Déclaration de M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, sur l'emploi des travailleurs handicapés dans la fonction publique de l'Etat, Paris le 9 octobre 2001.

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Circonstance : Présentation du protocole d'accord sur l'emploi des travailleurs handicapés dans la fonction publique de l'Etat à Paris le 9 octobre 2001

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Le texte que l'Etat vient de signer avec cinq organisations syndicales représentatives des fonctionnaires, texte également discuté avec les associations de fonctionnaires handicapés, constitue un tournant majeur de la politique d'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique de l'Etat. Il marque le passage à une politique de responsabilité et d'engagement.
La loi fixe clairement à l'Etat comme aux autres employeurs publics ou privé un objectif quantifié de 6% d'emploi de personnes handicapées.
Mais dans les faits, que constate-t-on ? On constate que l'Etat ne remplit pas cet objectif et ne donne donc pas l'exemple. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : nous n'arrivons pas à atteindre l'objectif que nous fixe la loi, puisque la fonction publique de l'Etat plafonne à environ 4% d'emplois de travailleurs handicapés (hors éducation nationale, où les procédures de recrutement de personnes handicapées sont différentes). Les deux autres fonctions publiques obtiennent cependant des résultats plus encourageants.
Pourquoi cet échec ?
Parce qu'il n'existe pas de procédure responsabilisant les administrations et les incitant à atteindre l'objectif légal. Si nous disposons, de longue date, d'une procédure spécifique, dite des " emplois réservés ", qui aurait pu être le moyen pour les administrations d'atteindre cet objectif, la réalité est que cette procédure est insuffisante et inadaptée. Les chiffres parlent d'eux-mêmes.
Certes, la comptabilisation des travailleurs handicapés employés par l'Etat n'est pas aussi rigoureuse et précise que dans les entreprises privées, qui doivent fournir une attestation annuelle d'emploi, acquitter à défaut une contribution à l'Agefiph, le tout sous la menace d'une amende. L'Etat, qui n'encourt pas les mêmes foudres, est moins précautionneux dans le décompte des travailleurs handicapés qu'il emploie, et ses résultats sont sans doute un peu sous-évalués.
Mais il n'est pas douteux, malgré les incertitudes, que l'Etat ne fait pas ce que la loi impose. C'est que cette loi n'est pour lui, à défaut de sanction, qu'une ardente obligation. J'entends en faire une obligation organisée, planifiée, sanctionnée et donc, au bout du compte, assumée et efficace.
C'est la raison par laquelle le cur du protocole repose sur des plans triennaux de développement de l'emploi et de l'insertion des travailleurs handicapés, qui devront être élaborés avant la fin de l'année. Ils comprendront l'ensemble des moyens que chaque ministère se donne pour remplir ses objectifs : arriver à un flux de recrutement de travailleurs handicapés égal à 6%, améliorer les conditions d'accessibilité des locaux, adapter les postes de travail, mieux former les personnes handicapées recrutées. Les objectifs seront déclinés au niveau local et feront l'objet d'une large concertation, après avoir été approuvés au niveau national par un groupe de suivi du protocole.
Voilà pour l'organisation et la planification.
Mais ces plans triennaux de développement seraient d'un effet encore relativement faible s'ils n'étaient pas accompagnés de mesures suffisamment incitatives pour les administrations. C'est pourquoi l'obligation quantifiée de recrutement ne sera pas un objectif abstrait : elle sera clairement sanctionnée, si elle n'est pas satisfaite, par une taxation budgétaire au profit du fonds interministériel d'insertion des travailleurs handicapés, qui finance des actions d'insertion et d'adaptation des postes de travail. Par ailleurs, l'administration qui ne recrute pas suffisamment de personnes handicapées une année donnée, ne pourra pas, sur ces emplois budgétaires, recruter l'année suivante des personnes non handicapées. Il ne sera donc plus possible aux administrations de se défausser de leurs obligations.
Cette évolution correspond à la vision que nous avons de la gestion publique : déterminer des objectifs, responsabiliser les acteurs, mettre en place les incitations nécessaires.
La gestion statutaire et budgétaire de l'emploi des personnes handicapées doit également évoluer. Nous avions mis sur pied un système complexe, que l'on connaît sous le nom des " emplois réservés ", qui consiste à flécher certains emplois et à les faire tenir par des personnes qui ont réussi à obtenir une reconnaissance, via une procédure lourde et complexe, de leur statut de personnes handicapées. Une fois reconnue, la personne handicapée devait en principe se voir proposer un emploi réservé.
Cette procédure n'a jamais pleinement donné satisfaction. Elle conduit à la constitution de listes d'attente, qui ne débouchent pas sur des recrutements. Elle est stigmatisante pour les personnes recrutées, puisque l'emploi est clairement identifié comme ne pouvant être tenu que par une personnes handicapée. Elle n'est pas accompagnée de mécanismes incitatifs, et les administrations ne se sentent donc pas vraiment mobilisées. Elle est enfin particulièrement lourde, puisqu'elle nécessite l'octroi de deux agréments par deux commissions, deux COTOREP différentes, qui font largement double emploi. Elle conduit à faire miroiter à des personnes un emploi dans la fonction publique, sans garantie de succès. Elle n'a pas permis à l'Etat de devenir un employeur exemplaire.
Nous sommes donc arrivés ensemble à la conclusion qu'il faut supprimer progressivement cette voie d'accès, pour y substituer en le généralisant le mode de recrutement contractuel, déjà prévu par la loi, qui est seul susceptible de permettre une bonne adéquation, au plus près du terrain, entre l'emploi et la personne recrutée. Une personne recrutée par la voie contractuelle bénéficiera d'une titularisation au bout d'un an, ou, dans des cas exceptionnels, au bout de deux ans. Son ancienneté se verra reconnue au moment de sa titularisation, dans les conditions habituelles. Bien sûr, les modes de recrutements habituels, par concours, restent possibles et je souhaite aussi les développer : nous prévoyons ainsi d'améliorer les conditions dans lesquelles les concours peuvent être adaptés aux handicaps reconnus des candidats.
Il ne faut évidemment pas comprendre que nous remettons les compteurs à zéro : les personnes actuellement inscrites sur les listes d'attente des emplois réservés seront prioritaires pour le recrutement contractuel, jusqu'à épuisement de ces listes.
J'ai souhaité aussi simplifier et alléger les procédures administratives, qui étaient lourdes, opaques et éprouvantes pour les intéressés. Les COTOREP dites " service public " sont supprimées, car elles font double emploi avec les COTOREP de droit commun. La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé ne nécessite pas deux procédures redondantes. Une personne reconnue comme handicapée par la COTOREP pourra accéder directement au mode de recrutement contractuel. La COTOREP " service public " n'apportait en effet aucune garantie supplémentaire. Sa suppression ne retire aucun droit ni aucune garantie aux personnes handicapées désireuses d'intégrer la fonction publique d'Etat ; au contraire elle leur permettra d'y accéder plus facilement.
Enfin, les conditions d'insertion des personnes devenues handicapées au cours de leur carrière seront améliorées. Les conditions de reclassement seront en particulier assouplies.
L'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique n'est pas qu'affaire de procédures. Notre politique repose également sur la formation et l'information des personnes, sur l'amélioration des conditions de travail, sur l'accompagnement de l'insertion.
Il ne servirait en effet à rien de fluidifier et d'assouplir les conditions d'accès à la fonction publique si nous n'étions pas capables de susciter des candidatures. Il nous faut impérativement, comme le prévoit le protocole, développer l'information sur les métiers de la fonction publique auprès des centres de formation, d'accueil et d'orientation spécialisés. Il faut que les bourses ministérielles d'emploi présentent un volet " travailleurs handicapés ". Il faut que toutes les structures de formation aux concours de la fonction publique intègrent également les informations correspondant aux modes d'accès à la fonction publique destinés aux personnes handicapées.
L'amélioration des conditions de travail participe évidemment de l'insertion. Le fonds interministériel pour les travailleurs handicapés, qui finance en particulier des opérations d'adaptation des postes de travail et d'amélioration de l'accessibilité des locaux, verra ses moyens tripler en 2002. Nous allons également nous appuyer davantage sur les compétences acquises par certaines structures spécialisées (Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, AGEFIPH) pour repenser l'organisation du travail des personnes handicapées. Les agents qui le souhaitent devront également pouvoir exercer leurs fonctions à distance : les expériences de télétravail doivent donc être développées.
Je saisis l'occasion de la présentation de ce protocole pour vous rappeler que nous portons une attention particulière à l'accessibilité des non-voyants à l'Internet public.
Dès 1999, le gouvernement s'est donné l'objectif que " tous les sites internet des services de l'État seraient accessibles aux aveugles et mal-voyants ". Cette accessibilité a été mesurée durant l'été 2001, dans le cadre de l'évaluation générale de l'internet public menée par la délégation interministérielle pour la réforme de l'Etat.
Le résultat de cette enquête montre que la prise en compte des aveugles et mal-voyants reste insuffisante : sur trente sites analysés, aucun ne respecte entièrement les règles techniques internationales qui permettent de garantir qu'aucun utilisateur n'aura de difficulté de navigation. Certains sites atteignent néanmoins un bon niveau d'accessibilité pour la navigation courante ou, au moins, pour la lecture de la page d'accueil.
Je veille particulièrement au développement de l'administration électronique, et je connais les efforts considérables de ses acteurs pour la mettre en place. Je n'ai jamais hésité à dire ma satisfaction quand nous avons franchi les étapes marquantes de la mise en place de service-public.fr ou de l'ouverture des premiers téléservices. Je n'hésite pas non plus à dire mon insatisfaction : cette situation n'est pas acceptable.
Mon message à destination des responsables de sites est clair : il faut faire mieux, et vite. Pour cela, nous ne les laisserons pas seuls.
En premier lieu, les résultats détaillés de l'évaluation 2001 seront diffusés très largement au sein de l'administration, afin de favoriser une prise de conscience rapide de l'importance de la question.
Avant la fin de l'année 2001, un cycle de formation interministériel à l'accessibilité des sites internet sera ouvert à 60 formateurs. Ces formateurs animeront ensuite un réseau interministériel de correspondants " accessibilité " dans le cadre du club de l'internet public et organiseront des séances de sensibilisation à destination des webmestres publics tout au long de l'année 2002.
Enfin, l'évaluation des sites publics sera reconduite en 2002 pour suivre les progrès réalisés et encourager les sites les mieux accessibles.
Grâce au protocole qui est aujourd'hui conclu, nous passons clairement d'une logique passive, fondée sur des procédures désuètes, à une logique active, axée sur la responsabilité des acteurs. Il appartient désormais aux administrations d'utiliser les outils définis par le protocole, de bâtir leurs plans triennaux. Elles y sont dorénavant fortement incitées.
Mais au delà de l'obligation légale, je veux voir dans ce protocole la reconnaissance par l'Etat de ce que les travailleurs handicapés peuvent lui apporter en compétences et en énergie. J'aurai l'occasion dans quelques semaines de proposer au Comité interministériel pour la réforme de l'Etat, qui se réunira sous la présidence du Premier ministre, de poursuivre et d'approfondir la diversification des recrutements dans la fonction publique : nous l'avons fait avec les concours de 3ème voie et les concours sur titre, inscrits dans la loi du 3 janvier 2001 ; nous le faisons aujourd'hui avec les travailleurs handicapés. Il nous reste d'autres pistes à explorer. L'administration française est riche de la diversité de ses métiers et de ses compétences ; je souhaite développer cette diversité, car l'administration d'un Etat démocratique doit être à l'image de la société, ouverte et pluraliste.
Je vous remercie.
Seul le discours prononcé fait foi.
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(Source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 10 octobre 2001)