Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur l'action réformatrice du gouvernement, la volonté de réduire la fracture sociale et la reconstitution du pacte républicain, Avignon le 7 octobre 1995.

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Circonstance : Journées parlementaires du RPR, Avignon les 6 et 7 octobre 1995

Texte intégral

Messieurs les Présidents, Compagnons et amis, je voudrais d'abord dire toute mon admiration à Marie-José Rouargue pour le combat qu'elle a mené et la victoire qu'elle a remportée à Avignon.
J'aimais beaucoup Avignon avant Marie-José Rouargue, mais je me suis rendu compte, ce matin, en venant à pied, que je l'aimais encore plus, avec elle. Et je peux l'assurer que le Gouvernement l'aidera dans la difficile tâche de redressement de cette ville qu'elle a engagée.
Je voudrais également dire ma reconnaissance à notre ami, Philippe Séguin, le président de l'Assemblée nationale qui est ici à cette tribune. C'est naturellement sa place, mais si je parle de reconnaissance, c'est qu'il est rentré très tard cette nuit de Tunisie où il accompagnait le président de la République. Il a tenu à être là ce matin et je lui dis : "merci" de notre part à tous et de la mienne.
Merci aussi à nos amis de l'UDF, à Gilles de Robien, aux ministres ou aux responsables de l'autre grande formation de la majorité, sur la loyauté et l'engagement de laquelle je sais pouvoir compter.
J'ai lu tout à l'heure en venant ici dans le programme de nos Journées parlementaires, cher Michel, cher Josselin, qu'il y avait à 11 heures un discours du Premier ministre. Eh bien, je ne vais pas vous faire de discours. J'en ai un, mais je l'ai laissé sur la table.
Je voudrais tout simplement pendant quelques instants essayer de vous parler à coeur ouvert. J'ai trois mots qui me trottent dans la tête : le mot d'« unité », le mot de « solidarité » et aussi, même s'il peut paraître incongru aujourd'hui, le mot d'« optimisme ».
On dit souvent que la vertu cardinale des gaullistes, c'est de savoir se rassembler. C'est utile quand ça va bien, c'est nécessaire et précieux quand ça va moins bien. Et, aujourd'hui, nous en avons particulièrement besoin.
Nous avons vécu, depuis deux ou trois ans, des périodes contrastées. Il y a eu d'abord en mars 1993 cette immense vague qui a soulevé le peuple de France, cette victoire que nous avons gagnée ensemble sous l'impulsion de Jacques Chirac. Puis il y a eu la constitution du gouvernement d'Edouard Balladur. J'en étais, et cela reste et restera pour moi une raison de fierté. Cela s'est vu, paraît-il. C'est sans doute une des périodes de ma vie politique où j'étais le plus heureux. J'ai servi ce gouvernement et son chef avec loyauté. Et il a fait du bon travail.
Et puis il y a eu la campagne électorale. Nous nous sommes séparés. Nous nous sommes retrouvés. Nous avons gagné ensemble. Pourquoi est-ce que, aujourd'hui, nous ne déciderions pas de tourner définitivement la page ?
J'entends parler de balladuriens, de chiraquiens, de séguinistes, peut-être de juppéins ou de juppéistes, je ne sais pas comment on dit, eh bien, si pour une fois et une bonne fois pour toutes, nous étions tout simplement des gaullistes ?
Des gaullistes dans leur diversité, nous ne sommes pas tous pareils, Heureusement, ce serait monotone, mais des gaullistes qui savent le moment venu, face à la France, face à l'épreuve, se rassembler et se serrer les coudes. Vous l'avez montré durant ces journées parlementaires. Nous aurons dans quelques jours, dimanche prochain, une autre occasion de le manifester aussi avec nos Assises qui ne sont pas un enjeu de pouvoir, qui ne sont pas un rendez-vous électoral, qui seront, je l'espère - et c'est dans cet esprit que je le conçois - tout simplement l'occasion de montrer que les gaullistes se rassemblent, que le Rassemblement Pour la République se rassemble, qu'il retrouve la profondeur de ce qui l'unit, au-delà de ce qui peut parfois le séparer, l'unité, la foi, la conviction, l'amour de la France.
Alors, je suis heureux que, aujourd'hui, nous soyons tous là, dans cet esprit de communion qui nous caractérise.
Je parlais d'unité et de solidarité. Dès que le Gouvernement a été constitué au mois dernier, je me suis mis au travail avec mes ministres. Et nous avons engagé l'action réformatrice que Jacques Chirac nous avait assignée. Nous avions une priorité, parce qu'elle avait été fortement affirmée pendant toute la campagne, et cette priorité, c'était la réduction de la fracture sociale, la lutte contre l'exclusion. Eh bien, nous nous y sommes attaqués. Je ne vais pas refaire la liste qu'a esquissée tout à l'heure Michel Péricard. Je voudrais simplement insister sur trois de ces réformes fondamentales, toutes trois dirigées contre l'exclusion et pour la reconstitution du pacte républicain, cher à Philippe Séguin, et à nous tous.
Lutter contre l'exclusion, cela a d'abord été pour le Gouvernement s'attaquer au chômage de longue durée. Pendant toute la campagne, nous avions martelé un mot : « contrat initiative emploi » ? Il est fait, il fonctionne et il marche. Plus de 50.000 aujourd'hui. Plus de 10.000 par semaine. On me dit souvent : "Mais qu'est-ce qui a changé dans la vie des Français ?" Eh bien, on devrait aller demander aux 60.000 Français, qui n'avaient pas d'emploi depuis parfois 12 mois ou 18 mois, si la vie n'a pas changé pour eux puisqu'ils ont trouvé une insertion dans l'entreprise, et pour les trois quart d'entre-eux un contrat de travail à durée indéterminée, c'est-à-dire le contraire de la précarité. Oui. Michel : engagement pris, engagement tenu.
Autre exemple, le logement des plus démunis. Nous avons vécu l'hiver dernier des moments difficiles. Il n'est pas acceptable dans une société comme la nôtre de voir des hommes et des femmes à la rue quand l'hiver vient. Eh bien, le Gouvernement s'est engagé immédiatement dans une politique de construction de logements d'urgence. Je voyais, moi-même, la semaine dernière, à Bordeaux des SDF, comme on dit, avec cette manie affreuse de mettre des sigles sur des gens, mettre la main à la pâte....
Dans le métier que je fais, il faut pouvoir s'appuyer sur quelques points de repère, sur quelques piliers, sur quelques soutiens parce qu'on en prend un peu « plein la gueule » tous les jours, c'est normal, ça a toujours été comme ça, c'est la règle du jeu ... Alors ces piliers qu'est-ce que c'est ? C'est d'abord la confiance du président de la République, sans laquelle naturellement je ne pourrais rien faire. Je sais que je l'ai. C'est ensuite votre confiance à vous, les parlementaires de la majorité, et si vos amis de l'UDF n'y voient pas malice, tout particulièrement les parlementaires du Rassemblement Pour la République, je crois avoir senti, hier soir, en parlant aux uns et aux autres, que cette confiance aussi, nous pouvions compter dessus, et Michel l'a dit au nom du groupe. Cette confiance du Président, cette confiance de la majorité, il faut qu'elle nous aide à conquérir quelque chose qui est plus important encore qui est la confiance des Français. Il y a fort à faire. Nous allons, j'en suis sûr, le faire ensemble au cours des semaines et des mois qui viennent.
Et puis, après ce mot de confiance, il y a un autre mot que j'aimerais utiliser aussi, parce que je l'ai senti depuis hier soir, dans une phrase, dans un regard, dans un geste, ce n'est pas fréquent en politique ... D'ailleurs, je ne suis pas non plus très spécialiste de la chose ; on me dit pas très extraverti, on est comme on est. Certains d'entre vous sont aussi pudiques que moi, d'autres sont plus « extériorisateurs » je ne sais pas si ce mot existe - mais je l'ai senti. J'ai vu dans ces gestes, dans ces regards, dans ces mots, quelque chose de précieux, l'amitié.
Eh bien, je voudrais remercier les groupes parlementaires d'avoir fait pour moi d'Avignon, aujourd'hui, le rendez-vous de l'amitié.
Monsieur Alain JUPPÉ : Ça c'est une vraie réponse à l'exclusion, pas un discours, une action. Et au-delà, nous avons bien sûr mis en oeuvre toute la politique de réforme de l'accession à la propriété à laquelle nous nous étions engagés ; je voyais hier soir pas plus tard, en rentrant dans ma chambre d'hôtel, à la télévision : "prêt à taux zéro, c'est le moment".
Eh bien voilà, cela aussi, c'est une grande réforme que nous avons engagée. Troisième exemple de lutte contre l'exclusion et d'action pour réduire la fracture sociale : nos aînés. Toutes ces personnes de plus en plus nombreuses qui sont seules, parfois, chez elles et qui ne peuvent plus accomplir seules, les gestes de la vie quotidienne : faire sa toilette, faire sa cuisine, lire tout simplement. Eh bien, l'une des plus grandes avancées sociales que nous avons décidées, j'en suis sûr, c'est cette prestation d'autonomie qui se met en place et qui concernera, dans les mois qui viennent, six cent mille de nos concitoyens que nous aiderons à lutter contre la dépendance et à retrouver l'autonomie.
Je ne prolongerai pas la liste. Je voulais tout simplement, pour peut-être répondre à ceux qui ont trouvé que ça n'allait pas assez vite ni assez fort, rappeler que, en quatre mois, quatre mois et demi, ces trois réformes parmi d'autres ont été non seulement annoncées, mais aussi mises en oeuvre. Alors, face à cette action du Gouvernement, vous nous avez dit, cher Michel, parfois, que vous souhaitiez exercer votre esprit critique. Certes, je n'ai pas la prétention de détenir la vérité révélée.
J'ai toujours dit, et le président de la République l'a dit dès le premier message qu'il a adressé au Parlement, que les propositions du Gouvernement étaient amendables, perfectibles, qu'il fallait y travailler ensemble. Puis-je vous faire une proposition, cher Pierre, qui serait de passer de l'esprit critique à l'esprit de solidarité pour qu'ensemble nous essayions d'améliorer les réformes que propose le Gouvernement ? J'y suis prêt, et je vous y convie. Et je prends trois exemples, immédiats sur lesquels nous pourrions travailler main dans la main, non pas dans l'esprit critique, je le répète, mais dans l'esprit de solidarité.
Premier exemple : la préparation du plan PME qui va être un grand moment à la fin du mois de novembre. J'ai reçu lundi, et j'ai cru comprendre qu'ils ont été un peu surpris que je leur consacre deux heures et demie de mon temps (mais je l'ai fait parce que c'était passionnant), j'ai reçu quinze parlementaires RPR et UDF qui, outre le fait d'être parlementaires, étaient également des chefs d'entreprise. Nous avons longuement discuté de la situation, des attentes, des déceptions, de ce qu'il faut faire pour vaincre ces déceptions. Eh bien, je souhaite que ces parlementaires avec d'autres puissent être étroitement associés par le ministre compétent Jean-Pierre RAFFARIN à la préparation des réformes en chantier.
Autre exemple : le débat social. Je vous demande, c'est une de vos responsabilités et c'est sans doute la meilleure manière de concrétiser cet engagement de soutien que rappelait Michel PERICARD tout à l'heure, d'être présents dans les forums régionaux qui, à partir de lundi, vont se dérouler dans chacune de nos capitales régionales. Vous y êtes conviés. Il faut que vous soyez là pour participer à cette prise de conscience nécessaire dans l'opinion publique, pour montrer tout simplement que sauver la Sécurité sociale, c'est la réformer. Faisons-le ensemble ! Non pas dans la critique, mais dans la solidarité.
Troisième exemple, et il me vient à l'esprit en voyant au premier rang ici le ministre de la Défense, Charles MILLON. Nous avons décidé quelque chose qui est ambitieux, qui est courageux, qui n'a pas été fait depuis dix, quinze ans, ni même depuis cinq. Depuis cinq ans la question qui se pose, c'est de remettre à plat notre système de défense, notre défense nationale, de voir comment il faut aujourd'hui l'adapter à la nouvelle donne de l'Europe et du monde, telle qu'elle s'est créée depuis 1989. Charles MILLON l'a entamée, en créant un comité stratégique qui n'a aucun tabou : les composantes de la force de dissuasion nucléaire, l'avenir de l'armée de terre, son format, sa professionnalisation, la refonte complète du service national.
Aidez-nous ! Participez pleinement à cette action réformatrice que le Gouvernement a engagée. Voilà ce que j'avais en tête, Monsieur le Président, lorsque je parlais de solidarité. Tout simplement, parce que nos destins sont liés. Si nous gagnons, si nous réussissons - ce que je crois, et ce pourquoi je me bats nous gagnerons tous en 1998. C'est pas un homme qui aura gagné. C'est l'ensemble de la majorité qui aura gagné. Si, ce qu'à Dieu ne plaise, et ce que je ne crois pas, nous ne réussissions pas, nous en pâtirions tous. Personne, ici, ne tirerait son épingle du jeu. Alors, puisque nous en sommes convaincus et vous nous l'avez dit, renforçons cette solidarité qui nous unit.
Unité, Solidarité, et je disais en commençant, Optimisme.
Je sais que ce mot surprendra dans ma bouche vraisemblablement ; c'est peut-être une provocation dans la situation un peu difficile où parfois on croit que je me trouve. Mais, c'est vrai que j'ai l'optimisme chevillé au corps. Ça ne m'empêche pas de regarder la situation en face. La France a des problèmes.
L'un de ces problèmes majeurs, c'est la situation de ses finances publiques. Et je le dis ici avec toute la force de ma conviction : il faut en convaincre les Français. Ça n'est pas pour faire plaisir au "marché", à ce que j'appellerai en paraphrasant une autre expression, aux "gnomes de Londres" que je veux réduire les déficits publics. Ça n'est pas pour honorer une signature sur un traité, c'est parce qu'il y va de l'intérêt national, c'est parce que nous devons convaincre les Français que tout point marqué dans la réduction des déficits est un point marqué dans la réduction du chômage.
Regardez autour de nous en Europe. C'est dans les pays où il y a moins de déficits budgétaires qu'il y a le moins de chômage, et donc les efforts que nous entreprenons, même s'ils sont difficiles, même s'il faut mieux les expliquer, c'est vrai, ce seront des efforts payés de retour. Tout effort supplémentaire demandé aujourd'hui, c'est une chance supplémentaire demain de gagner la bataille du chômage. C'est beaucoup plus facile de laisser filer les déficits que de les réduire !
Pour un chef de gouvernement, il n'y a rien de mieux que de laisser filer les déficits. On fait des promesses, on distribue des cadeaux, on dit qu'on va baisser les impôts. Les déficits augmentent, et on atteint le contraire de l'objectif qu'on s'est fixé.
J'ai dit qu'il fallait réduire les déficits. Je le ferai, qu'il s'agisse du déficit du Budget de l'Etat ou de celui de la Sécurité sociale, et ça ne va pas être facile, et je le sais, mais j'y suis déterminé parce que je suis sûr que c'est la bonne politique et que c'est l'intérêt national, et qu'on s'en rendra compte. Et qu'on s'en rendra compte vite, et que la France sera, je le répète, payée de retour. Nous avons donc des difficultés et pourtant je suis plus que jamais optimiste. Parce qu'il faut aussi que nous veillions aux mots que nous employons, moi le tout premier.
On a parfois tendance à dépeindre notre pays comme un pays dans une situation catastrophique qui se laisse petit à petit aspirer vers le fond. Ce n'est pas vrai ! La France est forte, la France est belle, la France est riche ! Nous avons — vous le savez bien, vous sortez des frontières, souvent — nous avons le niveau de vie parmi les plus élevés d'Europe et du monde, et tout ceci c'est l'acquis des générations qui ont travaillé depuis la guerre.
Eh bien c'est tout cela aujourd'hui qu'il faut développer et faire prospérer. Et je voudrais, là aussi, que dans le message que nous adressons aux Français, nous sachions les convaincre que cette lutte de tous les jours que nous menons contre l'exclusion, c'est bien sûr notre priorité. Mais qu'elle s'accompagne d'une autre priorité, qui est la libération des forces vives de la France, parce que nous sommes dans une économie ouverte et nous ne la refermerons pas !
Ne nous berçons pas d'illusions. Ce seraient d'ailleurs des illusions absurdes. Nous ne la refermerons pas. Et donc, la seule façon pour nous de gagner dans cette compétition parfois dure, parfois sauvage, c'est bien sûr d'y mettre des règles. Mais c'est aussi de jouer la carte qui est la nôtre. C'est d'être plus intelligents, plus innovateurs, plus chercheurs, plus entreprenants que les autres. Et c'est à cette France-là aussi que nous devons nous adresser en lui disant que nous voulons la libérer des contraintes fiscales, c'est vrai, quand nous le pourrons. Des contraintes administratives qui la brident. Et nous avons engagé cela avec la réforme de l'Etat, avec la réforme des prélèvements obligatoires à laquelle nous travaillons.
Voilà pourquoi je suis optimiste. Je le sens, je le sais presque. Je suis sûr qu'à la fin de ce siècle, c'est-à-dire demain, nous devrons être au rendez-vous dont je vous parlais il y a quelques jours à l'Assemblée nationale, qui est le rendez-vous des "forts", le rendez-vous des peuples qui n'acceptent pas le relâchement, des peuples qui veulent compter dans la compétition internationale, des plus grandes puissances de l'Europe et du monde, pas simplement pour la jouissance de la puissance, mais parce qu'il y va du bonheur des Français, de leur niveau de vie, de leur bien-être, de leur prospérité. On oublie parfois quel est l'objectif que veut le Gouvernement. Eh bien, je voudrais que le Gouvernement ait sa majorité, se fixe ces objectifs-là, fasse en sorte que la France soit au grand rendez-vous que lui fixe l'Europe et que lui fixe le vingt et unième siècle.Voilà, Messieurs les Présidents, mes chers amis, ce que je voulais vous dire, et pas sous forme de discours-programme, j'aurai l'occasion de vous en refaire — c'est d'ailleurs un exercice où, paraît-il, je ne suis pas très bon, mais j'essaierai volontiers de m'améliorer. Je voudrais pour terminer vous dire que je vais repartir tout à l'heure d'Avignon, rasséréné, dans le métier que je fais et qui est difficile, mais je ne m'en plains pas. J'allais dire que l'ai voulu, je ne suis pas tout à fait sûr de l'avoir voulu, mais enfin j'y suis. J'y suis heureux, parce que j'ai le sentiment que je peux servir.