Texte intégral
PATRICK COHEN
Il y a beaucoup de sujets dans vos dossiers, mais à lheure dun nouveau débat sur la rigueur et sur les moyens de faire rentrer de largent dans les caisses de lEtat, jaimerais que vous nous disiez létat de votre réflexion sur la taxation des géants du Net, APPLE, GOOGLE, MICROSOFT, AMAZON, FACEBOOK, qui engrangent des milliards de profits en ne laissant que quelques miettes au fisc français, un seul exemple, un chiffre qui na dailleurs pas été démenti, APPLE na versé en 2011 à lEtat français que sept millions deuros au titre de limpôt sur les sociétés, pour trois milliards et demi de revenus, et un milliard de bénéfice estimé. LOCDE et le G20 viennent de se saisir du sujet. Mais quallez-vous faire du rapport qui vous a été remis récemment sur la fiscalité du numérique, dit rapport COLIN et COLLIN, qui propose quelques idées neuves et des idées nationales pour en finir avec cette évasion fiscale massive.
FLEUR PELLERIN
Je crois que vous lavez dit cest extrêmement important, dans une époque où on demande beaucoup defforts à nos entreprises et à nos concitoyens, que certaines multinationales qui, jusquà présent, échappent totalement à limpôt ou quasiment totalement à limpôt, soient mises à contribution également dans les différents pays dans lesquels elles génèrent des profits ou du chiffre daffaires. Donc cette réflexion est vraiment extrêmement dactualité, et vous lavez dit aussi, il y a plusieurs enceintes dans lesquelles on y réfléchit, moi, jai beaucoup poussé dès mon arrivée, dès ma prise de fonctions, pour que lOCDE sempare, et que la France soit moteur dans les groupes de travail, qui sintéressent à cette question au sein de lOCDE, mais aussi au sein de lUnion européenne, et effectivement, il faut quil y ait trois niveaux de réponse, un niveau international, un niveau européen, et un niveau national. Alors, pour le niveau national
PATRICK COHEN
Oui, parce que le niveau international, pour linstant, cest renvoyé à un rendez-vous au mois de juillet, les Etats-Unis ne sont pas très allants sur la question
FLEUR PELLERIN
Si, si, si, si, si, en fait
PATRICK COHEN
Vous êtes sûre, vraiment ?
FLEUR PELLERIN
En fait, le groupe de travail qui sappelle « Erosion des bases et déplacement des profits au sein de lOCDE » a été réactivé, notamment à la demande de ladministration américaine, cest très intéressant de le noter. Les Etats-Unis ont calculé que 1.375, je crois, milliards de dollars de profits avaient échappé à la taxation aux Etats-Unis. Donc il y a des manques à gagner qui sont considérables pour les administrations fiscales.
PATRICK COHEN
Sauf quil faut réviser la plupart des conventions fiscales
FLEUR PELLERIN
Oui, cest vrai, cest vrai, on a toujours
PATRICK COHEN
Et que ça devrait prendre des années
FLEUR PELLERIN
On a toujours considéré jusquà présent que ça prendrait des années, mais là, lOCDE est en train de trouver des solutions de très court terme, donc je pense que cest quand même une piste très intéressante à ne pas négliger. Pour ce qui est de la France
PATRICK COHEN
Alors, regardons les solutions nationales
FLEUR PELLERIN
Pour ce qui est de la France, effectivement, le rapport qui ma été remis, que javais commandé au mois de juillet, propose un certain nombre de pistes qui sajoutent à dautres pistes qui avaient déjà pu être évoquées par le passé, qui sont notamment de taxer les données personnelles, mais ce que je souhaite rappeler
PATRICK COHEN
Les données personnelles, que les entreprises collectent et exploitent, ce qui est une innovation
FLEUR PELLERIN
Absolument, parce que
PATRICK COHEN
Des nouvelles, parce que dans la fiscalité française, ça nexiste pas ce genre de chose
FLEUR PELLERIN
Absolument, de toute façon, nous sommes obligés de réviser complètement nos concepts, les concepts fiscaux avec lesquels nous travaillons, puisque la fiscalité actuelle nest pas du tout adaptée à léconomie numérique. Et cest vrai que lidée de dire : les consommateurs, les utilisateurs des moteurs de recherche ou des sites des réseaux sociaux font un travail gratuit, en quelque sorte, en déposant leurs données ou en laissant des traces numériques sur les sites Internet, qui sont ensuite exploitées par les sites ou par les plateformes, pour générer des revenus publicitaires ou pour faire de la publicité ciblée ou pour créer des fichiers qui sont ensuite revendus ou monétisés. Et donc il y a cette idée de travail gratuit qui aujourdhui nest pas rémunéré, et qui procure à ces plateformes ou à ces sites des revenus considérables
PATRICK COHEN
Donc cest une bonne idée
FLEUR PELLERIN
Donc cest une idée à examiner, sachant que ce que nous recherchons, non, mais, vous lavez dit tout à lheure, on travaille avec des nouveaux concepts, donc on ne va pas dire et inscrire dans la loi un principe sans lavoir un peu testé, donc en ce moment, ce que jai demandé aux services fiscaux et de ladministration fiscale et aux services juridiques du ministère, cest de tester ces idées-là, sachant que ce que nous voulons, cest rétablir une équité entre les acteurs, cest-à-dire quil nest pas question de taxer léconomie numérique en se disant : cest la vache à lait qui doit apporter les solutions pour le reste de léconomie. Donc il faut rétablir léquité entre ceux qui paient et ceux qui ne paient pas.
PATRICK COHEN
Vous dites : jai saisi les services de Bercy, vous êtes effectivement à Bercy, au coeur de ladministration fiscale, jimagine que pour les inspecteurs des Finances, des gens habitués à manipuler des concepts fiscaux habituels, basés sur des chiffres daffaires, des revenus, des bénéfices, etc., ça doit être une hérésie absolue de
FLEUR PELLERIN
Ce nest pas une hérésie, cest une révolution, cest une révolution, cest une révolution numérique
PATRICK COHEN
Une révolution, alors, une révolution complète, est-ce que cette révolution, les gens qui vous font face dans le ministère
FLEUR PELLERIN
Non, mais elle nest pas facile, elle nest pas facile
PATRICK COHEN
Entendent
FLEUR PELLERIN
Cest une révolution copernicienne quasiment
PATRICK COHEN
Oui, oui, entendent cette idée de pouvoir taxer sur la base des flux de données ?
FLEUR PELLERIN
Oui, oui, parce que tout le monde est bien conscient que les instruments actuels ne nous permettent pas, absolument pas, de répondre à cette question qui est lévasion fiscale ou la piraterie fiscale des acteurs des multinationales aujourdhui, alors, ce nest pas seulement dans Internet, on a vu que STARBUCKS était aussi concernée, ce sont des entreprises qui utilisent beaucoup ce quon appelle les prix de transfert, cest-à-dire qui se facturent entre filiales des redevances pour des choses immatérielles, lutilisation dune marque ou du design dune marque, donc
PATRICK COHEN
Pour GOOGLE, on parle de sandwichs irlandais, puisque les revenus de GOOGLE sont déclarés en Irlande, avant dêtre transférés aux Bermudes, en passant par les Pays-Bas, je crois, dabord.
FLEUR PELLERIN
Absolument. Donc il y a le double irlandais, combiné avec le sandwich des Pays-Bas, oui, il y a effectivement un gros travail à faire au sein de lUnion européenne, pour éviter ce quon appelle les Etats tunnels ou pour convaincre nos partenaires européens, qui sont des Etats tunnels, cest-à-dire des Etats qui permettent le déplacement des profits en franchises dimpôts pour les diriger vers les paradis fiscaux ensuite.
PATRICK COHEN
Bon, la réflexion est en cours, on la bien compris, mais
FLEUR PELLERIN
Le travail aussi
PATRICK COHEN
La réponse que jessaie davoir, depuis le début de cette interview, cest : est-ce que finalement, les actes seront en rapport avec les paroles, vous avez vous-même parlé de prédateurs, de pirates fiscaux, nous ne pouvons pas continuer à nous laisser piller éternellement, avez-vous dit récemment
FLEUR PELLERIN
Oui, eh bien, mon espoir, cest quon puisse inscrire quelque chose dans le projet de Loi de Finances de lannée prochaine
PATRICK COHEN
Dans les mois à venir
FLEUR PELLERIN
Mais si
PATRICK COHEN
Dans le projet de Loi de Finances de lannée prochaine ?
FLEUR PELLERIN
Oui, si la solution était très simple, dautres pays les auraient trouvées, enfin, auraient trouvé les solutions, et vous voyez bien quaujourdhui, tout le monde est un peu sur un pied dégalité, et cherche des solutions pour pouvoir imposer ces bénéfices qui aujourdhui se font en franchises dimpôts. Donc nous cherchons ces solutions.
PATRICK COHEN
Donc le rapport COLIN et COLLIN, Pierre COLIN, Nicolas COLLIN, ne subira pas de classement vertical ?
FLEUR PELLERIN
Non, mais bien dautres solutions aussi seront examinées.
PATRICK COHEN
Mais dautres solutions seront examinées. Dans ce contexte, GOOGLE, qui concède à rétrocéder 60 millions deuros aux éditeurs de presse, est-ce que ce nest pas une aumône ?
FLEUR PELLERIN
Ce nest pas une aumône, je pense quil y a des entreprises qui ont une action en matière de responsabilité sociale et environnementale, la RSE, comme on dit aujourdhui, cest un peu dans ce cadre-là que sinscrit cet accord qui a été conclu entre la presse IPG, de linformation politique générale, et GOOGLE, sous légide de lEtat, certes, mais cest quand même un accord entre parties privées. Et donc voilà, cest plutôt quelque chose quil faut saluer, sachant que, en Belgique, où le même type de problème sest posé, là, il y a eu juste un accord de partenariat commercial, et pas du tout de fonds de ce type-là
PATRICK COHEN
Jai parlé daumône pour qualifier le montant versé par GOOGLE
FLEUR PELLERIN
Oui, enfin, le montant est faible, mais cest toujours mieux que zéro
PATRICK COHEN
Vous reconnaissez quil est faible.
FLEUR PELLERIN
Oui, il est faible par rapport au chiffre daffaires réalisé par GOOGLE, mais en même temps
PATRICK COHEN
Et par rapport aux pratiques dInternet en général, qui vit largement en pillant les contenus de la presse écrite.
FLEUR PELLERIN
Oui, enfin, ce nest pas aussi binaire que ça, je pense que la presse bénéficie aussi du trafic qui est orienté par GOOGLE, à partir du moteur de recherche vers les sites de presse. Et dailleurs, ça fait partie de laccord commercial qui est passé entre la presse IPG et GOOGLE, cest comment mieux monétiser, comment mieux monétiser le trafic qui est envoyé par GOOGLE vers les sites de presse, en revenus publicitaires, etc. Et donc je pense que le travail qui doit être fait, cest de réfléchir à la manière dont la presse, notamment papier, doit réfléchir à son modèle économique sur le numérique, avec la transition numérique, parce que, aujourdhui, cest ça qui est fragile, cest : le modèle économique en ligne nest pas stabilisé pour la presse, et donc le fait que GOOGLE mette 60 millions deuros dans un fonds pour aider justement des projets de modernisation ou de numérisation du site, écoutez, moi, je trouve que cest plutôt quelque chose de positif.
PATRICK COHEN
Et ça ne lexonère pas de ses responsabilités fiscales.
FLEUR PELLERIN
Absolument pas, absolument pas.
PATRICK COHEN
Et du manque à gagner
FLEUR PELLERIN
Absolument pas, donc
PATRICK COHEN
Pour le fisc français
FLEUR PELLERIN
Cest très net, ce sont deux sujets qui sont complètement dé-corrélés.
PATRICK COHEN
Bon, une question sur un géant non pas international, mais national, enfin, pour linstant en tout cas, que penser du comportement de Xavier NIEL, le patron de FREE, qui engage une action en justice pour dénigrement contre un professeur déconomie, auteur dune étude sur limpact de larrivée de FREE dans la téléphonie mobile ?
FLEUR PELLERIN
Ecoutez, moi, je nai pas tellement de commentaires à faire sur
PATRICK COHEN
Cette plainte, dépôt de plainte
FLEUR PELLERIN
un peu procédurière avec Xavier NIEL de
PATRICK COHEN
Dénigrement
FLEUR PELLERIN
Oui
PATRICK COHEN
Cest un professeur déconomie de Paris II, Panthéon-Assas, qui a estimé que la baisse du chiffre daffaires dans le secteur des télécoms mobiles, provoquée par le lancement de FREE peut être estimée à six milliards et demi deuros, et que ça va provoquer la destruction de 55.000 emplois dans les deux années suivantes, vous avez regardé le contenu de cette étude ?
FLEUR PELLERIN
Bien sûr, vous savez, je suis ministre chargée des télécoms, donc ça mintéresse beaucoup, je mintéresse beaucoup à ces sujets-là. Ce quil faut rappeler, cest que nous, ce gouvernement est arrivé en ayant trouvé en trouvant une situation qui résultait très largement dune décision prise par le précédent gouvernement, à savoir loctroi dune quatrième licence à un opérateur, FREE, dans des conditions qui sont contestables, parce quil y avait eu peu détudes dimpact sur lemploi et sur linvestissement qui avaient été faites en amont de cette autorisation. Maintenant, nous, nous trouvons cette solution, et je crois que notre travail, cest de faire en sorte que léquilibre à quatre opérateurs puisse être maintenu et quil soit favorable à la fois à linvestissement et à lemploi. Donc après, cest vrai quil y a une guerre des chiffres actuellement entre des experts, sur le fait de savoir si larrivée de FREE a détruit ou pas des emplois, a créé ou pas du pouvoir dachat, voilà, je pense quaujourdhui, il ne faut pas regarder vers le passé, il faut plutôt regarder vers lavenir. Moi, je regarde ce que va apporter la 4G, je regarde ce que va apporter le déploiement du très haut débit
PATRICK COHEN
Ah oui, la 4G
FLEUR PELLERIN
Campagne
PATRICK COHEN
Très haut débit, on va en parler demain avec François HOLLANDE, qui sera en déplacement à Clermont-Ferrand
FLEUR PELLERIN
Voilà, absolument, et donc je souhaite que ces projets ou ces grands chantiers puissent nous aider à retrouver, avec le secteur des télécoms, le chemin de lemploi et de linvestissement.
PATRICK COHEN
Et la 4G, puisque vous en parlez, la course est lancée entre opérateurs. Est-ce que vous allez autoriser BOUYGUES TELECOM à utiliser sa fréquence cest technique mais sa fréquence actuellement occupée par la 2G, pour y faire transiter la 4G, ce qui effraie ses concurrents SFR et ORANGE ?
FLEUR PELLERIN
Ce nest pas une décision du gouvernement, cest une décision
PATRICK COHEN
Non, cest lARCEP
FLEUR PELLERIN
Alors, cest une autorité indépendante, donc elle va prendre sa décision
PATRICK COHEN
Ça ne passe pas du tout par le gouvernement ?
FLEUR PELLERIN
Ah ben, absolument pas, cest une décision totalement souveraine de lARCEP, autorité de régulation du secteur
PATRICK COHEN
Et vous navez pas davis là-dessus ?
FLEUR PELLERIN
Jai un avis, bien sûr, mais je me garderai bien de lénoncer avant que lARCEP autorité indépendante, encore une fois ait donné son avis, ce quelle va faire dans les quinze jours qui viennent.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 février 2013
Il y a beaucoup de sujets dans vos dossiers, mais à lheure dun nouveau débat sur la rigueur et sur les moyens de faire rentrer de largent dans les caisses de lEtat, jaimerais que vous nous disiez létat de votre réflexion sur la taxation des géants du Net, APPLE, GOOGLE, MICROSOFT, AMAZON, FACEBOOK, qui engrangent des milliards de profits en ne laissant que quelques miettes au fisc français, un seul exemple, un chiffre qui na dailleurs pas été démenti, APPLE na versé en 2011 à lEtat français que sept millions deuros au titre de limpôt sur les sociétés, pour trois milliards et demi de revenus, et un milliard de bénéfice estimé. LOCDE et le G20 viennent de se saisir du sujet. Mais quallez-vous faire du rapport qui vous a été remis récemment sur la fiscalité du numérique, dit rapport COLIN et COLLIN, qui propose quelques idées neuves et des idées nationales pour en finir avec cette évasion fiscale massive.
FLEUR PELLERIN
Je crois que vous lavez dit cest extrêmement important, dans une époque où on demande beaucoup defforts à nos entreprises et à nos concitoyens, que certaines multinationales qui, jusquà présent, échappent totalement à limpôt ou quasiment totalement à limpôt, soient mises à contribution également dans les différents pays dans lesquels elles génèrent des profits ou du chiffre daffaires. Donc cette réflexion est vraiment extrêmement dactualité, et vous lavez dit aussi, il y a plusieurs enceintes dans lesquelles on y réfléchit, moi, jai beaucoup poussé dès mon arrivée, dès ma prise de fonctions, pour que lOCDE sempare, et que la France soit moteur dans les groupes de travail, qui sintéressent à cette question au sein de lOCDE, mais aussi au sein de lUnion européenne, et effectivement, il faut quil y ait trois niveaux de réponse, un niveau international, un niveau européen, et un niveau national. Alors, pour le niveau national
PATRICK COHEN
Oui, parce que le niveau international, pour linstant, cest renvoyé à un rendez-vous au mois de juillet, les Etats-Unis ne sont pas très allants sur la question
FLEUR PELLERIN
Si, si, si, si, si, en fait
PATRICK COHEN
Vous êtes sûre, vraiment ?
FLEUR PELLERIN
En fait, le groupe de travail qui sappelle « Erosion des bases et déplacement des profits au sein de lOCDE » a été réactivé, notamment à la demande de ladministration américaine, cest très intéressant de le noter. Les Etats-Unis ont calculé que 1.375, je crois, milliards de dollars de profits avaient échappé à la taxation aux Etats-Unis. Donc il y a des manques à gagner qui sont considérables pour les administrations fiscales.
PATRICK COHEN
Sauf quil faut réviser la plupart des conventions fiscales
FLEUR PELLERIN
Oui, cest vrai, cest vrai, on a toujours
PATRICK COHEN
Et que ça devrait prendre des années
FLEUR PELLERIN
On a toujours considéré jusquà présent que ça prendrait des années, mais là, lOCDE est en train de trouver des solutions de très court terme, donc je pense que cest quand même une piste très intéressante à ne pas négliger. Pour ce qui est de la France
PATRICK COHEN
Alors, regardons les solutions nationales
FLEUR PELLERIN
Pour ce qui est de la France, effectivement, le rapport qui ma été remis, que javais commandé au mois de juillet, propose un certain nombre de pistes qui sajoutent à dautres pistes qui avaient déjà pu être évoquées par le passé, qui sont notamment de taxer les données personnelles, mais ce que je souhaite rappeler
PATRICK COHEN
Les données personnelles, que les entreprises collectent et exploitent, ce qui est une innovation
FLEUR PELLERIN
Absolument, parce que
PATRICK COHEN
Des nouvelles, parce que dans la fiscalité française, ça nexiste pas ce genre de chose
FLEUR PELLERIN
Absolument, de toute façon, nous sommes obligés de réviser complètement nos concepts, les concepts fiscaux avec lesquels nous travaillons, puisque la fiscalité actuelle nest pas du tout adaptée à léconomie numérique. Et cest vrai que lidée de dire : les consommateurs, les utilisateurs des moteurs de recherche ou des sites des réseaux sociaux font un travail gratuit, en quelque sorte, en déposant leurs données ou en laissant des traces numériques sur les sites Internet, qui sont ensuite exploitées par les sites ou par les plateformes, pour générer des revenus publicitaires ou pour faire de la publicité ciblée ou pour créer des fichiers qui sont ensuite revendus ou monétisés. Et donc il y a cette idée de travail gratuit qui aujourdhui nest pas rémunéré, et qui procure à ces plateformes ou à ces sites des revenus considérables
PATRICK COHEN
Donc cest une bonne idée
FLEUR PELLERIN
Donc cest une idée à examiner, sachant que ce que nous recherchons, non, mais, vous lavez dit tout à lheure, on travaille avec des nouveaux concepts, donc on ne va pas dire et inscrire dans la loi un principe sans lavoir un peu testé, donc en ce moment, ce que jai demandé aux services fiscaux et de ladministration fiscale et aux services juridiques du ministère, cest de tester ces idées-là, sachant que ce que nous voulons, cest rétablir une équité entre les acteurs, cest-à-dire quil nest pas question de taxer léconomie numérique en se disant : cest la vache à lait qui doit apporter les solutions pour le reste de léconomie. Donc il faut rétablir léquité entre ceux qui paient et ceux qui ne paient pas.
PATRICK COHEN
Vous dites : jai saisi les services de Bercy, vous êtes effectivement à Bercy, au coeur de ladministration fiscale, jimagine que pour les inspecteurs des Finances, des gens habitués à manipuler des concepts fiscaux habituels, basés sur des chiffres daffaires, des revenus, des bénéfices, etc., ça doit être une hérésie absolue de
FLEUR PELLERIN
Ce nest pas une hérésie, cest une révolution, cest une révolution, cest une révolution numérique
PATRICK COHEN
Une révolution, alors, une révolution complète, est-ce que cette révolution, les gens qui vous font face dans le ministère
FLEUR PELLERIN
Non, mais elle nest pas facile, elle nest pas facile
PATRICK COHEN
Entendent
FLEUR PELLERIN
Cest une révolution copernicienne quasiment
PATRICK COHEN
Oui, oui, entendent cette idée de pouvoir taxer sur la base des flux de données ?
FLEUR PELLERIN
Oui, oui, parce que tout le monde est bien conscient que les instruments actuels ne nous permettent pas, absolument pas, de répondre à cette question qui est lévasion fiscale ou la piraterie fiscale des acteurs des multinationales aujourdhui, alors, ce nest pas seulement dans Internet, on a vu que STARBUCKS était aussi concernée, ce sont des entreprises qui utilisent beaucoup ce quon appelle les prix de transfert, cest-à-dire qui se facturent entre filiales des redevances pour des choses immatérielles, lutilisation dune marque ou du design dune marque, donc
PATRICK COHEN
Pour GOOGLE, on parle de sandwichs irlandais, puisque les revenus de GOOGLE sont déclarés en Irlande, avant dêtre transférés aux Bermudes, en passant par les Pays-Bas, je crois, dabord.
FLEUR PELLERIN
Absolument. Donc il y a le double irlandais, combiné avec le sandwich des Pays-Bas, oui, il y a effectivement un gros travail à faire au sein de lUnion européenne, pour éviter ce quon appelle les Etats tunnels ou pour convaincre nos partenaires européens, qui sont des Etats tunnels, cest-à-dire des Etats qui permettent le déplacement des profits en franchises dimpôts pour les diriger vers les paradis fiscaux ensuite.
PATRICK COHEN
Bon, la réflexion est en cours, on la bien compris, mais
FLEUR PELLERIN
Le travail aussi
PATRICK COHEN
La réponse que jessaie davoir, depuis le début de cette interview, cest : est-ce que finalement, les actes seront en rapport avec les paroles, vous avez vous-même parlé de prédateurs, de pirates fiscaux, nous ne pouvons pas continuer à nous laisser piller éternellement, avez-vous dit récemment
FLEUR PELLERIN
Oui, eh bien, mon espoir, cest quon puisse inscrire quelque chose dans le projet de Loi de Finances de lannée prochaine
PATRICK COHEN
Dans les mois à venir
FLEUR PELLERIN
Mais si
PATRICK COHEN
Dans le projet de Loi de Finances de lannée prochaine ?
FLEUR PELLERIN
Oui, si la solution était très simple, dautres pays les auraient trouvées, enfin, auraient trouvé les solutions, et vous voyez bien quaujourdhui, tout le monde est un peu sur un pied dégalité, et cherche des solutions pour pouvoir imposer ces bénéfices qui aujourdhui se font en franchises dimpôts. Donc nous cherchons ces solutions.
PATRICK COHEN
Donc le rapport COLIN et COLLIN, Pierre COLIN, Nicolas COLLIN, ne subira pas de classement vertical ?
FLEUR PELLERIN
Non, mais bien dautres solutions aussi seront examinées.
PATRICK COHEN
Mais dautres solutions seront examinées. Dans ce contexte, GOOGLE, qui concède à rétrocéder 60 millions deuros aux éditeurs de presse, est-ce que ce nest pas une aumône ?
FLEUR PELLERIN
Ce nest pas une aumône, je pense quil y a des entreprises qui ont une action en matière de responsabilité sociale et environnementale, la RSE, comme on dit aujourdhui, cest un peu dans ce cadre-là que sinscrit cet accord qui a été conclu entre la presse IPG, de linformation politique générale, et GOOGLE, sous légide de lEtat, certes, mais cest quand même un accord entre parties privées. Et donc voilà, cest plutôt quelque chose quil faut saluer, sachant que, en Belgique, où le même type de problème sest posé, là, il y a eu juste un accord de partenariat commercial, et pas du tout de fonds de ce type-là
PATRICK COHEN
Jai parlé daumône pour qualifier le montant versé par GOOGLE
FLEUR PELLERIN
Oui, enfin, le montant est faible, mais cest toujours mieux que zéro
PATRICK COHEN
Vous reconnaissez quil est faible.
FLEUR PELLERIN
Oui, il est faible par rapport au chiffre daffaires réalisé par GOOGLE, mais en même temps
PATRICK COHEN
Et par rapport aux pratiques dInternet en général, qui vit largement en pillant les contenus de la presse écrite.
FLEUR PELLERIN
Oui, enfin, ce nest pas aussi binaire que ça, je pense que la presse bénéficie aussi du trafic qui est orienté par GOOGLE, à partir du moteur de recherche vers les sites de presse. Et dailleurs, ça fait partie de laccord commercial qui est passé entre la presse IPG et GOOGLE, cest comment mieux monétiser, comment mieux monétiser le trafic qui est envoyé par GOOGLE vers les sites de presse, en revenus publicitaires, etc. Et donc je pense que le travail qui doit être fait, cest de réfléchir à la manière dont la presse, notamment papier, doit réfléchir à son modèle économique sur le numérique, avec la transition numérique, parce que, aujourdhui, cest ça qui est fragile, cest : le modèle économique en ligne nest pas stabilisé pour la presse, et donc le fait que GOOGLE mette 60 millions deuros dans un fonds pour aider justement des projets de modernisation ou de numérisation du site, écoutez, moi, je trouve que cest plutôt quelque chose de positif.
PATRICK COHEN
Et ça ne lexonère pas de ses responsabilités fiscales.
FLEUR PELLERIN
Absolument pas, absolument pas.
PATRICK COHEN
Et du manque à gagner
FLEUR PELLERIN
Absolument pas, donc
PATRICK COHEN
Pour le fisc français
FLEUR PELLERIN
Cest très net, ce sont deux sujets qui sont complètement dé-corrélés.
PATRICK COHEN
Bon, une question sur un géant non pas international, mais national, enfin, pour linstant en tout cas, que penser du comportement de Xavier NIEL, le patron de FREE, qui engage une action en justice pour dénigrement contre un professeur déconomie, auteur dune étude sur limpact de larrivée de FREE dans la téléphonie mobile ?
FLEUR PELLERIN
Ecoutez, moi, je nai pas tellement de commentaires à faire sur
PATRICK COHEN
Cette plainte, dépôt de plainte
FLEUR PELLERIN
un peu procédurière avec Xavier NIEL de
PATRICK COHEN
Dénigrement
FLEUR PELLERIN
Oui
PATRICK COHEN
Cest un professeur déconomie de Paris II, Panthéon-Assas, qui a estimé que la baisse du chiffre daffaires dans le secteur des télécoms mobiles, provoquée par le lancement de FREE peut être estimée à six milliards et demi deuros, et que ça va provoquer la destruction de 55.000 emplois dans les deux années suivantes, vous avez regardé le contenu de cette étude ?
FLEUR PELLERIN
Bien sûr, vous savez, je suis ministre chargée des télécoms, donc ça mintéresse beaucoup, je mintéresse beaucoup à ces sujets-là. Ce quil faut rappeler, cest que nous, ce gouvernement est arrivé en ayant trouvé en trouvant une situation qui résultait très largement dune décision prise par le précédent gouvernement, à savoir loctroi dune quatrième licence à un opérateur, FREE, dans des conditions qui sont contestables, parce quil y avait eu peu détudes dimpact sur lemploi et sur linvestissement qui avaient été faites en amont de cette autorisation. Maintenant, nous, nous trouvons cette solution, et je crois que notre travail, cest de faire en sorte que léquilibre à quatre opérateurs puisse être maintenu et quil soit favorable à la fois à linvestissement et à lemploi. Donc après, cest vrai quil y a une guerre des chiffres actuellement entre des experts, sur le fait de savoir si larrivée de FREE a détruit ou pas des emplois, a créé ou pas du pouvoir dachat, voilà, je pense quaujourdhui, il ne faut pas regarder vers le passé, il faut plutôt regarder vers lavenir. Moi, je regarde ce que va apporter la 4G, je regarde ce que va apporter le déploiement du très haut débit
PATRICK COHEN
Ah oui, la 4G
FLEUR PELLERIN
Campagne
PATRICK COHEN
Très haut débit, on va en parler demain avec François HOLLANDE, qui sera en déplacement à Clermont-Ferrand
FLEUR PELLERIN
Voilà, absolument, et donc je souhaite que ces projets ou ces grands chantiers puissent nous aider à retrouver, avec le secteur des télécoms, le chemin de lemploi et de linvestissement.
PATRICK COHEN
Et la 4G, puisque vous en parlez, la course est lancée entre opérateurs. Est-ce que vous allez autoriser BOUYGUES TELECOM à utiliser sa fréquence cest technique mais sa fréquence actuellement occupée par la 2G, pour y faire transiter la 4G, ce qui effraie ses concurrents SFR et ORANGE ?
FLEUR PELLERIN
Ce nest pas une décision du gouvernement, cest une décision
PATRICK COHEN
Non, cest lARCEP
FLEUR PELLERIN
Alors, cest une autorité indépendante, donc elle va prendre sa décision
PATRICK COHEN
Ça ne passe pas du tout par le gouvernement ?
FLEUR PELLERIN
Ah ben, absolument pas, cest une décision totalement souveraine de lARCEP, autorité de régulation du secteur
PATRICK COHEN
Et vous navez pas davis là-dessus ?
FLEUR PELLERIN
Jai un avis, bien sûr, mais je me garderai bien de lénoncer avant que lARCEP autorité indépendante, encore une fois ait donné son avis, ce quelle va faire dans les quinze jours qui viennent.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 février 2013