Interview de M. Benoît Hamon, ministre de l'économie sociale et solidaire et de la consommation, à "ITélé" le 26 juin 2013, sur le contenu du projet de loi sur la consommation, sur l'audition de Jérôme Cahuzac par une commission parlementaire et l'invitation de Dominique Strauss-Kahn à un colloque du Sénat sur la fraude fiscale internationale.

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Média : Itélé

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER
Jérôme CAHUZAC est entendu aujourd'hui par la Commission parlementaire qui enquête surtout sur l’attitude de l’Etat à son égard pendant cette affaire. Qu’attendez-vous de cette audition ?
BENOIT HAMON
Qu’il dise la vérité, il ne sera sans doute pas interrogé seulement sur les détails de l’histoire, mais qu’il dise la vérité. Moi, il y a sans doute encore des zones d’ombre, en tout cas les parlementaires demanderont à être éclairés. Je ne sais pas s’il faut en attendre des révélations, je crois que tout a été dit sur cette affaire, et voilà c'est l’occasion pour Jérôme CAHUZAC devant ses anciens pairs, de dire la vérité.
CHRISTOPHE BARBIER
François HOLLANDE connaissait l’existence de l’enregistrement de la voix de Jérôme CAHUZAC, depuis le 15 décembre. Il y a eu un peu de légèreté dans l’exécutif, on a pris cette affaire à la légère.
BENOIT HAMON
Non, pourquoi ? Parce que la réalité c'est que si on avait pris ça, un petit peu comme ça se faisait auparavant, il n’y aurait pas eu de révélations de l’affaire CAHUZAC, il n’y aurait pas eu de démission. Pourquoi ? Parce qu’objectivement on a laissé la justice travailler, il y a même une commission d’enquête aujourd'hui, c'est bien la première fois que sur des sujets comme ceux-là, des commissions d’enquête se mobilisent quand la droite ne nous les autorisait même pas sur l’affaire des sondages de l'Elysée, par exemple, donc il y a eu le jeu de la transparence, de la séparation des pouvoirs, pas d’instruction donnée au Parquet, et au bout du compte, une justice indépendante qui fait son travail et révèle la vérité. C'est la marque d’une nouvelle façon d’exercer le pouvoir, plus démocratique, plus transparente. Alors, la contrepartie, c'est que là, l’exécutif on va dire, politiquement, paie le prix, puisque l’un des siens, Jérôme CAHUZAC, a été mis en cause, moi je pense que c'est une bonne chose et que ça contribue à assainir le paysage politique.
CHRISTOPHE BARBIER
Dominique STRAUSS-KAHN, lui, est attendu au Sénat où on l’interrogera comme expert sur la fraude fiscale internationale. Vous êtes choqué par cette audition ?
BENOIT HAMON
C'est une drôle de journée pour nous. Non, eh bien il est entendu comme expert, je pense que c'est surtout un coup médiatique de la part de ceux qui l’ont invité. Bon, on n’a pas attendu Dominique STRAUSS-KAHN pour avancer sur les questions de fraude fiscale. Je ne pense pas que ce colloque, en dehors de la présence de Dominique STRAUSS-KAHN, sur place, présente beaucoup d’intérêt.
CHRISTOPHE BARBIER
Votre loi sur la consommation est en débat à partir d’aujourd'hui. Les soldes commencent aussi aujourd'hui. Est-ce que vous allez mettre un terme aux soldes flottants, pour revenir à deux périodes bien fermes, deux fois 5 ou deux fois 6 semaines ?
BENOIT HAMON
Oh, il y a un vrai débat là-dessus, entre les commerçants eux-mêmes et ils ne sont pas encore d’accord, et…
CHRISTOPHE BARBIER
Et votre avis ?
BENOIT HAMON
Oui… Moi, mon avis, c'est aujourd'hui que le pouvoir d’achat des Français n'est pas considérable, c'est le moins qu’on puisse dire, il a baissé, et il a baissé, et ce n'est pas parce qu’on change les périodes de soldes, qu’ils consommeront davantage. Ça ne change pas grand-chose, même… C’est pareil que le travail le dimanche.
CHRISTOPHE BARBIER
Il faudrait peut-être être plus cohérent, quand même, avec des soldes, des périodes identifiées.
BENOIT HAMON
Moi je pense aujourd'hui que l’essentiel c'est de faire en sorte que les Français, pour qu’ils achètent, en soldes, ou pas en soldes, ils dépensent un peu moins dans ce que l’on appelle les dépenses incompressibles. Les dépenses incompressibles, c'est le loyer, on va l’encadrer avec la loi Duflot. Ce sont les dépenses d’assurance, ça tombe bien, moi je vais permettre par la loi qu’on puisse résilier, quand on veut, au terme de la première année, son contrat d’assurance, pour pouvoir baisser…
CHRISTOPHE BARBIER
Les assureurs vont monter le prix…
BENOIT HAMON
Ben non…
CHRISTOPHE BARBIER
…ils vont s’assurer eux-mêmes et ils vont couvrir leurs risques.
BENOIT HAMON
Oui, c'est exactement ce qui se passe à l’étranger. Donc, les assurances, elles peuvent être invitées, parce que c'est là un beau poste, sur lequel elles font de l’argent, de dire qu’elles vont augmenter les primes, la réalité c'est que plus de concurrence devrait faire baisser les prix. J’ajoute quand même, sur cette affaire des assurances, ce sont 5 % des dépenses des ménages, et elles sont obligatoires. Or, sur les trois dernières années, je ne prends que la Multirisques Habitation, elle a augmenté trois fois plus vite que l’inflation. Pourquoi ? Sur les 15 dernières années, deux fois plus vite que l’inflation, pourquoi ? Alors, les compagnies d’assurance elles ont de solides bénéfices. Eh bien nous pensons qu’un peu plus de concurrence ça devrait permettre de faire baisser les primes et le coût des assurances et donc de gagner du pouvoir d’achat pour les Français.
CHRISTOPHE BARBIER
Plus de magasins ouverts le dimanche, c'est plus de concurrence, c'est bon pour les prix aussi.
BENOIT HAMON
Vous pouvez le voir comme ça, sauf qu’il y a un droit du travail et que ce droit du travail il doit s’appliquer, et que le fait qu’il y ait un jour chômé, où on ne travaille pas, c'est aussi un principe et qui est un principe qui doit être respecté. Donc moi je considère aujourd'hui que la priorité elle n'est pas de remettre en cause le travail le dimanche, elle est de faire ne sorte que pour, dans le cadre de la consommation du quotidien, on soit mieux protégé, d’où l’action de groupe. Là je reviens à mon projet de loi. L’action de groupe, c'est une voie de recours collective, sans que vous n’ayez rien à faire, ni vous ni moi, vous pourrez être demain indemnisé, de pratique anticoncurrentielle, on en a connu dans la téléphonie, on a pu en connaitre dans la banque, bref, c'est extrêmement important.
CHRISTOPHE BARBIER
Il y a déjà des associations, il y a des médiations possibles en cas de litige. C'est un coup médiatique, un peu, l’action de groupe.
BENOIT HAMON
Ça va être très concret. On estime que pour un cartel anticoncurrentiel, le prix que vous payez, en plus, par rapport au prix du marché, c'est 20 % en plus.
CHRISTOPHE BARBIER
Par entente des fournisseurs.
BENOIT HAMON
Oui. Êtes-vous jamais indemnisé de cela ? Si le cartel dure depuis un an, et qu’il est mis à jour, l’Autorité de la concurrence peut condamner les entreprises, elles paient une amende à qui ? A l’Etat. Mais vous, pendant un an, vous aurez payé 20 % de plus que le prix du marché. Eh bien l’action de groupe, elle va permettre à quelques consommateurs, de déclencher une action de groupe, ils seront peut-être 10, 15, 20, 30, 100 et derrière à 10 000, 20 000, 30 000, 100 000 consommateurs qui n’auront pas été directement en justice, d’être indemnisés. C'est un formidable progrès démocratique.
CHRISTOPHE BARBIER
On pourra faire des actions de groupe, contre l’Etat ? L’Etat qui augmente le prix des cigarettes, l’Etat qui donne les services publics, etc. ?
BENOIT HAMON
Dès lors qu’il y a un contrat de consommation, qu’à travers un établissement public vous avez un contrat de consommation, je pense aux transports par exemple, il peut y avoir une action de groupe. Ce n'est pas la qualité de celui qui passe le contrat qui va être discriminante, en clair ça peut être public ou privé, le fait générateur ce doit être qu’en ce qui concerne les informations contractuelles, les obligations légales, celui qui vous ait vendu un contrat de consommation, n’ait pas respecté ses obligations. Donc, les actions de groupes pourront toucher tout le monde.
CHRISTOPHE BARBIER
Le « made in France » sera-t-il mieux encadré ?
BENOIT HAMON
Oui, grâce aux indications géographiques pour les produits manufacturés.
CHRISTOPHE BARBIER
On saura d’où ça vient ?
BENOIT HAMON
Qu'est-ce que ça veut dire ? Deux mots. On connait les AOC sur le Roquefort, pour les produits alimentaires, par exemple, il n’y en avait pas pour la porcelaine de Limoges, il n’y en avait pas pour le couteau Laguiole, il n’y en avait pas pour la faïence de Quimper…
CHRISTOPHE BARBIER
Qui peuvent être fabriqués en Chine et s’appeler Laguiole.
BENOIT HAMON
Voilà, exactement. Eh bien nous allons protéger les produits manufacturés et nous allons créer une indication géographique qui permettra de reconnaitre la qualité, les savoir-faire. Le made in France c'est souvent le made in territoire, eh bien ça maintiendra l’emploi sur notre territoire, et ça permettra aux consommateurs, pas que français, européens, aux consommateurs du reste du monde, de choisir entre un label qualité, l’indication géographique française, et celles et ceux qui prétendent faire de la porcelaine de Limoges, mais dans le « s » à Limoges, par exemple.
CHRISTOPHE BARBIER
Le Registre national des crédits sera-t-il vraiment instauré pour lutter contre le surendettement ou est-ce que vous allez passer à côté ?
BENOIT HAMON
Ah oui, et par amendement gouvernemental, nous avons décidé de l’instaurer, c'est-à-dire qu’il sera créé un registre que devront consulter tous les établissements de crédits quand ils vous vendent un crédit à la consommation ; pour éviter quoi ? Que des familles qui ont déjà beaucoup de crédits à la consommation, qui sont déjà endettées, ne prennent ce fameux crédit de trop, celui par lequel elles basculeront dans le surendettement. Eh bien nos voulons, en matière de vente de crédits, responsabiliser celui qui prête, et pas simplement mettre la pression sur celui qui emprunte, qui souvent emprunte parce qu’il n’a pas d’autre choix. Moi, les achats compulsifs où on se surendette, je n’y crois pas beaucoup, la réalité c'est que le crédit de trop, c'est quand vous ne savez plus payer vos factures, vous ne savez plus nourrir vos enfants, et que la tentation du crédit renouvelable, qui existe dans telle ou telle enseigne, eh bien vous y succombez. Eh bien nous allons éviter cela et lutter ainsi plus efficacement contre le surendettement.
CHRISTOPHE BARBIER
Vous voulez lutter aussi contre l’obsolescence programmée, ces appareils qui s’usent et puis qu’on ne peut jamais réparer, donc il y aura des pièces détachées, eh bien ça va faire monter le prix de ces appareils.
BENOIT HAMON
Ah, ça va surtout permettre de les réparer sur place, ça fera de l’emploi sur place. Jusqu’à présent vous aviez une bouilloire qui ne marchait plus, qu’est-ce qu’on faisait ? Vous rameniez votre bouilloire et on faisait venir une bouilloire neuve de Corée, du Japon ou… non, de Chine, etc. Là, ceux qui vous disent qu’il y a des pièces détachées, seront obligés de les fournir et de la réparer. Vous n’allez pas la réparer en Corée, vous allez la réparer sur place. Et ça fera de l’emploi en France. La réparabilité des produits, c'est un progrès considérable, qui sera là, permis encore par la loi.
CHRISTOPHE BARBIER
Vous pensez vous aussi que BARROSO fait monter le Front national ?
BENOIT HAMON
Je pense que monsieur BARROSO, comme beaucoup de commissaires européens, aujourd'hui contribue à entretenir une forme de distance avec le projet européen. Aujourd'hui, dans leur politique et notamment cette obsession à faire l’austérité partout, ils cassent du modèle social et donc contribuent aujourd'hui à beaucoup… à la désespérance, et la désespérance ça mène parfois au Front national.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 juin 2013