Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du Groupe socialiste à l'Assemblée nationale, à "France Inter" le 1er août 2001, sur la cohabitation, la responsabilité pénale du Président de la République, la loi de programmation militaire, le budget militaire, la situation économique et les pics d'ozone.

Prononcé le 1er août 2001

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Média : France Inter

Texte intégral

A. Ardisson - Pour commencer, la même question que mon interlocuteur d'hier qui était RPR : après le dernier Conseil des ministres, se sont vraiment les vacances politiques avant une année forcément électorale. Pensez-vous que la cohabitation sera vivable jusqu'au bout ?
- "Oui, je le crois. Elle a d'ailleurs connu des turbulences parfois très vives mais elle a tenu le coup malgré tout, même si ce n'est pas le système politique idéal. Je crois que la cohabitation ira jusqu'à son terme, c'est-à-dire dans peu de temps, parce qu'en avril, ce sont les élections présidentielles, et en juin les élections législatives."
Je ne sais pas si vous êtes au courant de cette initiative du professeur B. Debré, ancien ministre et de maître Vergès : ils ont écrit au procureur de Paris, J.-P. Dintilhac, et ils lui demandent une enquête. C'est à la suite de la décision de L. Jospin de rendre publique la répartition et l'usage des fonds secrets du Gouvernement. "Les ministres déclarent-ils cet argent au fisc ? ", demandent-ils au procureur. "L'Etat payent-ils sur ces libéralités sa part patronale ? " ; "Vous-même, monsieur le procureur, avez dû toucher cet argent en espèces, au temps où vous étiez au cabinet du ministre de la Justice H. Nallet." Une réaction là-dessus ?
- "Je trouve que cela a un petit côté provocateur, voire comique. Est-ce que c'est fait pour faire oublier l'essentiel, à savoir que le président de la République est mis en cause à travers une information judiciaire et c'est à ce titre qu'on lui demande un certain nombre d'explications qu'il ne veut pas donner puisqu'il ne veut pas témoigner en s'appuyant sur la Constitution. C'est un problème suffisamment grave pour ne pas le prendre par le biais de l'ironie. J'ai fait une proposition de loi il y a peu de temps - qui a d'ailleurs été votée par la majorité plurielle ; l'opposition s'est violemment opposé à ce texte - pour réformer le statut légal et pénal du président de la République. Je crois qu'il serait sain, dans notre démocratie, qu'on puisse protéger le Président dans l'exercice de ses fonctions mais qu'en même temps, pour tout ce qui relève d'actes qui n'ont rien à voir avec ses fonctions, qu'il soit considéré comme un justiciable ordinaire. On en est très loin et je crois que cela crée un mauvais climat, cela crée beaucoup de polémiques ; il serait grand temps de faire cette réforme. J'ai noté que le président de la République, le 14 Juillet, y était violemment opposé. On pourrait se demander pourquoi."
Est-ce que vous pensez que cette affaire va continuer à attiser la critique à la rentrée ?
- "Le fait que le président de la République, en France, dispose d'un statut qui le protège de tout n'arrange pas le climat. Maintenant, ce que nous évoquons là, c'est l'affaire des juges ; laissons les travailler. Je ne vois pas bien ce qu'on pourrait dire de plus. Le président de la République, J. Chirac, a passé la moitié de son émission, le 14 Juillet, à se défendre sur ses difficultés dans lesquelles il est empêtré. Je trouve cela tout à fait navrant pour le chef de l'Etat. Quand il aura à présenter son bilan à la fin de son septennat, on aura un bilan de J. Chirac maire de Paris et président du RPR qui sera très lourd, et un bilan de J. Chirac, président de la République, qui sera très léger."
Le thème du Conseil des ministres d'hier était la loi de programmation militaire. A ce propos, la porte-parole du Président a dit que ce projet de loi ne répondait pas à toutes les attentes des armées, selon le Président, mais qu'il fournissait un cadre de référence pour la modernisation. Comment interprétez-vous cette phrase ? Est-ce que c'est une cohabitation harmonieuse - comme l'a dit votre collègue Boucheron - ou est-ce que, même là-dessus, il y a du tirage ?
- "C'est toujours un sujet difficile que d'établir un projet de loi ou une loi de programmation militaire. Cela coûte très cher et pourtant nous avons besoin d'une défense nationale efficace. Il y a eu un compromis au niveau le plus élevé de l'Etat entre le président de la République et le Premier ministre qui ont des responsabilités spécifiques en la matière. Je trouve que c'est plutôt une bonne chose pour le pays, alors que les points de vue étaient un peu éloignés. Qu'ils se soient rapprochés : tant mieux ! Certains, et je pense que c'est le cas de J. Chirac, auraient voulu beaucoup plus de dépenses militaires. Mais J. Chirac veut beaucoup plus sur tous les sujets, il n'y a jamais assez et ensuite il dit qu'il y a trop d'impôts... C'est très difficile de le suivre parfois ! En tout cas, ce qui a été approuvé hier, par le Conseil des ministres, va pouvoir permettre de mener à bien la modernisation des armées, et notamment, la professionnalisation des armées, puisque comme vous le savez, maintenant, le service militaire n'existe plus. Il faut à tout prix bien faire fonctionner cette nouvelle organisation plus moderne de nos armées. Cela demande effectivement des moyens humains mais aussi des moyens techniques. Je pense que les lois de programmation militaires sont des lois d'orientation et elles peuvent être ajustées au fur et à mesure."
Justement, à ce sujet, le ministre de la Défense a estimé que ce secteur ne devait pas souffrir d'éventuels ajustements budgétaires s'il y avait un ralentissement de la croissance. Or il y en a un ce qui fait que, du coup, la Défense pourrait peser plus de 2 % ?
- "2 % du produit intérieur brut, c'est déjà un montant élevé. Je crois qu'avec ces moyens-là, en tout cas, si nous nous y tenons, pour l'essentiel, - il y a parfois du retard sur les programmes, il faut donc être très pragmatique - nous pouvons faire un travail très efficace. Il faut souhaiter par ailleurs - puisque l'occasion m'en est donnée - que la dimension européenne de notre défense se développe davantage. Nous n'en sommes qu'au début. Je crois qu'à l'avenir, des investissements aussi importants à financer qu'un porte-avions ne peuvent pas être l'affaire d'un seul pays ; la dimension européenne de défense doit être encouragée et développée."
Je parlais d'un ralentissement de la croissance, et puis il y a aussi la hausse du chômage pour le deuxième mois consécutif, alors que jusqu'à présent on était plutôt dans la baisse. Pensez-vous que ce ralentissement économique va affecter le jugement des Français sur la politique du Gouvernement et, surtout, peut-être modifier le langage du PS pour la campagne à venir ?
- "Ce qui est important, c'est de bien analyser l'évolution des choses dans la durée. Quand on voit ce qui s'est passé depuis quatre ans, la France a retrouvé la voie de la confiance, de la croissance et c'est dans cette direction qu'il faut continuer. Qu'il y ait des "trous d'air" -comme on l'a dit il y a quelques mois - ou qu'il y ait des difficultés, il faut considérer qu'elles ne doivent être que passagères. Nous sommes dans un cycle qui est un cycle positif sur le plan économique français, européen et mondial, mais il y a parfois des difficultés. Il faut y faire face et garder son sang froid. Il serait tout à fait dangereux de passer d'un excès d'optimisme- qu'on a pu entendre parfois - à un excès de pessimisme. L'économie française n'est pas en mauvais état ; elle s'en sort plutôt mieux que ses voisines - on le voit par rapport à l'Allemagne. Cela tient aussi à des mesures importantes que nous avons prises - il faut persévérer -, je pense notamment aux premières mesures qui avaient été prises par le Gouvernement, comme les emplois-jeunes, les 35 heures qui continuent à se mettre en oeuvre, ou bien les politiques ciblées en faveur de l'emploi - les dernières mesures concernant les exclus - finissent par porter leurs fruits. Dans les derniers chiffres du chômage qui viennent de sortir, il y a un chiffre intéressant qu'il faut rappeler : c'est la continuité de la baisse du nombre de chômeurs de longue durée. C'est un indicateur très important."
Cela va être quand même difficile de faire campagne sur le thème : "la reprise c'est nous !"
- "C'est quand même vrai, si on compare bilans et bilans - de 1993 à 1997 et de 1997 à 2001 -, le bilan est largement en notre faveur. Souvenez-vous des mesures prises par le Gouvernement Juppé - notamment les prélèvements fiscaux supplémentaires - qui avaient donné un grand coup de frein à l'économie et qui avaient provoqué une augmentation massive du chômage. Je crois que cela a été un vrai tournant dans la politique économique et sociale du Gouvernement Jospin. Il y a des moments plus difficiles, il y a des moments où il faut réajuster encore les choses pour garder le cap. Ce cap, - nous l'avons toujours dit et L. Jospin n'a cessé de le répéter et parfois, on trouvait qu'il exagérait - c'est la lutte contre le chômage. Cela reste d'actualité, nous n'avons pas du tout à changer de politique sur ce plan, bien au contraire ! On sait que c'est notamment par l'augmentation de la consommation des ménages que la croissance a été soutenue dans des périodes plus délicates, et en septembre, vont arriver les premières mesures fiscales votées l'année dernière. Je pense en particulier à la prime pour l'emploi qui va concerner dix millions de personnes ; c'est énorme ! On a passé sous silence cette mesure. Il y a d'autres mesures fiscales qui concerneront tous les ménages. C'est un encouragement à la croissance, au pouvoir d'achat pour que cette petite passe difficile soit surmontée dans les meilleures conditions, avec toujours ce souci : faire reculer le chômage."
Dans l'actualité, il y a la pollution avec les pics d'ozone. Il y a toujours deux solutions : soit on joue sur la dissuasion ou la persuasion ou bien on essaye d'encourager l'achat de véhicules moins polluants, l'utilisation des transports en commun. Quelle est votre option ?
- "Je pense qu'il faut une politique ambitieuse, globale, qui provoque aussi la prise de conscience qu'on ne peut pas durer comme ça. On voit bien que lorsqu'il y a de fortes chaleurs, toute l'ozone et tous les autres produits toxiques sont poussés par les vents et concernent tout le monde. Ce n'est pas un problème qui n'est que Français. On voit très bien que c'est aussi un modèle de gestion de la société qui est en cause. Il faut encourager l'énergie propre et ainsi que les économies d'énergie. Je pense au chauffage, à tout ce qui concerne l'industrie. Il faut des contrats avec les entreprises avec, pourquoi pas, un système de bonus malus. Mais il faut aussi investir dans les nouvelles technologies : la voiture propre, le bus propre. A Nantes, dans ma ville, on ne va plus circuler qu'en bus à gaz, en plus du tramway. Il faut aussi une politique de transports en commun ambitieuse. Je vois les graves difficultés que connaissent les Parisiens, l'air pollué qu'on respire une bonne partie de l'année. Il est clair qu'il faut une alternative à la voiture parce que les gens ont besoin de se déplacer. Même si l'on a des voitures propres, cela ne suffira pas. Il faut aussi des transports en communs performants, abordables financièrement, qui soient sûrs et confortables."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 1 août 2001)