Déclaration de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, sur les objectifs du projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt en réponse à l'avis émis par le Conseil économique social et environnemental sur certains aspects du texte, Paris le 12 novembre 2013.

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Circonstance : Présentation du projet d’avis «projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt" lors de la séance du 12 novembre 2013 du Conseil économique, social et environnemental

Texte intégral


Monsieur le Président, j'ai écouté avec attention toutes les expressions des différents groupes et surtout de Mme la rapporteure, Jocelyne Hacquemand, que je félicite et remercie pour le travail qui a été conduit.
Sachant les travaux qui se poursuivent au CESE, je serai bref pour ne pas vous faire perdre patience. J'essaierai d'être le plus concis possible afin de répondre à un certain nombre de questions que vous avez posées.
D'abord, cette loi d'avenir s'inscrit à la suite de la négociation de la réforme de la Politique agricole commune. Pour la première fois, on fait cela dans cet ordre-là : Europe et politique agricole et ensuite loi d'avenir. Je le dis pour avoir bien en tête le cadre dans lequel on s'inscrit. Ce cadre peut être contesté, mais il n'est pas si facile car il faut négocier à 27 une Politique agricole commune. Contrairement à ce que j'ai souvent entendu, elle n'est pas plus nationale aujourd'hui qu'elle ne l'était avant. Au contraire, elle est plus européenne. C'est parce qu'elle est plus européenne - notamment avec ce que l'on appelle les dotations de base, qui vont remplacer les systèmes historiques d'aides - que nous avons été obligés de trouver des aménagements nationaux.
Voilà dans quel cadre nous nous inscrivons et la loi d'avenir vient ensuite.
Je reconnais que le CESE a été saisi trop tardivement et dans un délai trop court. Je le regrette. Les contraintes législatives font que nous devions terminer cette négociation avant d'engager la discussion sur la loi d'avenir. En effet, pour débattre du projet de loi avant le début de l'année prochaine, la nouvelle PAC s'appliquant en 2015, nous étions obligés de restreindre les délais. Le débat a été trop court. J'en suis parfaitement conscient.
Quant au choix du débat sur les articles, ce n'est pas le ministre de l'Agriculture, mais le Premier ministre et ses services qui ont fait ce choix (en fonction des enjeux). Puisque c'est une saisine formelle du CESE, c'est donc sur les objectifs et la programmation que celui-ci a été saisi. Il y a d'autres débats et sujets techniques, sur lesquels nous pourrons revenir.
Comme l'a dit Mme la rapporteure, l'objectif est triple : économique, écologique et social. Ce que vous avez fait mérite d'avoir replacé la question sociale au coeur d'un débat sur l'agriculture.
Concernant l'agroalimentaire et les industries agroalimentaires, les questions industrielles, les questions d'emploi et celles évoquées aujourd'hui en Bretagne sur la désindustrialisation ne dépendent pas directement d'une loi sur l'agriculture.
Elles sont à prendre en compte dans l'ensemble des dispositifs (crédit d'impôt-compétitivité, BPI, investissements nécessaires, relance et innovation, questions posées dans les entreprises en difficulté, etc.). L'Assemblée nationale devra se prononcer sur un certain nombre de projets de loi. C'est un cadre, mais ce n'est pas celui de la loi d'avenir sur l'agriculture.
Cette loi poursuit plusieurs objectifs.
Concernant la production agricole, on ne peut pas faire comme s'il n'y avait pas une dimension productive à l'agriculture : il y a une dimension productive à l'agriculture. La nouveauté de cette loi est de considérer que la dimension écologique n'est pas contradictoire avec la dimension productive de l'agriculture. Je le dis par rapport à ce que j'ai entendu : « Il n'y a pas suffisamment sur l'environnement ». L'agro-écologie, la double performance économique et écologique, les groupements d'intérêt économique et environnementaux, la capacité à créer une dynamique environnementale ne dépendent pas uniquement des mesures qui pourraient être prises sur la fiscalité sur l'azote, sur les phytosanitaires, etc. Ils dépendent de notre capacité à combiner les dimensions économique et écologique.
À l'échelle européenne, le postulat de base est le suivant : faire de l'environnement coûte plus cher que faire du conventionnel et donc vous avez le droit de donner des aides pour faire de l'environnement. Les défenseurs de l'environnement, de l'écologie, pensent-ils qu'il est durable de considérer que faire de l'environnement coûtant plus cher, celui-ci doit donc être subventionné ? Est-ce le grand projet que l'on a demain pour l'agriculture comme pour d'autres grands secteurs industriels et économiques ?
Le moment me semble venu de porter un projet qui combine ces deux ambitions. Cela se traduit dans beaucoup de domaines. Concernant la production porcine, l'idée a été émise que les assouplissements allaient remettre en cause les questions environnementales. Si l'on parle de l'azote, si l'on change de paradigme, l'on peut ouvrir des perspectives de production et de prise en compte de l'environnement. Voilà quel est l'enjeu de cette loi d'avenir.
Derrière, se pose la question sociale. Cette révolution naissante nécessite de l'intensité dans la connaissance et donc des hommes et des femmes capables de maîtriser ces nouveaux processus et ces modèles ; c'est ici que s'établit le lien entre économie, écologie et social. Voilà ce qui est derrière cette loi.
Vous avez posé plusieurs questions.
Oui, l'enseignement agricole doit être orienté vers ces objectifs. Si nous voulons réussir un changement profond dans ce domaine, nous devrons être capables de former, d'étudier, d'innover. C'est tout l'enjeu de l'enseignement agricole qui, dans la loi d'avenir, consiste à former ceux qui seront demain en capacité de maîtriser la dimension économique et écologique.
Dans le budget du ministère de l'Agriculture, les moyens consacrés à l'enseignement agricole sont prioritaires : 200 postes créés et 50 avec les aides à la scolarité plus l'enseignement supérieur. C'est une augmentation de + 2,5 % l'an dernier, de + 1,5 % dans le prochain budget.
Je vais répondre très clairement à la question posée par le CESE : « Pourquoi créer un grand Institut agronomique et vétérinaire ? Ce serait remettre en cause les réussites que sont le CIRAD, l'INRA et les écoles vétérinaires » ? C'est exactement pour les raisons que vous indiquez qu'il convient de les regrouper au sein d'un même institut.
Notre visibilité à l'international est dans le domaine vétérinaire, mais également agronomique. Si nous souhaitons que l'agriculture ait un débouché dans les domaines de la recherche, nous devons être capables de considérer cette dernière dans sa globalité. En effet, si vous la compartimentez, cette recherche partira en morceaux et il n'y aura plus cette visibilité pour le ministère de l'Agriculture. Pour les mêmes raisons que celles indiquées dans votre projet d'avis, Madame la rapporteure, cet Institut vétérinaire et agronomique doit être créé. Des évaluations ont été menées au travers du rapport Chevassus ; c'est à partir de là que nous avons fait ce choix.
Vous avez évoqué les questions de l'installation et avez considéré que nous avions fait un certain nombre de choses importantes allant dans le bon sens.
Vous avez également évoqué la question du foncier qui est un vrai sujet. L'installation et le foncier sont liés. Les évolutions de la gouvernance des SAFER, les éléments que nous mettons en place sur la gestion et l'artificialisation des terres posent les jalons d'une politique nouvelle de gestion du foncier favorisant l'installation. Comme vous l'avez souligné, le travail mené dans le cadre des Assises de l'installation, avec la mise en place nouvelle de l'activité minimale d'assujettissement, est un élément important permettant d'installer des jeunes dans le cadre actuel et de prendre en compte tous ceux qui souhaitent s'installer sur des surfaces plus petites (à condition qu'ils dégagent un revenu et que cela leur permette d'être assujettis). C'est un élément sur lequel nous pourrons nous appuyer avec la MSA afin de définir l'actif agricole.
Concernant la politique de l'alimentation, vous avez émis un certain nombre de regrets. Beaucoup de choses ne sont pas du domaine législatif et ont été redistribuées dans d'autres lois. Nous avons fixé des objectifs. Les Conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux seront saisis des plans sur l'alimentation afin que ce débat sur les grandes questions alimentaires soit décentralisé au niveau des régions.
En évoquant, Madame la rapporteure - je l'ai entendu également de la part de certains orateurs - la question de la décentralisation et les autorités de gestion confiées aux régions pour le deuxième pilier de la Politique agricole commune, vous avez soulevé une inquiétude quant à notre capacité à piloter une politique à l'échelle nationale. Tous les grands enjeux nationaux - que ce soit la compensation des handicaps, la politique d'installation... - sont préservés à l'échelle nationale. Les régions ont et auront des responsabilités pour mettre en oeuvre des politiques adaptées aux conditions qui sont les leurs. Ce ne sont pas les mêmes. Nous devons être capables de trouver les voies et les moyens permettant de tenir compte à la fois de la dimension nationale de cette politique et de sa dimension régionale.
Nous organiserons avec les régions un « Printemps des territoires », auquel le CESE sera convié. Celui-ci calera le dispositif entre l'État et les régions, avant la mise en oeuvre de la PAC en 2015. Nous avons un grand pacte entre l'État et les régions à mettre en oeuvre afin que les choses soient claires et se déroulent suivant l'objectif qui est le nôtre.
Concernant la forêt, vous avez évoqué un certain nombre de sujets. Il y a des dimensions fiscales dans les lois de finances. Je suis désolé et j'aurais préféré les avoir dans la loi d'avenir agricole et forestière. Cependant, les outils tels que les DEFI - qui vont permettre de continuer à avoir des dotations spécifiques, avec des bonus pour tous ceux qui s'organiseront en termes forestiers, tels que le dispositif CIFA qui va mettre en place une épargne permettant aux forestiers de valoriser leurs bois et de bénéficier des avantages fiscaux - sont dans la loi de finances.
Tous ces éléments figurent dans la loi de finances. L'objectif pour la forêt est de gérer la ressource, d'assurer le développement de sa transformation et d'ouvrir des débouchés d'emploi sur cette filière de manière générale.
Trois objectifs : planter et renouveler notre forêt, transformer et utiliser les outils pour le faire et ouvrir des dispositifs pour de nouveaux débouchés, notamment dans la construction. Le plan stratégique a des financements limités mais doit permettre à l'Assemblée, au Parlement et au CESE de réfléchir aux futures possibilités de recettes.
Quand la valeur de la tonne de carbone sera différente d'aujourd'hui, le fonds carbone sera un outil du plan stratégique pour financer la forêt. En effet, le bois est la matière permettant le mieux de fixer le carbone et de lutter contre le réchauffement climatique.
Monsieur Lucas, ce ne sont pas cinq cents hectares prévus pour les groupements d'intérêt économique et forestier, mais trois cents hectares. Le morcellement de la forêt française est un problème. Les coopératives forestières, les groupements d'intérêt économique et l'environnement forestier doivent être regroupés.
Sur les éléments sanitaires, la lutte contre l'antibiorésistance est une priorité du gouvernement. Les pays ayant réalisé le découplage n'ont pas de meilleurs résultats en termes de diminution du recours aux antibiotiques. En effet, l'Espagne s'est découplée et la consommation d'antibiotiques a augmenté.
Sur la base de ces études, la discussion avec le ministère de la Santé et les vétérinaires, de la semaine dernière, nous a conduits à mettre en place un groupe de travail pour fixer des objectifs de réduction de la consommation des antibiotiques, notamment critiques. La question du découplage ne constitue donc pas l'alpha et l'oméga de cette politique.
En cinq ans, les vétérinaires ont baissé la consommation d'antibiotiques de 40 % en France alors qu'elle a augmenté dans le même temps en Espagne. Le facteur le plus déterminant est le prix. Banaliser les antibiotiques entraîne une augmentation de leur consommation. L'enjeu est le conseil et le service.
Ma détermination est totale pour combiner la dimension sanitaire des productions animales et la lutte contre l'antibiorésistance, car la santé humaine est en jeu. Le coeur du sujet porte sur la capacité d'avoir des réseaux, à maîtriser l'utilisation et le recours aux antibiotiques et non pas sur le découplage.
L'objectif de cette loi d'avenir est de prolonger la réforme de la Politique agricole commune, à savoir considérer que l'agriculture française a un atout majeur : la diversité de ses conditions climatiques, des différentes orientations d'exploitation (l'élevage, les céréales), notre capacité à combiner la production et la dimension écologique. C'est aussi aider l'agriculture française en termes de compétitivité comme pour l'industrie. Pour cela, nous devons être capables d'investir dans un plan bâtiment pour économiser de l'énergie et assurer un bien-être au travail des agriculteurs et au niveau animal. En effet, de meilleures conditions de production permettent de consommer moins d'aliments pour produire la même chose en termes animal.
Nous devons nous donner les moyens d'être au niveau de qualité attendu par la France, de garder notre force, notre diversité de productions, nos orientations techniques et technologiques pour nos exploitations et de prendre un virage pour combiner les dimensions économique et écologique. La France doit être leader dans ce domaine.
Je suis heureux que le Conseil économique, social et environnemental ait donné un avis. Je vous remercie pour votre travail et notamment Madame la rapporteure.
Merci.(Applaudissements)