Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, sur les grandes orientations de la politique de la ville, à Paris le 19 février 2013.

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Circonstance : Comité interministériel des villes, à l'hôtel de Matignon le 19 février 2013

Texte intégral

Je vais d'abord remercier Cécile Duflot et François Lamy. Je ne parle pas de leur présence parce que leur présence est constante mais je voulais les remercier pour leur travail et je vais y revenir puisqu'aujourd'hui je vais vous présenter, en quelques mots, l'essentiel des décisions du Comité Interministériel des Villes qui vient de se tenir en présence de très nombreux ministres.
J'ai rappelé en introduction qu'il y a près de trente ans, c'était en juin 1984, Pierre MAUROY créait le premier comité interministériel des villes.
L'ambition à l'époque était immense. Il s'agissait de mobiliser, de coordonner l'action gouvernementale, pour mettre fin à la relégation où se trouvaient certaines banlieues françaises.
Aujourd'hui, où nous réunissons c'est près de trente ans après la marche pour l'égalité, qu'on a appelé la marche des Beurs, mais c'est bien la marche pour l'égalité, et depuis c'est vrai que beaucoup a été fait.
Et pourtant, le constat est là : les inégalités persistent entre les banlieues, les quartiers, et le reste des territoires. Pire encore, ces inégalités ont recommencé à s'accroître depuis une dizaine d'années. Dans ces quartiers, plus d'une personne sur trois vit en dessous du seuil de pauvreté au lieu d'une sur huit partout ailleurs. Le taux de chômage y est deux fois plus élevé. Près d'un jeune sur 4 y sort sans qualification du système éducatif, contre 1 sur 9 dans les quartiers urbains environnants.
Donc ces chiffres parlent d'eux-mêmes. On comprend alors que les habitants des banlieues aient pu perdre confiance en l'action publique. Les chiffres de la participation électorale y sont plus bas qu'ailleurs. Tous les cinq ans, c'est vrai qu'on a promis à ces Français, à ces habitants de grandes réformes à coup de milliards d'euros. Et à chaque fois c'est la même désillusion.
Certes, il y a eu d'indéniables progrès. Il serait profondément injuste de le nier, mais les projets de rénovation urbaine ont permis de réintégrer les quartiers au reste de la ville, de créer une dynamique pour les habitants. Le regard de la société à l'égard de ces quartiers a commencé à changer, et on se rend compte à quel point les quartiers populaires – par exemple c'est le cas en Seine-Saint-Denis où je me suis rendu hier, à Clichy-sous-Bois avec François Lamy - sont un réservoir de talents formidable de talents. C'est un réservoir de talents qui peut s'investir dans l'économie, qui peut s'investir dans la vie associative, sous toutes ses facettes, qui peut s'investir dans la culture, dans la création d'entreprise, dans l'innovation. Mais à l'évidence, il reste beaucoup à faire. Et donc ce matin je ne suis pas venu à la suite de ce Comité interministériel vous présenter un nouveau « plan Marshall pour les banlieues ». Les habitants des quartiers n'ont pas besoin d'un plan de sauvetage miraculeux imaginé dans un cénacle ministériel, ils ont d'abord besoin qu'on les écoute, que l'on tire parti de leur expertise pour identifier les problèmes et y apporter des solutions concrètes, efficaces.
C'est pourquoi, avant toute chose, le gouvernement a choisi d'organiser une vaste concertation avec les habitants, les élus, les responsables associatifs, et tous les partenaires de la politique de la ville. Cette concertation lancée par François Lamy a duré trois mois et réuni 1600 participants.
C'est sur ses conclusions que nous avons pu appuyer notre travail, pour élaborer la réforme que je présenterai brièvement aujourd'hui. C'est vrai que c'était l'engagement 27 du président de la République. Et ce sont 27 mesures qui ont été arrêtées ce matin.
Je ne vais pas les détailler, je voudrais seulement retracer devant vous les grandes lignes. Si la politique de la Ville n'a pas apporté depuis trente ans tous les résultats escomptés, c'est notamment en raison de la dilution des moyens. On dénombre aujourd'hui 751 zones urbaines sensibles et près de 2500 quartiers ciblés par les contrats urbains de cohésion sociale, et encore je dis le nom complet « contrats urbains de cohésion sociale », souvent on dit CUCS, ZUST, FSU, ZFU etc… je pourrais continuer, c'est parfois incompréhensible. C'est incompréhensible même pour moi, mais c'est encore plus incompréhensible parfois pour tous les acteurs de terrain.
Mais si on compare avec d'autres pays qui se sont engagés dans une politique en faveur des quartiers, je prends l'Allemagne par exemple, c'est 392 quartiers de la politique de la ville, 40 aux Pays-Bas – c'est vrai que le pays est plus petit, et 17 en Espagne – c'est peut-être insuffisant. En tout cas nous voulons revoir la carte, la géographie prioritaire pour identifier les quartiers où les besoins sont les plus criants. En partant d'un critère simple et objectif, la part de population à bas revenus, et quand nous faisons ce calcul nous arrivons à un nombre d'environ 1000 quartiers prioritaires, et qui ne sont pas forcément d'ailleurs toujours en banlieue, comme je vous l'ai dit, ou dans les cités. Nous avons repéré, c'est tout le travail qui a été fait par les deux ministres, que dans certaines villes moyennes notamment, y compris dans des départements ruraux, qu'il existait des quartiers concernés et qui avaient été oubliés. Donc ce premier volet de notre réforme est très important, c'est une façon de mieux cibler et en même temps de simplifier.
Mais tous les quartiers populaires, parce qu'il existe beaucoup plus que 1000 quartiers populaires, qu'ils relèvent ou non de la géographie prioritaire, se verront proposer cependant un contrat de ville afin de mieux mobiliser les dispositifs de droit commun et la solidarité locale. Il n'y aura pas de désengagement brutal de l'Etat comme certains ont pu le craindre, donc il s'agit de mobilier l'ensemble de l'action des ministères au plan national comme au plan territorial. Parce que la politique de la Ville est nécessairement plurielle.
Un nouveau contrat de ville unique sera mis en place, il regroupera les politiques sociales, les politiques urbaines, les politiques économiques, les politiques environnementales conduites pour les quartiers. Les intercommunalités – aux côtés des communes qui évidemment continueront de jouer un rôle important – en seront les chefs de file, car c'est au niveau de la solidarité territoriale des agglomérations que les questions liées à la mobilité, au développement économique, à l'habitat, peuvent être abordées le plus efficacement. Ces contrats uniques doivent impliquer l'ensemble des acteurs de la politique de la ville qui en seront signataires. La gouvernance des contrats, de même que la délimitation des quartiers prioritaires seront adaptés aux spécificités de l'Outre Mer bien entendu.
Le deuxième train de mesures consiste à mieux appliquer le droit commun, je viens de le dire, car, avant de prendre des mesures spécifiques pour les quartiers, il faut s'assurer qu'elles bénéficient comme les autres territoires et peut-être plus encore des politiques générales qui sont conduites par les ministères. Et c'est malheureusement loin d'être le cas. Nous avons donc fixé des objectifs précis pour déployer, adapter, renforcer les politiques de droit commun dans les quartiers populaires. Et cela dans tous les domaines : l'emploi, le développement économique, je l'ai évoqué plusieurs fois, l'éducation, la santé, les affaires sociales, la jeunesse, le sport, la sécurité, la justice, la culture, ou encore le droit des femmes et la lutte contre toutes les formes de discrimination.
Je veux une mobilisation concrète et une mobilisation qui soit visible dans les quartiers. Et c'est pour ça que par exemple nous avons décidé que concernant les emplois d'avenir, 30 % seront déployés dans les quartiers.
La Banque Publique d'Investissement sera également chargée d'une intervention spécifique dans les quartiers pour soutenir ceux qui veulent fonder ou développer une entreprise, que ce soit dans le secteur marchand ou dans le secteur de l'économie sociale et solidaire.
Et dans les quartiers où le chômage est important, plus important encore qu'ailleurs les échanges sont engagés avec Pôle Emploi pour que l'offre proposée soit adaptée en particulier par une présence qui soit visible sur le terrain. J'étais hier à Clichy Sous Bois par exemple, il n'y a pas de service de Pôle Emploi. Mais qui pourrait imaginer qu'à Clichy Sous Bois il n'y a pas de service de Pôle Emploi ? Eh bien c'est le cas. Et nous nous sommes engagés à ce qu'il y ait une antenne, une agence de Pôle Emploi. Ca parait étonnant mais c'est la réalité.
En ce qui concerne les zone franches, puisque nous avons fait le bilan des zone franches, elles ne vont pas disparaitre d'un seul coup, mais parfois on se rend compte que les zones franches n'ont pas toujours répondu à l'attente en ce qui concerne les soutiens à la création d'emplois, qui étaient destinées à offrir des emplois aux habitants de ces quartiers et ça ne marche pas toujours. Les entreprises viennent s'y installer, bénéficient d'aides mais ça ne donne pas toujours le résultat escompté, même si leur présence est utile. Il ne s'agit pas de les décourager et de les faire partir, mais là nous allons mettre en place un dispositif que nous appelons le dispositif "emplois francs" que nous voulons expérimenter sur dix sites pilotes. Donc en 2013 on le fera sur 2000 emplois. Il s'agit de financer, avec le soutien évidemment de l'Etat, 5000 euros par emploi la première année, les entreprises qui vont employer un jeune issu des quartiers concernés, qu'ils soient diplômés ou non diplômés. Ça je crois que c'est une mesure qui devrait avoir un certain succès. En tout cas nous voulons l'expérimenter. Nous l'évaluerons ensuite. Et si ça marche nous pourrons l'élargir.
L'autre urgence dans les quartiers c'est évidemment l'éducation. Le chantier de la refondation de l'école que conduit le ministre de l'Education nationale Vincent Peillon, doit y être mis en œuvre avec une attention particulière. Je pense notamment, c'est une attente très forte à la scolarisation de enfants de 2 à 3 ans. On sait que cette scolarisation peut-être déterminante pour la réussite scolaire. Et pour ça les emplois de professeurs qui sont crées dans le cadre du budget donc tiendront compte, pour leur affectation, de cette attente très importante.
Bien sur je pourrais évoquer aussi plus en détail la politique de santé, mais c'est vrai que dans les quartiers, plus qu'ailleurs, la question de l'accès aux soins, on parle des déserts médicaux, c'est pas dans le secteur rural, mais c'est aussi dans les secteurs urbains, ou péri urbains, que cette question est posée et doit être traitée avec notamment la création de pôles de santé ou de centres de santé pour, je dirais, déployer une offre médicale suffisante qui correspond aux besoins. Et quand à la sécurité, elle est souvent évoquée, eh bien les citoyens y ont droit et en même temps il faut organiser les choses de façon efficace, rétablir un autre climat de dialogue police-population ; et donc les zones de sécurité prioritaires se feront dans les quartiers que j'ai évoqués et qui répondront à cette attente et cette approche nouvelle plus partenariale et qui devrait je crois répondre aussi à l'attente des populations et des élus locaux.
En tout cas ce sont tous les ministères qui doivent être engagés au service de la politique de la ville. Et donc tous les membres du gouvernement sont engagés, et je l'ai encore observé ce matin, et cela prendra la forme de convention que le ministre délégué à la Ville François LAMY confluera avec chacun de ses collègues. C'est nouveau. Et donc je tiendrai évidemment le plus grand compte, parce que c'est la façon de mobiliser les administrations de chaque ministère. On dit toujours « il faut faire de l'interministériel » sauf que si on ne s'en donne pas les moyens, on revient à la routine. Donc il faut sortir de la routine. Donc on fera un point régulier sur cette mise en œuvre d'une méthode nouvelle.
Et puis il faudra aussi utiliser à fond, parce que ce n'est pas toujours le cas, les politiques européennes de cohésion qui doivent bénéficier davantage aux quartiers prioritaires. Et pour cela un accord doit être conclu avec les Conseils régionaux.
Un troisième ensemble de mesures vise à améliorer le cadre de vie des habitants en poursuivant la dynamique de la rénovation urbaine. Les projets en cours, il y en a beaucoup, sont loin d'être terminés. Il faut qu'ils soient menés à bien le plus rapidement possible. Je m'engage à assurer leur financement. Donc nous en avons encore pour plusieurs années, voire de longues années. Mais en même temps des projets nouveaux sont nécessaires. Et dès 2014 ces projets seront pris en compte et seront également financés sans interruption, donc le programme national de rénovation urbaine se poursuivra avec un objectif qui est aussi celui de la mixité sociale, le désenclavement par l'accessibilité, la mobilité, les transports publics, l'accès à l'emploi, et puis en même temps je dirais faire en sorte que ces quartiers qui font l'objet de projet de rénovation urbaine s'insèrent dans un ensemble urbain plus vaste, ils deviennent des vrais quartiers de ville avec des services publics, des activités économiques, un espace public amélioré et donc qui donnent une image différente, plus attractive, plus à l'image au fond de la vitalité de ces quartiers, qui attendent cette reconnaissance, et qui attendent au fond d'être respectés comme tous les quartiers de France.
Pour plus d'efficacité, une quatrième série de mesures concerne la gouvernance de la politique de la ville. Les habitants des banlieues ou des quartiers seront associés à toutes les étapes de cette politique. Depuis la négociation des contrats de ville jusqu'à leur déclinaison opérationnelle, ils doivent en être les acteurs et les co-constructeurs. Je l'ai bien vu hier à Clichy-sous-Bois et ça ne m'a pas surpris, cette attente est très forte, et elle est très concrète. Et ça vaut aussi pour les contrats qui seront signés, négociés, et signés avec les associations qui doivent bénéficier de contrats pluriannuels donc garantissant une stabilité en matière de moyens financiers mais aussi d'emplois. Souvent on sollicite ces associations pour des emplois aidés, les emplois d'avenir mais on ne peut pas investir dans l'emploi si on n'est pas sur que l'année suivante on aura le budget ; donc ce sont des contrats de trois ans minimum.
Pour y voir un peu plus clair sur la participation des acteurs de terrain, les acteurs citoyens, une mission en ce sens a été confiée à Marie-Hélène Bacque et Mohamed Mechmache. Et les associations seront également parties prenantes de cette démarche d'évaluation, et donc nous en attendons beaucoup en effet, beaucoup de cette étude, de cette mission, pour redonner aussi confiance aux associations qui attendent ce signe fort. Elles me l'ont dit hier.
Pour conclure, je voudrais en quelque sorte m'adresser aux habitants des quartiers populaires, et leur dire que l'Etat est de retour dans les quartiers, l'Etat républicain, celui de l'égalité entre les citoyens, celui de l'égalité entre les territoires, qu'ils soient ruraux, qu'ils soient urbains ; et de dire aussi aux habitants de ces quartiers que le gouvernement ne vous abandonnera pas, parce que vous aussi vous êtes l'avenir de la France, car notre pays ne renouera pas avec la croissance, il ne renouera pas avec la prospérité sans redonner du travail aux milliers de chômeurs des banlieues et en particulier les jeunes. Un tiers d'entre vous ont moins de vingt ans, et c'est une chance pour la France, c'est un espoir pour notre pays que cette dynamique démographique. Le rôle des pouvoirs publics c'est de vous aider à surmonter les difficultés auxquelles vous êtes confrontés. Mais c'est de vous aider aussi… votre chance à mettre en œuvre les projets qui sont les vôtres, projets personnels ou projets collectifs. Et c'est donc au nom de l'égalité républicaine, mais aussi au nom de l'efficacité, car c'est ainsi que vous pourrez contribuer à la mesure de vos talents, au progrès de notre pays. Donc je le répète, vous êtes une chance pour la France, nous sommes avec vous, à vos côtés, parce que vous avez beaucoup d'attente et aussi beaucoup d'initiatives, beaucoup d'ambition pour nous-mêmes, pour vos quartiers, pour vos territoires.
Hier j'ai terminé cette visite par une rencontre avec des jeunes lycéens qui viennent avec leur professeur et un écrivain en résidence dans leur lycée, le lycée Nobel à Clichy Sous Bois, d'écrire un livre, qui est un livre magnifique qui raconte une journée, une journée à Clichy-sous-Bois. C'est une belle histoire, c'est une histoire vraie, c'est une histoire parfois de colère, mais c'est aussi une histoire de relations humaines, de richesse, de diversité, mais c'est aussi le sentiment d'appartenir à quelque chose de plus grand, et qui est notre pays qui est la France ; et donc ce livre j'y ai vu d'abord de l'intelligence, de la créativité, mais aussi une volonté de fraternité et une volonté de participer à une dimension plus grande encore que son quartier ou sa ville qui est celle de la France. Et donc c'est le message que je voudrais adresser aujourd'hui, un message de mobilisation, un message de détermination, et un message d'espoir. Merci.
Source http://www.gouvernement.fr, le 20 février 2013