Déclaration de M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, sur l'évolution des sociétés urbaines occidentales et l'apparition d'une politique urbaine territorialisée, l'adaptation des politiques publiques, les enjeux de la démocratie locale et le rôle d'un comité de développement territorial au sein de l'OCDE, Paris, le 18 mai 1999.

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Circonstance : Comité des politiques de développement territorial de l'OCDE, à Paris, le 18 mai 1999

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Au cours de ces 20 dernières années, nos sociétés occidentales ont été confrontées à de nouveaux problèmes majeurs. Le premier d'entre eux, le chômage, a frappé durement un certain nombre de nos régions et de nos villes, en particulier celles qui se caractérisaient par une dominante d'activités industrielles ou même mono-industrielles. Le gouvernement français a ainsi fait de la lutte contre le chômage sa première priorité.
D'autres préoccupations fortes ont émergé depuis 20 ans : le déséquilibre écologique de notre planète, les insuffisances de nos systèmes éducatifs à faire face rapidement à une éducation de masse, mais également l'insécurité urbaine, produit d'une crise de la cohésion sociale dans nos villes et d'une ghettoïsation de plus en plus marquée de certains de nos quartiers. Ce dernier enjeu est au coeur même de la politique de la ville en France.
Aujourd'hui, nos villes sont toutes confrontées à un quadruple défi : s'adapter aux mutations du système productif, maîtriser l'étalement périphérique, reconquérir l'urbanité, prendre en compte les exigences du développement durable.
Face à ces défis d'un genre nouveau, il a été nécessaire d'adapter la conduite des politiques publiques dans chacun de nos pays. Confrontées à des dynamiques économiques et sociales complexes, les traitements classiques, ponctuels et sectoriels, ont en effet échoué, nécessitant une approche nouvelle, plus transversale, mieux à même d'apporter des réponses concrètes à nos concitoyens.
La territorialisation des politiques publiques s'est développée dans ce contexte. En France, la politique de la ville est ainsi apparue sous une forme vraiment institutionnalisée, il y a un peu plus de 20 ans.
Dans tous les pays, ces politiques territorialisées ont été porteuses d'une nouvelle manière de concevoir et de mettre en oeuvre les politiques publiques. Et, de fait, depuis 20 ans, elles ont fait considérablement évoluer les pratiques.
La création du comité des politiques de développement territorial à l'OCDE vient aujourd'hui confirmer cette évolution dans chacun de nos pays. C'est pourquoi je suis particulièrement heureux d'être présent parmi vous cet après-midi pour clore la première session de ce nouveau comité pluri-disciplinaire.
Je souhaite que la France y joue un rôle important, car ce comité incarne toute la modernité de l'action publique, la capacité de s'adapter à une nouvelle donne économique et sociale. J'espère donc qu'il réussira à alimenter la volonté politique de chacun des pays-membres de répondre mieux et plus efficacement aux attentes de nos concitoyens.
Mesdames et Messieurs, j'aimerais vous brosser ici quelques points qui me paraissent essentiels pour le travail qui attend ce comité.
En premier lieu, il me parait indispensable d'approfondir la réflexion sur de nouveaux modes de gouvernance. Nos économies, nos sociétés ont évolué. Les attentes des habitants, citoyens ou consommateurs, se sont diversifiées. La mobilité, les nouvelles technologies, les réseaux d'informations se sont fortement développés. Le marché est devenu global.
Mais, si la mondialisation des échanges dope l'économie, si le niveau de vie moyen augmente, l'écart entre les plus riches et les plus pauvres s'accroît fortement, tant à l'échelle internationale qu'au sein de chacun de nos pays. La cohésion sociale est mise à mal, car la remise en question de l'égalité des chances sape les fondements même de la vie démocratique. La citoyenneté est en désarroi, parce que la globalisation bouleverse les cadres institutionnels à travers lesquels se sont de longue date organisées nos sociétés occidentales. Les coûts sociaux de la mondialisation restent à la charge des collectivités publiques telles qu'elles existaient avant l'ouverture des frontières, alors même que ces coûts ont fortement changé d'échelle.
Face à une réalité sociale et économique en mouvement, la conduite de l'action publique doit évoluer. Si les entreprises ont su s'adapter sous les contraintes du marché, les politiques publiques ont tardé. Il est vrai que la remise en cause des méthodes classiques d'intervention n'est pas chose aisée. Mais la plus grande proximité du terrain, la prise en compte de tous les acteurs et de toutes les dimensions sectorielles pour bâtir un projet cohérent au niveau de chaque territoire devient chaque jour davantage une nécessité.
Plus encore qu'autrefois, l'initiative locale apparaît comme une clé essentielle du développement territorial. L'essor économique et social appelle la mobilisation des principaux acteurs locaux dans une démarche concertée de projet de développement volontariste. Malgré les incertitudes de l'avenir, la planification stratégique des grandes aires urbaines apparaît plus que jamais nécessaire. Conduite avec la participation de toutes les parties prenantes, elle peut seule permettre d'intégrer dans une approche globale et cohérente des perspectives à long terme. Ces perspectives portent à la fois sur la politique de peuplement, les moyens de déplacement, le développement économique, l'organisation des services, la solidarité avec les plus défavorisés, l'alimentation en eau, le traitement des effluents et des déchets, la valorisation du patrimoine et l'économie de l'espace.
Les enjeux nouveaux comme le chômage, la crise urbaine, l'environnement, imposent donc désormais une évolution dans l'élaboration et la conduite des politiques publiques.
Ces nouveaux modes de gouvernance doivent permettre de poursuivre l'objectif de développement durable de nos territoires. Je tiens cependant à préciser la signification que revêt pour moi ce concept. Souvent, en France, la notion de développement durable est assimilée à la seule protection de l'environnement, alors même que l'idée est plus large. Je crois ainsi préférable de parler de développement durable et solidaire, car l'idée d'un développement économique qui se réaliserait en l'absence de cohésion sociale est illusoire à long terme. L'objectif de nos politiques publiques n'est pas seulement environnemental, il est aussi social et économique. Il vise l'emploi et le niveau de vie, l'éducation, la sécurité, la santé, le logement et le cadre de vie. Toutes ces dimensions doivent être prises en compte. Ainsi, l'OCDE pourrait à l'avenir reprendre dans les versions françaises de ses publications, l'expression de développement solidaire et durable, qui rend compte plus justement de la richesse du concept de " soutenabilité " en anglais.
Un autre enjeu majeur pour l'ensemble des gouvernements est l'approfondissement de la démocratie locale et l'implication des habitants dans l'élaboration et la mise en uvre des projets. La démocratisation des processus de décision est en effet devenu dans nos pays occidentaux un nouveau projet d'avenir. Il y va, Mesdames, Messieurs, de la pérennité même de nos systèmes démocratiques.
Les politiques territorialisées doivent permettre d'améliorer la lisibilité des politiques publiques pour tous nos concitoyens, mais aussi leur participation à l'élaboration et la mise en uvre des actions engagées. C'est aussi de cette manière que nous pourrons combattre l'abstention et les tentations populistes et extrémistes, et que nous renforcerons la cohésion sociale et la vigueur de nos économies. L'objectif est que chacun puisse se reconnaître et être reconnu comme acteur de la cité, ce qui est l'essence même de nos démocraties occidentales. Je vous invite donc à réfléchir à la meilleur façon d'approfondir cette démocratie locale dans la gouvernance de nos territoires.
Nous ne devons plus accepter de subir le développement anarchique de la ville, porteur en soi de ségrégation sociale. Nous ne devons plus laisser le soin à quelques "experts" de penser la ville pour les autres, comme ce fut par exemple le cas avec les grands ensembles en France au début des années soixante mais aussi dans d'autres pays occidentaux. La ville du XXIème siècle doit être le résultat d'un vrai choix collectif à travers une démarche résolument démocratique. C'est pourquoi les habitants doivent être associés au projet de territoire.
En France, la politique de la ville constitue une priorité pour le gouvernement. Cela s'est traduit en 1999 par une augmentation de plus de 30 pour cent du budget de mon ministère et de l'ensemble des crédits des autres ministères au bénéfice du développement solidaire des agglomérations.
Au cours de cette année 1999 se préparent par ailleurs des contrats de ville, qui sont le principal outil de mise en uvre de la politique de la ville. L'objectif de ces contrats est de bâtir un projet global de développement territorial à travers un large partenariat, puisque l'ensemble des collectivités locales, l'Etat, le secteur privé et les associations y prennent part. En outre, la participation des habitants y demeure un objectif central. Il s'agit ainsi de réconcilier le social et l'économique, le politique et le citoyen, et les différents échelons territoriaux entre le niveau central et le terrain.
Enfin, je tiens à vous dire combien je me réjouis de constater la présence d'un représentant de l'Union européenne au sein de ce comité. Car je suis convaincu que l'Europe doit jouer demain un rôle important dans le développement solidaire et durable de nos territoires. Il nous faut en effet une Europe plus proche des citoyens, mieux à même de renforcer la cohésion sociale entre Européens.
L'occasion m'a été donnée, à plusieurs reprises depuis ma nomination, de participer à des initiatives au carrefour de la Ville et de l'Europe. Ce fut le cas notamment à Vienne au mois de novembre dernier, dans le cadre du Forum Urbain réuni par la commission de Bruxelles. J'ai pu constater à cette occasion, à quel point les problématiques urbaines sont voisines au sein des 15 pays-membres de l'actuelle Union européenne. Nous avons les mêmes défis à relever, nous sommes confrontés aux mêmes enjeux, nous sommes désireux d'agir sur et pour la ville, dans cette Europe où 4 habitants sur 5 résident en milieu urbain.
Notre modèle européen de ville, fondé sur la démocratie locale, la mixité sociale et urbaine, sur une longue histoire de brassage culturel, social et ethnique, sur le rôle des espaces publics qui profitent à tous les habitants, est donc au cur même du projet européen.
A travers tous ces enjeux, l'OCDE et son comité des politiques de développement territorial ont donc une place privilégiée pour faire évoluer le débat et les réflexions de chacun des pays-membres, grâce à la richesse de toutes les expériences développées dans nos différents pays.
Ces expériences, l'OCDE peut efficacement contribuer à les faire mieux connaître, à en favoriser l'échange. Profiter de l'expérience des autres, tirer parti de leur réussite, éviter leurs échecs, c'est féconder sa propre capacité créatrice. Confronter des pratiques et des points de vue, c'est découvrir ensemble les conditions du succès, c'est faire naître l'intelligence partagée des problèmes à résoudre. Ce n'est pas chercher à recopier les solutions trouvées, ici et maintenant, mais établir un pont entre l'action et la réflexion, en dégageant de l'examen des situations concrètes des constantes structurelles et des principes directeurs.
Il faut donc se mettre en mesure de bien connaître les pratiques en exercice et de repérer les plus innovantes. Le nouveau comité du développement territorial devrait s'attacher à la collecte des informations les plus significatives, au recensement des démarches les plus intéressantes, à l'élaboration d'études comparatives et d'analyses spécifiques ainsi qu'à la capitalisation et à la diffusion des acquis.
Le gouvernement français, pour sa part, a décidé de créer à ces mêmes fins, un organisme national mettant en réseau les différents acteurs de la politique urbaine. Cet " institut de la ville " devrait jouer un rôle moteur dans le développement de nos propres contributions en direction de votre organisation et du réseau mondial des instances spécialisées.
Mesdames et Messieurs, nous attendons beaucoup de votre travail.
(source http://www.ville.gouv.fr, le 26 mai 1999)