Déclaration de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur les mesures gouvernementales prises en faveur de la création et du développement des entreprises innovantes : capital-risque, bon de souscription des parts de créateurs d'entreprises et utilisation des travaux de la recherche publique pour créer des entreprises de haute technologie, Paris, le 27 mai 1999.

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Circonstance : XVe anniversaire de l'AFIC, (association française des investisseurs en capital) sur le thème :"Le capital-investissement, moteur de la croissance", à Paris, le 27 mai 1999

Texte intégral

Je voudrais tout d'abord remercier l'AFIC de son invitation, à laquelle j'ai été sensible, car vous savez combien, je considère, comme vous, que le développement du capital-risque français a un impact significatif sur la croissance de notre économie et la compétitivité de nos entreprises.
I - Les entrepreneurs sont au cur du processus de croissance
Les entreprises innovantes occupent une place à part dans le processus de croissance des économies modernes. Toutes les analyses font apparaître que les entreprises innovantes tirent la croissance. On estime communément que les entreprises de haute technologie représentent entre le tiers et la moitié de la croissance américaine des deux dernières années, et que plus d'un million d'emplois nouveaux seront créés aux États-Unis dans ces secteurs au cours des huit prochaines années. En France, c'est dans ces entreprises que se sont créés le plus grand nombre d'emplois qualifiés depuis deux ans. Dans le secteur des télécommunications, le nombre d'emplois nouveaux augmente de plus de 5% par an, aussi bien chez les équipementiers que chez les opérateurs ; dans les SSII, le rythme annuel d'augmentation des emplois dépasse 10 %.
Promouvoir l'innovation, c'est faire émerger de nouveaux entrepreneurs, de nouvelles technologies, et de nouveaux capitaux.
Du côté des entrepreneurs, la France s'emploie à réformer son système éducatif afin qu'il incite davantage les talents à s'orienter vers la création d'entreprise. Notre système éducatif forme encore trop souvent des salariés plutôt que des entrepreneurs, des analystes des taux plutôt que investisseurs du risque action. Il s'agit évidemment d'un travail de longue haleine, mais il est d'ores et déjà remarquable que des jeunes diplômés de grandes écoles choisissent de plus en plus la voie de la création d'entreprise ou de rejoindre des start-up. Des projets de fin d'étude axés sur ce thème se multiplient. Je souhaite que votre profession contribue à cet effort et donne aux étudiants l'envie de créer leur entreprise. J'invite ainsi les membres de votre association à entrer en contact avec les grandes écoles dont j'ai la tutelle, afin de participer à des conférences ou des cours sur la création d'entreprise, et pourquoi pas, d'offrir des stages dans vos sociétés de capital-risque. Je suis convaincu que nous avons désormais des capitaux pour financer l'innovation, j'y reviendrai, nous avons aussi des gisements de technologies pour faire émerger des nouveaux projets d'entreprises. En revanche, nous avons encore trop peu d'opérateurs de l'investissement dans les start-up qui mettent en relation projets, technologies, entrepreneurs, gestionnaires et investisseurs. Ces hommes et ces femmes qui font votre métier sont les véritables aiguilleurs de l'innovation. Vous pouvez contribuer à faire naître des vocations nouvelles pour accroître le nombre des professionnels de l'intermédiation du risque dans notre pays.
En créant, dés décembre 1997, un dispositif en faveur des les jeunes entreprises, les Bons de Souscription de Parts de Créateurs d'Entreprises, j'ai souhaité encourager fiscalement la prise de risque, car ces bons permettent à de jeunes entreprises d'offrir à leurs collaborateurs des options de souscription soumises à un traitement fiscal et social très favorable. Ce dispositif, qui était réservé à l'origine aux entreprises de moins de 7 ans est désormais ouvert aux entreprises de moins de 15 ans. Dans la loi sur l'innovation que Claude Allègre a présenté au Parlement, nous allons encore assouplir les conditions d'utilisation de cet instrument pour que toutes les jeunes entreprises de croissance, notamment celles qui sont cotées sur le Nouveau Marché, puissent partager avec leurs salariés non seulement les risques d'échec mais aussi les fruits du succès.
Ces BSPCE répondent à une très grande partie des besoins spécifiques de ces entreprises. Il reste les autres entreprises. Je sais que les " stock options " étaient aujourd'hui un de vos thèmes de réflexion. C'est un débat passionnel, parfois trop. Le système actuel n'est à l'évidence pas satisfaisant. Il est opaque, inégalitaire, complexe et peu compétitif. C'est pourquoi, vous devez savoir que toute réflexion sur ce sujet doit nécessairement fortement innover et viser, au delà des aspects fiscaux et sociaux, un triple objectif de transparence, de moralisation et de très large diffusion auprès de l'ensemble des salariés.
Enfin, pour faciliter l'émergence de nouveaux entrepreneurs, avec Élisabeth Guigou et Claude Allègre, nous étudions la possibilité d'étendre à toutes les jeunes entreprises le régime juridique très souple de la société par actions simplifiée, qui est aujourd'hui réservé en pratique aux filiales des grands groupes. Car les petites entreprises à fort potentiel de croissance ont elles aussi un impérieux besoin de disposer de la plus grande souplesse juridique tant dans les conditions de création de la société que dans les conditions de direction et de fonctionnement. La forme juridique de la SAS répondrait très largement aux besoins de ces jeunes entreprises car elle permettrait une très grande liberté contractuelle qui est parfaitement adaptée à la croissance rapide de ces entreprises, l'émission d'actions de priorité en droits de vote, permettant aux entrepreneurs de conserver le contrôle de la société sans empêcher l'injection massive de capitaux par de nouveaux investisseurs et un allégement du formalisme utile dans des sociétés disposant de peu de moyens administratifs et appelées à prendre des décisions extrêmement rapides.
Afin de faire émerger de nouvelles technologies, nous devons assurer un meilleur couplage entre le monde de la recherche et le monde de l'entreprise : il faut qu'ils coopèrent mieux ensemble, il faut donner les moyens aux chercheurs d'organismes publics de participer à des projets de création d'entreprise. C'est l'objet du projet de loi sur l'innovation et la recherche actuellement en discussion au Parlement.
II - Pour innover il faut aussi de nouveaux capitaux
Reste le dernier maillon de la chaîne, mais non le moindre : les capitaux. Les besoins de financement des PME sont immenses, et ne peuvent par nature pas être assurés par le seul secteur bancaire : s'agissant du haut de bilan, seul le capital-risque est à même de le faire dans de bonnes conditions. C'est la raison pour laquelle j'ai été amené, dès mon arrivée, à faire établir un bilan de la situation du capital-risque en France. J'en ai retenu pour l'essentiel trois enseignements :
1/ le volume d'investissement, bien qu'en progression, était encore trop faible,
2/ le nombre de sociétés de capital-risque était relativement peu élevé, ce qui avait pour conséquence une faible liberté de choix pour les entrepreneurs,
3/ la France souffrait d'un déficit aiguë de capital d'amorçage.
J'ai dès lors souhaité :
1) créer les conditions d'un développement dynamique du secteur du capital-investissement et donc des fonds propres proposés aux PME, en offrant aux investisseurs les véhicules les plus appropriés, ainsi qu'une fiscalité avantageuse.
C'est la raison pour laquelle j'ai créé les contrats d'assurance-vie investis en actions, dont le but est d'inciter les français à investir en actions cotées et non cotées, mais aussi d'inciter les compagnies d'assurance à développer une culture actions et à s'intéresser au non-coté. La collecte a été satisfaisante pour un produit de cette nature : elle a avoisiné les 30 milliards de francs en 1998, et dépassé 7 milliards sur le premier trimestre 1999. Comme vous le savez, les transferts à partir d'autres types de contrats restent possibles en franchise d'impôt jusqu'au 30 juin.
Ce produit a donné lieu à de multiples commentaires, parfois contradictoires : accusé de créer une bulle spéculative sur le Nouveau Marché il y a un an, certains lui reprochent aujourd'hui de ne pas drainer assez de capitaux. Je crois pour ma part que son impact doit s'apprécier dans le temps ; j'observe cependant un net regain d'intérêt des assureurs pour le capital-risque, ce qui est évidemment très positif.
Le Fonds Commun de Placement à Risques (FCPR), véhicule actuellement le plus utilisé par la profession, a été réformé et rénové. Certains FCPR sont aujourd'hui autorisés à recourir à la publicité et au démarchage, avec des conditions d'agrément aménagées afin de pleinement garantir les conditions de transparence et d'information des épargnants. Il existe donc dorénavant deux types de FCPR, les FCPR
" ouverts ", qui font l'objet de publicité et de démarchage, et les FCPR " fermés ", qui lèvent leurs fonds auprès d'institutionnels ou de personnes physiques averties. En outre, depuis décembre 1998, les FCPR ont la possibilité de détenir des parts d'autres FCPR. Ceci permet de créer des " fonds de fonds ", qui réduisent le risque pour l'investisseur en créant une plus grande mutualisation, et améliorent la liquidité du capital-investissement, car ces fonds de fonds sont susceptibles de racheter des parts de FCPR existants, offrant une porte de sortie aux porteurs de parts initiaux.
Enfin, une disposition introduite dans la loi sur l'épargne et la sécurité financière devrait permettre de créer des FCPR à procédure allégée, répondant ainsi à votre souhait de simplifier la gestion de fonds s'adressant à des investisseurs avertis. Je suis attaché à ce que ce véhicule, dont je sais qu'il est considéré comme un des meilleurs, reste compétitif : mes services sont donc à votre disposition si vous estimez qu'un groupe de travail est nécessaire pour apporter des améliorations. Il en est de même pour le statut de société de capital-risque (SCR).
2) Au-delà du développement du capital-investissement dans son ensemble, j'ai souhaité encourager les investisseurs à se positionner davantage sur le créneau spécifique du capital-risque. Les mécanismes de garantie gérés par SOFARIS ont été renforcés, grâce à l'intervention de la Banque Européenne d'Investissement. J'ai en outre constitué le Fonds public pour le capital-risque, doté de 600 MF à partir des recettes de l'ouverture de capital de France Télécom. La Banque Européenne d'Investissement a par la suite décidé d'abonder ce mécanisme de 300 MF supplémentaires.
Ce fonds pour les fonds vise à augmenter la part du capital-investissement qui se porte sur les entreprises innovantes de moins de 7 ans. Cela se fait bien sûr par effet volume, mais surtout par effet d'entraînement, la présence du fonds public parmi les premiers souscripteurs facilitant la levée de fonds. Ce fonds vise également à avoir un effet structurant sur la profession, en permettant l'augmentation à terme du nombre d'équipes de qualité. Il s'agit d'une mesure d'incitation permettant de donner le coup de pouce transitoire nécessaire pour que le capital-risque français puisse changer rapidement de dimension, tout en maintenant et en améliorant la qualité des équipes.
Alors que le Fonds a commencé son activité en juillet 1998, ce sont d'ores et déjà environ 400 MF qui ont été investis dans 10 fonds de capital-risque, qui devraient lever au total plus de 3 milliards de francs. Au 31 mars, 37 entreprises de haute technologie avaient été financées par ces différents fonds.
Enfin, j'ai souhaité, avec Claude Allègre, faciliter la création d'entreprises utilisant des travaux de la recherche publique. Nous avons ainsi débloqué une 200 MF, pour aider les universités et organismes de recherche à participer de façon minoritaire au tour de table de fonds d'amorçage. Un appel à propositions a été lancé le 24 mars 1999 auprès des principaux pôles universitaires français, incluant la mise en place de sociétés de transfert, d'incubateurs, et de fonds d'amorçage. Les fonds seront clairement ciblés sur l'amorçage : il ne s'agit pas de faire ce que certains d'entre vous font déjà très bien, mais de financer des projets à un moment où ils nécessitent encore une maturation, et où les besoins financiers sont encore relativement faibles. Ils devront être gérés par des professionnels du capital-risque et organisés sous forme de FCPR. Le tour de table devra être diversifié.
En conclusion, je voudrais me féliciter avec vous de la mutation très profonde du capital-risque français qui s'est traduite par une accélération forte et soudaine du nombre d'équipes de gestion de fonds et des montants investis. Ceci est aussi vrai du capital-investissement dans son ensemble. A cet égard, l'accent qui est généralement mis sur le capital-risque technologique ne doit pas faire oublier le rôle fondamental que la profession joue pour le développement d'entreprises plus traditionnelles, ou pour leur transmission.
20 milliards d'euros ont été levés en Europe en 1997 et 1998, contre une moyenne de 5 milliard les années précédentes. S'agissant de la France, les statistiques que vous avez présentées aujourd'hui montrent que l'activité a atteint un niveau sans précédent, puisque les montants levés ont été multipliés par 4 en un an, les montants investis dépassent pour la première fois les 10 milliards de francs, et, sur le compartiment du capital-risque, les montants investis en 1998 étaient en croissance de 55 % par rapport à 1997 et 7 fois supérieurs à ceux investis 4 ans plus tôt. Je me permettrai d'ailleurs d'utiliser ces statistiques dans le cadre du tableau de bord de l'innovation, qui dressera un état des lieux semestriel de l'innovation en France, et que j'ai présenté pour la première fois le mois dernier.
Plusieurs facteurs permettent à mon sens d'expliquer ce décollage :
la baisse des taux d'intérêt rend comparativement beaucoup plus attractifs les investissements en capital-risque. Alors qu'il y a quelques années, la rentabilité du capital-risque se situait à un niveau comparable voire inférieur à celui d'une obligation d'État, pour un risque très supérieur, elle apparaît aujourd'hui beaucoup plus attractive ;
l'avènement des nouveaux marchés boursiers européens a offert une nouvelle source de débouchés pour le capital-risque. Je tiens d'ailleurs à vous dire que je suis conscient du rôle crucial joué par ces marchés, dont je surveille avec attention le développement ;
ce Gouvernement a pris plusieurs initiatives déterminantes pour le développement de cette activité, comme je viens de le rappeler ;
les équipes se sont multipliées et professionnalisées ; la profession s'est structurée.
Ce quinzième anniversaire de l'Association Française des Investisseurs en Capital (l'AFIC), auquel le Président Butler a bien voulu m'inviter en votre nom, me donne l'occasion de saluer le chemin parcouru par votre profession en si peu de temps.
Les importantes mesures prises par le Gouvernement depuis deux ans, ma présence parmi vous aujourd'hui, témoignent de la reconnaissance rapide dont bénéficie le capital-risque en tant qu'instrument essentiel de financement de l'économie. Cette reconnaissance, elle découle avant tout du professionnalisme et du dynamisme des capitaux-risqueurs français.
Je souhaite à l'AFIC, je vous souhaite, de poursuivre avec succès un parcours commencé avec autant de brio.
Je vous remercie.
(Source http://www.finances.gouv.fr, le 01 juin 1999)