Interview de M. Thierry Mandon, secrétaire d'Etat à la Réforme de l'Etat et à la simplification, à I-Télé le 11 décembre 2014, sur le projet de loi pour la croissance et l'activité, dit projet de loi Macron.

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Média : Itélé

Texte intégral

BRUCE TOUSSAINT
Thierry MANDON, le secrétaire d'Etat à la Réforme de l'Etat et à la Simplification, est l‘invité d'I TELE ce matin, bonjour...
THIERRY MANDON
Bonjour.
BRUCE TOUSSAINT
Merci beaucoup d'être avec nous. On prend 2 secondes de recul comme ça, comme si on faisait une image arrêtée, qui se déchire le plus en ce moment, la droite ou la gauche ?
THIERRY MANDON
On est à des moments de réorganisation des sociétés, profonds, devant des problèmes économiques, sociaux et donc il y a des débats partout, il y a une recomposition de la vie politique qui s'opère sur le fond et que ça induit forcément des débats intenses, des craquements même parfois, mais c'est un passage obligé.
BRUCE TOUSSAINT
Oui ! Moi j'allais dire match nul quand même sur les dissensions, le mot est faible, internes en ce moment à l'UMP ou entre le PS et une partie de la gauche de la gauche, vous diriez ça aussi ?
THIERRY MANDON
Peut-être ! Mais c'est normal, il me semble que c'est normal. On est à un moment où…
BRUCE TOUSSAINT
Ca donne un drôle de spectacle ! Sur le fond ça peut être normal, sur la forme ?
THIERRY MANDON
Mais d'une certaine manière c'est comme dans les laboratoires de recherche, vous savez les laboratoires de recherche tous les chercheurs ils se battent et ils essaient d'ouvrir des voies et, là, on essaie d'ouvrir des voies parce qu'il y a besoin, parce qu'on voit bien chômage de masse, difficulté de la mondialisation, il faut ouvrir des voies…
BRUCE TOUSSAINT
Alors il y a un chef de la…
THIERRY MANDON
Ca se fait dans le débat.
BRUCE TOUSSAINT
Alors il y a un chef de labo qui s'appelle Manuel VALLS…
THIERRY MANDON
Oui !
BRUCE TOUSSAINT
Hier soir a-t-il eu raison d'attaquer, écoutez, la gauche de la gauche.
MANUEL VALLS, PREMIER MINISTRE
La question c'est donc de savoir pourquoi nous sommes devenus inaudibles, certains prétendent que c'est parce que la gauche ne serait pas assez à gauche, mais alors comment expliquer que précisément la gauche de la gauche ait tant de mal en France à s'imposer dans les urnes et à faire entendre sa voix ?
BRUCE TOUSSAINT
Ca ajoute quoi au débat ?
THIERRY MANDON
Eh bien c'est indispensable qu'on essaie d'imposer une nouvelle gauche qui soit réellement de gauche, quand je dis réellement de gauche je dis réellement, c'est-à-dire qui centre sur l'état du monde, l'état de notre société, les problèmes de notre société tels qu'ils sont : le sous-emploi chronique par exemple, les inégalités qui se développent quoi qu'on fasse et qu'on essaie de réparer ça - ça c'est la gauche du réel - et, d'une certaine manière, si on ne rentre pas dans cette démarche-là, alors les débats sont interminables, c'est une imposture….
BRUCE TOUSSAINT
Il y aurait donc une nouvelle gauche et une ancienne gauche ?
THIERRY MANDON
Oui ! Eh bien je crois qu'il y a une gauche du réel oui et puis il y a une gauche qui trop préoccupée de construction théorique et d'idéal oublie de regarder le monde tel qu'il est et donc, renonce, d'une certaine manière, à le changer réellement.
BRUCE TOUSSAINT
Vous visez qui ?
THIERRY MANDON
Personne ! Personne. Mais on va prendre des débats, j'imagine que… parlons du travail du dimanche, eh bien c'est en train de devenir une sorte de guerre de religions le travail du dimanche…
BRUCE TOUSSAINT
Oui ! Mais c'est vraiment le…. Non ! Mais parce qu'Emmanuel MACRON a dit hier : « c'est une vraie – à propos de son projet de loi – c'est une vraie loi de gauche », en quoi c'est une loi de gauche ?
THIERRY MANDON
Ah ! Eh bien c'est très simple.
BRUCE TOUSSAINT
Allez-y !
THIERRY MANDON
Prenons le travail du dimanche, sur la loi en général il y a 2 choses…
BRUCE TOUSSAINT
Faisons les 2 !
THIERRY MANDON
Les 2 ! On va faire les 2. Sur la loi, en général : 1) ça bouscule des positions acquises cette loi, pour que de nouveaux entrants : des jeunes, des gens qui ont envie de s'installer puissent le faire, c'est l'axe sur la position de ce qu'on appelle les professions réglementées, c'est-à-dire ces professions qui sont tout à fait utiles à la société mais dont le taux de bénéfices est de près de 20 % quand le taux de bénéfices moyen de l'activité économique en France est de 7 %, donc là on dit : on doit pouvoir bousculer un peu ce système et faire en sorte que des jeunes notaires, des jeunes huissiers puissent s'installer beaucoup plus facilement et retrouver une situation qui était celle de 80 où il y avait plus d'études notariales qu'il y en a aujourd'hui. Donc ça c'est de gauche, ça c'est un vrai progrès ; Deuxième chose, sur le travail du dimanche, sur le travail du dimanche on dit : ah, on passe à 12 dimanches…travaillés, facultatifs au passage, sur décision du maire, c'est un bouleversement. Mais enfin franchement quand on passe de 1 dimanche sur 10, qui est le droit actuel, à 2 dimanches sur 10 travaillables, pas travaillés, c'est-à-dire si les maires le décident, quand on oblige à des contreparties dans la loi alors qu'il n'y en a pas aujourd'hui - dans plein de zones vous pouvez travailler le dimanche et être payé comme les autres jours s'il n'y a pas de convention – et, quand on protège, on garantie le fait que ça sera sur le volontariat, là on est sur des progrès véritables.
BRUCE TOUSSAINT
Oui ! Ca sera sans contrepartie visiblement, c'est ce qu'a dit Emmanuel MACRON ce matin sur RTL, notamment sur le… voilà, est-ce qu'on gagne plus si on travaille le dimanche, écoutez ce que dit le ministre de l'Economie.
EMMANUEL MACRON, MINISTRE DE L'ECONOMIE – EXTRAIT DOC. RTL
Faites 2 secondes l'épreuve du réel ! Doubler le salaire, une grande surface en périphérie peut le faire, voyer si un petit magasin aujourd'hui ouvert dans une zone touristique peut payer double ? Vous verrez qu'il fermera ! Moi je pense que la loi doit poser un principe et ensuite, quand on croit au dialogue social, il faut y croire jusqu'au bout et donc c'est le dialogue social qui doit permettre à l'ouverture de ce faire par les accords que j'évoquais et c'est au niveau de la branche ou au niveau du territoire, ou de l'entreprise, que les règles peuvent être définies intelligemment.
BRUCE TOUSSAINT
Donc non seulement il faut travailler le dimanche, mais, en plus, il n'y a pas d'avantage ?
THIERRY MANDON
Non ! Attendez, je crois que c'est exactement l'inverse que dit Emmanuel MACRON, la loi pose, la loi MACRON, pose désormais l'obligation de contreparties au fait qu'un salarié travaille le dimanche.
BRUCE TOUSSAINT
Mais ça ne veut rien dire contreparties, ça peut être un ticket restaurant.
THIERRY MANDON
Attendez ! Attendez. Non ! Non, non, pas du tout, mais c'est… et ces contreparties sont négociées branche professionnelle par branche professionnelle…
BRUCE TOUSSAINT
C'est ce que je disais, il n'y a aucun acquis, il y a juste le principe.
THIERRY MANDON
Mais quelle est la loi aujourd'hui ? La loi n'oblige pas les contreparties, vous avez des salariés qui travaillent le dimanche aux conditions des autres jours quand il n'y a pas d'accord, désormais ça ne sera plus possible, il y a la garante que si vous travaillez le dimanche vous avez un bonni qui sera négocié dans votre branche ou dans votre entreprise.
BRUCE TOUSSAINT
Pourquoi cette loi est-elle aussi contestée si elle est aussi formidable ?
THIERRY MANDON
Oh ! Je ne sais pas si elle est formidable. Elle est très utile, elle est très utile parce qu'elle s'attaque aux points de blocages et elle s'attaque aux rigidités. Pourquoi ? Parce que, encore une fois, on touche des choses qui n'ont pas été touchées depuis extrêmement longtemps, on touche des intérêts acquis. Je prends un exemple tout bête ! Dans la loi vous avez l'obligation pour les services d'urgence en serrurerie et en plomberie d'informer les clients avant l'intervention, alors évidemment les serruriers, vous connaissez tous cela - à Paris particulièrement, - vous avez votre porte qui est coincée, vous appelez votre serrurier, il vous dit : « c'est 250 euros ». Voilà ! Et donc ces gens-là ils font quand même beaucoup de bénéfices, ça c'est terminé, la loi s'attaque à ce type de situation et la loi s'attaque à plein de situations et donc, derrière ces situations de blocage, il y a des gens qui en profite, ça c'est fini.
BRUCE TOUSSAINT
Martine AUBRY parle de régression, elle est fermement opposée à cette loi. Donc, si j'ai bien compris, elle, elle fait partie de l'ancienne gauche alors, elle n'a rien compris ?
THIERRY MANDON
Non ! Non, ce n'est pas le problème de Martine AUBRY, je crois qu'il faut se calmer. Quand on est à 2 dimanches qui peuvent être travaillés dans certaines villes, sur décision du maire, ce n'est pas un changement de civilisation, voilà, c'est une facilité, elle est maire de Lille, si elle ne veut pas utiliser ce dispositif à Lille, elle ne l'utilisera pas.
BRUCE TOUSSAINT
Oui ! Mais ce n'est pas rien quand même Martine AUBRY, c'est une voix qui porte ?
THIERRY MANDON
Oui ! C'est une voix qui porte. Mais je pense qu'elle donne à cette loi un contenu que cette loi n'a pas, il n'y a pas de changement de civilisation entre 5 dimanches travaillables et 12 dimanches travaillables, ce n'est pas vrai.
BRUCE TOUSSAINT
Elle se trompe ?
THIERRY MANDON
Oui ! Je crois, je crois que c'est une vision un peu excessive, en tout cas dans la formulation des choses.
BRUCE TOUSSAINT
Elle dit en fait que cette loi sur le travail du dimanche ça incarne le consumérisme triomphant.
THIERRY MANDON
Tout ça est ridicule ! J'en suis désolé. Mais, encore une fois, il s'agit de 12 dimanches par an - ça veut dire 2 dimanches travaillés sur 10 - ce n'est pas la marque du consumérisme et puis, après tout, il y a des gens qui ont besoin de consommer le dimanche, d'ailleurs ils le font aujourd'hui. Vous savez comment ils le font ? Ils le font par internet ! 25 % du chiffre d'un grand distributeur de livres se fait le week-end et moi je préfère que ces gens-là aillent dans les librairies plutôt que de commander par internet, mais, pour qu'ils aillent dans les librairies, il faut que les librairies soient ouvertes...
BRUCE TOUSSAINT
Alors Arnaud MONTEBOURG, que vous connaissez bien, avait lancé cette loi à l'origine, ce projet de loi, à l'époque il avait parlé d'un objectif de 6 milliards d'euros de pouvoir d'achat supplémentaire – ce qui n'est pas rien – aujourd'hui Emmanuel MACRON dit rien, enfin il ne dit pas de chiffre.
THIERRY MANDON
Eh bien il dit des chiffres, enfin il dit un certain nombre de chiffres. Il prend par exemple le projet sur les ouvertures de lignes d'autocars, là…
BRUCE TOUSSAINT
Oui ! Alors on apprend ce matin que 40 destinations vont être ouvertes par TRANSDEV.
THIERRY MANDON
Eh bien voilà ! Ca c'est très bien, c'est très utile. Parce que vous habitez Chateaubriand, vous avez votre petite copine qui habite à Rennes, aujourd'hui il n'y a pas de transport en commun pour y aller, donc voilà vous faites… vous regardez Skype ou alors vous faites du covoiturage, ce qui n'est pas toujours très facile, demain il y aura des lignes interrégionales, ça cela représente environ - s'il y a 5 millions de passagers dans les 2 ans qui viennent – ça représente une vingtaine de milliers d'emplois. Là vous pouvez dire… sur le travail du dimanche vous ne pouvez pas dire, pourquoi, parce que c'est à la latitude du maire. Comment va se comporter madame HIDALGO ? Comment va se comporter madame AUBRY à Lille ? Comment va se comporter monsieur JUPPE à Bordeaux ? On ne sait pas ! Donc, vous ne pouvez pas anticiper des comportements qui sont des facultés laissées aux maires et donc c'est la raison pour laquelle il ne prend pas de risque sur ce point-là.
BRUCE TOUSSAINT
L'hebdomadaire anglais « The Economist » écrit, ils ne sont jamais tendres avec nous, jamais tendrez avec la France, mais alors là ils écrivent : « monsieur MACRON doit convaincre Bruxelles que ses réformes sont libérales et convaincre les socialistes Français qu'elles ne le sont », c'est plutôt pas mal vu, non ?
THIERRY MANDON
Oui ! Non, ce n'est pas à Bruxelles le sujet en l'espèce, c'est la majorité parlementaire, mais moi je suis persuadé qu'elle votera ce texte.
BRUCE TOUSSAINT
Ca va passer, la question ?
THIERRY MANDON
Eh bien oui ! Parce qu'il y a plein de relais…
BRUCE TOUSSAINT
Mais ça va passer au bout de combien de dé-tricotages ?
THIERRY MANDON
Non ! Non, pas du tout, il y a plein de volets dont on ne parle pas, il y a à peu prè sune centaine d'articles. Vous avez sur la simplification des règles d'urbanisme l'amélioration des enquêtes publiques, la participation des gens, vous avez des règles très intéressantes ; vous avez de l'épargne salariale, facilitée, rendue plus intéressante en termes fiscaux. Ca veut dire quoi ? Ca veut dire que les entreprises vont pouvoir intéresser au capital leurs salariés ! Donc, il y a plein de propositions très intéressantes dans ce texte.
BRUCE TOUSSAINT
Si ça coince, est-ce qu'il faut envisager le 49.3 ?
THIERRY MANDON
Il ne faut jamais souhaiter le 49.3 ! Non, mais le 49.3 c'est un pis-aller, la majorité votera ce texte, elle peut l'amender sur telle ou telle disposition, si elle considère qu'à 12 dimanches c'est un changement de civilisation mais qu'à 10 ça ne pose pas de problème…
BRUCE TOUSSAINT
Si les frondeurs ne votent pas !
THIERRY MANDON
J'imagine qu'on arrivera à trouver des accords.
BRUCE TOUSSAINT
Oui ! Oui. Le calendrier, ça sera mis en place quand ? Là on discute, ça va passer à l'Assemblée, il va y avoir la navette parlementaire, c'est quoi l'objectif selon vous ?
THIERRY MANDON
Eh bien c'est avant le premier semestre, avant la fin du premier semestre 2015…
BRUCE TOUSSAINT
Avant la fin du premier semestre.
THIERRY MANDON
Il faut que ça aille vite. Parce que c'est indispensable, c'est l'emploi.
BRUCE TOUSSAINT
Dernière question ! Est-ce que le principal défaut de ce projet de loi ce n'est pas son ministre, Emmanuel MACRON, il cristallise beaucoup de choses ?
THIERRY MANDON
Oui ! Mais il incarne beaucoup de choses aussi, c'est l'un des plus jeunes du gouvernement, il incarne le besoin d'ouvrir des possibilités pour les jeunes dont est porteuse cette loi, quand il s'agit de professions réglementées, quand il s'agit de situations acquises qu'on bouscule un peu pour faire de la place à des nouveaux entrants, c'est derrière un message à la jeunesse : « Voilà ! Entreprenez dans ce pays, il y a moins de rigidité, il y a moins de points de blocage, engagez-vous ».
BRUCE TOUSSAINT
La gauche de la gauche ne l'aime pas, l'ancienne gauche comme vous l'appelez ?
THIERRY MANDON
Eh bien le monde bouge, Emmanuel MACRON est entouré par un gouvernement et surtout soutenu par le Premier ministre qui considère que cette loi de liberté est compatible avec un nouveau projet préventif de la lutte contre les inégalités.
BRUCE TOUSSAINT
Merci Thierry MANDON, merci d'avoir été avec nous ce matin sur I TELE, bonne journée à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 décembre 2014