une qui n’a pas vu ses effectifs baisser à Bercy, la DGCCRF. Mon administration a vu ses effectifs maintenus, ce qui ne veut pas dire qu’on revient à la situation qui était celle d’avant Nicolas SARKOZY, mais incontestablement, sous le précédent gouvernement, il faut le savoir, les effectifs ont été réduits de 16%, ce qui amène à ce que… quand on demande un agent de la DGCCRF de contrôler la sécurité d’une aire de jeux, la chaîne du froid dans un restaurant, la filière viande, toutes sortes de contrôles de plus en plus compliqués, qu’on leur demande une compétence aussi en matière de e-commerce, il y a des limites à la polyvalence, et ce que nous avons voulu faire pour commencer, c’est préserver, sanctuariser, l’administration de la Répression des fraudes, qui est mon administration, pour faire en sorte qu’elle ait les moyens d’agir. Mais je comprends par ailleurs, j’entends que dans l’absolu il faudra peut-être revoir les conditions d’organisation de cette administration pour qu’elle soit encore plus efficace.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Je vais vous parler d’autre chose. L’annonce de l’Elysée hier, sur les licenciements dits boursiers, je me méfie de cette expression, qui avait été employée, d’ailleurs, par le candidat François HOLLANDE. Alors, François HOLLANDE annonce une loi en vertu d’un engagement qui a été pris sur les sites rentables. Alors là, moi j’aimerais comprendre, parce que ça c’est très flou, quelle est la réalité, quel est le texte de loi qui est en préparation, Benoît HAMON ?
BENOIT HAMON
Sur le texte de loi, d’abord de quoi on parle.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parce que vous étiez à la réunion en question.
BENOIT HAMON
Oui, j’ai travaillé avec le Premier ministre sur un texte qui réunirait plusieurs, on va dire orientations sur lesquelles travaille le gouvernement. C’est, comment est-ce qu’on fait pour obliger un groupe, qui veut céder une entreprise, un site en France, qui l’a délibérément rendu improductif, là où ce site était rentable, comment on l’oblige à céder ce groupe, ou cette unité, à un concurrent, le cas échéant, qui s’engage, lui, à maintenir l’activité. Ça c’est une question qui nous est posée. Un certain nombre de salariés disent, « notre entreprise a fermé, pourquoi, parce que dans un jeu qui est un jeu que font un certain nombre de multinationales, on ferme ici, on rouvre ailleurs, etc. » Et nous nous penchons donc sur cette question, d’un texte de loi qui garantisse qu’on ne puisse pas fermer ainsi un site rentable, tout en tenant compte d’une réalité, c’est d’abord le droit de la propriété, et la liberté de commerce, qui font partie d’un bloc de constitutionnalité avec lequel il faudra composer, mais nous voulons éviter…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Imposer.
BENOIT HAMON
Oui, trouver le moyen, il y aura plusieurs formules sur lesquelles nous travaillerons, éviter que l’on ferme des sites rentables. Et on y rajoute quoi ? Ce sur quoi moi je travaille comme ministre, là cette fois-ci de l’Economie sociale et solidaire, le droit de préférence de rachat par les salariés de leur entreprise. Chaque année, en France, disparaissent entre 50 000 et 200 000 emplois, c’est donc considérable, dans des entreprises rentables, et qui ferment faute de repreneur. Faute de repreneur pourquoi ? Parce que le chef d’entreprise a mal préparé sa succession, ou alors qu’il a un petit peu surestimé la valeur de son entreprise et qu’il n’a pas trouvé de repreneur. Eh bien nous voulons créer, par la loi, un droit préférentiel de rachat par les salariés de leur entreprise. En même temps, en période de crise, il faut créer les conditions pour qu’ils puissent racheter leur entreprise, et c’est là encore le statut de l’entreprise sur lequel je travaille, qui permettra – c’est un statut de Scop, mais on va dire allégé par rapport à la loi actuelle – qui permettra aux salariés de pouvoir reprendre leur entreprise avec, au point de départ, la nécessité de réunir 30% du capital et non plus 51, comme c’est nécessaire aujourd’hui, et d’être immédiatement majoritaires en droit de vote. On va donc créer l’écosystème, les conditions, pour que ce soit plus simple pour les salariés de reprendre leur entreprise, là où leur patron n’a pas trouvé de repreneur et qu’il veut céder son activité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors deux choses encore, deux questions. La colère sociale. Lorsque vous entendez Thierry LEPAON, le nouveau patron de la CGT, dire « François HOLLANDE s’inscrit dans la suite de Nicolas SARKOZY », vous répondez quoi ?
BENOIT HAMON
Que ce n’est pas vrai, mais qu’il le sait.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C’est un peu la même politique, non ? 3% la rigueur… non ?
BENOIT HAMON
Mais quand on travaille à une loi sur les sites rentables, quand on travaille à une loi de préférence de rachat par les salariés…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais vous n’allez pas l’imposer la loi sur les sites rentables.
BENOIT HAMON
Elle va être votée…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Elle va être votée, mais vous n’allez pas imposer à l’entreprise l’obligation.
BENOIT HAMON
Il y a, par exemple, en droit de la concurrence…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez imposer l’obligation ? Je vous pose la question.
BENOIT HAMON
Non, mais attendez, on travaille là-dessus… un point très précis de droit…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez imposer l’obligation ?
BENOIT HAMON
Mais c’est ce que nous sommes en train de voir, est-ce que nous pouvons, aujourd’hui, faire en sorte d’obliger un cédant, qui est libre de céder à qui il veut…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous n’allez pas pouvoir l’obliger.
BENOIT HAMON
Sauf qu’en droit de la concurrence, par exemple, on peut vous imposer de démanteler votre groupe quand vous êtes en situation de monopole, ou quand vous êtes en situation de positive dominante, on peut vous dire cédez telle ou telle filiale, donc le droit de la concurrence permet aujourd’hui d’atteindre la liberté du cédant et du propriétaire. La question c’est – il y a plusieurs manières d’obliger un cédant – si vous renchérissez de 10 fois, par exemple, c’est tout à fait hypothétique, le coût d’un plan social ou d’un plan de sauvegarde de l’emploi, dans cette hypothèse-là, l’intérêt économique du cédant ça va être…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais c’est hypothétique ce que vous dites, parce que ça va être une des pistes suivies.
BENOIT HAMON
Voilà, ça va être de céder son activité…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Renchérir les plans sociaux.
BENOIT HAMON
A un concurrent, plutôt que de payer la fermeture.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Faire en sorte que les plans sociaux coûtent plus cher.
BENOIT HAMON
En clair, que ça coûte tellement cher la fermeture, qu’il vaille mieux la céder, voilà.
JEAN-JACQUES BOURDIN
J’ai compris, Benoît HAMON, ce que vous allez faire.
BENOIT HAMON
Donc on travaille là-dessus, vous croyez que c’est pareil que Nicolas SARKOZY cela ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon.
BENOIT HAMON
Un autre mot. Là où Thierry…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais je vous dis ça, parce que la colère sociale, vous avez vu cette colère sociale…
BENOIT HAMON
Je la croise tous les jours.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Lorsque Manuel VALLS dit « je crains des débordements », vous trouvez qu’il va trop loin ou pas ? Est-ce que vous craignez des débordements vous aussi ?
BENOIT HAMON
Quand les gens sont en colère il peut toujours y avoir des débordements, la question c’est quel est le débouché à cette colère, quelles sont les réponses qui sont celles, à la fois du gouvernement…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Elles sont apportées les réponses, franchement ?
BENOIT HAMON
Nous les construisons aujourd’hui, et nous les construisons sur plusieurs sujets à la fois. Je peux vous assurer qu’il n’y a pas une seconde où on ne pense pas à ça. Et moi quand je vois des salariés, aujourd’hui de GOODYEAR, de PILPA, de plusieurs entreprises, ils réclament quoi ? Qu’on mobilise toutes les solutions à disposition pour maintenir leur activité, maintenir l’appareil productif. Il y a un bilan qu’on ne donne pas, quand Arnaud MONTEBOURG fait face à une multitude de plans sociaux, il part sur des bases où il y aurait eu, depuis qu’on est arrivé, autour de 50 000 suppressions d’emplois, en réalité il en évite plusieurs dizaines de milliers grâce à l’action du gouvernement qui se mobilise.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il faudra que vous me disiez où.
BENOIT HAMON
Dans plusieurs… en réalité, aujourd’hui, plans sociaux par plans sociaux, il n’y a pas que les plans sociaux les plus médiatiques, vous prenez les entreprises, les unes après les autres, je peux vous assurer, aujourd’hui, qu’on trouve des solutions les unes après les autres, et c’est ainsi que les pouvoirs publics sont utiles, à travers la digue défensive qu’on construit, mais aussi l’offensive. Et l’offensive c’est quoi ? C’est la stratégie économique du gouvernement de réindustrialisation de la France, et elle passe aussi, je l’espère, par la collaboration des banques, et c’est pour ça que la loi bancaire elle ne sera pas inutile.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Tiens les banques, dernière question. Est-ce que vous êtes favorable à un plafonnement des frais d’intervention des banques pour tous ?
BENOIT HAMON
Oui. Moi je suis favorable à ce qu’on plafonne les commissions d’intervention, oui, absolument.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pour tous, pour tout le monde ?
BENOIT HAMON
Oui. En général, d’abord, pour les publics les plus vulnérables.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais pour tout le monde ?
BENOIT HAMON
En tout cas il faut travailler, moi je n’ai pas de… là-dessus, je pense qu’aujourd’hui, sur ces commissions d’intervention, ça va très loin.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais pour tout le monde ou pas ?
BENOIT HAMON
Principalement pour les publics pour… qui paye des agios essentiellement ? Ceux qui n’ont pas beaucoup de sous, donc la réalité c’est que c’est pour les publics les plus vulnérables, qu’aujourd’hui ces commissions d’intervention sont devenues insupportables. C’est dans la loi bancaire. Mais nous irons plus loin, parce que moi je travaille sur la création d’un fichier positif pour responsabiliser le prêteur, c'est-à-dire celui qui donne du crédit…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il sera créé ce fichier positif ?
BENOIT HAMON
C’est l’engagement, du Premier ministre, du président de la République, et il sera inscrit dans la loi consommation que je défendrai en avril devant le Conseil des ministres et en juin au Parlement.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 février 2013