Texte intégral
Christian PIERRET,
secrétaire d'État français à l'Industrie
" Le marché doit évoluer sans casser "
Energies News" du 21 mai 2001
Energies news : Au Conseil des ministres de l'énergie qui s'est tenu à Bruxelles les 14 et 15 mai, vous n'avez pas seulement refusé le calendrier proposé par la Commission européenne - l'éligibilité pour tous en 2005 -, mais le principe même de l'ouverture totale des marchés de l'énergie aux particuliers. Imaginons que la Commission vous propose l'ouverture totale en... 2070 : cela ne vous satisferait toujours pas ?
Christian Pierret : Nous voulons une ouverture progressive et maîtrisée. Nous souhaitons que l'évolution soit compatible avec le maintien du service public en France et dans l'intérêt des entreprises EDF et GDF. Nous n'acceptons pas d'ouvrir de manière inconsidérée, sans principe, sans étape. Le marché doit évoluer sans casser.
E.n. : Vous ne souhaitez donc pas l'éligibilité pour les particuliers...
C.P. : Effectivement, sûrement pas. Nous pensons que les consommateurs individuels sont satisfaits du système électrique et gazier français. Il leur procure, à la fois, une fourniture de bonne qualité, en quantité suffisante - contrairement à ce qui se passe en Californie - et avec des services associés qu'ils apprécient. Il n'y a aucune raison objective de changer de système.
E.n. : C'est une position nouvelle, par rapport à Stockholm, où la France s'était seulement opposée au calendrier de l'éligibilité totale...
C.P. : Non. La question posée à Stockholm était de fixer des étapes. Certains de nos partenaires voulaient des étapes avec des dates précises. Nous ne voulons pas entrer dans une logique où le point d'aboutissement serait la libéralisation totale et où la seule problématique serait de fixer des dates en vue d'atteindre ce but ultime. En revanche, nous voulons rester dans une logique de maintien du service public et de ses valeurs, du caractère public de nos entreprises - ceci est décisif - et, en même temps, dans une logique d'ouverture, progressive et maîtrisée, à une concurrence qui apporte, par bien des côtés, des avantages... mais qui n'est pas l'alpha et l'omega de la politique énergétique.
E.n. : À Bruxelles, les 14 et 15 mai, la France et l'Allemagne, main dans la main, se sont opposées aux mesures de libéralisation de la Commission. Et puis, à la sortie du Conseil, vous avez déclaré : certains États sont juridiquement ouverts à 100 %, "mais concrètement à 0 % ", en visant implicitement l'Allemagne. Or, il y a un an, vous disiez que les couples qui durent sont ceux qui se parlent franchement... Alors ?
C.P. : Nous parlons franchement aux Allemands. J'ai des rapports très francs avec mon collègue Werner Müller, le ministre de l'Économie, qui comprend bien notre problématique. Et moi je comprends bien la sienne. Et je constate que les Allemands peuvent faire des progrès dans l'ouverture de leur marché intérieur aux producteurs européens. J'appelle de mes voeux ces progrès et mon homologue appelle de ses voeux certains progrès dans l'ouverture du marché français. Mais je constate, et lui avec moi, qu'une soixantaine d'entreprises françaises s'approvisionnent chez le producteur de leur choix dans un autre pays européen, alors qu'il n'y a aucune entreprise allemande éligible à la concurrence qui, aujourd'hui, s'adresse à un producteur européen extérieur à l'Allemagne. Il y a donc une certaine dissymétrie. Et celle-ci n'est pas en défaveur de la France, en termes d'ouverture. Mais je suis certain que nous avons la volonté commune, Allemands et Français, de faire progresser les choses pour que, dans tous leurs aspects, les directives européennes soient appliquées.
E.n. : Que pensez-vous des menaces de rétorsion brandies par certains de nos partenaires à l'encontre d'EDF ? Aujourd'hui, ce sont les Italiens qui se plaignent. Il y a quelques mois, c'était le cas des Espagnols...
C.P. : Tous ces pays amis, ces partenaires, n'ont aucune raison de se plaindre de l'application des directives européennes et du comportement des entreprises françaises. Les marchés sont ouverts, les règles de la concurrence sont respectées. Les Espagnols ne semblent d'ailleurs pas mécontents de voir Endesa entrer à hauteur de 30 % dans le capital de la SNET. Pourquoi, dans ces conditions, une entreprise française serait-elle interdite de participation dans une entreprise européenne ? En Italie avec Montedison, en Allemagne avec EnBW, en Grande-Bretagne avec London Electricity : il n'y a aucune raison d'empêcher les Français, a priori, d'utiliser la totalité des ouvertures que procurent le traité et les directives européennes. Il y a encore moins de raison de fustiger, de stigmatiser l'attitude de la France, alors qu'elle applique souvent bien mieux les directives que certains de ses partenaires.
E.n. : Concernant la CNR, EDF s'apprêterait à déposer un recours en Conseil d'État contre la décision du rapport Gentot . Il y avait mieux, pour enterrer le dossier ?
C.P. : On verra bien. Il n'y a pas de raison de s'inquiéter. La CNR doit devenir un producteur indépendant. Une société de commercialisation est créée, ce qui va lui permettre d'évoluer comme une véritable entreprise, c'est-à-dire d'être maîtresse de ses choix stratégiques et présente sur le marché européen. C'est un impératif absolu pour l'avenir de la CNR, à partir du moment où on préserve le statut des personnels de l'entreprise.
E.n. : GDF évolue au rythme des déclarations politiques contradictoires sur l'ouverture de son capital. C'est un peu déstabilisant pour une entreprise...
C.P. : La voie est tracée. Tôt ou tard, ce qui est nécessaire à GDF sera réalisé. Souhaitons que ce soit le plus tôt possible.
E.n. : Les décrets sur les énergies renouvelables sont attendus, par certains, avec impatience...
C.P. : Les décrets nécessaires - deux au total - ont tous été publiés. Les arrêtés tarifaires concernant l'énergie éolienne, la petite hydraulique et l'utilisation des déchets domestiques vont être publiés à très court terme.
E.n. : Le RTE a un an d'existence. Il est indépendant, économiquement. Mais la nouvelle proposition de directive de la Commission impose une indépendance juridique...
C.P. : Le RTE français dispose au sein d'EDF d'une pleine autonomie qui assure sa totale indépendance, d'ailleurs reconnue par la Commission. Il est vrai néanmoins que cette dernière évoque une indépendance juridique. Là également, tout est mesure de progressivité. Que les gouvernements européens fonctionnent de manière aussi satisfaisante que le nôtre me semble la priorité. Après, nous verrons bien.
E.n. : Quand pourrait intervenir cette transformation juridique ?
C.P. : À terme...
E.n. : Avec quelles conséquences pour les personnels de RTE ?
C.P. : Aucune. Le statut des personnels restera celui des entreprises industrielles et gazières.
Propos recueillis par Marie-Christine Corbier
(source http://www.gnc.fne-cgt.fr, le 25 octobre 2001)
secrétaire d'État français à l'Industrie
" Le marché doit évoluer sans casser "
Energies News" du 21 mai 2001
Energies news : Au Conseil des ministres de l'énergie qui s'est tenu à Bruxelles les 14 et 15 mai, vous n'avez pas seulement refusé le calendrier proposé par la Commission européenne - l'éligibilité pour tous en 2005 -, mais le principe même de l'ouverture totale des marchés de l'énergie aux particuliers. Imaginons que la Commission vous propose l'ouverture totale en... 2070 : cela ne vous satisferait toujours pas ?
Christian Pierret : Nous voulons une ouverture progressive et maîtrisée. Nous souhaitons que l'évolution soit compatible avec le maintien du service public en France et dans l'intérêt des entreprises EDF et GDF. Nous n'acceptons pas d'ouvrir de manière inconsidérée, sans principe, sans étape. Le marché doit évoluer sans casser.
E.n. : Vous ne souhaitez donc pas l'éligibilité pour les particuliers...
C.P. : Effectivement, sûrement pas. Nous pensons que les consommateurs individuels sont satisfaits du système électrique et gazier français. Il leur procure, à la fois, une fourniture de bonne qualité, en quantité suffisante - contrairement à ce qui se passe en Californie - et avec des services associés qu'ils apprécient. Il n'y a aucune raison objective de changer de système.
E.n. : C'est une position nouvelle, par rapport à Stockholm, où la France s'était seulement opposée au calendrier de l'éligibilité totale...
C.P. : Non. La question posée à Stockholm était de fixer des étapes. Certains de nos partenaires voulaient des étapes avec des dates précises. Nous ne voulons pas entrer dans une logique où le point d'aboutissement serait la libéralisation totale et où la seule problématique serait de fixer des dates en vue d'atteindre ce but ultime. En revanche, nous voulons rester dans une logique de maintien du service public et de ses valeurs, du caractère public de nos entreprises - ceci est décisif - et, en même temps, dans une logique d'ouverture, progressive et maîtrisée, à une concurrence qui apporte, par bien des côtés, des avantages... mais qui n'est pas l'alpha et l'omega de la politique énergétique.
E.n. : À Bruxelles, les 14 et 15 mai, la France et l'Allemagne, main dans la main, se sont opposées aux mesures de libéralisation de la Commission. Et puis, à la sortie du Conseil, vous avez déclaré : certains États sont juridiquement ouverts à 100 %, "mais concrètement à 0 % ", en visant implicitement l'Allemagne. Or, il y a un an, vous disiez que les couples qui durent sont ceux qui se parlent franchement... Alors ?
C.P. : Nous parlons franchement aux Allemands. J'ai des rapports très francs avec mon collègue Werner Müller, le ministre de l'Économie, qui comprend bien notre problématique. Et moi je comprends bien la sienne. Et je constate que les Allemands peuvent faire des progrès dans l'ouverture de leur marché intérieur aux producteurs européens. J'appelle de mes voeux ces progrès et mon homologue appelle de ses voeux certains progrès dans l'ouverture du marché français. Mais je constate, et lui avec moi, qu'une soixantaine d'entreprises françaises s'approvisionnent chez le producteur de leur choix dans un autre pays européen, alors qu'il n'y a aucune entreprise allemande éligible à la concurrence qui, aujourd'hui, s'adresse à un producteur européen extérieur à l'Allemagne. Il y a donc une certaine dissymétrie. Et celle-ci n'est pas en défaveur de la France, en termes d'ouverture. Mais je suis certain que nous avons la volonté commune, Allemands et Français, de faire progresser les choses pour que, dans tous leurs aspects, les directives européennes soient appliquées.
E.n. : Que pensez-vous des menaces de rétorsion brandies par certains de nos partenaires à l'encontre d'EDF ? Aujourd'hui, ce sont les Italiens qui se plaignent. Il y a quelques mois, c'était le cas des Espagnols...
C.P. : Tous ces pays amis, ces partenaires, n'ont aucune raison de se plaindre de l'application des directives européennes et du comportement des entreprises françaises. Les marchés sont ouverts, les règles de la concurrence sont respectées. Les Espagnols ne semblent d'ailleurs pas mécontents de voir Endesa entrer à hauteur de 30 % dans le capital de la SNET. Pourquoi, dans ces conditions, une entreprise française serait-elle interdite de participation dans une entreprise européenne ? En Italie avec Montedison, en Allemagne avec EnBW, en Grande-Bretagne avec London Electricity : il n'y a aucune raison d'empêcher les Français, a priori, d'utiliser la totalité des ouvertures que procurent le traité et les directives européennes. Il y a encore moins de raison de fustiger, de stigmatiser l'attitude de la France, alors qu'elle applique souvent bien mieux les directives que certains de ses partenaires.
E.n. : Concernant la CNR, EDF s'apprêterait à déposer un recours en Conseil d'État contre la décision du rapport Gentot . Il y avait mieux, pour enterrer le dossier ?
C.P. : On verra bien. Il n'y a pas de raison de s'inquiéter. La CNR doit devenir un producteur indépendant. Une société de commercialisation est créée, ce qui va lui permettre d'évoluer comme une véritable entreprise, c'est-à-dire d'être maîtresse de ses choix stratégiques et présente sur le marché européen. C'est un impératif absolu pour l'avenir de la CNR, à partir du moment où on préserve le statut des personnels de l'entreprise.
E.n. : GDF évolue au rythme des déclarations politiques contradictoires sur l'ouverture de son capital. C'est un peu déstabilisant pour une entreprise...
C.P. : La voie est tracée. Tôt ou tard, ce qui est nécessaire à GDF sera réalisé. Souhaitons que ce soit le plus tôt possible.
E.n. : Les décrets sur les énergies renouvelables sont attendus, par certains, avec impatience...
C.P. : Les décrets nécessaires - deux au total - ont tous été publiés. Les arrêtés tarifaires concernant l'énergie éolienne, la petite hydraulique et l'utilisation des déchets domestiques vont être publiés à très court terme.
E.n. : Le RTE a un an d'existence. Il est indépendant, économiquement. Mais la nouvelle proposition de directive de la Commission impose une indépendance juridique...
C.P. : Le RTE français dispose au sein d'EDF d'une pleine autonomie qui assure sa totale indépendance, d'ailleurs reconnue par la Commission. Il est vrai néanmoins que cette dernière évoque une indépendance juridique. Là également, tout est mesure de progressivité. Que les gouvernements européens fonctionnent de manière aussi satisfaisante que le nôtre me semble la priorité. Après, nous verrons bien.
E.n. : Quand pourrait intervenir cette transformation juridique ?
C.P. : À terme...
E.n. : Avec quelles conséquences pour les personnels de RTE ?
C.P. : Aucune. Le statut des personnels restera celui des entreprises industrielles et gazières.
Propos recueillis par Marie-Christine Corbier
(source http://www.gnc.fne-cgt.fr, le 25 octobre 2001)