Texte intégral
Intervention de M. Laurent FABIUS,
Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie
Ouverture de la conférence Les Échos :
" La nouvelle épargne salariale "
Vendredi 21 septembre 2001
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d'être parmi vous ce matin et je remercie Les Echos-conférences, en particulier Jean-François Doumic, pour cette journée de débats consacrée à " la nouvelle épargne salariale ". L'ambition de réformer ce domaine n'est pas nouvelle puisque, si mon recensement est exact, le législateur est intervenu 9 fois en 40 ans. Au fil des années et des avenants, l'inflation des textes et des dispositifs a dressé pour les entreprises et les salariés un décor d'une complexité rebutante. Il fallait donc réformer et réformer vraiment. C'est chose faite. Aujourd'hui, le cadre législatif et réglementaire est simplifié et complet. Dans les entreprises, dans les bassins d'emploi et les branches professionnelles, il s'agit de passer aux travaux pratiques et de permettre à la loi de remplir sa triple mission : généraliser l'épargne salariale, développer le financement des entreprises, renforcer la négociation collective et le dialogue social. Je souhaiterais revenir sur certains aspects de cette loi tant pour les entreprises que pour les salariés, non parce qu'elle porte mon nom, mais parce qu'elle porte sur un domaine essentiel.
Cette loi généralise les dispositifs d'accès à l'épargne salariale. Les chiffres disent l'ampleur du défi : jusqu'ici 3 % des salariés des PME bénéficient de la participation et de l'intéressement, un salarié du secteur privé sur trois peut y prétendre et à peine 3 millions de salariés du secteur privé et des entreprises publiques, c'est-à-dire un quart d'entre eux, détiennent de l'épargne en entreprise. Avec cette loi épargne salariale, intéressement, participation et plans d'épargne d'entreprise profiteront désormais à tous. Elle prévoit la création de Plans d'épargne inter entreprises - PEI - qui peuvent être négociés au niveau d'une branche, d'un territoire ou d'un groupe d'entreprises qui en décident ainsi. Une entreprise et ses salariés pourront directement adhérer à un plan d'épargne négocié de façon centralisé. La mutualisation permise par les PEI permettra aux salariés d'accéder à l'épargne salariale alors même que leur propre entreprise n'y adhère pas ou n'y participe pas financièrement. Des négociations sont aujourd'hui menées dans les branches ou au sein de groupes. Dans les semaines à venir, sept mois donc après le vote de la nouvelle loi, les premiers PEI seront conclus. Par ailleurs, dans les entreprises de moins de 100 salariés, le bénéfice de l'intéressement et des plans d'épargne a été ouvert aux dirigeants et aux mandataires sociaux. Cette avancée que j'ai voulue contribuera au développement de ces dispositifs dans les petites entreprises. Dans notre pays, la démocratisation de l'épargne salariale sera bientôt une réalité.
En concevant et en faisant adopter cette loi, le Gouvernement a voulu innover. La création d'un nouveau dispositif d'épargne salariale de moyen et long terme, le plan partenarial d'épargne salariale volontaire - PPESV - en témoigne. Jean-Pierre Balligand et Jean-Baptiste de Foucauld, dans leur excellent rapport qui a été un outil précieux pour l'élaboration du projet de loi, avaient montré l'intérêt de la création d'un tel instrument, tant pour les salariés que pour les entreprises. Chacun ici en connaît la nature et les modalités. D'une durée minimale de 10 ans glissants ou à terme fixe, le PPESV s'accompagne d'une durée de blocage double de celle du PEE. En contrepartie, le salarié peut bénéficier d'abondements potentiellement plus importants de la part de son employeur et peut aussi espérer une rentabilité de son épargne supérieure à celle d'un placement négocié de façon individuelle auprès d'un organisme financier.
Pourquoi 10 ans ? J'ai entendu beaucoup d'arguments sur cette durée de blocage : jugée trop longue par ceux qui invoquaient le spectre des fonds de pension, trop courte pour ceux qui envisageaient ce dispositif sous le seul angle de l'épargne retraite. Une fois de plus, je veux préciser l'objectif du Gouvernement et le souhait du législateur, qui correspondent, je crois, aux attentes des agents économiques et à l'intérêt général.
Si le PPESV peut, pour les salariés qui le décideront, servir librement à la constitution d'une épargne retraite, là n'est bien sûr pas sa finalité unique. L'achat d'un bien immobilier, le financement des études des enfants ou encore celui d'une période sabbatique peuvent être autant d'objectifs assignés par les salariés à cette épargne, selon leur âge, leurs envies ou leurs motivations. Il leur revient d'en décider - je le répète - librement. Il était donc nécessaire de fixer une durée de blocage suffisante pour permettre un rendement accru de l'épargne et justifier les avantages consentis en matière d'abondement de l'employeur, tant pour son montant que pour son régime fiscal. Il fallait également que cette durée fût limitée, qu'elle corresponde à la diversité des besoins des salariés et qu'elle les incite à adhérer au dispositif. Une durée de 10 ans m'a paru un bon compromis entre ces exigences, une période de juste équilibre. Le PPESV doit permettre à chacun de mettre en oeuvre ses projets de vie.
L'ensemble de ces dispositions profitera naturellement aux entreprises. Grâce aux instruments stables et sûrs que sont le PEI et le PPESV, celles-ci renforceront leurs fonds propres de manière saine. Les grandes entreprises françaises - dont plus du tiers des capitaux sont étrangers - y trouveront des outils adéquats pour mieux défendre leur indépendance. C'est la condition pour le développement et la modernisation de notre économie. La compétitivité du site France en sera renforcée.
Troisième impératif : il s'agit de renforcer la démocratie sociale dans l'entreprise pour en accompagner et en favoriser le développement économique. J'ai souhaité que le PPESV, contrairement au PEE, ne puisse être mis en oeuvre que par accord collectif du travail, c'est-à-dire par accord entre direction d'entreprise et syndicats. C'est une condition du succès de ce dispositif et de son contrôle démocratique. Les abondements que peuvent verser le employeurs, jusqu'à 4 600 euros par an (soit 30 000 francs), ne doivent pas pouvoir être soupçonnés de se substituer aux salaires. En donnant le pouvoir de conclure un PPESV aux partenaires qui négocient annuellement sur les salaires, la transparence est garantie. De plus, la loi faisant désormais de l'épargne salariale un des thèmes obligatoires de la négociation collective dans l'entreprise, il n'aurait pas été cohérent d'autoriser, comme c'est le cas pour le PEE qui peut être octroyé par le chef d'entreprise, d'autres modalités de création de PPESV que celles de l'accord collectif du travail. De surcroît, la volonté de donner aux salariés et à leurs représentants un rôle plus actif tant dans la négociation que dans la gestion de l'épargne salariale nous a conduits à accroître leur place dans les conseils de surveillance des fonds communs de placement d'entreprise, à améliorer leur accès aux informations économiques concernant l'entreprise et à leur permettre d'agir en justice pour défendre les droits et intérêts des porteurs de parts. L'épargne salariale est un outil démocratique et transparent.
Pour le Gouvernement, le renforcement de la démocratie sociale dans l'entreprise suppose aussi que soit encouragé l'actionnariat salarié. Celui-ci présente des avantages pour tous les acteurs de l'entreprise. Pour les salariés, qui s'associent ainsi davantage à la définition des stratégies et perçoivent une partie de l'augmentation de la valeur qu'ils ont contribué à créer par leur travail. Pour les dirigeants de l'entreprise qui disposent d'un outil efficace de motivation et de développement des performances. Pour les actionnaires, qui y trouvent un gage de dynamisme de l'entreprise et donc la marque de son développement.
Plusieurs dispositions ont été retenues, notamment le passage de 25 à 50 % de la provision pour investissement en franchise d'impôt dont bénéficie l'abondement versé par l'employeur, lorsque l'épargne est investie en titres de l'entreprise ou d'une entreprise du groupe. S'y ajoute la décote de 30 % dont peuvent bénéficier les actions versées au PPESV en cas d'augmentation du capital réservée aux salariés. L'actionnariat salarié devrait s'en trouver nettement accru. Mais - c'est un principe essentiel -, la loi permet qu'il reste le choix du salarié. Tout en lui offrant la possibilité d'investir en titres de son entreprise, la loi précise donc l'obligation de proposer au salarié l'accès à un fonds diversifié. La même logique a conduit à permettre l'investissement des salariés dans des titres d'entreprise non cotés tout en veillant à garantir la liquidité des fonds dans lesquels ils sont investis, soit en imposant un plancher de 30 % de titres liquides, soit en exigeant la mise en place d'un mécanisme de liquidité spécifique. L'actionnariat salarié est donc tout à la fois encouragé et diversifié, rendu plus sûr et plus responsable.
Un dernier mot, avant de conclure, sur la méthode que j'ai retenue pour mettre en oeuvre cette réforme d'ampleur : la négociation collective. A mes yeux, elle est la condition de sa pérennité. Le renforcement de la négociation collective dans le champ de l'épargne doit être bénéfique pour le développement du dialogue dans l'entreprise. La qualité des relations entre salariés et employeurs est un indice de la vitalité des entreprises mais aussi de la satisfaction des employés dans l'accomplissement de leur mission. Il est particulièrement important que les partenaires sociaux s'approprient les outils qui sont désormais à leur disposition. J'ai donc veillé à ce que les organisations patronales et syndicales soient étroitement associées à l'élaboration de la réforme. J'avais tenu à rencontrer personnellement leurs dirigeants pour élaborer le projet de loi. Depuis, ils ont été associés à la rédaction des décrets d'application. Ils viennent de transmettre à mes services leur réactions et propositions au projet de circulaire d'application, et celles-ci sont prises en compte dans la rédaction définitive de ce texte dont la publication interviendra en tout état de cause avant le 15 octobre. Enfin, après la publication cet été du dépliant " L'épargne salariale, questions - réponses aux chefs d'entreprise et aux salariés " et l'ouverture d'un site accessible depuis le portail Internet du Minéfi, j'ai souhaité qu'une campagne d'information soit lancée en direction du grand public. Ce sera chose faite le mois prochain. Pour parachever la mise en oeuvre de la réforme, j'ai confiance dans le professionnalisme des organismes financiers spécialisés, l'engagement des associations qui oeuvrent en faveur du développement de l'épargne salariale mais aussi la mobilisation des experts-comptables, dont je veux saluer le rôle essentiel de conseil dans les petites entreprises.
Mesdames et Messieurs, je ne peux conclure évidemment mon propos sans dire un mot de la situation économique internationale. Depuis 10 jours et l'acte de barbarie qui a frappé les États-Unis, la conjoncture est particulièrement incertaine. Comme les citoyens du monde entier, nous avons été bouleversés par cette tragédie. Dans ce contexte, le choix du Gouvernement consiste à dire la réalité et à faire preuve de volonté, à renforcer la confiance et à privilégier la coordination. Dire la réalité, c'est faire en sorte que les éléments d'incertitude, clairement reconnus, ne dissimulent pas les éléments de stabilité. Faire preuve de volonté, c'est tout mettre en oeuvre pour soutenir la croissance. C'est notamment l'objectif du budget pour 2002 que j'ai présenté mardi et dont les orientations sont connues : le financement de quelques priorités, peu nombreuses, notamment l'emploi, l'éducation-formation et la sécurité, la confirmation des baisses d'impôts, la gestion maîtrisée et modernisée de la dépense publique. Renforcer la confiance, c'est miser sur nos atouts - consommation des ménages et pouvoir d'achat, appareil industriel modernisé et services dynamiques et, bien sûr, l'euro. Privilégier la coordination, c'est agir de façon concertée, à l'échelle internationale et européenne, pour encourager les acteurs économiques. La baisse des taux d'intérêt par la Réserve Fédérale et la BCE montre que c'est bien le choix qui est fait.
Dans un monde secoué, la mission d'un Gouvernement, singulièrement du Ministre en charge du développement économique, c'est de combiner l'esprit de sérieux et l'action volontaire. C'est donc continuer à réformer, à innover, à moderniser. C'est un objectif de la nouvelle loi sur l'épargne salariale. Elle donne à des millions de femmes et d'hommes la possibilité de mieux préparer l'avenir et de financer un projet personnel. Elle offre aux entreprises des fonds plus stables et plus solides. Elle améliorera le dialogue social au sein de l'entreprise, faisant des salariés et des chefs d'entreprises de véritables partenaires. Alors qu'est venue l'heure de la mise en oeuvre de la loi, il faut croiser les expériences et échanger les initiatives. C'est le sens de cette journée et de vos débats. C'est donc avec une grande attention que je vous lirai. Je vous souhaite une excellente conférence et je vous remercie d'apporter, par vos réflexions et votre action, une contribution à notre objectif commun : faire de l'épargne salariale un outil à la fois du développement de nos entreprises, de l'épanouissement des salariés et du renforcement du dialogue social.
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 24 septembre 2001)