Déclaration de M. Yves Cochet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, sur l'importance de la protection de l'environnement pour l'avenir de l'humanité et de la mise en place du développement durable, Genève le 25 septembre 2001.

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Circonstance : Réunion préparatoire régionale (CEE-ONU) du Sommet mondial du développement durable à Geneve (Suisse) le 25 septembre 2001

Texte intégral

Il y a bientôt dix ans, les gouvernements du monde ont, ensemble, reconnu l'importance cruciale de la protection de l'environnement pour l'avenir de l'humanité et de la planète toute entière.
Sous la pression des organisations non gouvernementales, fers de lance de cette prise de conscience collective des dangers irrémédiables et des dommages irréversibles auxquels nous condamnaient un mode de développement absurde, fondé sur le gaspillage et l'épuisement des ressources naturelles dont le renouvellement n'était plus assuré, le sommet de la Terre a donné le départ d'une nouvelle démarche, celle d'un développement durable, d'un développement capable de répondre aux besoins du présent sans compromettre la possibilité de répondre aux besoins des générations à venir.
Dix ans plus tard, bien des espoirs ont été déçus.
Certes des avancées ont été effectuées : des conventions-cadres internationales ont été conclues pour traiter des trois grands problèmes environnementaux identifiés à Rio, le changement climatique, la dégradation de la biodiversité et la désertification. D'autres conventions ou protocoles ont permis de mettre en place le cadre institutionnel permettant de s'attaquer à des problèmes plus spécifiques tels que les mouvements transfrontières d'organismes vivants modifiés ou les polluants organiques persistants.
Mais le développement durable est loin d'être devenu une réalité. Les modes de production et de consommation n'ont pas changé, aggravés même par les effets d'une mondialisation trop peu maîtrisée. La concentration de gaz à effet de serre dans l'atmosphère ne cesse d'augmenter, des milliers d'espèces animales et végétales disparaissent chaque année et le désert avance de plus en plus vite.
Les espoirs ont été déçus parce que les leçons de Rio ont été oubliées et les engagements pris alors n'ont pas été tenus.
C'est pourquoi Johannesburg est un rendez-vous essentiel qui doit nous permettre de faire un bilan de ce qui a été effectivement accompli depuis le Sommet de la Terre, et qui doit, aussi et surtout, être l'occasion d'ouvrir de nouveaux chantiers.
Il s'agit de reconnaître que la fracture entre pays riches et pays pauvres s'est accrue. Il s'agit de permettre à tous les pays de mieux intégrer les préoccupations économiques, sociales et environnementales.
C'est cet immense et principal défi qu'il nous faut relever, celui d'un développement durable pour tous.
L'heure pourrait en être venue, à l'heure où la mondialisation libérale est plus que jamais contestée, où elle est perçue, et dénoncée, comme une machine à produire des inégalités, en prenant la planète pour variable d'ajustement.
Je tiens à féliciter le gouvernement sud-africain, futur hôte du sommet, pour son initiative en faveur d'un pacte planétaire pour le développement durable. C'est une initiative à laquelle la France, comme l'Union européenne adhère pleinement et nous comptons oeuvrer activement, d'ici la conférence, pour aider à en préciser le contenu.
Dans cette perspective, quatre grands sujets devraient être mis en avant pour ce sommet.
- Le premier est la protection des ressources naturelles sur lesquelles se fonde le développement économique et social en mettant l'accent sur l'éco-efficacité en se fixant un objectif mesurable pour le renversement, d'ici 2015, de la tendance à la surexploitation des ressources naturelles.
- Le second, c'est l'intégration de l'environnement et l'éradication de la pauvreté. L'accès à l'eau potable et à une énergie durable devraient être au cur de ce sujet. Une initiative en faveur des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique pourrait être centrée sur les populations défavorisées, en particulier dans les zones rurales et périurbaines non desservies par les réseaux centralisés.
- Troisième thème majeur, l'orientation de la mondialisation vers le développement durable par de nouvelles régulations. Les équilibres entre les impératifs de justice et de solidarité, de gestion raisonnée des ressources naturelles et de l'environnement, des préférences collectives en matière de santé et d'éducation sont bien au cur des controverses sur la mondialisation.
- Enfin, les questions de gouvernance quoi nous réunissent aujourd'hui.
La gouvernance est au cur de tous les débats car ni les souverainetés nationales ni la mondialisation libérale ne sont aujourd'hui en mesure de faire face aux questions centrales de l'humanité.
L'analyse en est connue, elle est contenue pour l'essentiel dans un rapport du PNUD de 1999 : les centres de décisions nationaux sont inefficaces face à un marché mondialisé ; les instances régulatrices ou négociatrices n'associent pas assez les nouveaux acteurs ; les régulations mondiales existantes demeurent largement sans effet par défaut de sanction.
Il n'est en effet pas de régulation efficace ni légitime sans gouvernance appropriée. Celle-ci doit, à tous les niveaux, s'appuyer non seulement sur les connaissances des experts mais sur une participation adéquate de la société civile, ce qui suppose une véritable transparence des processus de décision. Au niveau de la région de la CEE/NU, certaines avancées ont été remarquables, servant parfois de " laboratoire mondial " : ainsi , le protocole CEE/NU sur les POPs a servi de base à la convention mondiale adoptée en 2000. La convention d'Aarhus pourrait ouvrir la voie d'une plus grande transparence au plan mondial. Des efforts sont accomplis pour aboutir à un régime de responsabilité civile pour les dommages transfrontaliers provoqués par les accidents industriels. Le niveau régional de la CEE/NU est un espace pertinent dans le contexte actuel de globalisation, pour améliorer les processus démocratiques, pour agir ensemble face aux nouveaux risques qui ne respectent aucune frontière, pour réduire les inégalités.
Nous avons tous à l'esprit le modèle que constitue la convention d'Aarhus pour notre région, mais la question de la gouvernance concerne l'ensemble des thématiques du développement durable : la prise de décision au sein des institutions de Bretton Woods, l'application effective et réellement sanctionnable des normes fondamentales de l'Organisation Internationale du Travail, le renforcement du rôle de la Commission du développement durable au sein du système des Nations Unies.
Dans ce paysage encore très lacunaire de la gouvernance du développement durable, quelques signes d'évolution apparaissent. Au premier rang de ces signes d'une évolution possible, je placerai le compromis obtenu à Bonn en juillet sur la mise en oeuvre du protocole de Kyoto. Cet accord conclu dans le cadre des Nations-Unies jette les bases. d'une action internationale résolue contre l'un des fléaux qui menacent la planète. Il précise les modalités de mise en uvre par les signataires, la manière dont sera contrôlé ce qui sera fait par chaque Etat, les sanctions applicables lorsque les engagements pris ne seront pas tenus.
S'agissant du pilier économique du développement durable, les progrès sont difficiles. A Liège ce week-end, un conseil des ministres de l'Union européenne a débattu pour la première fois de la proposition d'une taxe de type Tobin appliquée aux transactions financières internationales sur le marché des changes. Nous savons qu'aujourd'hui de nombreux PED remboursent chaque année au titre de la dette des montants plus importants que ceux qu'ils reçoivent de l'APD. Un rapport sur le financement du développement, le rapport du panel Zedillo, propose l'instauration d'une taxe mondiale pour financer la production des biens publics mondiaux. Cette question cruciale devra être débattue à la conférence sur le financement du développement qui se tiendra à Monterrey en mars 2002, quelques mois avant le Sommet de Johannesburg et nous devons travailler à son succès. Enfin, vous le savez, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne ont réaffirmé, en adoptant une stratégie de développement durable, qu'ils s'engageaient à atteindre dans les meilleurs délais l'objectif de consacrer 0,7%de leur PNB à l'aide publique au développement, comme ils s'y étaient engagés à RIO.
L'amélioration de la gouvernance internationale en matière d'environnement est, comme vous le savez, un thème auquel la France attache un intérêt particulier.
Je me réjouis de voir que les travaux se poursuivent tant au sein de l'Union européenne, de nouvelles conclusions ont été adoptées en juin, qui poursuivent la réflexion initiée pendant la présidence française de l'Union, qu'au niveau international.
Sur le fond, les réflexions de l'Union s'appuient sur le constat que l'architecture internationale actuelle en matière d'environnement n'est pas satisfaisante. Les lacunes de ce système peuvent être regroupées en trois catégories :
- un manque de coordination entre les différentes instances, dû à la multiplication des organisations internationales qui ont des compétences en matière d'environnement, à la dispersion croissante des secrétariats des conventions, et à la difficulté qu'éprouve le PNUE à jouer un véritable rôle de coordinateur ;
- la mise en uvre des conventions d'environnement n'est pas totalement satisfaisante ; en particulier, il n'y a pas de " juge " du respect des obligations souscrites par les Etats et plus généralement les dispositifs d'observance sont encore peu développés. La mise uvre d'un système d'observance au sein du protocole de Kyoto, dont le principe vient d'être adopté à Bonn est un premier pas dans le sens souhaité ;
- depuis la création de l'OMC, un décalage est apparu entre celle-ci et les accords environnementaux, qui, contrairement à elle, ne disposent pas (en général) d'un mécanisme efficace de règlement des différends ; les mesures environnementales ayant un lien avec le commerce risquent donc d'être mises en échec par la jurisprudence commerciale.
Le groupe intergouvernemental créé en février s'appuie pour mener ses travaux sur le rapport du directeur exécutif du PNUE, dont le constat s'avère assez proche de celui dressé par l'Union. Le rapport préconise un renforcement progressif des structures existantes et se présente sous la forme d'un menu d'options, parmi lesquelles la création d'une organisation mondiale de l'environnement.
Je souhaite que nous parvenions, à Johannesbourg, à un consensus sur la gouvernance mondiale environnementale qui permette de jeter les bases d'une telle organisation. Je me réjouis des résultats de la troisième réunion du groupe intergouvernemental qui s'est tenue à Alger au début du mois. Les principales parties prenantes se sont montrées convaincues de l'utilité et de l'urgence de certaines réformes : renforcer le PNUE dans ses attributions, son financement et son bras politique, le Forum ministériel ; améliorer la coordination sur l'environnement dans l'ensemble du système des Nations Unies, en confortant le rôle du groupe de gestion environnemental (EMG) ; assurer une coopération accrue entre les AME, débouchant lorsque c'est possible sur leur regroupement par thèmes. La nécessité de renforcer le lien entre environnement et développement durable, et d'offrir aux pays en ayant besoin l'aide nécessaire en matière de transfert de technologies et de développement des capacités, a également été reconnue par tous. Autant d'éléments décisifs pour l'élaboration de ce " pacte planétaire " que nous appelons de nos voeux.

(source http://www.delegfrance-onu-geneve.org, le 7 novembre 2001)