Texte intégral
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Deux ans après Fukushima, est-ce qu'on peut considérer toujours aujourd'hui que l'énergie nucléaire est une énergie d'avenir ?
DELPHINE BATHO
Pour ce qui concerne la France, je pense qu'on aura durablement besoin d'une part de nucléaire, qui est une énergie dé-carbonée, cela suppose de tirer toutes les leçons de la catastrophe de Fukushima et d'élever - c'est le modèle français - d'élever en permanence les standards de sûreté des centrales nucléaires.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
On les a tirées ces leçons aujourd'hui en France ?
DELPHINE BATHO
Oui ! On est en train de le faire, un important travail a été fait depuis deux ans. Le modèle français de sûreté nucléaire déjà, c'est-à-dire avant Fukushima, c'est une logique de réexamen régulier des standards de sûreté qui fait que les centrales nucléaires ne sont pas seulement dans l'état de sûreté dans lequel elles étaient au moment de leur construction mais où on élève en permanence le niveau d'exigence et, suite à Fukushima, oui il y a évidemment des travaux de sûreté importants qui vont être engagés, pour la raison suivante c'est que la meilleure sûreté c'est d'envisager l'inenvisageable et, donc, c'est ce qui est en train d'être fait avec ce concept de noyau dur, c'est-à-dire d'imaginer que les fonctions vitales d'une centrale nucléaire - c'est-à-dire le refroidissement du réacteur - doit fonctionner en tout état de cause et même dans des conditions extrêmes d'accident absolument inimaginable, et c'est ça la prescription de l'Autorité de sûreté nucléaire française et les travaux qui vont avoir lieu dans les prochaines années.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
On a vu que ça avait eu un impact conséquent sur AREVA, je crois qu'il y a eu quelque chose comme quatre cents millions d'euros de pertes pour le groupe - ce sont des effets évidemment post Fukushima - il y a des projets qui ont été annulés, des constructions de nouvelles centrales repoussées, c'est finalement dans l'ordre des choses aujourd'hui qu'AREVA petit à petit perde du terrain dans le monde ?
DELPHINE BATHO
Non ! Ce à quoi vous faites référence c'est des contrats liés au Japon lui-même, qui, suite à cette catastrophe, a arrêté l'ensemble de ses centrales nucléaires...
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Pas qu'au Japon ! Il y a des commandes aussi qui ont été annulées un petit peu partout dans le monde...
DELPHINE BATHO
Ecoutez ! C'est normal...
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Il y a des choses...
DELPHINE DUCHEMIN
Qu'au lendemain d'une catastrophe...
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Il y a des villes qui ont choisi de revoir un peu leur...
DELPHINE BATHO
C'est normal qu'une catastrophe comme celle-ci ait un certain nombre de conséquences, maintenant la France milite aujourd'hui sur la scène internationale pour l'élévation des standards de sûreté internationaux et notamment... je ferai d'ailleurs encore cette proposition à Londres demain au cours d'une réunion ministérielle pour quelque chose de très simple, c'est que chaque pays qui utilise l'énergie nucléaire accepte ce qu'on appelle la revue par les pairs, c'est-à-dire de faire examiner ses installations par les Autorités de sûreté d'autres pays, c'est la meilleure garantie, vous savez c'est la transparence, c'est le contrôle et ce sont les travaux de sûreté. De la même façon, je proposerai que dans la loi de transition énergétique qui résultera du débat national sur la transition énergétique qui est en cours il y ait un important volet concernant la sûreté nucléaire.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
On va parler de la transition énergétique dans un instant ! Dites-moi, pour le gaz de schiste, quand vous voyez par exemple que l'Allemagne dit oui, sous condition, ça ne vous fait pas réfléchir, puisque l'Allemagne a choisi de se retirer progressivement du nucléaire ?
DELPHINE BATHO
Justement, lorsqu'on évoque en France la diminution de la part du nucléaire, ce n'est pas pour faire plus de CO2 et il y a aujourd'hui en Allemagne, du fait de sa décision, vous le savez une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, on assiste même aujourd'hui - pire que ça - en Europe au retard du charbon. Moi je pense que ce n'est pas le sens de l'histoire de dire que, dans les prochaines années, la première énergie consommée dans le monde ce sera le charbon, ce sera des énergies carbonées et, donc, c'est ce qui continue de donner un « avantage », entre guillemets, au nucléaire, à condition qu'il soit sûr, c'est le fait que c'est une énergie dé-carbonée et, encore une fois, si en France nous souhaitons diminuer la part du nucléaire c'est pour développer les énergies renouvelables, pas pour faire appel au charbon ou au gaz.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Mais ça c'est la volonté affichée, comme Fessenheim objectif 2016 fermeture et objectif 50% de nucléaire en 2025, c'est toujours le cas, c'est toujours ces dates-là, ces objectifs-là qui sont fixés ?
DELPHINE BATHO
Oui ! Ce sont ces objectifs, ils sont en train d'être discutés dans le débat national sur la transition énergétique. Il va y avoir dans les prochaines semaines - il y a un site internet qui est ouvert - il va y avoir des débats dans tous les territoires ; il y a tout le travail qui est fait aussi en lien avec la participation des syndicats, des entreprises qui jouent un rôle très important, des organisations de protection de l'environnement, tout cela pour...
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Et on n'est pas trop à la traîne sur les autres énergies, je pense à l'éolien, le photovoltaïque - je sais qu'il y a des efforts qui sont faits - mais, concrètement, qu'est-ce qui se passe ?
DELPHINE BATHO
Ah ! C'est pire que ça. C'est que la France, par rapport à la trajectoire qu'elle s'était fixée dans le cadre du Grenelle de l'environnement, a décroché depuis 2010 - 2011 du fait des décisions qu'avaient été prises par la droite et donc, aujourd'hui, il faut effectivement donner un coup de collier en faveur du développement des énergies renouvelables.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Et qu'est-ce que vous faites, vous, pour ça, Delphine BATHO ?
DELPHINE BATHO
Eh bien, par exemple, on a pris des mesures de soutien et de relance en faveur du photovoltaïque français en orientant les mesures de soutien vers les produits qui sont fabriqués par nos entreprises et qui sont des technologies qui permettent le développement d'une filière industriel ; Ce soir sera votée, à l'Assemblée nationale, la proposition de loi de François BROTTES dans laquelle le gouvernement a proposé des mesures de soutien à l'éolien terrestre qui est aujourd'hui une énergie renouvelable compétitive ; Il y a des défis industriels, comme celui du développement des énergies marines ; Nous travaillons avec Stéphane LE FOLL, avec la profession agricole, pour un plan sur la méthanisation, c'est-à-dire permettre aussi à l'agriculture française de participer à la politique énergétique de la France.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Vous parlez de François BROTTES et de sa proposition de loi, vous allez je crois rencontrer quand même quelques difficultés, est-ce que vous êtes certaine cette fois-ci de passer le seuil du Conseil constitutionnel ?
DELPHINE BATHO
Ecoutez ! Tout a été fait pour. Nous avons demandé l'avis du Conseil d'état pour assurer la sécurité juridique de ce texte, qui prévoit une première mesure qui est très importante, qui est l'extension des tarifs sociaux de l'énergie à huit millions de Français. Il y a aujourd'hui un scandale qui est celui de l'augmentation de la précarité énergétique, c'est-à-dire des familles qui n'arrivent plus à payer leurs factures et, la première chose que fait la proposition de loi qui va être votée ce soir, c'est d'étendre les tarifs sociaux de l'énergie à huit millions de Français et ensuite, effectivement, de mettre en place un mécanisme de bonus - malus qui sera opérationnel dans un... en... à la fin 2014 - 2015, pour inciter à la consommation vertueuse d'énergie, puisqu'on parle du nucléaire, on parle des énergies renouvelables, mais un gros travail que la France doit faire aussi c'est dans les économies d'énergie et la maîtrise de la consommation d'énergie.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Vous dites économies, tout le monde va être obligés de faire des économies, est-ce que c'est le bon moment finalement pour venir en aide aux familles en difficulté et sortir de l'argent des caisses de l'Etat pour justement aller aider ces populations-là, au moment où vous-même vous allez devoir serrer les boulons de votre ministère ?
DELPHINE BATHO
C'est un investissement d'avenir ! Qui est d'abord bon pour le pouvoir d'achat, quand on aide une famille qui est par exemple à faire les travaux...
RAPHAËLLE DUCHEMIN
J'ai bien compris ! Mais on prend l'argent à quel endroit ?
DELPHINE BATHO
Mais aujourd'hui, ces travaux, ils sont...
RAPHAËLLE DUCHEMIN
On n'en a pas ?
DELPHINE BATHO
Ils sont accessibles seulement aux personnes qui en ont les moyens, c'est-à-dire à une petite minorité, et donc ce que nous voulons - c'est le travail qui est en train d'être fait dans le plan pour la rénovation thermique du bâtiment - que ces travaux soient accessibles au plus grand nombre, parce que c'est bon pour le pouvoir d'achat et parce que c'est bon aussi pour l'emploi. Je parlais d'investissement d'avenir, parce que c'est une manière aussi d'encourager à l'activité économique dans le secteur du bâtiment qui aujourd'hui en a besoin.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Donc, vous allez tailler où vous dans vos dépenses, dans votre ministère ?
DELPHINE BATHO
Ecoutez ! On vient de...
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Vous allez recevoir la lettre de cadrage, comme tout le monde ?
DELPHINE BATHO
On l'a reçue !
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Oui !
DELPHINE BATHO
Ce matin d'ailleurs je présiderais une réunion ministérielle pour voir comment nous allons faire pour contribuer à l'effort national et nous sommes conscients du fait qu'aujourd'hui tous les ministères et donc le mien aussi doit prendre sa part d'effort, ce qui est sûr c'est que je ne ferai pas d'économies sur la sûreté nucléaire et je ne ferai pas d'économies non plus sur ce qui concerne la prévention des risques naturels ou des risques technologiques parce qu'il y a là pour le Ministère de l'Ecologie un devoir vis-à-vis de la sécurité des personnes et des biens, donc ce n'est pas là-dessus qu'on fera des économies.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Et sur le diesel vous allez être obligée de revoir votre copie, de la remettre à plus tard en tout cas ?
DELPHINE BATHO
Ecoutez ! Il y a une décision qui est ajournée...
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Oui ! Mais si c'est une question de santé publique, moi j'ai envie de vous dire : pourquoi est-ce qu'on attend ?
DELPHINE BATHO
Parce que ce n'est pas un tournant qui peut être pris facilement, vous voyez bien que ça fait l'objet d'un débat de société très important. De fait, les Français ont été encouragés à se tourner vers le diesel, donc ce n'est pas quelque chose qu'on peut changer du jour au lendemain, mais, tôt ou tard, il faudra prendre une décision.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Ça signifie qu'il y aura, tôt ou tard, une harmonisation de la fiscalité ?
DELPHINE BATHO
Non ! Ce n'est pas ce que je... je ne préjuge pas du contenu de la décision, mais...
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Mais c'est ce que vous souhaitez ?
DELPHINE BATHO
Ce problème de santé publique il doit être regardé en face et il doit être traité.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Oui ! D'un mot, François HOLLANDE est à Dijon, quarante-huit heures de visite sur le terrain, c'est important qu'il aille à la rencontre des Français dans un moment où il est très, très bas dans les sondages ?
DELPHINE BATHO
La popularité de l'Exécutif, vous savez, elle est indexée sur la situation économique qui est mauvaise, donc ce n'est pas le problème. Mais, par contre, je sens la volonté du président de la République d'abord d'être au combat contre la crise et, ensuite, de ne pas se laisser enfermer dans la contrainte ...
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Et de faire un discours de vérité aussi, peut-être ?
DELPHINE BATHO
Oui ! Mais de ne pas se laisser enfermer dans les contraintes de sa fonction et donc d'être au contact direct des Français pour s'adresser à eux, pour expliquer quel est aujourd'hui le cap et l'orientation du gouvernement.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 11 mars 2013