Texte intégral
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi, que votre commission a déjà bien enrichi, est un texte de protection de la société, car au cœur du contrat social se trouve le devoir de protection du citoyen incombant à l'État. C'est ainsi que fut conçu le contrat social : pour sortir de l'état de nature et assurer sa sécurité, l'homme entre dans l'état social en concluant un pacte avec les autres.
C'est dans ce cadre que Cesare Beccaria, auteur du traité Des délits et des peines, a forgé sa doctrine des peines strictement nécessaires. Le fait que l'état social soit institué au service de l'intérêt général - le peuple est souverain et sa souveraineté est indivise - est désormais un principe constitutionnel qui se trouve à la base de toute pénalité dans un État de droit. L'État, la puissance publique, doit donc veiller à protéger chaque citoyen dans son intégrité physique et psychique, ainsi que dans ses biens. L'État doit aussi garantir chacun contre toute forme d'arbitraire. Il renforce sa légitimité de ce que, outre la sécurité, il apporte à chacun le droit à la sûreté en préservant les libertés publiques et les droits fondamentaux de l'ensemble des citoyens. C'est ainsi que l'entendaient les rédacteurs de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, mais aussi le constituant de 1946 et celui de 1958, qui font référence à ce principe, et le Conseil constitutionnel qui, par une décision de 1971, l'a inclus dans le bloc de constitutionnalité.
Pour satisfaire l'attente légitime des Français en tenant compte de la dimension douloureuse des situations pénales, ce gouvernement a choisi, dès son arrivée aux responsabilités, de faire la promotion de réponses pénales efficaces, permettant de lutter de façon effective contre la récidive et d'éviter de nouvelles victimes. Nous avons choisi de fonder nos politiques publiques sur la connaissance la plus exacte possible des réalités et, pour cela, avons fait établir un bilan objectif des politiques et des mesures mises en œuvre par le passé. Ainsi, en dehors de toute idéologie sécuritariste ou nihiliste, nous avons choisi de retenir les réponses pénales qui donnent des résultats, et nous l'avons fait dans un esprit de rigueur, en acceptant le débat contradictoire mais en nourrissant notre réflexion de l'observation et de l'analyse du réel.
Je veux rappeler quelques éléments de l'état des lieux sur lequel nous reviendrons forcément durant la discussion.
D'abord une inflation législative, connue de tous et s'accompagnant d'injonctions contradictoires : incarcérer de plus en plus et, dans le même temps, aménager de plus en plus. La population carcérale a augmenté de 35 % en dix ans, sans correspondance ni avec le taux d'évolution démographique, ni avec l'évolution des taux de délinquance. Le taux de condamnation en récidive légale est passé de 4,9 % en 2001 à 12,1 % en 2011. La politique du chiffre exerçait une pression sur la police et la gendarmerie. Le taux de sortie sèche s'élève à 80 % en moyenne et à 98 % pour les courtes peines, alors que, nous le savons, les sorties sèches sont le terreau de la récidive. Par ailleurs, les politiques mises en œuvre n'étaient pas évaluées, ce à quoi nous avons remédié en commandant une étude portant sur 500 000 condamnés durant une dizaine d'années, consistant à mesurer le taux de récidive - 11 % - et le taux de réitération - 31 %. Enfin, des victimes ont été instrumentalisées, alors que les moyens mis à leur disposition n'ont cessé de décroître.
Nous avons choisi de mettre en place une conférence de consensus, acceptant par là même le risque d'avoir à constater un éventuel dissensus. Le comité d'organisation, que nous avons voulu diversifié, pluridisciplinaire, représentatif, a été composé d'universitaires français et étrangers, de magistrats, de personnels pénitentiaires, de représentants des forces de sécurité - commissaires divisionnaires, colonels de gendarmerie -, de représentants d'associations d'insertion et d'aide aux victimes, d'élus de la majorité et de l'opposition.
Les travaux du comité d'organisation, qui ont duré près de six mois, ont consisté à préparer ceux du jury de consensus en élaborant un état des savoirs sur le plan national et international, en recensant les expériences françaises et étrangères, en procédant à l'audition de 71 organisations syndicales et professionnelles, et en recueillant et en publiant plus de 120 contributions écrites. Le jury de consensus, qui a rassemblé 2 300 personnes, a fait valoir qu'il fallait sortir des schémas de pensée réducteurs. Sur les douze préconisations adoptées à l'unanimité par le jury, nous avons nous-mêmes ouvert trois cycles de consultations et avons pu bénéficier d'un matériau de très grande qualité, élaboré ou accumulé durant des années en France et à l'étranger.
L'État doit protection aux citoyens d'une façon générale et aux victimes en particulier. Les phénomènes de déviance étant inhérents à toute organisation sociale, on tromperait les gens de façon cynique en leur donnant à croire qu'il est possible de leur garantir une sécurité totale. Nous faisons et continuerons de faire tout ce qui est possible pour accompagner les victimes et pour éviter de nouvelles victimes - d'où ce projet de loi -, mais n'allons pas pour autant faire croire que puisse exister une société sans aucun acte de délinquance. C'est pourquoi nous œuvrons avec détermination et respect, mais sans tapage ni instrumentalisation, à rétablir le lien social brisé par l'acte de délinquance. Nous le faisons en montrant aux victimes la solidarité du corps social tout entier, à travers l'action de l'État.
Cela passe aussi par la reconnaissance de la place de la victime dans le procès. Historiquement, le système pénal français s'est construit sans la victime et même contre la victime, puisque la transgression de la loi était plus importante que l'agression de l'individu. Tandis que, dans de nombreux pays anglo-saxons, la victime est aujourd'hui encore exclue du procès pénal, en France, elle a trouvé sa place dans le procès pénal à la faveur de quelques mesures substantielles. Avant même la loi du 8 juillet 1983 relative à la protection des victimes d'infractions, à laquelle il a donné son nom, Robert Badinter avait créé en 1982 le premier bureau d'accueil et d'aide aux victimes au ministère de la justice, et avait encouragé la constitution de réseaux d'associations d'aide aux victimes. Le 15 juin 2000, la loi Guigou est venue modifier l'article préliminaire du code de procédure pénale, de façon à ce que l'autorité judiciaire veille à l'information et à la garantie des droits des victimes tout au long du procès pénal.
Aujourd'hui, il nous faut aller plus loin et, au-delà de la réparation pécuniaire, travailler à la restauration sociale et psychique de la victime. Lorsque celle-ci est particulièrement vulnérable, la souffrance qui lui est infligée par un acte de délinquance peut se révéler cataclysmique et, au-delà des conséquences directes de l'acte infractionnel, altérer durablement la relation de la victime aux autres. Nous nous donnons les moyens budgétaires, institutionnels et opérationnels de cette ambition - mais j'y reviendrai.
Outre la protection des citoyens et des victimes, l'État a le devoir de veiller à la réinsertion durable des condamnés. C'est l'un des objets du projet pénal républicain. Par la sanction la mieux adaptée, par l'exécution des peines, nous devons veiller à ce que la réinsertion du condamné soit durable. En effet, la peine est prononcée pour une durée et finit par atteindre son terme : nous ne pouvons pas faire comme si cette peine était exclusivement éliminatoire ou expiatoire. Parmi les décisions pénales prononcées, 3 % seulement portent sur des crimes et 5 % sur des contraventions ; ni les unes ni les autres ne sont visées par le texte.
Le reste des décisions - plus de 90 % d'entre elles - provient des tribunaux correctionnels. La moitié de ces décisions correctionnelles concerne des délits routiers. Certaines de ces infractions sont graves, et elles sont et continueront d'être sanctionnées lourdement par les tribunaux. En revanche, pour ce qui est de la petite et moyenne délinquance - quand je dis « petite et moyenne », je fais référence à la gradation des faits et aux sanctions prévues par le code pénal, mais l'emploi de ces adjectifs n'est pas incompatible avec le fait que les conséquences de cette délinquance puissent être préjudiciables aux victimes, et parfois même avoir des effets redoutables -, nous mettons à la disposition des magistrats, en sus des outils dont ils disposent déjà, une réponse pénale calibrée afin de leur permettre de décider de prononcer éventuellement une contrainte pénale.
Penchons-nous un instant sur ce que nous enseigne le droit sur l'histoire des peines, de leur évolution et de leur exécution. Le code pénal de 1791 supprime les supplices, à l'exception de l'amputation du poing droit pour parricide, qui ne sera supprimée qu'en 1832, année où la peine des fers pour les condamnés aux travaux forcés sera abolie, et où les juridictions seront invitées par la loi à déroger aux peines minimales figurant dans le code - et qui s'y trouveront jusqu'à l'adoption du nouveau code pénal en 1994 - sur la base de la personnalité de l'accusé et des circonstances de l'infraction. En 1848, c'est la suppression de la peine de mort pour motif politique. En 1885 est créée la libération conditionnelle, et en 1891 le sursis simple.
En 1958 est instauré le sursis avec mise à l'épreuve. En 1981, c'est l'abolition de la peine de mort. L'année 1982 voit l'ouverture du premier bureau d'accueil et d'aide aux victimes au ministère de la justice, que j'ai déjà évoquée, et l'année 1983 la création du travail d'intérêt général - le TIG. En 1991 intervient une réforme importante de l'aide juridictionnelle visant à améliorer la défense des plus démunis. Enfin, c'est en 2000 que sont adoptées la loi de renforcement de la présomption d'innocence et la loi de renforcement de la protection des victimes.
Ainsi se constitue l'ordre pénal républicain. Bien sûr, je n'ignore rien des parenthèses venues s'intercaler dans cet ordre pénal républicain, dont elles ont rompu la cohérence. Je pense notamment à la loi dite « Sécurité et liberté » de février 1981, ou à la centaine de lois pénales ou de procédure pénale adoptées de 2002 à 2012. Mais la meilleure preuve qu'au regard du temps lent du droit, ces textes n'ont été que de regrettables parenthèses, c'est la loi pénitentiaire adoptée par l'ancienne majorité en 2009.
M. Alain Vidalies. Très bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Sans doute n'est-il pas inutile de rappeler quelques extraits de l'exposé des motifs de cette loi pénitentiaire, notamment celui-ci : « La nécessité de limiter autant que possible l'incarcération d'une personne en lui substituant, lorsque cela est possible au regard de la situation de l'intéressé, des mesures de contrôle en milieu ouvert s'applique à tous les détenus, qu'il s'agisse de prévenus ou de condamnés. »
Je poursuis mon énumération. Conformément à la loi pénitentiaire de 2009, l'incarcération, doit, dans tous les cas, constituer l'ultime recours ; si elle ne peut être évitée, il convient de tout faire pour en limiter la durée en ayant recours dès que possible aux alternatives à la peine et aux aménagements de peine.
Nous pourrions lancer un appel au courage et citer, à cet effet, le mot de Pierre Mendès France, qui affirmait, à propos des combats menés par Jean Jaurès en faveur de la justice : l'optimisme de Jaurès est celui du courage, qui consiste, à ses yeux, à « ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe ».
Quant au contenu du texte qui vous est présenté, il comporte quatre axes clairs pour redonner sens à la peine et mieux protéger les victimes. Deux articles en constituent l'épine dorsale.
L'article 1er, qui est nouveau dans le code pénal, énonce les fonctions et les finalités de la peine : sanctionner l'auteur des faits, protéger la société, eu égard à ce que Durkheim nommait les « états forts de la conscience collective », et réparer les préjudices infligés aux victimes.
C'est l'acte qui est visé, mais la sanction doit aussi favoriser l'amendement, l'insertion et la réinsertion durable du condamné. Le principe d'individualisation ne nie pas la responsabilité de l'auteur des faits : au contraire, et tel que l'a conceptualisé Raymond Saleilles, c'est justement parce qu'il est responsable que ce dernier participe à l'efficacité de la peine, qui doit à la fois sanctionner l'infraction et préparer l'avenir.
Le deuxième article formant l'épine dorsale de ce texte est l'article 11, qui énonce les principes devant présider à l'exécution de la peine et rassemble des dispositions, jusque-là éparses dans le code de procédure pénale, qui concernent les droits des victimes. Nous renforçons ces droits, notamment en assurant aux victimes tranquillité et sûreté, y compris pendant la période d'exécution de la peine.
Ce projet de loi supprime les automatismes, qui entravent le pouvoir d'appréciation des magistrats et qui, d'ailleurs, lorsqu'ils ont été adoptés, ont été présentés comme un acte de défiance à l'égard du prétendu laxisme des magistrats. Nous redonnons à ces derniers la totalité de leur pouvoir d'appréciation et ajoutons à l'arsenal des réponses pénales de nouvelles dispositions à leur service.
L'application de ces automatismes concerne surtout les « petits délits » - j'emploie ce terme avec des guillemets : il s'agit, dans 47 % des cas, de vols et d'atteintes aux biens. Or, des études rigoureuses ont montré qu'en France, en Europe et au Canada, la récidive est plus forte à la sortie de prison qu'en cas d'aménagement de peine ou à la sortie sèche de prison qu'en libération conditionnelle.
Je rappelle par ailleurs que le code pénal prévoit, depuis 1791, le doublement des peines encourues en cas de récidive : ce principe est préservé.
Enfin, nous introduisons une possibilité de césure du procès pénal, qui permettra aux magistrats, s'ils le jugent nécessaire, de déclarer la culpabilité, de décider de l'indemnisation de la ou des victimes et de renvoyer à une autre audience la décision de sanction, à une échéance de deux ou de quatre mois, après analyse de la situation de l'accusé.
Ce projet de loi institue également la contrainte pénale. L'opposition a passé tant de temps à émettre des contre-vérités à son sujet...
M. Dominique Tian. Jusque-là, tout allait bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. ...qu'il me paraît important, en deux phrases, de dire ce qu'elle n'est pas.
La contrainte pénale ne supprime pas la prison, y compris, d'ailleurs, pour les courtes peines : si les magistrats l'estiment justifié, ils pourront toujours prononcer de courtes peines. Nous leur offrons toutefois, là encore, un pouvoir total d'appréciation.
Par ailleurs, la contrainte pénale ne fusionne pas toutes les peines en milieu ouvert, pas plus que les alternatives ou les aménagements. Il y aurait certes eu une logique à revoir l'architecture des peines, à l'aide d'un triptyque amende, contrainte pénale et prison. Mais cela aurait supposé un travail sur l'échelle des peines : or, dans ce texte, nous n'y touchons pas.
Mme Catherine Coutelle. Très bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Qu'est-ce que la contrainte pénale ? C'est une peine autonome, présentant tous les attributs de la peine, avec sa dimension rétributive. C'est, je le répète, une sanction : les obligations et les interdictions feront l'objet de suivi et de contrôles. Elle est prononcée publiquement. Elle conserve sa nature afflictive ; la stigmatisation sociale de l'acte commis demeure. Elle est immédiatement exécutoire. Elle a une durée fixée entre six mois à cinq ans ; or, les magistrats eux-mêmes considèrent que, pour un suivi individuel, cinq ans, c'est long. Elle est exécutée en milieu ouvert, parce que la réponse carcérale n'est pas la seule possible : en témoignent les alternatives à la peine et les aménagements de peine qui existent déjà dans le code de procédure pénale.
Cependant, la contrainte pénale, pour sa part, sera assortie d'un programme de responsabilisation individualisé, adapté et ajusté pour accompagner les efforts de « désistance », c'est-à-dire de sortie de la délinquance. En vertu d'une disposition de la loi, ce programme sera obligatoirement évalué.
Un tel suivi assurera l'effectivité de la peine. Certes, en vertu de la loi pénitentiaire de 2009, les courtes peines - jusqu'à deux ans - d'incarcération font l'objet d'un temps d'examen préalable à un éventuel aménagement, mais les juges d'application des peines ne prononcent un aménagement de la peine que dans 20 % des cas : cette situation n'est satisfaisante pour personne, ni pour la société, ni pour le condamné, ni pour la victime, ni pour la justice. Il est machiavélique de faire croire aux gens, aux victimes et au voisinage qu'on les débarrasse d'un délinquant sans se soucier le moins du monde de ce qui advient après que ce dernier a exécuté sa peine.
Le texte élargit les prérogatives des forces de sécurité - police et gendarmerie - en matière de retenue et de perquisition sous l'autorité du juge, de façon à assurer un réel contrôle du respect des obligations et des interdictions.
Si la contrainte pénale se révèle un échec, l'emprisonnement demeure possible.
La contrainte pénale étant plus contraignante que le sursis avec mise à l'épreuve, je proposerai, au nom du Gouvernement, un amendement qui incitera à privilégier le sursis avec mise à l'épreuve dans les situations caractérisées par des obligations objectives, repérables, mesurables, régulières et simples à vérifier, telles que, par exemple, l'indemnisation d'une victime ou le paiement d'une pension alimentaire. Cela ajoutera à la lisibilité de ces deux mesures et répondra aux interrogations qui se sont posées à ce sujet.
S'agissant de la libération sous contrainte, comme je le disais, les statistiques rigoureuses qui ont été établies en France, en Europe et au Canada montrent que le risque de récidive est deux fois plus élevé en cas de sortie sèche qu'à la suite d'une libération conditionnelle. Un certain nombre de pays européens en ont tiré des enseignements, en décidant d'instituer une libération conditionnelle automatique. Le Gouvernement a quant à lui choisi de maintenir le principe d'individualisation, y compris au regard de l'exécution de la peine. C'est pourquoi nous n'avons pas retenu la libération conditionnelle automatique, mais un examen obligatoire, après l'exécution des deux tiers de la peine. Cet examen vise à préparer la sortie qui, de toute façon, aura lieu - j'y insiste -, afin qu'elle soit accompagnée et progressive.
Bien entendu, la commission d'application des peines pourra décider d'une libération sous contrainte - sous forme de placement extérieur, de semi-liberté, de port d'un bracelet électronique ou de libération conditionnelle - ou du maintien en détention.
S'agissant des victimes, comme je vous l'ai dit, nous avons réécrit l'article 707 du code de procédure pénale pour consacrer et renforcer leurs droits.
Votre commission a ajouté deux dispositions ayant trait aux victimes, sur lesquelles nous avons longuement travaillé depuis le premier semestre 2013 et la mission confiée à Nathalie Nieson. La première disposition offre la possibilité à un condamné d'accomplir des versements volontaires au fonds de garantie des victimes s'il n'y a pas de demande des victimes. La seconde disposition institue une contribution qui sera prélevée sur les amendes et les décisions pécuniaires prononcées par les juridictions.
L'efficacité de ces dispositions est évidemment subordonnée à un certain nombre de conditions. C'est pourquoi nous les avons pensées dans le cadre de ce que nous appelons un « écosystème » : nous avons également travaillé sur les politiques publiques, l'articulation et la coordination de l'action de l'État avec les initiatives des collectivités, l'accompagnement des associations et la création des instruments nécessaires.
Les premiers moyens que nous accordons sont en faveur des victimes. Là aussi, tant de procès indécents nous sont faits qu'il me paraît utile de rappeler un certain nombre de choses.
Tout d'abord, au cours de la seule année 2013, nous avons créé et consolidé cent bureaux d'aide aux victimes, alors que, sous l'ancien quinquennat, le précédent gouvernement avait mis trois années à en créer cinquante. Nous avons décidé d'ouvrir un bureau d'aide aux victimes dans chacun de nos 161 tribunaux de grande instance. Les associations spécialisées ont reçu plus de 300 000 victimes.
Nous avons augmenté le budget de l'aide aux victimes, qui n'avait cessé de décroître au cours des trois dernières années du précédent quinquennat : il était passé de onze à dix millions d'euros en trois ans de baisse successive. Dès notre première année budgétaire, nous l'avons augmenté de 25,8 %, le faisant passer à 12,8 millions d'euros puis, l'année suivante, dans le budget pour 2014, nous avons procédé à une nouvelle augmentation de 7 %, le portant à 13,7 millions d'euros.
Nous avons rétabli les relations avec le Conseil national de l'aide aux victimes, qui n'avait pas été réuni depuis 2010 : nous le réunissons deux fois par an et le consultons régulièrement.
Nous avons organisé la première journée d'aide aux victimes, à la chancellerie, le 4 novembre dernier ; nous tiendrons à nouveau cette journée, cette année, en novembre.
Nous généralisons sur l'ensemble du territoire, dès cette année, le téléphone de très grand danger en faveur des femmes victimes de violences.
Nous avons décidé d'expérimenter, par anticipation, des dispositions contenues dans une directive européenne relative aux victimes, que nous devons transposer au plus tard fin 2015, et qui contient des dispositions en matière de droits, de protection et de soutien des victimes. Nous avons ainsi lancé, dès janvier 2014, une expérimentation dans huit tribunaux de grande instance, pour un suivi individualisé des victimes. Enfin, cette directive contient des dispositions relatives à la justice restaurative - j'y reviendrai.
Nous accomplissons un effort considérable s'agissant des conseillers d'orientation et de probation. Nous allons renforcer ce dispositif à hauteur de 1 000 emplois en trois ans - les 400 emplois de 2014 ayant déjà été créés -, ce qui représente une augmentation de 25 %, absolument sans précédent pour un corps de la fonction publique.
Nous ne travaillons pas seulement sur les effectifs mais également, depuis octobre 2013, sur les profils de recrutement, les méthodes d'encadrement, la formation initiale et continue et sur les outils d'analyse et d'évaluation.
Depuis 2013, nous avons commencé à renforcer les effectifs de magistrats d'application et d'exécution des peines, ainsi que ceux des greffiers.
Depuis dix-huit mois, nous avons engagé une politique interministérielle, qui nous permet d'articuler et de coordonner l'action des différents services de l'État en matière de santé, de lutte contre l'illettrisme, de logement et d'emploi.
Comme je le disais, nous coordonnons l'action de l'État avec celle des collectivités, sous forme de conventions et de programmes d'expérimentation.
Nous avons souhaité disposer de statistiques précises et indiscutables. Nous nous sommes inspirés des travaux de la mission conduite par Jean-Yves Le Bouillonnec et Didier Quentin pour modifier et réformer l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales - l'ONDRP. Le ministère de l'intérieur a créé en janvier 2014 son service statistique ministériel ; celui du ministère de la justice existe depuis 1973.
L'ONDRP va désormais réaliser des analyses transversales des phénomènes de délinquance observés sur l'ensemble du territoire.
Par ailleurs, sur la base de l'article 7 de la loi pénitentiaire de 2009, nous avons créé l'Observatoire de la récidive et de la désistance qui échappe à l'emprise du ministère et qui est chargé d'étudier, sur l'ensemble du territoire, les parcours de délinquance et d'identifier les facteurs de désistance, c'est-à-dire de sortie de la délinquance.
M. Alain Chrétien. Qu'est ce que la désistance ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous voulons évaluer notre politique. Nous avons confiance dans ce que nous faisons. Nous prenons donc le risque de mesurer et d'évaluer. Nous vous proposons à cet effet d'introduire dans la loi l'obligation d'évaluer ce texte après deux ans d'application.
J'ai également installé en mars 2014 une commission présidée par Bruno Cotte, ancien président de la chambre criminelle de la Cour de cassation et actuel président de chambre à la Cour pénale internationale, qui doit remettre des travaux à la fin de l'année 2015 sur l'application et l'exécution des peines. Douze personnalités de très haut niveau entourent M. Cotte.
Enfin, nous avons commencé la construction des 6 500 places de prison supplémentaires qui avait été décidée pour les trois prochaines années. Ces places sont budgétisées et seront financées, contrairement aux 20 000 places de prison qui avaient été annoncées au cours du quinquennat précédent mais dont pas un seul euro des 3,5 milliards d'euros nécessaires n'avait été budgétisé.
Le présent texte de loi ne supprime donc pas la prison ; en revanche, il va contribuer à ce que le temps passé en prison soit un temps utile qui prépare à la sortie et réduit la récidive.
En conclusion, je tiens à rappeler que l'exigence de réinsertion structure les pénalités modernes. Elle s'inscrit dans une tradition humaniste, souvent républicaine mais pas exclusivement, laïque et chrétienne, dans laquelle en d'autres temps la droite a su s'inscrire.
M. Bernard Roman. Ô combien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Parmi les multiples exemples qui s'étendent tout au long du dix-neuvième siècle, on peut citer la Société générale des prisons, mais aussi, sous la Restauration puis sous la monarchie de Juillet, les écoles françaises pénitentiaires, dont la doctrine se trouve dans la circulaire du 3 décembre 1832, qui permet le placement en apprentissage des jeunes détenus pour leur éviter les effets de l'emprisonnement. Charles Lucas, inspecteur général des prisons, catholique social, démarche les députés pour les convaincre de la nécessité d'étendre ces mesures aux adultes. Et il affirme que le but principal de la peine est la réforme du coupable. C'est pourtant la période de la retentissante affaire Pierre Rivière.
Nous pourrions citer également les enseignements du père Jean-Joseph Lataste, aumônier des prisons dans les années 1860, ou encore, plus proches de nous, les travaux du père Belat ou du pasteur Brice Deymié.
Je pourrais citer encore le sénateur René Bérenger, républicain, catholique, qui, avec le grand Victor Schölcher, athée notoire, a animé la commission d'enquête sénatoriale sur les conditions de détention. Et le sénateur Bérenger est à l'origine des deux grandes lois du dix-neuvième siècle en faveur de la réinsertion : la loi du 14 août 1885, dont j'ai parlé, qui instaure la libération conditionnelle, et la loi de 26 mars 1891, qui crée le sursis simple à exécution de la peine.
Je pourrais citer aussi deux grands gardes des sceaux de l'après-guerre : François de Menthon, résistant, gaulliste,...
M. Bernard Roman. Eh oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. ...président de l'ACJF, l'Action catholique de la jeunesse française, et Pierre-Henri Teitgen, résistant, membre du MRP, le Mouvement républicain populaire, comme l'abbé Pierre. Ces deux grands gardes des sceaux ont accepté d'inscrire leur action sous l'inspiration de la défense sociale nouvelle, dont la déclaration de principe proclamait que la peine de privation de liberté a pour but essentiel l'amendement et le reclassement social du condamné.
Quant à la gauche républicaine, évidemment, elle s'est toujours réclamée de cet héritage humaniste, avec le code pénal de 1791, tout d'abord, qui est issu de la philosophie des Lumières, mais aussi de l'ambition démocratique de 1789, selon laquelle l'éducation et le travail amendent l'individu et la justice est rendue au peuple.
Des années 1875 à 1885, ensuite, la gauche républicaine a refusé les lois d'exclusion, contraires aux valeurs de la République. Retenons la figure emblématique de Georges Clemenceau, qui incitait le gouvernement d'alors à engager une réforme pénale, qui s'est opposé aux lois de relégation dans les bagnes coloniaux, à la relégation des multirécidivistes en soutenant que toute pénalité qui n'aboutit pas à l'amendement du coupable est insuffisante comme mesure de préservation sociale.
Enfin, je vous parlais de la défense sociale nouvelle, animée par de très belles figures, comme Marc Ancel, magistrat, président de chambre à la Cour de cassation, Paul Amor, résistant, magistrat, procureur, directeur de l'administration pénitentiaire, Jean Chazal, qui était juge des enfants, Pierre Cannat, magistrat, contrôleur général des services pénitentiaires. Bien entendu, c'est dans cette tradition humaniste que se sont inscrits les grands gardes des sceaux : Robert Badinter, Élizabeth Guigou, Henri Nallet, Michel Vauzelle.
Cela n'a pas empêché que l'on décide, lorsque c'était nécessaire, de l'aggravation des peines punissant les délits et les crimes. Mais la dignité doit rester au cœur de la pénalité : la dignité des personnels, qui doivent pouvoir exercer leur mission de surveillance ou de suivi dans des conditions correctes et de manière efficace ; la dignité de la victime, à qui l'État doit protection et une part de la réparation ; la dignité du condamné, qui doit pouvoir réintégrer le corps social. Et cette dignité-là est inscrite dans une peine tournée vers l'avenir, pour la victime, pour la société, pour l'auteur des faits. Platon lui-même disait déjà que celui qui punit judicieusement punit en vue de l'avenir, de façon que le coupable ne retombe pas dans l'injustice.
Mesdames, messieurs les députés, voilà ce qu'attendent les Français.
M. Alain Chrétien. Non ! Ce n'est pas ce que les Français attendent !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Non pas le cynisme des manipulations et des accusations démagogiques, mais des solutions efficaces ; non pas de la diversion, mais des solutions efficaces. Le rapporteur et les responsables du texte, les orateurs des groupes, qui ont fait un travail considérable, vous en diront davantage.
Je veux réserver mes tout derniers mots à celles et ceux, de tous milieux - judiciaire et pénitentiaire, universitaire, associatif, politique, parlementaire -, qui ont, durant de nombreuses années, avec opiniâtreté, œuvré pour enrichir la réflexion collective sur ces sujets majeurs. Leurs travaux ont fourni le point d'appui du projet de loi que le Gouvernement vous présente aujourd'hui.
Ces derniers mots seront non pas les miens, mais ceux de Victor Hugo : « Les opiniâtres sont les sublimes. Qui n'est que brave n'a qu'un accès, qui n'est que vaillant n'a qu'un tempérament, qui n'est que courageux n'a qu'une vertu ; l'obstiné dans le vrai a la grandeur. Presque tout le secret des grands cœurs est dans ce mot : Perseverando. La persévérance est au courage ce que la roue est au levier ; c'est le renouvellement perpétuel du point d'appui. » (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP - Les députés des groupes SRC et RRDP se lèvent et applaudissent.)
source http://www.assemblee-nationale.fr, le 4 juin 2014