Extraits de l'interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à LCI le 11 avril 2000, sur la situation en Tchétchénie, l'harmonisation de la fiscalité européenne et la réforme des institutions communautaires.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q - Pierre Moscovici, bonsoir. Vous revenez de Stockholm, vous y étiez hier, vous avez accompagné le président de la République lors de son voyage en Suède, un voyage qui était destiné à préparer la présidence française de l'Union européenne à partir de juillet prochain. Nous allons parler de cette présidence mais l'Europe, c'est aussi des problèmes quotidiens, internationaux et économiques. Evoquons d'abord le mécontentement ou la colère du chancelier Wolfgang Schüssel qui reproche à la France, et notamment à vous ainsi qu'au ministre des Affaires étrangères, de ne pas avoir convié l'ambassadeur d'Autriche à une réunion à laquelle étaient conviés d'autres diplomates européens, qui était organisée à l'Assemblée nationale. Le chancelier autrichien menace lors de la présidence française, on y reviendra tout à l'heure, - qui aura pour objet notamment la réforme des institutions -, de prendre tous les moyens légaux pour freiner les décisions européennes.
R - Tout cela n'est pas très sérieux. En fait, la réunion à laquelle fait allusion le chancelier autrichien, est une réunion qui se tenait dans les locaux de l'Assemblée nationale à l'invitation du président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, Alain Barraud. Bien sûr, c'est le président de la délégation qui est responsable des invitations. D'ailleurs, j'ai reçu copie d'une lettre de l'ambassadeur d'Autriche qui ne se plaignait pas du gouvernement français mais de l'Assemblée. Je crois qu'il y a là un mauvais procès qui nous est fait
Q - Oui, mais si vous aviez été la puissance invitante, vous l'auriez invité ?
R - J'allais y venir le chancelier ne peut pas nous en faire grief. Mais les choses sont très claires : nous appliquons les sanctions qui sont prévues par les 14 membres de l'Union européenne autres que l'Autriche qui prévoient notamment que les ambassadeurs de l'Autriche sont reçus simplement à un niveau technique dans des réunions. Donc, ils n'ont pas accès aux ministres. Un exemple, j'étais l'invité du déjeuner des ambassadeurs de l'Union européenne à Paris à l'invitation de l'ambassadeur du Portugal, - c'est le Portugal qui aujourd'hui a la présidence -, l'ambassadeur d'Autriche n'était pas là parce qu'on a estimé que les contacts ne devaient pas se dérouler à ce niveau-là entre un ministre et un ambassadeur et c'était donc un conseiller de l'ambassade d'Autriche qui était là. Nous appliquons les sanctions bilatérales encore une fois, rien de plus, rien de moins. Il n'y a donc aucun élément nouveau. Cette accusation du chancelier n'est pas fondée, il prendra ses renseignements et il s'apercevra qu'il n'y a pas là une mise en cause injustifiée ; pour le reste, nous restons sur l'attitude qui est une attitude de très grande fermeté et nous n'accepterons aucun chantage, aucun veto. L'Union européenne continue. Le chancelier Schüssel était au dernier Sommet européen à Lisbonne, il a participé à ce sommet intégralement mais ce n'est pas tout à fait comme avant.
Q - Alors attitude de fermeté, quelles qu'en soient les conséquences, je veux dire même si pendant le temps de la présidence française l'Autriche essayait de freiner - elle le peut, avec son droit de veto - les décisions qui devront être prises - on y reviendra tout à l'heure - sur la réforme des institutions.
R - C'est vrai que ce sont des décisions qui doivent être prises à l'unanimité et donc, il peut y avoir veto, il peut y avoir blocage. Mais cette attitude ne serait pas extrêmement sérieuse. Vous savez, c'est à l'Autriche de faire ses preuves, pas à l'Union européenne de faire ses preuves vis-à-vis de l'Autriche. C'est au chancelier Schüssel qu'il revient de montrer qu'il dirige un pays qui est toujours dans l'Union européenne, un pays qui a fait le choix de l'Union européenne. Il lui revient aussi de montrer qu'il est un chancelier européen, qu'il est dans l'Union européenne et donc nous ne craignons aucun veto, aucun blocage parce qu'un tel veto ou un tel blocage, pour des raisons politiques, serait contraire justement au message que veut donner le chancelier Schüssel. Qu'il joue la banalisation puisqu'il le souhaite. Ce n'est pas forcément notre attitude. Nous, nous serons toujours sur la fermeté et en même temps, nous ne souhaitons pas condamner le peuple autrichien, condamner l'Autriche. Nous faisons une distinction extrêmement claire entre ce peuple qui a choisi l'Europe, entre cette nation qui est européenne et un gouvernement qui continue d'avoir des comportements qui sont parfois bizarres, comportements qui s'expliquent par l'alliance un peu contre nature entre les conservateurs de M. Schüssel et le parti de M. Haider qui reste un parti xénophobe.
Q - Donc, fermeté à l'encontre de l'Autriche, du gouvernement autrichien plus exactement. Où en êtes-vous de la fermeté vis-à-vis d'un autre pays qui est la Russie ? On a vu le Conseil de l'Europe, à travers son assemblée parlementaire, décider de suspendre le droit de vote des députés russes qui participent à cette assemblée parlementaire
R - C'est une sanction importante, symbolique.
Q - De votre point de vue, est-ce un avertissement ? Est-ce un signal ? Est-ce le début de sanctions qui pourraient être plus sévères ?
R - Les choses sont un peu plus complexes que cela ; il y a une différence d'abord entre l'Autriche et la Russie qui n'échappe à personne, c'est que l'Autriche se trouve dans l'Union européenne, qu'elle participe à notre communauté de valeurs, parce que c'est cela l'Union européenne, alors que la Russie est un pays souverain, un grand pays, voisin de l'Europe, qui a des intérêts communs avec l'Europe mais qui a aussi un système politique, un système de valeurs qui est totalement différent du nôtre
Q - Ce ne serait pas la première fois que l'Europe sanctionnerait un pays qui n'est pas dans l'Union européenne, on en a eu un exemple au printemps dernier
R - Mais vous savez, Laurent Fabius et Hubert Védrine ont écrit à leurs collègues européens justement pour expliquer ce qu'il convenait de faire maintenant dans la coopération avec la Russie : notamment, restaurer là-bas des structures étatiques, des structures juridiques qui n'existent pas tout à fait dans les mêmes conditions que chez nous. J'en reviens aux sanctions. L'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe qui réunit 41 pays membres du Conseil de l'Europe, c'est quand même considérable, a décidé de suspendre de leur droit de vote les parlementaires russes. C'est quelque chose de très symbolique qui, là encore, est comparable à ce qui est fait par rapport à l'Autriche dans une instance où la Russie est présente ; la Russie n'est pas présente dans l'Union européenne mais elle est présente dans le Conseil de l'Europe. On a suspendu ses droits de vote, c'est-à-dire qu'on lui signifie qu'il y a une réprobation extrêmement forte. Deuxième chose : l'assemblée parlementaire a demandé au comité des ministres du Conseil de l'Europe
Q - Qui va se tenir au mois de juin, je crois
R - - Absolument - mais qui va se réunir auparavant au niveau des ambassadeurs, d'envisager éventuellement des sanctions, là encore la suspension du droit de vote, non seulement au niveau parlementaire, mais également au niveau des ministres de cette instance qui encore une fois est très importante pour la Russie, s'il n'y a pas de mesures prises immédiatement concernant les Droits de l'Homme, la violation des Droits de l'Homme inacceptable en Tchétchénie. Et troisième chose, l'Union européenne : hier, il y a eu un Conseil Affaires générales, c'est-à-dire une réunion des ministres des Affaires étrangères, qui a traité de cela en compagnie notamment du ministre russe et notre attitude est la suivante : nous condamnons avec beaucoup de fermeté tout ce qui se passe en Tchétchénie, nous demandons instamment à la Russie de préparer maintenant un dialogue politique, une reprise d'une solution politique en Tchétchénie et en même temps, nous envisageons un partenariat stratégique avec ce très grand pays qu'est la Russie ; il y a le court terme, il y a le long terme, il y a la préoccupation tchétchène, il y a aussi la réalité russe.
Q - Sur le court terme, êtes-vous rassuré par les déclarations du ministre des Affaires étrangères russe qui dit qu'il pourrait y avoir une initiative politique en Tchétchénie ? Cela reste relativement vague.
R - C'est vague mais en même temps c'est vrai que c'est une ouverture. Hubert Védrine avec qui je m'en entretenais, me disait qu'il avait eu le sentiment hier que M. Ivanov, le ministre des Affaires étrangères russe, envisageait la question sans tabou et je crois que c'est un débat hier qui a été utile parce que pour la première fois hier, on a vu les deux aspects : la nécessité pour les Russes de rechercher une solution politique à la crise tchétchène et en même temps, la nécessité pour les Européens de repenser globalement, stratégiquement, à long terme leurs relations avec la Russie.
Q - Que pourrait-il se produire de très concret d'ici la réunion du comité des ministres, qui vous fasse changer d'avis ? Enfin en positif, j'entends.
R - Encore une fois, il s'agit de réponses immédiates que nous demandons immédiatement, et qui concerneraient la reprise d'un dialogue politique et pourquoi pas des élections en Tchétchénie. Les Russes disent souvent : là-bas, notre problème, c'est que nous n'avons pas d'interlocuteurs. Eh bien cherchons-les, cherchons à constituer cette entité-là parce que vous savez, les Russes ne réduiront pas les Tchétchènes. Il y a là un conflit qui date de plusieurs centaines d'années ; on peut écraser des populations, on peut détruire des villes, on ne peut pas réprimer des maquisards, nous avons tous de cela une expérience, des expériences parfois douloureuses, parfois heureuses.
Q - Alors la France s'apprête à prendre donc la présidence de l'Union européenne dans un contexte économique particulièrement favorable. Je crois que les experts de la Commission européenne ont donné des chiffres qui sont excellents : une croissance de 3,4 % dans l'Union européenne en l'an 2000, et la France fera même mieux
R - Absolument, la France qu'on critique parfois pour certaines rigidités dans l'Union européenne, la France avec son modèle, avec son système de régulation, avec son gouvernement, avec les lois qu'elle prend - je pense par exemple aux lois sur les 35 heures -la France est aujourd'hui le leader de la croissance en Europe, ce qui prouve que nous n'avons rien à envier à d'autres qui libéralisent davantage ou qui tiennent un discours très flamboyant.
Q - On se fait quand même taper sur les doigts à Bruxelles ou à Lisbonne dans les sommets informels parce qu'on est moins bons élèves en ce qui concerne les déficits publics, moins bons élèves en ce qui concerne la réduction du chômage même s'il y a des progrès.
R - Pour ce qui concerne les déficits publics, il y a eu des commentaires qui ont été faits lors du dernier Conseil ECOFIN, la réunion des ministres de l'Economie et des Finances, sur les choix que nous avions faits en matière de fiscalité. Les choses sont très claires et d'ailleurs le Premier ministre l'avait dit lui-même dans son intervention à TF1 il y a quelques semaines. Si la croissance est effectivement forte, très forte, et elle le sera peut-être, à ce moment-là, il y aura, par rapport, y compris à ce qu'on a appelé la cagnotte de façon impropre, de nouveaux excédents et ces surplus éventuels seront affectés, il l'a dit, de façon intégrale à la réduction des déficits
()
Q - Alors pour finir ce tour d'horizon au plan économique, la fiscalité : on a cru qu'on qu'on allait faire un pas vers l'harmonisation des fiscalités avec le changement d'attitude de la Grande-Bretagne qui a commencé à dire qu'elle était d'accord pour admettre la transparence ; mais cette fois-ci, on bute sur le Luxembourg.
R - Non, c'est un peu l'inverse
Q - Attendez, le Premier ministre Jüncker a dit : moi je suis un Européen mais je défends ma place financière.
R - Mais il a raison. Ce n'est pas de cela dont il s'agit. M. Jüncker était à Paris il y a quelques semaines, je crois une ou deux semaines, nous avons eu avec lui de nombreux entretiens, le président de la République, le Premier ministre, et nous avons constaté que le Luxembourg, sur la question globale de l'harmonisation fiscale, était ouvert à des évolutions. Et donc, nous pouvons travailler avec le Luxembourg. Mais pour l'instant, il reste un veto britannique assez farouche et c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles il faut réformer les institutions européennes car si on décide de tout à l'unanimité, alors on est bloqué. C'est pour cela que, par exemple, dans ces questions fiscales, il faudra bien un jour passer à un processus de décision où on peut décider à la majorité qualifiée, c'est-à-dire non pas la majorité simple mais la majorité aux deux tiers par exemple, voire à 70 %, peu importe ; mais on ne peut pas rester dans un système qui peut être bloqué éternellement par le veto de tel ou tel le veto doit exister en Europe - c'est ce qu'on appelle le compromis de Luxembourg - mais uniquement sur ce que sont les intérêts vitaux de tel ou tel pays. Et l'harmonisation fiscale, honnêtement, ce n'est pas d'un intérêt vital ; dans l'Europe aujourd'hui, il ne peut pas, il ne doit pas y avoir de paradis fiscaux, fussent-ils britanniques.
Q - Alors l'Europe économique, l'Europe sociale aussi ; il y avait 2.000 représentants des organisations syndicales de nombreux pays où se trouve le groupe ABB ALSTOM, qui défilaient à Bruxelles. Il y a un plan, 10 000 emplois qui risquent d'être supprimés. Cela vous concerne au plan européen et comme franc-comtois.
R - Absolument.
Q - Quelle est la réponse de cette Europe sociale dont on a beaucoup parlé l'autre jour au Sommet de Lisbonne ?
R - D'abord, il faut qu'il y ait une réponse de l'entreprise. C'est vrai que je suis doublement sensibilisé à cette question à la fois en tant qu'Européen et aussi en tant que Franc-comtois effectivement, Montbéliardais, voisin du Territoire de Belfort qui est actuellement touché par cela et je me sens très profondément solidaire des travailleurs qui ont manifesté. Je crois d'ailleurs que c'était une belle manifestation, très digne et je continue de demander, comme Jean-Pierre Chevènement, comme les élus du territoire de Belfort, que l'on trouve des solutions qui permettent d'éviter ce gâchis humain mais c'est à l'entreprise de les trouver d'abord. Quant à l'Europe, nous allons, sous la présidence française tâcher d'avancer dans cette matière-là et nous allons proposer ce qu'on appelle un agenda social européen, c'est-à-dire un programme de travail à long terme sur cinq ans ou dix ans qui permette justement d'avancer sur tout ce qui est lutte contre l'exclusion, lutte contre le chômage, droit du travail parce qu'il y a là toute une série de thèmes et j'y vois aussi la protection sociale, qu'on doit harmoniser sans doute, mais harmoniser vers le haut, fixer des règles, fixer des cadres. L'Europe n'est pas responsable de ce qui se passe là. On pourrait à la limite parler de la mondialisation mais l'Europe est un rempart contre les excès de la mondialisation. L'Europe n'est pas le cheval de Troie de la mondialisation. Là-dessus, je me distingue d'un certain nombre de théoriciens souverainistes.
Q - Vous pensez que l'Europe pourra être davantage un rempart demain qu'elle ne l'a été dans l'affaire de Vilvoorde par exemple ?
R - Elle doit l'être. On sait en même temps qu'il y a là des évolutions qui sont inéluctables parce qu'on a affaire à des entreprises qui sont mondialisées, qui délocalisent
Q - Non, mais on se souvient des discours sur Vilvoorde, on se souvient des manifestations sur Vilvoorde et puis Vilvoorde a fermé.
R - Oui, et il n'est pas besoin d'ailleurs d'y revenir. C'est pour cela que je n'adopte pas exactement la même problématique sur ABB ALSTOM que je l'ai fait quand j'étais un responsable socialiste dans l'opposition sur Vilvoorde parce que j'ai pu constater effectivement que les manifestations n'avaient pas abouti à des solutions. Mais il demeure qu'on doit avoir avec les entreprises des discussions qui sont extrêmement fermes. Et pour le dire différemment, l'Europe ne peut pas se réduire du point de vue des entreprises à l'affirmation du droit à la concurrence, du droit de la concurrence. Il doit aussi y avoir une forme de régulation. On doit pouvoir aussi parler à ces groupes en leur demandant de respecter des règles et parmi ces règles, il y a des règles sociales, il y a le respect des travailleurs, il y a le respect de l'emploi tout simplement.
Q - Alors pour bien assurer la présidence européenne, je rappelle que c'est la présidence du Conseil et vous travaillez en bonne harmonie avec la Commission, la Commission qui est présidée aujourd'hui par Romano Prodi, l'ancien président du conseil italien. Or il se trouve que Romano Prodi est l'objet de critiques de plus en plus virulentes dans la presse britannique, dans la presse allemande. On lui reproche son manque de charisme, on lui reproche son manque d'autorité. On dit même que certains commissaires et naturellement on pense aux commissaires britanniques dans ce genre d'affaire, voudraient le déstabiliser et le remplacer. Quelle est votre réaction ?
R - Il y a des choses qui sont formidablement exagérées là-dedans
Q - C'est un faux procès ?
R - J'ai vu ces articles notamment dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung qui est un journal allemand, sérieux, qui effectivement parlait d'un complot pour remplacer Prodi jusqu'au sein de la Commission. Je trouve ces informations erronées et injustes. M. Prodi qui a été président du Conseil italien, qui a été avec la gauche italienne l'homme qui a mené l'Italie dans l'euro, ce qui honnêtement n'allait pas de soi, est un homme qui est tout à fait capable de diriger la Commission et cette Commission est une commission - j'en suis témoin puisque cela fait trois ans que je suis ministre des Affaires européennes -qui globalement fonctionne mieux, beaucoup mieux que la Commission Santer.
Q - D'où vient ce procès alors ?
R - Alors pour répondre au fond, parce qu'il ne faut pas non plus faire de la langue de bois, je pense que M. Prodi a les qualités pour diriger la Commission. Je pense que cette commission marche mieux, je pense en même temps que peut-être on peut chercher des améliorations - à l'évidence il y en a besoin, sans quoi il n'y aurait pas d'échos de ce type-là
Q - Où sont les failles ?
R - M. Prodi est un homme politique. Il a des réactions d'homme politique. Il a dirigé un gouvernement et comme il l'a dit lui-même au départ, il pense que la Commission est un gouvernement et donc qu'on doit diriger cette Commission comme un gouvernement. Cela veut dire arbitrer sur les grandes options et laisser chacun agir. Si j'avais un conseil à lui donner, ce serait : Président, penchez-vous peut-être un petit peu davantage sur les détails. La Commission est un collège, ce n'est pas un gouvernement ; c'est un lieu qui est peut-être un peu plus égalitaire, où le président a aussi besoin d'être quelqu'un qui intervient sur les grands dossiers, pas seulement avec le regard politique extrêmement intelligent et fin qu'est celui de Romano Prodi mais en entrant dans les détails de la matière. Vous savez, je connais bien le président Prodi ; je crois qu'il est conscient des problèmes qui existent et j'ai tout à fait confiance en lui pour les résoudre. Et la Commission fonctionnera avec le Conseil, c'est-à-dire avec les ministres, avec les Etats, de façon harmonieuse, comme elle a bien fonctionné à Lisbonne. On a eu un bon sommet à Lisbonne sur l'emploi, sur la croissance, sur les nouvelles technologies parce qu'il y a eu une bonne préparation du Premier ministre portugais, M. Guterres avec les Etats et parce qu'il y a eu un bon rapport de la Commission.
Q - Alors précisément, cette présidence française, va avoir pour objet la réforme des institutions
R - Pas seulement
Q - Pas seulement. Il faut rappeler que la réforme des institutions, c'est l'achèvement de ce qui s'est passé à Amsterdam et que c'est nécessaire pour avoir une Europe capable de supporter l'élargissement. Mais la question que beaucoup se posent aujourd'hui, c'est : est-ce que, finalement, on ne s'est pas engagé trop vite dans cet élargissement ? Est-ce que c'est votre sentiment aujourd'hui ?
R - Non, ce n'est pas mon sentiment. Vous savez, ce qui s'est passé, c'est un phénomène historique, on emploie souvent cet adjectif un peu à toutes les sauces mais là c'est vraiment historique : en 1989, le mur de Berlin tombe ; une quinzaine de pays se libèrent du joug soviétique, ils se tournent à la fois vers l'économie de marché et aussi vers l'Europe. Des pays qui sont européens par leur culture, par leur histoire, et nous avions et nous avons toujours le devoir de répondre oui. Et donc il fallait absolument, il faut absolument faire cet élargissement.

Q - Sur le principe, mais sur le rythme ?
R - Le problème, c'est que cet élargissement n'a peut-être pas suffisamment été pensé dans ses modalités à la fois par rapport aux différents pays pour qui cela peut être un choc pour eux-mêmes et à la fois par rapport à l'ensemble, parce qu'aujourd'hui nous sommes quinze dans un système institutionnel qui a été élaboré pour six et c'est déjà difficile. Cela craque un peu aux entournures. On parle de la Commission, on parle du veto. Enfin, on a déjà eu ce soir deux ou trois exemples qui montrent bien que déjà à quinze, cela fonctionne très difficilement. Qu'est-ce qui se passera à 27 ou à 30 ? Ce sera extrêmement difficile. Je dirais même que ce sera impossible si on ne réforme pas les institutions. C'est pour cela que je continue de penser, comme au lendemain du malheureux Conseil européen d'Amsterdam où nous n'avons pas réussi la réforme des institutions, qu'il faut réformer les institutions avant d'élargir, qu'il faut offrir à cette Europe à 30 un cadre qui soit vivable, c'est-à-dire un cadre transparent, démocratique et j'ajouterai, car c'est un mot pour moi très important, un cadre souple parce qu'à l'évidence, à 30 on ne pourra pas tout faire ensemble comme on le fait à 15. On ne pourra pas faire en sorte que toutes les politiques soient des politiques communes.
Q - Un mot avant de nous quitter ; vous avez eu un adjectif curieux pour qualifier cette future présidence, vous avez dit " il faut qu'elle soit modeste ".
R - Je voudrais dire plutôt qu'il faut qu'elle ne soit pas arrogante. Vous savez, chaque pays dans l'Union européenne, préside l'Union pour six mois. Nous présidons après d'autres, par exemple les Portugais ; nous présidons avant d'autres, les Suédois. La qualité de notre travail est fonction de ce qu'on nous lègue, la qualité de ce que nous ferons conditionnera la suite. Je pense que la meilleure façon pour la France qui a pourtant des dossiers très importants à résoudre : l'emploi, la défense, les institutions, l'élargissement, c'est de dire voilà, nous allons faire tout notre possible. Je crois qu'on nous fait confiance, qu'on nous attend. Nous serons à la fois donc modestes mais aussi très ambitieux.
Q - Merci beaucoup.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 avril 2000)