Interview de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, à "France Inter" le 10 avril 2013, sur les hausses des prélèvements obligatoires, et sur le climat politique et social sur fond d'affaire "Cahuzac" et de manifestations contre le mariage pour tous.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN
Confirmez-vous ce qui fait la Une des ECHOS ce matin, à savoir que dans vos prévisions le poids des prélèvements obligatoires augmentera encore l’an prochain, ce qui ferait 10 milliards d’impôts nouveaux ?
PIERRE MOSCOVICI
Ecoutez, d’abord il faut respecter les institutions, les cadres et les rythmes, je ne sais pas d’où viennent ces informations.
PATRICK COHEN
De chez vous sans doute.
PIERRE MOSCOVICI
Non, je ne crois pas.
PATRICK COHEN
De Bercy.
PIERRE MOSCOVICI
Non, je ne pense pas, mais pour le reste, ce que je veux dire, c’est que je présenterai mercredi matin au Conseil des ministres, puis ensuite à l’Assemblée nationale l’après-midi, le lendemain au Sénat, le programme de stabilité de la France qui comprendra ces informations, informations que je ne veux pas démentir, même si encore une fois je ne sais pas d’où elles viennent.
PATRICK COHEN
Vous ne les démentez pas ?
PIERRE MOSCOVICI
Je ne les démens pas. Et je veux les expliquer du coup. Au fond ce qui est dit c’est qu’il y a, d’une part, prévu une hausse des prélèvements obligatoires et d’autre part prévu une hausse de la part des dépenses publiques dans le PIB, revenons sur ces deux points si vous voulez. D’abord les prélèvements obligatoires. Il y a une volonté de notre part qui est de réduire les déficits dits structurels de la France, c'est-à-dire hors évolution de la conjoncture qui est malheureusement mauvaise, puisque vous savez que l’Europe est pour la deuxième année consécutive en récession et que la France connaîtra, en 2013, une croissance très faible, de l’ordre de 0,1%.
PATRICK COHEN
Je peux vous interrompre ?
PIERRE MOSCOVICI
Bien sûr.
PATRICK COHEN
Est-ce que vous avez des indications sur la croissance au premier trimestre et est-ce que vous excluez que la France puisse être en récession ?
PIERRE MOSCOVICI
Je pense, moi, c’est ma conviction profonde, et c’est le sens de l’action…
PATRICK COHEN
… un deuxième trimestre de croissance négative.
PIERRE MOSCOVICI
Je pense, et c’est ma conviction profonde, que les prévisions de croissance de 0,1%, que nous faisons, sont prudentes, et tout ce qui nous faisons, dynamiser la compétitivité française, faire en sorte de mieux la financer, accélérer l’investissement sous toutes ses formes, public et privé, vise à dépasser ces prévisions, mais j’ai voulu faire des prévisions prudentes, calées sur celles de la Commission Européenne parce que je tiens à la sincérité, d’autant que vous aurez observé qu’il y a un nouvel acteur qui intervient dans le jeu, c’est un Haut Conseil des Finances Publiques, qui va rendre très prochainement son avis. Mais je reviens à notre question parce qu’elle est importante.
PATRICK COHEN
Oui.
PIERRE MOSCOVICI
Ce n’est pas une surprise cette hausse des prélèvements obligatoires, c’est le résultat des politiques de réduction des déficits qui ont été menées depuis plusieurs années, partagées d’ailleurs entre la droite et la gauche, et cette année, vous le savez, nous avons demandé aux Français un effort de 30 milliards d’euros, dont 20 milliards d’euros d’impôts, dont j’ajoute, quand même, que contrairement à ce que faisait la droite, ils sont ciblés sur les grandes entreprises qui ont les moyens, et sur les contribuables les plus aisés.
PATRICK COHEN
Et on nous a dit que pour 2014 on mettait le paquet sur les économies.
PIERRE MOSCOVICI
Absolument. Donc, si vous voulez, pour 2013 on a une proportion qui est deux tiers d’impôts, un tiers d’économies, parce que, à court terme c’était ce qui était disponible, et en plus c’était économiquement le moins dépressif, et en 2014 nous ferons l’inverse, ce sera la dépense qui sera d’abord mise à contribution, pour réduire le déficit, parce qu’il est indispensable pour se désendetter pour que la France reste souveraine, reste libre. Alors j’en viens…
PATRICK COHEN
Mais ça fera 10 milliards d’impôts nouveaux.
PIERRE MOSCOVICI
Non, le chiffre de 10 milliards, pour le coup, celui-là n’est pas juste, il y aura une augmentation des prélèvements obligatoires, qui est annoncée, de 0,2 à 0,3 point, c’est plutôt de l’ordre de 6 milliards, et je peux ici confirmer deux choses.
PATRICK COHEN
Six milliards c’est la TVA.
PIERRE MOSCOVICI
C’est deux choses. La première chose c’est qu’en effet, comme l’a dit le président de la République, lors de son entretien télévisé sur FRANCE 2, s’agissant des ménages il n’y aura qu’une hausse, d’un seul impôt, c’est la TVA qui a déjà été annoncée, pour financer quoi ? Le crédit d’impôt compétitivité emploi, qui vise à baisser les charges des entreprises pour qu’elles puissent investir, embaucher.
PATRICK COHEN
Six milliards, la TVA ?
PIERRE MOSCOVICI
Six milliards globalement, d’augmentation de prélèvements obligatoires.
PATRICK COHEN
Ah bon, moi je croyais que la TVA ça faisait 6 milliards pour 2014 !
PIERRE MOSCOVICI
Et deuxièmement, il y aura aussi, je le dis ici, des prélèvements qui viendront essentiellement des niches fiscales improductives sur lesquelles nous voulons récupérer des ressources. Donc, encore une fois, hausse très modique, et n’oubliez jamais que de toute façon un pourcentage c’est un numérateur, un dénominateur, et que malheureusement quand la croissance est faible, voilà…
PATRICK COHEN
En proportion ça augmente.
PIERRE MOSCOVICI
… augmente. Mais, encore une fois, je le confirme ici, pas d’autre impôt, en 2014, sur les ménages, que l’augmentation annoncée, déjà, de la TVA.
PATRICK COHEN
Dans une interview que vous venez d’accorder à MEDIAPART, Pierre MOSCOVICI, vous reconnaissez que le gouvernement a infléchi sa politique en passant d’un objectif de 3% de déficit cette année à 3,7, vous parlez d’une inflexion. C’est la dernière, il n’y en aura plus d’autre ?
PIERRE MOSCOVICI
Non, ce que j’ai dit c’est que, nous voulons, nous, ne pas céder à ce que j’appellerais le nominalisme. Le nominalisme ça consisterait à dire il y a des cibles de déficit, disons pour 2013 c’était 3%, le fameux chiffre, et quoi qu’il en coûte nous le faisons. Ce que j’annonce, là, c’est que la France ne veut pas mener une politique d’austérité, ne veut pas ajouter l’austérité à la récession. Etre sérieux, oui, réduire les déficits, oui, faire baisser la dette publique, oui, parce que, encore une fois, je préfère que nous empruntions à des taux d’intérêts bas, c’est un gage de crédibilité, c’est aussi bon pour nos entreprises et pour l’Etat, mais quand on se trouve dans une croissance très ralentie, presque une stagnation, je dis 0,1 point, alors on ne peut pas faire 3% de déficit comme on prévoyait de le faire avec une croissance prévue à l’époque à 0,8%. Si nous décidions de faire 3% maintenant en 2013, qu’est-ce que ça signifierait ? Ça signifierait que nous mettrions, de nous-mêmes, l’économie française en récession, et ça signifierait aussi des centaines de milliers d’emplois supprimés. Nous ne le voulons pas, je ne le veux pas. c’est la raison pour laquelle, quand je présenterai ce programme de stabilité, ce sera mercredi encore une fois, avec Bernard CAZENEUVE, j’en ai déjà parlé avec la Commission Européenne, c’était à Dublin vendredi, où j’étais au conseil dit ECOFIN, des ministres de l’Economie et des Finances, à l’Eurogroupe, j’ai rencontré le commissaire européen, et je lui ai dit « je vous demande d’accepter que la France en 2013 ne fasse pas 3%, mais quelque chose autour de 3,7%, et que nous poursuivions ensuite, en 2014, notre chemin, mais en tenant compte toujours de l’impératif de croissance. » Ça s’appelle « laisser jouer » – pardonnez d’être technique - en économie, « les stabilisateurs automatiques », quand l’économie va mal il faut ne pas brider les moteurs de la croissance, donc austérité non, sérieux oui.
PATRICK COHEN
Vous ne m’avez pas répondu sur l’activité économique du moment, sur la croissance au premier trimestre, c'est-à-dire de janvier à mars…
PIERRE MOSCOVICI
On n’a pas encore les chiffres…
PATRICK COHEN
Vous avez des indications, mais vous savez que si ça sort en négatif la France sera considérée comme étant en récession.
PIERRE MOSCOVICI
Je ne le confirme ni ne l’infirme parce que je ne le sais pas…
PATRICK COHEN
Non, mais est-ce que vous l’excluez ?
PIERRE MOSCOVICI
On ne peut pas exclure que techniquement ce soit le cas sur deux trimestres, mais ce que je dis c’est autre chose, je dis que la croissance pour 2013, elle, devrait être légèrement positive, j’ai dit 0,1, et j’espère, et j’agis, et nous agissons, pour que ce soit plus.
PATRICK COHEN
L’affaire CAHUZAC, Pierre MOSCOVICI, à vos yeux, elle est terminée, elle est éclaircie ?
PIERRE MOSCOVICI
L’affaire CAHUZAC elle continue, dans un cadre qui est le sien, qui est le cadre de la justice, monsieur CAHUZAC a commis un certain nombre d’actes, maintenant c’est la justice…
PATRICK COHEN
Sur le plan politique ?
PIERRE MOSCOVICI
Sur le plan politique c’est… je ne sais pas de quoi vous parlez exactement parce que c’est tellement multiformes, c’est vrai. Si vous me demandez, pour être tout à fait clair, si s’agissant du rôle de l’Administration que je dirige, les choses sont totalement éclaircies…
PATRICK COHEN
Et votre propre rôle.
PIERRE MOSCOVICI
Je le pense. La transparence a été faite complètement, je dis bien complètement, et j’irai devant la commission des Finances de l’Assemblée nationale mercredi, pour éclairer les députés s’ils le souhaitent, et puis ensuite il y aura une commission d’enquête parlementaire qui sera installée. Et je le redis ici, et je le dis à vos auditeurs, tout le monde a compris que l’Administration fiscale française, qui est une des plus honnêtes du monde, une des plus capables du monde, qui est même parfaitement honnête et parfaitement capable, dont la probité ne saurait être mise en doute, que cette Administration a fait tout ce qui était dans sa capacité – elle n’est pas omnipotente, il y a des procédures de droit, mais elle a fait tout ce qu’elle devait – le ministre qui la dirige, a fait aussi tout ce qu’il devait et tout ce qu’il pouvait, on a bien compris aussi que de la part de la droite il y avait volonté d’instrumentalisation de tout ça, ça a fait pschitt.
PATRICK COHEN
Le ministre a pris une décision, une initiative, qui reste curieuse tout de même, c'est-à-dire pourquoi avoir le 24 janvier demandé l’aide des Suisses alors même que la justice était saisie depuis 15 jours, une enquête préliminaire était ouverte et qu’il suffisait de la laisser travailler, pourquoi avoir pris cette initiative Pierre MOSCOVICI ? C’est ça qui intrigue aussi.
PIERRE MOSCOVICI
Imaginez… non, ça, ça n’intrigue pas, enfin je suis désolé de vous le dire, mais je vais vous répondre. Imaginez que je sois ici devant vous, et que je n’ai pris cette initiative, qu’il est apparu, à la fin, que monsieur CAHUZAC avait menti pendant 4 mois, vous seriez en train de me dire, vous-même, à moi, « mais pourquoi, alors que vous aviez une entraide à votre disposition, vous n’avez pas demandé aux Suisses quelque chose ? » Vous savez pourquoi nous l’avons fait ? nous l’avons fait parce que nous avions un doute, par principe, nous l’avions fait parce que nous n’avions pas de réponse aux demandes que nous avons adressées à Jérôme CAHUZAC, nous l’avons fait pour aider la justice à fonctionner, et c’est tellement vrai que c’est une entraide administrative, d’Administration à Administration encore une fois, qui n’était pas du tout quelque chose de politique, et que la seule instruction que j’ai donnée, les deux seules instructions que j’ai données c’est, un, aller vite, à mon Administration, et deux, une fois que vous avez le résultat, transmettez-le à la justice, ce qui a été fait le lendemain. Transparence, clarté, rigueur, vigueur, diligence, voilà quel a été le comportement de l’Administration sous mon autorité et, honnêtement, je crois que tout le monde aujourd’hui comprend qu’il y a cette volonté d’instrumentaliser, de faire comme si l’Administration fiscale savait tout, comme si elle était Big Brother, comme si elle avait les moyens de tout savoir, non, nous sommes un Etat de droit, et précisément, quand la justice fonctionne, il faut la laisser fonctionner.
PATRICK COHEN
Je crains qu’on y revienne en deuxième partie avec nos questions et celles des auditeurs de FRANCE INTER.
PIERRE MOSCOVICI
Qui, je pense, s’intéressent au moins autant à la croissance et à l’économie.
PATRICK COHEN
Oui, c’est pour ça qu’on a commencé l’interview avec ça. Votre collègue Manuel VALLS a dû sortir d’un concert sous protection policière hier soir à cause d’une quarantaine d’opposants au mariage gay venus le chahuter, le député Vert François de RUGY a été conspué à son domicile ce week-end, la journaliste Caroline FOUREST harcelée, pourchassée, toute la journée de samedi de Nantes à Paris, ça vous inquiète ces débordements, Pierre MOSCOVICI ?
PIERRE MOSCOVICI
Ce sont des méthodes que je réprouve. C’est un débat de société, qui se déroule d’abord dans l’enceinte parlementaire, et dans cette enceinte parlementaire les choses ont été votées par les deux Assemblées, il faut respecter aussi la légitimité représentative de ces Assemblées, il y a d’autres moyens de faire que de harceler, ou de menacer, ou de perturber l’ordre public.
PATRICK COHEN
Le gouvernement, dit Jean-Pierre RAFFARIN, n’est pas innocent dans la violence à cause du mépris affiché à l’égard des opposants, du fait que ces opposants n’aient pas été reçus après la grande manifestation de janvier, de l’accélération de ce calendrier parlementaire qui n’était pas prévue.
PIERRE MOSCOVICI
Jean-Pierre RAFFARIN aime bien se poser en sage, moi je pense que cette violence, elle est plutôt attisée, elle est d’abord attisée par la droite, dans ce pays, qui manifestement fait un procès constant en légitimité à la gauche, qui ne supporte pas d’avoir perdu le pouvoir, et qui jette un peu de l’huile sur tous les feux. Et en cette matière-là, s’agissant du mariage pour tous, le gouvernement fait preuve d’une très grande sagesse, d’une très grande écoute, le président lui-même a reçu les partisans de l’opposition au mariage pour tous, donc c’est un mauvais procès. Faisons attention, la France, dans la période où nous sommes, a besoin de rassemblement et d’énergie, le rassemblement et l’énergie supposent que l’opposition soit responsable. Attention, encore une fois, je le dis, et soyons capables de nous concentrer sur l’essentiel, le redressement d’un pays qui est très fort, toujours, c’est la 5ème puissance économique du monde, mais qui a besoin, demain, de retrouver le chemin de la croissance économique et de l’emploi.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 avril 2013