Interview de M. Thierry Mandon, secrétaire d'Etat à la Réforme de l'Etat et à la simplification, à BFM Business le 18 juillet 2014, sur les attentes des Français exprimées sur "Faire-simple.gouv.fr", la réforme territoriale et le débat au sujet des professions réglementées.

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Média : BFM

Texte intégral

SEBASTIEN COUASNON
On va parler dans un instant de vos dossiers. Un petit mot évidemment sur l'actualité chaude du jour avec le crash de la Malaysia Airlines. A part demander une enquête internationale crédible comme le font les Américains depuis quelques heures, quel rôle peut jouer la France et au-delà l'Europe dans cette affaire ?
THIERRY MANDON
Je pense au moins autant l'Europe que la France. On voit désormais que cette partie de l'Europe au sens large du terme est une zone de non-droit. On y abat les avions de ligne, on ne sait même pas qui les abat. On a des suspicions mais on ne sait pas. Les pressions européennes vis-à-vis de Moscou pour que Moscou lâche définitivement ceux qu'il soutient là-bas pour qu'on retrouve un peu d'Etat de droit, c'est une nécessité absolue.
SEBASTIEN COUASNON
Vous évoquiez justement la position actuelle de Moscou. On a vu les sanctions un peu intensifiées hier à Bruxelles via la suspension de prêts, beaucoup il y a quelques jours à Washington avec une liste noire qui commence à être longue comme le bras. On va mettre dessus le champion du pétrole ROSNEFT, c'est quand même 40 % de la production d'énergie en Russie ; on va mettre les principales banques du pays. On frappe là au porte-monnaie et il y a du coup des implications car la Russie est dans les BRICS. C'est quand même un gros émergent. On peut même ralentir l'économie globale avec cette histoire, ça peut nous coûter très cher à tous.
THIERRY MANDON
Oui, mais ce n'est pas les sanctions qui risquent de ralentir l'économie globale, c'est l'instabilité militaire et diplomatique en Europe et aussi d'ailleurs au Proche-Orient. Il est clair que les conflits armés qui déstabilisent des régions entières comme l'Est de l'Europe, le Moyen-Orient et le Proche-Orient, ce n'est pas bon du tout pour l'activité économique internationale. Il y a urgence pour la communauté à se mobiliser, d'autant plus que tout cela se passe aux portes de l'Europe. Ce n'est pas des conflits qui se passent à l'autre bout de la planète dont on se préoccupe finalement occasionnellement. C'est vraiment à nos portes que des foyers durables de tension renaissent.
SEBASTIEN COUASNON
Thierry MANDON, merci d'être avec nous ce matin. Manuel VALLS et François HOLLANDE vous ont franchement confié peut-être l'une des missions les plus compliquées de votre gouvernement et même de ces dernières années. Réformer l'Etat, simplifier les démarches administratives, moderniser l'Etat français, comment vous allez vous y prendre ? Vous avez annoncé en début de semaine la création d'un site Internet où on peut se lâcher et proposer des choses très concrètement. J'espère quand même que vous avez derrière un calendrier parce que sinon ça va partir dans tous les sens.
THIERRY MANDON
C'est une méthodologie extrêmement sophistiquée qui est mise en place en back office de ce qu'on voit.
SEBASTIEN COUASNON
Expliquez-nous.
THIERRY MANDON
D'abord, le renversement de logique pour arriver à faire ces réformes. Jusqu'à maintenant, quand on réformait l'administration, quand on voulait simplifier les choses pour les particuliers et pour les entreprises, les gens de l'administration centrale qui sont tous très intelligents disaient : « On va faire comme ci, on va faire comme ça », mais on se rend compte que ça ne marche pas. Pourquoi ? Parce que les situations sont très complexes, la société a bougé, je ne rentre pas dans les détails. Nous inversons complètement la logique. Comme nous l'avons commencé pour la simplification pour les entreprises, et comme nous l'engageons désormais pour les particuliers, nous partons des usagers, de ce qu'ils vivent, des difficultés qu'ils rencontrent et des galères qu'ils vivent notamment pour les papiers. C'est le sens du site que nous avons lancé cette semaine. Nous décortiquons cette complexité vécue et c'est à partir de cette déconstruction de la complexité que nous rebaptisons un système d'action publique rénovée. Tout ça est un peu complexe en termes de méthodologie mais c'est en fait très simple. On remet l'usager au coeur des préoccupations des constructions des politiques publiques. Très concrètement, ça veut dire quoi ? On a dit aux Français : « Dites-nous les démarches qui polluent votre vie ». Elles sont dans ce site.
SEBASTIEN COUASNON
Dans le top 3 de Faire-simple.gouv.fr, qu'est-ce qui ressort déjà ? Qu'est-ce qui remonte ?
THIERRY MANDON
Première chose, tout ce qui relève du domaine de la protection sociale. C'est très intéressant parce que ça, ce n'est pas l'Etat. Paradoxalement, c'est géré par des partenaires sociaux, la CAF, les Caisses primaires d'assurance-maladie.
SEBASTIEN COUASNON
Oui, la Sécu est privée mais avec une notion de service public.
THIERRY MANDON
Ça veut dire que quand l'Etat dit : « Je vais simplifier votre vie en allégeant vos démarches », ce n'est pas ce qu'attendent les Français. Les Français attendent que ce soit l'ensemble des acteurs publics - Etat et partenaires sociaux, organismes associés - qui simplifie leurs démarches. Deuxièmement, la situation aberrante de certains ayant-droits, je pense notamment aux handicapés. On a rencontré un handicapé qui nous a expliqué qu'il est handicapé à 100 % jusqu'au dernier de ses jours, qu'il doit refaire sa carte d'invalidité tous les cinq ans, que ça met neuf mois pour avoir une nouvelle carte d'invalidité et que pendant quatre ou cinq mois, comme il n'a pas de nouvelle carte d'invalidité, il perd ses prestations qui sont les seuls moyens qu'il a pour vivre.
SEBASTIEN COUASNON
C'est très concret. On peut se dire que c'est un cas particulier, or ça concerne sûrement des dizaines de milliers de gens.
THIERRY MANDON
Mais il y en a plein ! Cette dame qui nous dit : « J'ai une carte Vitale, on me demande où je suis née, combien j'ai d'enfants, pratiquement si j'ai été mariée deux ou trois fois, et sur ma carte Vitale il n'y a pas mon groupe sanguin. Résultat, je suis sans arrêt obligée de refaire des prises de sang pour avoir mon groupe sanguin. Ce ne serait pas plus simple de le mettre sur ma carte Vitale ? Normalement, ça ne change pas ». Bref ! Ce qui est bien dans ce site Faire-simple.gouv.fr, c'est que les Français témoignent et bien souvent, comme ils discutent entre eux, ils apportent les solutions. C'est un peu comme un compte Facebook Ce qui m'importe, ce n'est pas d'avoir les témoignages des difficultés, j'en suis ravi parce que j'en ai besoin, mais c'est d'identifier des solutions. C'est à cela que sert ce site.
SEBASTIEN COUASNON
Rassurez-moi, les entrepreneurs qui nous écoutent beaucoup le matin peuvent encore réclamer et témoigner. Ce n'est pas terminé. Vous avez dit : « On a fait beaucoup les entreprises ».
THIERRY MANDON
Non, non. Vous avez deux programmes en parallèle, l'un qui est Faire-simple pour les particuliers et un qui est Faire-simple pour les entreprises. Ils ont une chose en commun : c'est qu'on identifie des noeuds de complexité, on en arrête une liste d'une cinquantaine environ tous les trois-quatre mois pour les particuliers, six mois pour les entreprises. Six mois après, on les a traités et - ça c'est aussi nouveau - grâce à un système d'évaluation indépendant de l'Etat, on rend compte de l'application des réformes entreprises pour que les gens voient que c'est sérieux et que ça marche.
SEBASTIEN COUASNON
Thierry MANDON, on rappelle que sous les trois ans qui viennent, l'Etat est censé faire 18 milliards d'euros d'économies. Vous nous garantissez ce matin qu'on aura alors un niveau de qualité de service public inchangé dans trois ans voire, soyons fous !, on pourrait faire mieux avec moins d'argent ?
THIERRY MANDON
C'est une conviction personnelle. Le gouvernement s'est engagé sur 18 milliards, c'est une feuille de route qui s'applique à tous et donc à moi. Je suis personnellement persuadé qu'on peut faire plus sans baisser la qualité de service, voire même en l'améliorant. Je vais vous donner trois exemples. Premièrement, la question du logement, la politique du logement, 42 milliards d'euros. Les logements coûtent de plus en plus cher ; on en construit de moins en moins ; et les files d'attente dans les mairies n'ont jamais été aussi importantes. 42 milliards pour une politique qui produit ces résultats-là, je suis persuadé qu'on peut gagner de l'argent pour le même résultat – là, il n'y a pas besoin de faire de grandes études ! – et même qu'on peut gagner de l'argent et obtenir des résultats supérieurs. Mais il faut une vraie réforme et ça va être une des priorités que m'a demandé de travailler Manuel VALLS avec la ministre concernée.
SEBASTIEN COUASNON
La droite sous SARKOZY ne disait pas… ne disait pas…
THIERRY MANDON
Le problème n'est pas de dire, c'est de faire. C'est comme la réforme qu'on a voté cette nuit sur les collectivités territoriales. Ça fait vingt ans qu'on dit qu'on va réorganiser les régions. Là, c'est fait. Depuis six heures du matin, c'est voté.
SEBASTIEN COUASNON
On passe de vingt-deux à treize. Pourquoi treize régions et pas quatorze d'ailleurs ?
THIERRY MANDON
Parce que la méthode que Manuel VALLS a mise en place et qui était la bonne était de faire une proposition de base et de dire aux parlementaires : « Si vous pensez qu'il y a mieux à faire, on est en majorité parlementaire, en régime parlementaire en tous cas partiellement parlementaire, et vous pouvez le faire ». C'est ce qui s'est passé.
SEBASTIEN COUASNON
Effort à l'ouest, à l'est et au nord.
THIERRY MANDON
Il y a eu trois dessins nouveaux de région mais le plus important, c'est la région Picardie qui est passée avec le Nord-Pas-de-Calais. Du coup, la région Champagne-Ardenne qui devait être avec la Picardie est passée avec l'Alsace-Lorraine, ce qui fait donc une région en moins. Ça, c'est voté et ce qui compte, c'est ça. Ce n'est pas la théorie de la réforme. C'est bon ! la théorie de la réforme, ça fait vingt ans qu'on la fait sur pleins de domaines. C'est les travaux pratiques de la réforme pour les territoires comme pour les dépenses publiques. Je vous donne un autre exemple, la formation professionnelle. On en parle depuis des années, ça fait 35 milliards et on se rend compte, quand on regarde qui se forme, que ceux qui ont le plus besoin d'être formés sont ceux qui échappent au système de formation professionnelle. C'est quand même fantastique ! 35 milliards pour former ceux qui en ont le moins besoin et ne pas former ceux qui en ont besoin. Ça aussi, je pense qu'en deux ans avec des méthodologies très précises, on peut grandement améliorer le système probablement à moindres coûts.
SEBASTIEN COUASNON
Un petit mot de la concurrence pour terminer avec ces trente sept professions réglementées où en situation de monopole qui intéressent beaucoup Bercy. Arnaud MONTEBOURG en a fait une grande conférence en début de semaine. Les huissiers, les notaires, les plombiers, vous commencez à les entendre monter tous au créneau un à un. C'est à désespérer ou on pouvait s'y attendre et vous êtes prêt à ça aussi et à résister ? Rassurez-nous.
THIERRY MANDON
A résister, oui. Mais j'allais dire qu'il faut faire du Esther DUFLOT partout, c'est-à-dire qu'il ne faut pas faire de gros paquets ou de grosses montagnes parce que c'est comme ça qu'on ne réforme pas. Si on dit : « Ah ! les 37 professions réglementées, c'est vraiment scandaleux. Il faut mettre ça par terre », ça ne marche pas. Si en revanche on regarde cas par cas, on se rend compte que les pharmaciens en zone rurale ont une vraie mission de service public. La rente dont ils disposent n'est donc là pas totalement inconsidérée et injustifiée. Si on regarde les huissiers qui facturent un acte 100 euros et ont un bénéfice net sur cet acte de 44-45 euros, on peut se dire que c'est un peu excessif. Les greffiers de tribunaux, c'est pareil. C'est 43 euros sur 100. Il faut donc regarder au cas par cas. Déconstruire toutes les activités de ces professions, négocier avec elles un retour à la raison, parce que quand leur richesse progresse pour certains plus de deux fois plus vite que la richesse nationale, c'est qu'ils ont un bénéfice de la rente qui est un bénéfice excessif. Et puis, si on n'y arrive pas par le négocié, on va jusqu'au bout. On ira donc jusqu'au bout mais là aussi avec une méthodologie qui doit être construite sur la réalité, la déconstruction de la réalité pour bien comprendre les mécanismes et la correction du tir. Moi, je ne jette pas la pierre aux professions réglementées en général, c'est une erreur. En revanche il y a des excès, il y a des choses à corriger et celles-là, pour le coup elles le seront.
SEBASTIEN COUASNON
Et ça va être coton. Vous êtes optimiste et vous dites : « Ce ne sera quand même pas comme le conflit qui opposait VTC et taxis ». Ça va être plus simple parce qu'effectivement ils sont plus privilégiés, parfois moins organisés. On ne les voit pas tous demain prendre d'assaut la Bastille.
THIERRY MANDON
Elles le seront à une condition. C'est qu'on mette tout ça sur la table publiquement. Est-ce qu'il est normal qu'un forfait de 20 heures d'auto-école en province coûte 784 euros et qu'un forfait de 20 heures d'auto-école à Paris coûte 1 425 euros ? Si vous dites ça à l'opinion publique… Le Parisien qui prend vingt heures, c'est le même que le Limougeaud qui prend vingt heures de conduite mais il paye deux fois plus cher. Ce n'est pas normal !
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 juillet 2014