Texte intégral
Merci pour cette si belle introduction Monsieur le Directeur.
Monsieur le procureur général, Madame la première présidente de la Cour dappel, Monsieur le procureur général de la Cour dappel, Monsieur le préfet délégué à lassurance et à la sécurité, Mesdames Messieurs, et Mesdemoiselles Messieurs. Je me régale, excusez-moi, je fais un tour panoramique parce que, lorsque je vous ai quittés la dernière fois je suis désolée de lavoir fait dans de telles conditions, je suis partie avec la beauté à la fois singulière et harmonieuse de lassistance. Cest vraiment la dernière image avant de mécrouler pardon. Cest la dernière image que jai eue et cétait une image vraiment stimulante. Comme vous lavez dit Monsieur le directeur, jai décidé de revenir. Avant même de quitter létablissement, je crois que cest la première parole que jai prononcée : jai dit à mes conseillers « dites leur que je reviendrai ». Jai tenu à revenir, ce ne fut pas simple, mais ça y est. Je tenais à revenir, parce que connaissant le fonctionnement de lécole, devant vous. Jaurais pu revenir à un autre moment, et avoir en face de moi la promotion de lannée dernière, ou plus tard, celle qui arrivera début février. Cest devant vous que je voulais revenir, parce que je voulais poursuivre notre conversation interrompue intempestivement. La dernière fois je vous ai parlé, je crois avoir eu le temps de vous dire jai vérifié - comment je percevais le métier, quelles interrogations portaient cette formation à la très belle fonction de magistrat, les interrogations sur lapprentissage dun métier, sur limplication dans un réseau, sur la distance que vous pourriez prendre vis-à-vis des textes et vis-à-vis des justiciables. Cette interrogation est liée à cette très belle mission constitutionnelle que celle qui consiste à rendre la justice. Cest la seule, cest le seul métier inscrit dans la constitution, cest un très beau service public, et cest à ce beau métier que vous êtes en formation ici.
Aujourdhui je vous parlerai un petit peu plus de lécole, et de la façon dont jy tiens, ce que je perçois et ce que sont ses belles missions, parce que cest bien cette école qui fait le lien avec la société, entre la justice et la société, et la porte par laquelle vous entrez dans le métier. Mais cest aussi la porte par laquelle le citoyen guette pour regarder la qualité de la formation de magistrat. Nous sommes à un moment où une interrogation forte se pose encore sur la magistrature, sur les magistrats, sur la façon dont ils accomplissent leurs missions. Il est essentiel pour lEtat - pour le gouvernement, qui a la responsabilité de lEtat, ou au moins le temps dun quinquennat de veiller à ce que la magistrature soit perçue dans la société comme étant une mission élevée, forte, qui doit être respectée et soutenue. Cest essentiel, non pas par parce que vous êtes des personnes sympathiques ou que les juges le sont, mais cest essentiel parce que rendre la justice est une mission extrêmement élevée, et surtout extrêmement lourde dans un Etat de droit. LEtat de droit tient bon sur la qualité du service public de la justice. Le service public de la justice est lépine dorsale de cet Etat de droit. Le service public de la justice structure la démocratie. Il est donc essentiel que le pouvoir politique soit conscient de limportance de ces missions accomplies et fasse en sorte que cette importance soit perçue dans la société. Il y a des interrogations sur le rôle du magistrat, sur son rapport à lexécutif, notamment. Il y a lexécutif, le pouvoir politique, toujours de passage aussi longtemps quil dure, il est toujours de passage. Et il y a lEtat, avec sa continuité, et ceux qui représentent la puissance publique. Un arrêt du Conseil dEtat qui date dil y a quelques années, du 6 novembre 2002, juge que le magistrat participe à lexercice de la puissance publique et à la sauvegarde des intérêts généraux de lEtat. Oui, le magistrat participe à lexercice de la puissance publique. Et nous avons, nous pouvoir public, à veiller à ce que cet exercice saccomplisse dans les meilleures conditions.
Il y a eu récemment encore, cétait au début du mois de décembre, la semaine dernière, un article qui sinterrogeait sur le déclin ou la perte dattractivité de la formation de magistrat. Il semble faire un lien avec la féminisation du corps - qui est indiscutable, elle est sous mes yeux, mais elle est aussi dans les statistiques : cest cette promotion je crois qui atteint 82% de femmes ? et le niveau de rémunération. Sur la féminisation. Est-ce à dire que larrivée massive de femmes serait la dégradation dun métier ? Mais lexpérience montre quau contraire larrivée massive de femmes est le signe dune volonté daccéder à un métier jusqualors difficile daccès. Et sil y a un critère dattractivité pour un métier cest bien celui-là, le fait que les femmes partent à la conquête dun métier, cest le signe que cest un beau métier, le signe quune génération dit « ça suffit que nous en soyons exclues, nous allons prendre dassaut ce métier ». Pour ma part je lis donc différemment larrivée massive de femmes dans la formation de magistrat. Oui Mesdames, oui Mesdemoiselles, vous avez raison de partir à la conquête de ce métier, de lexercer tel que vous lexercerez. Il y a une interrogation déjà, puisque vous nêtes pas la première promotion majoritairement féminine, sur limpact que pourrait avoir larrivée des femmes dans le métier de magistrat. Il y a des personnes qui se sont interrogées là-dessus. Et finalement elles ont bien fait, parce quelles ont constaté quil y avait autant de rigueur, quil y avait le même rapport à la loi, quil y avait la même attention et peut-être même un petit peu plus vis-à-vis des personnes jugées, des situations de jugement
Mais oui, pourquoi pas finalement sinterroger sur limpact de cette forte féminisation sur la façon de rendre la justice. Et sur les motivations. La rémunération serait une raison de la baisse dattractivité. Sauf que lorsque lon interroge les candidats au concours de lécole, ou ceux qui y entrent par les diverses procédures, la principale motivation est de venir participer à un service public. Cest de rendre la justice, daccéder à une fonction noble. Cest ça les motivations. Alors cela ne signifie pas que les magistrats soient forcément correctement rémunérés. Cependant je sais bien que ce nest pas un critère de détermination dun métier que vous allez exercer pendant plus de trente ans, probablement une quarantaine dannées. Et ce ne peut pas être le critère principal de choix. Je sais que votre directeur, le directeur de lécole, est très mobilisé, très motivé, il est au-devant des étudiants, et la Chancellerie soutient ces démarches qui consistent à faire connaître, faire percevoir ce que représentent les métiers de magistrat. Je le mets au pluriel parce que vous serez appelés à exercer plusieurs métiers dans le même métier, compte tenu de la diversité des fonctions qui sont dévolues aux magistrats. Mais il sinterroge aussi, et nous savons bien que personne néchappe à son contexte, personne néchappe à son époque, et le citoyen sinterroge, en particulier compte tenu de ces dernières années, du regard que le pouvoir politique a jeté sur la magistrature, des propos qui ont été tenus, offensants pour certains, de sorte que le citoyen attend paradoxalement, avec ambivalence, de la part des magistrats, à la fois protection, puisque le magistrat est son recours, mais en même temps une espèce de suspicion ou une interrogation. On entend des phrases qui sont des poncifs, et qui révèlent un doute taraudant, sur le magistrat, et notamment sur leur indépendance. Le pouvoir politique doit donc, en premier lieu, avant tout le monde, vous marquer du respect, pour dire limportance quil reconnaît à la magistrature, dans la société, en tant que service public, pour la démocratie, pour la force de la puissance publique. Le pouvoir politique est le premier à devoir montrer son respect vis-à-vis de la magistrature.
Mais bien entendu il y a une part qui relève des magistrats eux-mêmes. Il y a la qualité de la relation avec le reste de la société ; la façon dont vous établissez le rapport, le dialogue avec le corps social ; la façon dont vous vous inscrivez dans votre environnement ; la façon dont vous vous comportez ; les signes que vous montrez aux citoyens et aux justiciables, de façon quils perçoivent bien votre rigueur, votre exemplarité, votre humilité, votre attachement à votre mission. Il y a donc ce va et vient entre la perception qui est donnée à la société de qui vous êtes et ce que vous faites lessentiel pour la démocratie, mais aussi, bien entendu, le regard que la société vous renvoie, et ce regard changera, ce regard se chargera de respect et de gratitude au fur et à mesure que les citoyens et les justiciables apprendront à vous connaître, collectivement, et dabord individuellement.
Je le disais, nous sommes à une époque particulière, que vous vivez, puisque je sais que vous êtes dans la société et que vous vous interrogez, et qui est marquée quand même par un certain nombre déléments qui pèsent sur la façon dont vous pouvez exercer votre métier. Il y a malaise, je lai dit ; il y a aussi surtout une tendance, ces dernières années, à considérer les choses de façon quantitative, à écarter la réflexion sur la fonction elle-même, à écarter les appréciations qualitatives de lévolution du métier, de lévolution de linscription du métier dans la société, rapport du métier avec les autres professions, avec les autres métiers autour du juge, et à ne considérer les choses que du point de vue des moyens, du budget essentiel, mais qui ne révèle pas la qualité et la profondeur de ce que vous apportez lorsque vous exercez votre métier de magistrat.
Et puis il y a des contentieux qui se sont développés, des contentieux de masse notamment qui se sont développés, parce quen période de crise il y a toute une série de contentieux qui frappent les citoyens, et les citoyens ont recours à la justice. Ils veulent une justice rapide, ils veulent une justice diligente, ils veulent une justice accessible, ils veulent une justice efficace. Cest à cela que vous êtes confrontés, cest à cela que vous serez confrontés, vous qui allez prendre vos fonctions dans un an et demi. Vous serez confrontés à cette justice au quotidien, à la justice pénale bien entendu, mais à la justice civile, cette justice du quotidien, cette justice qui frappe les plus vulnérables, les personnes en situation de précarité, ou qui avaient une vie, un parcours tout à fait linéaires et qui, accident de la vie, se retrouvent vulnérables -provisoirement vulnérables, mais vulnérables, et qui ont besoin des services de la justice. Parce que la justice civile, la justice du quotidien, cest la justice de la famille, avec les moments douloureux dun divorce ; cest la justice du budget familial, avec lendettement ou le surendettement. Cest la justice de lenfance en danger ; cest la justice du handicap ; de laide sociale ; cest la justice de lexpulsion de logement ; cest la justice des entreprises en difficulté, - nous y sommes, vraiment. Cest cette justice que vous allez rendre, parfois avec lobligation de prendre une décision difficile souvent même, mais parfois une décision fatale. Et puis plus souvent je crois, avec la satisfaction douvrir des possibles, de permettre que des solutions soient trouvées, que des solutions soient adoptées par les parties ; en ce sens vous redonnez de lespoir, vous contribuez au lien social, parce que vous permettez à des justiciables en difficulté de ne pas céder au désespoir. Cette justice quotidienne vous allez la rendre tous les jours. Il arrivera quil soit déprimant dêtre confronté à de telles difficultés ; mais en songeant que les personnes elles-mêmes peuvent être dans le désespoir, et que cest de vous que dépend une chance de sen sortir, vous abandonnerez le sentiment déprimant pour reprendre confiance en la force qui doit vous animer de façon à aider à trouver des solutions qui donnent une chance à celui qui se trouve en difficulté.
Vous serez confronté vous êtes déjà confronté à la complexité du droit. Le droit français est imprégné du droit européen, qui a un impact important sur notre droit interne. Le droit aussi sinternationalise, parce que la France sest engagée dans de multiples conventions latérales, quelle a entrepris de signer de nombreuses conventions bilatérales, mais surtout parce que le droit organise la vie, quil répond aux situations, notamment de transgression du droit, et parce que la criminalité et la délinquance elles-mêmes sinternationalisent. Vous avez à faire face à un droit qui devient de plus en plus complexe, de plus en plus divers, pour répondre à des situations criminelles, délinquantes, de plus en plus complexes, de plus en plus diverses, quil sagisse de la traite des personnes, du trafic de stupéfiants, du trafic darmes, du trafic dalcool, des contrefaçons, de toutes les délinquances internationales, y compris la délinquance économique et financière et son cortège de corruption. Mais cest aussi un droit civil qui sinternationalise, parce que les personnes circulent de plus en plus, parce que les personnes portent aussi leur droit personnel où elles circulent, et que lorsque les litiges surviennent, il y a à tenir compte des droits des personnes, des droits des différentes parties et des règlements internationaux qui peuvent exister sur ces litiges. Je pense notamment aux contentieux familiaux, qui sont des contentieux douloureux, parce que ces contentieux sont toujours chargés émotionnellement, et quil y a toujours au milieu un ou des enfants, dont le juge doit tenir compte de lintérêt ; un intérêt qui est forcément supérieur à la fois au charme, mais surtout au drame des querelles dadulte. Vous aurez à faire face, et arbitrer entre des droits différents et des comportements dadultes qui en ces circonstances sont rarement raisonnables. Vous devrez essayer de percevoir le droit, la vérité, mais surtout de décider en fonction des intérêts de lenfant. Lorsque plusieurs pays sont en cause, ça peut être singulièrement difficile.
Il y a donc dans ce métier, dans cette fonction, des défis considérables, des enjeux majeurs pour la société et les citoyens. Il est donc important de sinterroger sur le périmètre dintervention du juge, sur loffice du juge, sur lassistance aussi aux magistrats. Vous lavez dit, Monsieur le directeur, jai effectivement demandé à lInstitut des Hautes Etudes pour la Justice de travailler sur ce périmètre dintervention du juge ; de recenser lensemble des travaux, des études, des réflexions qui ont déjà été conduites sur ces périmètres de réflexion, dintervention du juge, et dajouter, denrichir cette réflexion, par des séminaires et des consultations. Je souhaite que lécole nationale de la magistrature y prenne sa part, de façon à ce que les questions essentielles qui devront faire lobjet de réformes sur lassistance aux magistrats, ainsi que lorganisation judiciaire, que ces questions essentielles puissent être traitées le mieux possible compte tenu de cette consultation médiatisée. Par ailleurs jai demandé à la direction des services judiciaires dorganiser deux groupes de travail sur le juge du XXIe siècle, et sur les juridictions du XXIème siècle. La direction des services judiciaires consulte de façon à ce que cette réflexion nous permette de procéder aux modifications ou aux ajustements par exemple de la carte judiciaire, selon les ressorts et selon les nécessités, mais surtout de concevoir le juge du XXIème siècle de façon à ce que cette mission de nos magistrats soit le mieux perçue, le mieux définie, le mieux conçue possible. Ces réflexions vont associer les organisations syndicales, et les travaux devraient être rendus aux environs de juin. Jaurais voulu avril. Evidemment Madame la directrice des services judiciaires approuve lorsque je dis juin. Je sais quil y a nécessité dun peu de temps pour cela.
Il y a également la façon dont les juridictions sont conduites. Vous les magistrats vous serez amenés à conduire des juridictions. Il y a ce quon peut appeler un « management » - je trouve que cest un mot qui na aucune grâce, mais qui sest installé des juridictions, la nécessité de saisir tout son environnement : lenvironnement managérial, bien entendu, vous avez à gérer des budgets, vous avez à faire vivre des juridictions, avec les nécessités de la mission elle-même, avec des frais de justice, les besoins pour le fonctionnement des juridictions, avec les frais de fonctionnement, et bien entendu le travail que vous organisez avec les greffiers, avec les fonctionnaires, avec les autres partenaires de justice. Il est donc important que vous soyez sensibilisés à lenvironnement managérial, mais aussi à lenvironnement social dans lequel se rend la justice.
Il est important dinnover pour votre génération, de penser, de concevoir, de moderniser, de changer ce qui doit lêtre. Il est important aussi de décloisonner les différents métiers. Je vous le disais, cest un métier qui contient plusieurs métiers. Vous pouvez être juge pénal, juge dapplication des peines, juge des affaires familiales, juge des libertés et de la détention, juge dexécution des peines, juge des enfants. Vous pouvez exercer différents métiers, aussi bien au siège quau parquet, puisque vous savez que nous avons une constitution qui postule lunité du corps, vous serez amenés à exercer plusieurs métiers, en plus des détachements auxquels vous aurez décidé de répondre, en administration centrale ou dans dautres administrations, dans dautres ministères. Cest une vie diversifiée qui souvre devant vous. Il y a donc lieu sans doute au niveau de votre génération de continuer, daccélérer le processus de décloisonnement des différents métiers contenus dans ce métier, et de faire en sorte aussi, sans doute, que la jurisprudence sharmonise davantage dans la société. Cest au travail de conduite des juridictions de faire en sorte que tout en respectant lindividualisation, qui est essentielle, au niveau de la procédure, au niveau du jugement, au niveau de lexécution de la peine prononcée ; en respectant lindividualisation il est important dharmoniser la jurisprudence. Cest une condition républicaine dégalité de la justice pour lensemble des citoyens.
Vous aurez tout cela à faire, et vous le ferez, jen suis sure, avec lenthousiasme et le dynamisme de votre âge. Vous allez conserver un esprit critique vis-à-vis de ceux qui vous ont précédé ; cest latout des nouvelles générations, cest aussi dune certaine façon un peu leur impertinence je distingue linsolence de limpertinence, limpertinence reste courtoise, elle reste respectueuse, mais elle se libère de tous les liens de soumission et de discipline qui seraient indus. Vous allez donc bousculer, ou en tout cas je vous invite à conserver votre esprit critique, à prendre du recul, à interroger, les méthodes, les faits, les habitudes, et à renouveler celles qui méritent de lêtre. Vous êtes jeunes pour la plupart pas tous, parce que ça ne se dit pas comme ça, donc vous êtes jeunes pour la plupart, certains sont juste un peu moins jeunes, puisque je sais que parmi vous il y en a qui ont déjà eu un parcours professionnel. Evidemment cette jeunesse ne suffit pas. La nouveauté du regard, linnovation un peu innée, en tout cas lesprit de nouveauté, tout cela est extrêmement utile, mais le fait quil y ait une rencontre ici, à lécole, et aussi en juridiction, avec la génération davant, est extrêmement utile aussi, parce que lexpérience est loin dêtre inutile. Elle est même fortement éclairante, et cest dailleurs à la lumière de lexpérience que lon peut innover. Je vous invite à conserver cet esprit critique, mais à ne pas jeter aux orties ceux qui vous ont précédés, parce que dabord ils ont fait tenir le service public, ils lont enrichi eux-mêmes, en arrivant, quoi que vous pensiez, jeunes comme vous, et en renouvelant, pour certains, un certain nombre de pratiques.
Vous serez en lien, je le disais dès le début de mon propos, avec la société, je vous invite à vous ouvrir de plus en plus à la société. Linstitution judiciaire est déjà ouverte sur la société. Il y a des journées portes ouvertes, il y a une participation des magistrats à de nombreuses structures sociales, civiles, il y a les rencontres, les contacts, avec les élus, il y a ces lieux, par exemple, les contrats locaux de sécurité, les états-majors de sécurité ; tous ces lieux, ces espaces où le magistrat rencontre le préfet, le procureur de la république rencontre le préfet, il rencontre également le maire qui a la responsabilité de la sécurité également sur son territoire urbain. Mais la société elle-même plus largement demande à vous connaître un peu mieux, demande à mieux connaître les juridictions, sans navoir contact avec les juridictions que dans les cas dun litige ou dun contentieux quelconque. La société demande à mieux vous connaître et il est bon pour lEtat de droit que vous soyez mieux connus par la société. Il y a là évidemment des démarches individuelles à accomplir, mais il y a une responsabilité collective, globale. Je vous invite à accomplir toutes les démarches individuelles qui contribuent à la pédagogie sur ce quest le service public de la justice. En vous quittant tout à lheure je vais me rendre dans un lycée, le lycée Dassault, dans lequel dailleurs des élèves du lycée Daguin se rendront également, parce je pense quil est important daller devant les jeunes encore plus jeunes que vous (quant à moi nen parlons pas), aller leur parler de la justice dans la république, de la place de la justice dans la république. Il serait bon que vous en fassiez autant, selon vos penchants et selon votre goût, que vous choisissiez devant quel public vous allez, mais quel que soit le public, que ce soient des adolescents, que ce soit la société civile à travers des associations, que ce soient devant des élus, que vous alliez faire connaître le service public de la justice. Lécole nationale de la magistrature multiplie les croisements. Je sais que lécole travaille avec lENG, lécole nationale des greffes, avec lENAP, lécole de ladministration pénitentiaire, avec lENPJJ, ça doit se renforcer je crois, lécole de la protection judiciaire de la jeunesse, les écoles de barreau dailleurs également, les écoles davocat. Donc il y a ces croisements mais vous pouvez vous aussi consacrer un peu de votre temps à aller vers la société, à faire de la pédagogie de ce service public.
Cest important et cest une façon de vivre votre liberté et votre indépendance de magistrat. Parce que votre indépendance de magistrat, celle que le pouvoir public doit vous garantir, celle que nous allons construire, vous le disiez tout à lheure Monsieur le directeur, avec cette réforme constitutionnelle sur la réforme du conseil supérieur de la magistrature, cette indépendance est pensée, conçue pour le justiciable ; pour que vous puissiez en toute impartialité prononcer vos jugements. Cest cette impartialité qui assure la confiance du justiciable dans la justice et dans ses magistrats. Cette indépendance, cette liberté, cette expression de lindépendance se traduit aussi par cette possibilité que vous avez daller dans la société. Je sais que tout cela est encadré par vos règles déontologiques. Cest pour ça que nous pouvons vous faire confiance, cest pour ça que lexécutif, le pouvoir politique doit vous faire confiance ; nous pouvons vous faire confiance parce que vos limites sont posées par les règles déontologiques que vous respectez. Elles sont posées par léthique que vous allez enrichir personnellement lorsque vous allez exercer ce métier. Elles sont encadrées aussi par vos responsabilités, qui sont réelles, quoi quon dise et quoi quon pense ; elles sont réelles déjà vos responsabilités, elles sont définies par votre statut. Mais surtout la beauté de votre fonction est résumée dans votre serment. Et forts de tout cela, vous pouvez en toute liberté, en toute indépendance, vous jeter dans la société, aller rencontrer les citoyens, parler aux citoyens, faire comprendre la grandeur et les difficultés, la réalité du service public de la justice, parce que le service public de la justice est un bien commun ; cest donc un bien de tous les citoyens.
Cette Ecole Nationale de la Magistrature qui vous forme est une école qui vous reçoit avec déjà de grandes capacités, de grandes connaissances juridiques. Cest une école qui vous apporte les fondamentaux sur les disciplines pénales et civiles, mais qui vous ouvre, et qui doit de plus en plus vous ouvrir à dautres disciplines, à dautres modes de penser, à dautres parcours, à dautres façons de regarder la société, et surtout à une capacité de percevoir la complexité de la société. La diversité de sa réalité, de ses réalités professionnelles, de ses réalités culturelles aussi, de ses réalités sociales : lécole doit vous ouvrir à cela. Mais je crois quelle le fait. Elle le fait déjà par le recrutement : puisque ce recrutement diversifié permet que dans cette promotion, je lai regardée de près, il y a, évidemment la majorité des étudiants en droit ayant passé le concours, en plus des études universitaires, mais aussi dautres parcours proches du droit, tels que des notaires, des avocats, des greffiers ; un lieutenant de police ma-t-on dit ? Je ne lui demande pas de se lever. Il y avait un autre métier original enfin, oui, cest original. (On ne se trompe pas, on ninverse pas.) Donc il y a tout ça et puis il faut améliorer quand même encore la diversité sociale du recrutement. Je sais que lécole sy emploie, notamment par les cycles préparatoires, mais il faut vraiment faire en sorte que cette Ecole Nationale de la Magistrature soit à limage de la société, de sa complexité, et de sa diversité. Cest une école généraliste, donc, qui vous prend avec vos connaissances, qui vous forme aux fondamentaux, qui doit vous ouvrir aux autres. Cest une école spécifique aussi. Jai entendu récemment encore, jétais à un débat cétaient les débats sur lhistoire à Blois, et il y avait des interrogations sur cette école de droit : pourquoi une école de droit ? Pourquoi une école unique de droit ? Je crois que cette école est indispensable. Je pense quelle est indispensable. Je suis certaine quelle est indispensable, et nous devons la préserver, parce que rendre la justice est un métier qui sapprend. Cest un très beau métier mais cest un métier très difficile. Vous avez à interpréter les lois, et à les appliquer ; il faut que vous appreniez à le faire. Et autant il est utile que vous vous ouvriez à la société comme je lai dit, et donc que les citoyens puissent entrer dans le service public de la justice, quil puisse y entrer en tant quassesseur, ou que juré ; mais ils viennent en plus de vous, magistrats professionnels, et de la précision et de la méticulosité avec laquelle vous aurez appris à exercer ce métier. Que vous apprendrez au fur et à mesure. Que vous apprenez là, à bloc, mais que vous apprendrez, confrontés à lexpérience. Il est essentiel que vous ayez ce socle ; cest ici que vous pouvez acquérir ce socle, en sorte que cette professionnalisation est indispensable pour une justice de qualité dans notre pays. Lapport des citoyens est réellement un apport.
Je sais que vous veillerez, en tout cas que vos enseignants veillent à vous alerter sur la nécessité de rester constamment en éveil par rapport à lévolution des textes de loi, par rapport à la complexité de la société, par rapport à lévolution des contentieux, par rapport en fait au renouvellement permanent de lexercice de votre métier. Vous avez dailleurs heureusement lobligation de suivre cinq jours de formation continue chaque année. Cest une disposition essentielle à laquelle je suis très attachée aussi. Jai eu ce matin une séance de travail avec léquipe de la formation continue, que je connais déjà, je connais le catalogue ; mais jai entendu avec beaucoup dintérêt la présentation par les responsables de la formation continue de ces pôles de formation qui sont mis à votre disposition en tant que magistrats, en formation continue, enrichis de votre expérience, taraudés par vos interrogations, mis sur la braise dune certaine façon, par les situations difficiles auxquelles vous aurez été confrontés, et donc un enrichissement pour les formateurs de ce retour dexpérience pratique que vous faites à loccasion de la formation continue. Et comme cette formation continue souvre aussi à dautres métiers, à dautres fonctionnaires, à dautres ministères, et surtout à dautres sujets qui sont liés aux problématiques qui travaillent ou qui traversent la société, cette formation continue est un enrichissement permanent. Cest un maintien constant à létat de veille, cest un entretien de vos capacités, de vos potentialités, cest un enrichissement de vos réflexions. Cette formation continue, que nous allons essayer de consolider encore plus, et qui est conduite par des équipes extrêmement motivées, à Bordeaux et à Paris, est un accompagnement permanent, parce quen plus de cette interrogation sur vos expériences, vous avez besoin déchanger aussi je crois sur un certain nombre de problématiques. Jai travaillé avec le directeur depuis le mois de septembre (même avant je crois, mi-juillet nous nous sommes vus pour la première fois) pour que des modules particuliers soient mis en place, soient réfléchis, concernant le harcèlement sexuel, concernant les violences faites aux femmes, concernant un certain nombre de problématiques qui traversent la société très lourdement : le racisme, lantisémitisme. Ce sont des formations continues qui sont déjà mises à disposition, mais il y a nécessité de les renforcer et de faire entendre et comprendre à chacun quil est important de sy pencher, quil est important de sy intéresser, quil est important de venir profiter de ces échanges et dinterventions de magistrats, de professeurs, duniversitaires, de scientifiques, de chercheurs, de très grande qualité.
Vous mavez, dailleurs cétait plutôt les équipes, interrogée la dernière fois sur le statut des magistrats enseignants associés, des coordonnateurs régionaux de formation, ainsi que des magistrats évaluateurs associés. Jai entendu quil y avait une demande de modification éventuelle des procédures de nomination, pour plus de transparence ; je lentends parfaitement et je lapprouve. Je dois dire que je suis très attachée au maintien des coordonnateurs régionaux de formation, parce quavec la réforme de 2008, qui a quand même changé de façon substantielle le fonctionnement de lécole, le collège des formateurs a été supprimé. Cette réforme a changé, je le disais, le fonctionnement de lécole. Le rapport de linspection générale qui ma été remis a été transmis à votre conseil dadministration et à votre direction. Les propositions contenues dans ce rapport ne sont pas de nature à bouleverser le fonctionnement actuel de lécole. Jai recueilli lavis de votre direction, celle de la direction des services judiciaires, mais aussi de représentants de magistrats, de jeunes auditeurs, dorganisations professionnelles. Jai reçu récemment à la Chancellerie cinq délégués de promotions : ceux qui avaient vécus lavant 2008, ceux qui ont vécu la réforme de 2008, ceux qui ont vécu laprès 2008. Je constate que les avis sont un peu partagés. Certains considèrent quil faut un peu aménager la réforme de 2008 ; dautres considèrent quil y a aurait des bouleversements plus profonds à faire. Je pense que cest tellement important quil faut prendre du temps. Jai demandé à la direction des services judiciaires dentendre y compris vous, les auditeurs de justice, dentendre les chefs de cour, les chefs de juridiction, dentendre la direction bien entendu : tous les partenaires essentiels qui nous permettront de mesurer et dapprécier le dosage nécessaire aux modifications que nous devons apporter dans le fonctionnement de lécole. En sachant quil est essentiel que les équipes pédagogiques puissent contribuer à la conception des programmes. Compte tenu de la diversité des profils enseignants, il est bon que les équipes puissent contribuer à la réflexion. Mais nous voulons faire les choses en douceur, avec une concertation réelle, profonde, de façon à améliorer effectivement le fonctionnement de lécole autant que faire se doit, autant que faire se peut, non pas faire une réforme pour le plaisir den faire une, non pas faire des aménagements cosmétiques pour « faire croire que », mais bien prendre la mesure de ce quil convient de faire ; si cest très peu ce sera très peu ; si cest beaucoup ce sera beaucoup. Nous ferons ce qui est nécessaire, ce qui est indispensable.
Cette école a la possibilité également de former les secrétaires généraux et les chefs de juridiction. Cest une possibilité tout à fait intéressante, notamment pour les qualités managériales en autre. Je souhaite que ces formations soient ouvertes au plus grand nombre, parce que lécole vous forme, mais cest le conseil supérieur de la magistrature qui peut émettre un avis sur vos affectations. Il ny a donc pas de lien direct entre ceux qui seraient formés par lécole et ceux qui se retrouveraient affectés. Il est souhaitable que ces formations se fassent systématiquement après, donc je souhaite que la plupart dentre vous puisse y avoir accès, de façon à ce que vous puissiez disposer de la capacité, si vous le souhaitez, daccéder à ces autres fonctions et que vous exercez en juridiction.
Toutes ces possibilités montrent à quel point notre école est grande et belle. Elle a dailleurs prospéré, son modèle a été exporté dans de nombreux pays. Je me suis déplacée récemment en Equateur et au Maroc. En Equateur cétait une rencontre internationale, 35 pays des Amériques. Il se trouve que jai encore engagé lécole dans des échanges, parce que la demande est forte ; le prestige de notre école, son rayonnement, sont tels quil y a une demande internationale importante. Ce rayonnement est lié à la qualité de la formation distribuée par lécole, mais également aux stages internationaux qui dailleurs seront réduits à partir de cette promotion. Cest à partir de cette promotion quils sont réduits et je le regrette profondément. Je pense que lécole fera très attention aux critères de sélection. Je regrette quil y ait une sélection, qui est justifiée par des raisons les plus prosaïques et les plus désagréables possibles, ce sont des raisons budgétaires. Mais cest ce rayonnement international qui contribue à faire que lécole soit demandée et quelle soit ainsi dans des relations bilatérales avec un certain nombre de pays, puisquà loccasion de cette rencontre en Equateur jai vu avec plusieurs ministres de la justice pour des échanges entre écoles - récemment le ministre de la justice du Chili était à Paris et pour consolider tout cela.
Cette école est donc précieuse. Je veux remercier personnellement les équipes, les personnels qui ont affronté ces dernières années une surcharge de travail, avec la formation par exemple des juges consulaires, des juges de proximité, des médiateurs, avec un enrichissement du catalogue sur la formation continue. Je sais que ce sont de petites équipes, mais avec une motivation infinie. Ce sont des moyens logistiques souvent contraints aussi, de sorte quil y a une inventivité extraordinaire pour faire face aux besoins et aux enseignements. Je veux donc donner toute ma gratitude aux équipes, et cest avec la plus grande attention que, chaque fois que ce sera nécessaire et possible, je ferai en sorte que les moyens vous soient donnés, toutes les ficelles possibles, même si je parle sous le regard fusilleur de la directrice des services judiciaires je le disais ce matin, elle tient le rôle de la méchante lorsquon demande les augmentations deffectif. En tout cas je ferai tout ce qui est possible, parce que je tiens à ce que cette école continue à disposer de moyens pour progresser.
Mesdames et Messieurs, je le disais, vous allez entrer en fonction dans un an et demi. Vous êtes jeunes pour la plupart, et tous jeunes parce quen fait même ceux qui ont eu des parcours avant vont entrer en toute jeunesse dans cette nouvelle fonction. Vous allez le faire dans un contexte dont les difficultés sont là, mais dont le potentiel aussi est considérable. Vous allez le faire avec vos moyens, avec vos méthodes, avec vos facilités relationnelles. Vous allez le faire dans un contexte qui est marqué encore aujourdhui, je men rends compte, par quelques événements de ces dernières années qui ont laissé des traces assez profondes. Je pense notamment au drame de Pornic, qui a généré de lamertume, qui a conduit les différents métiers, les différentes professions avec lesquelles vous êtes en contact à des interrogations fortes, à une crise aussi parfois je crois, y compris presque ontologique sur le métier. Mais je suis sure que vous allez surmonter tout cela. Vous allez surmonter tout cela par votre jeunesse, la jeunesse de tous, la jeunesse dans le métier, la jeunesse dans la vie, aussi. Je pense à la définition que Jean JAURES donnait de la république dans son discours sur la jeunesse, cétait au début du siècle dernier, où il sinterrogeait sur ce que définissait la république et il la définissait comme un acte de confiance : un acte de confiance en disant quinstituer la république cest faire le pari que des millions dhommes sauront eux-mêmes concevoir les règles communes, en conciliant la liberté et la loi, le mouvement et lordre, et en sachant se combattre sans se déchirer. Cest ce que vous devrez faire vous aussi en tant que magistrats. Je suis persuadée que vous saurez le faire. Lors de ces moments difficiles où vous aurez à porter seuls des décisions de jugement, je vous invite à toujours échanger, avec dautres magistrats bien entendu, mais autant que possible avec les autres, tous les autres : les autres qui concourent à luvre de justice, les avocats, la police judiciaire, les huissiers, les experts, les experts divers, les psychiatres, les conseillers dinsertion et de probation, les éducateurs, les personnels pénitentiaires ; parce que ensemble vous concourez à luvre de justice. Je vous invite à toujours échanger avec dautres magistrats. La collégialité est un principe important pour une justice équilibrée. Mais la décision vous la prendrez en votre âme et conscience, au regard du droit, et au nom du peuple français. Cette décision pèsera sur vous, chaque fois, et cest sans doute la grandeur et la servitude de votre belle mission. Tels que vous êtes, vous êtes appelés, invités, solennellement, fortement, symboliquement, à toujours vous ouvrir aux autres, à toujours échanger avec les autres, à toujours regarder lautre, interroger lautre, interroger ce quest lautre et ce qui fait quen cette situation il est en face de vous. Ayez constamment les yeux grands ouverts. Soyez réceptifs au monde, à ses effervescences, à ses contradictions, à ses exigences, à ses ambivalences aussi, à ses imperfections. Acceptez ce défi. Relevez ce pari. Convenez de la force et de limportance de ces enjeux. Et partez en voyage. Partez en voyage, comme disait Pablo NERUDA : « il meurt lentement celui qui se soumet à lhabitude, refaisant chaque jour le même chemin ; il meurt lentement celui qui ne lit pas, qui ne voyage pas. Ne te laisse pas mourir lentement. » Sil-vous-plaît.
Source http://www.justice.gouv.fr, le 14 mai 2013
Monsieur le procureur général, Madame la première présidente de la Cour dappel, Monsieur le procureur général de la Cour dappel, Monsieur le préfet délégué à lassurance et à la sécurité, Mesdames Messieurs, et Mesdemoiselles Messieurs. Je me régale, excusez-moi, je fais un tour panoramique parce que, lorsque je vous ai quittés la dernière fois je suis désolée de lavoir fait dans de telles conditions, je suis partie avec la beauté à la fois singulière et harmonieuse de lassistance. Cest vraiment la dernière image avant de mécrouler pardon. Cest la dernière image que jai eue et cétait une image vraiment stimulante. Comme vous lavez dit Monsieur le directeur, jai décidé de revenir. Avant même de quitter létablissement, je crois que cest la première parole que jai prononcée : jai dit à mes conseillers « dites leur que je reviendrai ». Jai tenu à revenir, ce ne fut pas simple, mais ça y est. Je tenais à revenir, parce que connaissant le fonctionnement de lécole, devant vous. Jaurais pu revenir à un autre moment, et avoir en face de moi la promotion de lannée dernière, ou plus tard, celle qui arrivera début février. Cest devant vous que je voulais revenir, parce que je voulais poursuivre notre conversation interrompue intempestivement. La dernière fois je vous ai parlé, je crois avoir eu le temps de vous dire jai vérifié - comment je percevais le métier, quelles interrogations portaient cette formation à la très belle fonction de magistrat, les interrogations sur lapprentissage dun métier, sur limplication dans un réseau, sur la distance que vous pourriez prendre vis-à-vis des textes et vis-à-vis des justiciables. Cette interrogation est liée à cette très belle mission constitutionnelle que celle qui consiste à rendre la justice. Cest la seule, cest le seul métier inscrit dans la constitution, cest un très beau service public, et cest à ce beau métier que vous êtes en formation ici.
Aujourdhui je vous parlerai un petit peu plus de lécole, et de la façon dont jy tiens, ce que je perçois et ce que sont ses belles missions, parce que cest bien cette école qui fait le lien avec la société, entre la justice et la société, et la porte par laquelle vous entrez dans le métier. Mais cest aussi la porte par laquelle le citoyen guette pour regarder la qualité de la formation de magistrat. Nous sommes à un moment où une interrogation forte se pose encore sur la magistrature, sur les magistrats, sur la façon dont ils accomplissent leurs missions. Il est essentiel pour lEtat - pour le gouvernement, qui a la responsabilité de lEtat, ou au moins le temps dun quinquennat de veiller à ce que la magistrature soit perçue dans la société comme étant une mission élevée, forte, qui doit être respectée et soutenue. Cest essentiel, non pas par parce que vous êtes des personnes sympathiques ou que les juges le sont, mais cest essentiel parce que rendre la justice est une mission extrêmement élevée, et surtout extrêmement lourde dans un Etat de droit. LEtat de droit tient bon sur la qualité du service public de la justice. Le service public de la justice est lépine dorsale de cet Etat de droit. Le service public de la justice structure la démocratie. Il est donc essentiel que le pouvoir politique soit conscient de limportance de ces missions accomplies et fasse en sorte que cette importance soit perçue dans la société. Il y a des interrogations sur le rôle du magistrat, sur son rapport à lexécutif, notamment. Il y a lexécutif, le pouvoir politique, toujours de passage aussi longtemps quil dure, il est toujours de passage. Et il y a lEtat, avec sa continuité, et ceux qui représentent la puissance publique. Un arrêt du Conseil dEtat qui date dil y a quelques années, du 6 novembre 2002, juge que le magistrat participe à lexercice de la puissance publique et à la sauvegarde des intérêts généraux de lEtat. Oui, le magistrat participe à lexercice de la puissance publique. Et nous avons, nous pouvoir public, à veiller à ce que cet exercice saccomplisse dans les meilleures conditions.
Il y a eu récemment encore, cétait au début du mois de décembre, la semaine dernière, un article qui sinterrogeait sur le déclin ou la perte dattractivité de la formation de magistrat. Il semble faire un lien avec la féminisation du corps - qui est indiscutable, elle est sous mes yeux, mais elle est aussi dans les statistiques : cest cette promotion je crois qui atteint 82% de femmes ? et le niveau de rémunération. Sur la féminisation. Est-ce à dire que larrivée massive de femmes serait la dégradation dun métier ? Mais lexpérience montre quau contraire larrivée massive de femmes est le signe dune volonté daccéder à un métier jusqualors difficile daccès. Et sil y a un critère dattractivité pour un métier cest bien celui-là, le fait que les femmes partent à la conquête dun métier, cest le signe que cest un beau métier, le signe quune génération dit « ça suffit que nous en soyons exclues, nous allons prendre dassaut ce métier ». Pour ma part je lis donc différemment larrivée massive de femmes dans la formation de magistrat. Oui Mesdames, oui Mesdemoiselles, vous avez raison de partir à la conquête de ce métier, de lexercer tel que vous lexercerez. Il y a une interrogation déjà, puisque vous nêtes pas la première promotion majoritairement féminine, sur limpact que pourrait avoir larrivée des femmes dans le métier de magistrat. Il y a des personnes qui se sont interrogées là-dessus. Et finalement elles ont bien fait, parce quelles ont constaté quil y avait autant de rigueur, quil y avait le même rapport à la loi, quil y avait la même attention et peut-être même un petit peu plus vis-à-vis des personnes jugées, des situations de jugement
Mais oui, pourquoi pas finalement sinterroger sur limpact de cette forte féminisation sur la façon de rendre la justice. Et sur les motivations. La rémunération serait une raison de la baisse dattractivité. Sauf que lorsque lon interroge les candidats au concours de lécole, ou ceux qui y entrent par les diverses procédures, la principale motivation est de venir participer à un service public. Cest de rendre la justice, daccéder à une fonction noble. Cest ça les motivations. Alors cela ne signifie pas que les magistrats soient forcément correctement rémunérés. Cependant je sais bien que ce nest pas un critère de détermination dun métier que vous allez exercer pendant plus de trente ans, probablement une quarantaine dannées. Et ce ne peut pas être le critère principal de choix. Je sais que votre directeur, le directeur de lécole, est très mobilisé, très motivé, il est au-devant des étudiants, et la Chancellerie soutient ces démarches qui consistent à faire connaître, faire percevoir ce que représentent les métiers de magistrat. Je le mets au pluriel parce que vous serez appelés à exercer plusieurs métiers dans le même métier, compte tenu de la diversité des fonctions qui sont dévolues aux magistrats. Mais il sinterroge aussi, et nous savons bien que personne néchappe à son contexte, personne néchappe à son époque, et le citoyen sinterroge, en particulier compte tenu de ces dernières années, du regard que le pouvoir politique a jeté sur la magistrature, des propos qui ont été tenus, offensants pour certains, de sorte que le citoyen attend paradoxalement, avec ambivalence, de la part des magistrats, à la fois protection, puisque le magistrat est son recours, mais en même temps une espèce de suspicion ou une interrogation. On entend des phrases qui sont des poncifs, et qui révèlent un doute taraudant, sur le magistrat, et notamment sur leur indépendance. Le pouvoir politique doit donc, en premier lieu, avant tout le monde, vous marquer du respect, pour dire limportance quil reconnaît à la magistrature, dans la société, en tant que service public, pour la démocratie, pour la force de la puissance publique. Le pouvoir politique est le premier à devoir montrer son respect vis-à-vis de la magistrature.
Mais bien entendu il y a une part qui relève des magistrats eux-mêmes. Il y a la qualité de la relation avec le reste de la société ; la façon dont vous établissez le rapport, le dialogue avec le corps social ; la façon dont vous vous inscrivez dans votre environnement ; la façon dont vous vous comportez ; les signes que vous montrez aux citoyens et aux justiciables, de façon quils perçoivent bien votre rigueur, votre exemplarité, votre humilité, votre attachement à votre mission. Il y a donc ce va et vient entre la perception qui est donnée à la société de qui vous êtes et ce que vous faites lessentiel pour la démocratie, mais aussi, bien entendu, le regard que la société vous renvoie, et ce regard changera, ce regard se chargera de respect et de gratitude au fur et à mesure que les citoyens et les justiciables apprendront à vous connaître, collectivement, et dabord individuellement.
Je le disais, nous sommes à une époque particulière, que vous vivez, puisque je sais que vous êtes dans la société et que vous vous interrogez, et qui est marquée quand même par un certain nombre déléments qui pèsent sur la façon dont vous pouvez exercer votre métier. Il y a malaise, je lai dit ; il y a aussi surtout une tendance, ces dernières années, à considérer les choses de façon quantitative, à écarter la réflexion sur la fonction elle-même, à écarter les appréciations qualitatives de lévolution du métier, de lévolution de linscription du métier dans la société, rapport du métier avec les autres professions, avec les autres métiers autour du juge, et à ne considérer les choses que du point de vue des moyens, du budget essentiel, mais qui ne révèle pas la qualité et la profondeur de ce que vous apportez lorsque vous exercez votre métier de magistrat.
Et puis il y a des contentieux qui se sont développés, des contentieux de masse notamment qui se sont développés, parce quen période de crise il y a toute une série de contentieux qui frappent les citoyens, et les citoyens ont recours à la justice. Ils veulent une justice rapide, ils veulent une justice diligente, ils veulent une justice accessible, ils veulent une justice efficace. Cest à cela que vous êtes confrontés, cest à cela que vous serez confrontés, vous qui allez prendre vos fonctions dans un an et demi. Vous serez confrontés à cette justice au quotidien, à la justice pénale bien entendu, mais à la justice civile, cette justice du quotidien, cette justice qui frappe les plus vulnérables, les personnes en situation de précarité, ou qui avaient une vie, un parcours tout à fait linéaires et qui, accident de la vie, se retrouvent vulnérables -provisoirement vulnérables, mais vulnérables, et qui ont besoin des services de la justice. Parce que la justice civile, la justice du quotidien, cest la justice de la famille, avec les moments douloureux dun divorce ; cest la justice du budget familial, avec lendettement ou le surendettement. Cest la justice de lenfance en danger ; cest la justice du handicap ; de laide sociale ; cest la justice de lexpulsion de logement ; cest la justice des entreprises en difficulté, - nous y sommes, vraiment. Cest cette justice que vous allez rendre, parfois avec lobligation de prendre une décision difficile souvent même, mais parfois une décision fatale. Et puis plus souvent je crois, avec la satisfaction douvrir des possibles, de permettre que des solutions soient trouvées, que des solutions soient adoptées par les parties ; en ce sens vous redonnez de lespoir, vous contribuez au lien social, parce que vous permettez à des justiciables en difficulté de ne pas céder au désespoir. Cette justice quotidienne vous allez la rendre tous les jours. Il arrivera quil soit déprimant dêtre confronté à de telles difficultés ; mais en songeant que les personnes elles-mêmes peuvent être dans le désespoir, et que cest de vous que dépend une chance de sen sortir, vous abandonnerez le sentiment déprimant pour reprendre confiance en la force qui doit vous animer de façon à aider à trouver des solutions qui donnent une chance à celui qui se trouve en difficulté.
Vous serez confronté vous êtes déjà confronté à la complexité du droit. Le droit français est imprégné du droit européen, qui a un impact important sur notre droit interne. Le droit aussi sinternationalise, parce que la France sest engagée dans de multiples conventions latérales, quelle a entrepris de signer de nombreuses conventions bilatérales, mais surtout parce que le droit organise la vie, quil répond aux situations, notamment de transgression du droit, et parce que la criminalité et la délinquance elles-mêmes sinternationalisent. Vous avez à faire face à un droit qui devient de plus en plus complexe, de plus en plus divers, pour répondre à des situations criminelles, délinquantes, de plus en plus complexes, de plus en plus diverses, quil sagisse de la traite des personnes, du trafic de stupéfiants, du trafic darmes, du trafic dalcool, des contrefaçons, de toutes les délinquances internationales, y compris la délinquance économique et financière et son cortège de corruption. Mais cest aussi un droit civil qui sinternationalise, parce que les personnes circulent de plus en plus, parce que les personnes portent aussi leur droit personnel où elles circulent, et que lorsque les litiges surviennent, il y a à tenir compte des droits des personnes, des droits des différentes parties et des règlements internationaux qui peuvent exister sur ces litiges. Je pense notamment aux contentieux familiaux, qui sont des contentieux douloureux, parce que ces contentieux sont toujours chargés émotionnellement, et quil y a toujours au milieu un ou des enfants, dont le juge doit tenir compte de lintérêt ; un intérêt qui est forcément supérieur à la fois au charme, mais surtout au drame des querelles dadulte. Vous aurez à faire face, et arbitrer entre des droits différents et des comportements dadultes qui en ces circonstances sont rarement raisonnables. Vous devrez essayer de percevoir le droit, la vérité, mais surtout de décider en fonction des intérêts de lenfant. Lorsque plusieurs pays sont en cause, ça peut être singulièrement difficile.
Il y a donc dans ce métier, dans cette fonction, des défis considérables, des enjeux majeurs pour la société et les citoyens. Il est donc important de sinterroger sur le périmètre dintervention du juge, sur loffice du juge, sur lassistance aussi aux magistrats. Vous lavez dit, Monsieur le directeur, jai effectivement demandé à lInstitut des Hautes Etudes pour la Justice de travailler sur ce périmètre dintervention du juge ; de recenser lensemble des travaux, des études, des réflexions qui ont déjà été conduites sur ces périmètres de réflexion, dintervention du juge, et dajouter, denrichir cette réflexion, par des séminaires et des consultations. Je souhaite que lécole nationale de la magistrature y prenne sa part, de façon à ce que les questions essentielles qui devront faire lobjet de réformes sur lassistance aux magistrats, ainsi que lorganisation judiciaire, que ces questions essentielles puissent être traitées le mieux possible compte tenu de cette consultation médiatisée. Par ailleurs jai demandé à la direction des services judiciaires dorganiser deux groupes de travail sur le juge du XXIe siècle, et sur les juridictions du XXIème siècle. La direction des services judiciaires consulte de façon à ce que cette réflexion nous permette de procéder aux modifications ou aux ajustements par exemple de la carte judiciaire, selon les ressorts et selon les nécessités, mais surtout de concevoir le juge du XXIème siècle de façon à ce que cette mission de nos magistrats soit le mieux perçue, le mieux définie, le mieux conçue possible. Ces réflexions vont associer les organisations syndicales, et les travaux devraient être rendus aux environs de juin. Jaurais voulu avril. Evidemment Madame la directrice des services judiciaires approuve lorsque je dis juin. Je sais quil y a nécessité dun peu de temps pour cela.
Il y a également la façon dont les juridictions sont conduites. Vous les magistrats vous serez amenés à conduire des juridictions. Il y a ce quon peut appeler un « management » - je trouve que cest un mot qui na aucune grâce, mais qui sest installé des juridictions, la nécessité de saisir tout son environnement : lenvironnement managérial, bien entendu, vous avez à gérer des budgets, vous avez à faire vivre des juridictions, avec les nécessités de la mission elle-même, avec des frais de justice, les besoins pour le fonctionnement des juridictions, avec les frais de fonctionnement, et bien entendu le travail que vous organisez avec les greffiers, avec les fonctionnaires, avec les autres partenaires de justice. Il est donc important que vous soyez sensibilisés à lenvironnement managérial, mais aussi à lenvironnement social dans lequel se rend la justice.
Il est important dinnover pour votre génération, de penser, de concevoir, de moderniser, de changer ce qui doit lêtre. Il est important aussi de décloisonner les différents métiers. Je vous le disais, cest un métier qui contient plusieurs métiers. Vous pouvez être juge pénal, juge dapplication des peines, juge des affaires familiales, juge des libertés et de la détention, juge dexécution des peines, juge des enfants. Vous pouvez exercer différents métiers, aussi bien au siège quau parquet, puisque vous savez que nous avons une constitution qui postule lunité du corps, vous serez amenés à exercer plusieurs métiers, en plus des détachements auxquels vous aurez décidé de répondre, en administration centrale ou dans dautres administrations, dans dautres ministères. Cest une vie diversifiée qui souvre devant vous. Il y a donc lieu sans doute au niveau de votre génération de continuer, daccélérer le processus de décloisonnement des différents métiers contenus dans ce métier, et de faire en sorte aussi, sans doute, que la jurisprudence sharmonise davantage dans la société. Cest au travail de conduite des juridictions de faire en sorte que tout en respectant lindividualisation, qui est essentielle, au niveau de la procédure, au niveau du jugement, au niveau de lexécution de la peine prononcée ; en respectant lindividualisation il est important dharmoniser la jurisprudence. Cest une condition républicaine dégalité de la justice pour lensemble des citoyens.
Vous aurez tout cela à faire, et vous le ferez, jen suis sure, avec lenthousiasme et le dynamisme de votre âge. Vous allez conserver un esprit critique vis-à-vis de ceux qui vous ont précédé ; cest latout des nouvelles générations, cest aussi dune certaine façon un peu leur impertinence je distingue linsolence de limpertinence, limpertinence reste courtoise, elle reste respectueuse, mais elle se libère de tous les liens de soumission et de discipline qui seraient indus. Vous allez donc bousculer, ou en tout cas je vous invite à conserver votre esprit critique, à prendre du recul, à interroger, les méthodes, les faits, les habitudes, et à renouveler celles qui méritent de lêtre. Vous êtes jeunes pour la plupart pas tous, parce que ça ne se dit pas comme ça, donc vous êtes jeunes pour la plupart, certains sont juste un peu moins jeunes, puisque je sais que parmi vous il y en a qui ont déjà eu un parcours professionnel. Evidemment cette jeunesse ne suffit pas. La nouveauté du regard, linnovation un peu innée, en tout cas lesprit de nouveauté, tout cela est extrêmement utile, mais le fait quil y ait une rencontre ici, à lécole, et aussi en juridiction, avec la génération davant, est extrêmement utile aussi, parce que lexpérience est loin dêtre inutile. Elle est même fortement éclairante, et cest dailleurs à la lumière de lexpérience que lon peut innover. Je vous invite à conserver cet esprit critique, mais à ne pas jeter aux orties ceux qui vous ont précédés, parce que dabord ils ont fait tenir le service public, ils lont enrichi eux-mêmes, en arrivant, quoi que vous pensiez, jeunes comme vous, et en renouvelant, pour certains, un certain nombre de pratiques.
Vous serez en lien, je le disais dès le début de mon propos, avec la société, je vous invite à vous ouvrir de plus en plus à la société. Linstitution judiciaire est déjà ouverte sur la société. Il y a des journées portes ouvertes, il y a une participation des magistrats à de nombreuses structures sociales, civiles, il y a les rencontres, les contacts, avec les élus, il y a ces lieux, par exemple, les contrats locaux de sécurité, les états-majors de sécurité ; tous ces lieux, ces espaces où le magistrat rencontre le préfet, le procureur de la république rencontre le préfet, il rencontre également le maire qui a la responsabilité de la sécurité également sur son territoire urbain. Mais la société elle-même plus largement demande à vous connaître un peu mieux, demande à mieux connaître les juridictions, sans navoir contact avec les juridictions que dans les cas dun litige ou dun contentieux quelconque. La société demande à mieux vous connaître et il est bon pour lEtat de droit que vous soyez mieux connus par la société. Il y a là évidemment des démarches individuelles à accomplir, mais il y a une responsabilité collective, globale. Je vous invite à accomplir toutes les démarches individuelles qui contribuent à la pédagogie sur ce quest le service public de la justice. En vous quittant tout à lheure je vais me rendre dans un lycée, le lycée Dassault, dans lequel dailleurs des élèves du lycée Daguin se rendront également, parce je pense quil est important daller devant les jeunes encore plus jeunes que vous (quant à moi nen parlons pas), aller leur parler de la justice dans la république, de la place de la justice dans la république. Il serait bon que vous en fassiez autant, selon vos penchants et selon votre goût, que vous choisissiez devant quel public vous allez, mais quel que soit le public, que ce soient des adolescents, que ce soit la société civile à travers des associations, que ce soient devant des élus, que vous alliez faire connaître le service public de la justice. Lécole nationale de la magistrature multiplie les croisements. Je sais que lécole travaille avec lENG, lécole nationale des greffes, avec lENAP, lécole de ladministration pénitentiaire, avec lENPJJ, ça doit se renforcer je crois, lécole de la protection judiciaire de la jeunesse, les écoles de barreau dailleurs également, les écoles davocat. Donc il y a ces croisements mais vous pouvez vous aussi consacrer un peu de votre temps à aller vers la société, à faire de la pédagogie de ce service public.
Cest important et cest une façon de vivre votre liberté et votre indépendance de magistrat. Parce que votre indépendance de magistrat, celle que le pouvoir public doit vous garantir, celle que nous allons construire, vous le disiez tout à lheure Monsieur le directeur, avec cette réforme constitutionnelle sur la réforme du conseil supérieur de la magistrature, cette indépendance est pensée, conçue pour le justiciable ; pour que vous puissiez en toute impartialité prononcer vos jugements. Cest cette impartialité qui assure la confiance du justiciable dans la justice et dans ses magistrats. Cette indépendance, cette liberté, cette expression de lindépendance se traduit aussi par cette possibilité que vous avez daller dans la société. Je sais que tout cela est encadré par vos règles déontologiques. Cest pour ça que nous pouvons vous faire confiance, cest pour ça que lexécutif, le pouvoir politique doit vous faire confiance ; nous pouvons vous faire confiance parce que vos limites sont posées par les règles déontologiques que vous respectez. Elles sont posées par léthique que vous allez enrichir personnellement lorsque vous allez exercer ce métier. Elles sont encadrées aussi par vos responsabilités, qui sont réelles, quoi quon dise et quoi quon pense ; elles sont réelles déjà vos responsabilités, elles sont définies par votre statut. Mais surtout la beauté de votre fonction est résumée dans votre serment. Et forts de tout cela, vous pouvez en toute liberté, en toute indépendance, vous jeter dans la société, aller rencontrer les citoyens, parler aux citoyens, faire comprendre la grandeur et les difficultés, la réalité du service public de la justice, parce que le service public de la justice est un bien commun ; cest donc un bien de tous les citoyens.
Cette Ecole Nationale de la Magistrature qui vous forme est une école qui vous reçoit avec déjà de grandes capacités, de grandes connaissances juridiques. Cest une école qui vous apporte les fondamentaux sur les disciplines pénales et civiles, mais qui vous ouvre, et qui doit de plus en plus vous ouvrir à dautres disciplines, à dautres modes de penser, à dautres parcours, à dautres façons de regarder la société, et surtout à une capacité de percevoir la complexité de la société. La diversité de sa réalité, de ses réalités professionnelles, de ses réalités culturelles aussi, de ses réalités sociales : lécole doit vous ouvrir à cela. Mais je crois quelle le fait. Elle le fait déjà par le recrutement : puisque ce recrutement diversifié permet que dans cette promotion, je lai regardée de près, il y a, évidemment la majorité des étudiants en droit ayant passé le concours, en plus des études universitaires, mais aussi dautres parcours proches du droit, tels que des notaires, des avocats, des greffiers ; un lieutenant de police ma-t-on dit ? Je ne lui demande pas de se lever. Il y avait un autre métier original enfin, oui, cest original. (On ne se trompe pas, on ninverse pas.) Donc il y a tout ça et puis il faut améliorer quand même encore la diversité sociale du recrutement. Je sais que lécole sy emploie, notamment par les cycles préparatoires, mais il faut vraiment faire en sorte que cette Ecole Nationale de la Magistrature soit à limage de la société, de sa complexité, et de sa diversité. Cest une école généraliste, donc, qui vous prend avec vos connaissances, qui vous forme aux fondamentaux, qui doit vous ouvrir aux autres. Cest une école spécifique aussi. Jai entendu récemment encore, jétais à un débat cétaient les débats sur lhistoire à Blois, et il y avait des interrogations sur cette école de droit : pourquoi une école de droit ? Pourquoi une école unique de droit ? Je crois que cette école est indispensable. Je pense quelle est indispensable. Je suis certaine quelle est indispensable, et nous devons la préserver, parce que rendre la justice est un métier qui sapprend. Cest un très beau métier mais cest un métier très difficile. Vous avez à interpréter les lois, et à les appliquer ; il faut que vous appreniez à le faire. Et autant il est utile que vous vous ouvriez à la société comme je lai dit, et donc que les citoyens puissent entrer dans le service public de la justice, quil puisse y entrer en tant quassesseur, ou que juré ; mais ils viennent en plus de vous, magistrats professionnels, et de la précision et de la méticulosité avec laquelle vous aurez appris à exercer ce métier. Que vous apprendrez au fur et à mesure. Que vous apprenez là, à bloc, mais que vous apprendrez, confrontés à lexpérience. Il est essentiel que vous ayez ce socle ; cest ici que vous pouvez acquérir ce socle, en sorte que cette professionnalisation est indispensable pour une justice de qualité dans notre pays. Lapport des citoyens est réellement un apport.
Je sais que vous veillerez, en tout cas que vos enseignants veillent à vous alerter sur la nécessité de rester constamment en éveil par rapport à lévolution des textes de loi, par rapport à la complexité de la société, par rapport à lévolution des contentieux, par rapport en fait au renouvellement permanent de lexercice de votre métier. Vous avez dailleurs heureusement lobligation de suivre cinq jours de formation continue chaque année. Cest une disposition essentielle à laquelle je suis très attachée aussi. Jai eu ce matin une séance de travail avec léquipe de la formation continue, que je connais déjà, je connais le catalogue ; mais jai entendu avec beaucoup dintérêt la présentation par les responsables de la formation continue de ces pôles de formation qui sont mis à votre disposition en tant que magistrats, en formation continue, enrichis de votre expérience, taraudés par vos interrogations, mis sur la braise dune certaine façon, par les situations difficiles auxquelles vous aurez été confrontés, et donc un enrichissement pour les formateurs de ce retour dexpérience pratique que vous faites à loccasion de la formation continue. Et comme cette formation continue souvre aussi à dautres métiers, à dautres fonctionnaires, à dautres ministères, et surtout à dautres sujets qui sont liés aux problématiques qui travaillent ou qui traversent la société, cette formation continue est un enrichissement permanent. Cest un maintien constant à létat de veille, cest un entretien de vos capacités, de vos potentialités, cest un enrichissement de vos réflexions. Cette formation continue, que nous allons essayer de consolider encore plus, et qui est conduite par des équipes extrêmement motivées, à Bordeaux et à Paris, est un accompagnement permanent, parce quen plus de cette interrogation sur vos expériences, vous avez besoin déchanger aussi je crois sur un certain nombre de problématiques. Jai travaillé avec le directeur depuis le mois de septembre (même avant je crois, mi-juillet nous nous sommes vus pour la première fois) pour que des modules particuliers soient mis en place, soient réfléchis, concernant le harcèlement sexuel, concernant les violences faites aux femmes, concernant un certain nombre de problématiques qui traversent la société très lourdement : le racisme, lantisémitisme. Ce sont des formations continues qui sont déjà mises à disposition, mais il y a nécessité de les renforcer et de faire entendre et comprendre à chacun quil est important de sy pencher, quil est important de sy intéresser, quil est important de venir profiter de ces échanges et dinterventions de magistrats, de professeurs, duniversitaires, de scientifiques, de chercheurs, de très grande qualité.
Vous mavez, dailleurs cétait plutôt les équipes, interrogée la dernière fois sur le statut des magistrats enseignants associés, des coordonnateurs régionaux de formation, ainsi que des magistrats évaluateurs associés. Jai entendu quil y avait une demande de modification éventuelle des procédures de nomination, pour plus de transparence ; je lentends parfaitement et je lapprouve. Je dois dire que je suis très attachée au maintien des coordonnateurs régionaux de formation, parce quavec la réforme de 2008, qui a quand même changé de façon substantielle le fonctionnement de lécole, le collège des formateurs a été supprimé. Cette réforme a changé, je le disais, le fonctionnement de lécole. Le rapport de linspection générale qui ma été remis a été transmis à votre conseil dadministration et à votre direction. Les propositions contenues dans ce rapport ne sont pas de nature à bouleverser le fonctionnement actuel de lécole. Jai recueilli lavis de votre direction, celle de la direction des services judiciaires, mais aussi de représentants de magistrats, de jeunes auditeurs, dorganisations professionnelles. Jai reçu récemment à la Chancellerie cinq délégués de promotions : ceux qui avaient vécus lavant 2008, ceux qui ont vécu la réforme de 2008, ceux qui ont vécu laprès 2008. Je constate que les avis sont un peu partagés. Certains considèrent quil faut un peu aménager la réforme de 2008 ; dautres considèrent quil y a aurait des bouleversements plus profonds à faire. Je pense que cest tellement important quil faut prendre du temps. Jai demandé à la direction des services judiciaires dentendre y compris vous, les auditeurs de justice, dentendre les chefs de cour, les chefs de juridiction, dentendre la direction bien entendu : tous les partenaires essentiels qui nous permettront de mesurer et dapprécier le dosage nécessaire aux modifications que nous devons apporter dans le fonctionnement de lécole. En sachant quil est essentiel que les équipes pédagogiques puissent contribuer à la conception des programmes. Compte tenu de la diversité des profils enseignants, il est bon que les équipes puissent contribuer à la réflexion. Mais nous voulons faire les choses en douceur, avec une concertation réelle, profonde, de façon à améliorer effectivement le fonctionnement de lécole autant que faire se doit, autant que faire se peut, non pas faire une réforme pour le plaisir den faire une, non pas faire des aménagements cosmétiques pour « faire croire que », mais bien prendre la mesure de ce quil convient de faire ; si cest très peu ce sera très peu ; si cest beaucoup ce sera beaucoup. Nous ferons ce qui est nécessaire, ce qui est indispensable.
Cette école a la possibilité également de former les secrétaires généraux et les chefs de juridiction. Cest une possibilité tout à fait intéressante, notamment pour les qualités managériales en autre. Je souhaite que ces formations soient ouvertes au plus grand nombre, parce que lécole vous forme, mais cest le conseil supérieur de la magistrature qui peut émettre un avis sur vos affectations. Il ny a donc pas de lien direct entre ceux qui seraient formés par lécole et ceux qui se retrouveraient affectés. Il est souhaitable que ces formations se fassent systématiquement après, donc je souhaite que la plupart dentre vous puisse y avoir accès, de façon à ce que vous puissiez disposer de la capacité, si vous le souhaitez, daccéder à ces autres fonctions et que vous exercez en juridiction.
Toutes ces possibilités montrent à quel point notre école est grande et belle. Elle a dailleurs prospéré, son modèle a été exporté dans de nombreux pays. Je me suis déplacée récemment en Equateur et au Maroc. En Equateur cétait une rencontre internationale, 35 pays des Amériques. Il se trouve que jai encore engagé lécole dans des échanges, parce que la demande est forte ; le prestige de notre école, son rayonnement, sont tels quil y a une demande internationale importante. Ce rayonnement est lié à la qualité de la formation distribuée par lécole, mais également aux stages internationaux qui dailleurs seront réduits à partir de cette promotion. Cest à partir de cette promotion quils sont réduits et je le regrette profondément. Je pense que lécole fera très attention aux critères de sélection. Je regrette quil y ait une sélection, qui est justifiée par des raisons les plus prosaïques et les plus désagréables possibles, ce sont des raisons budgétaires. Mais cest ce rayonnement international qui contribue à faire que lécole soit demandée et quelle soit ainsi dans des relations bilatérales avec un certain nombre de pays, puisquà loccasion de cette rencontre en Equateur jai vu avec plusieurs ministres de la justice pour des échanges entre écoles - récemment le ministre de la justice du Chili était à Paris et pour consolider tout cela.
Cette école est donc précieuse. Je veux remercier personnellement les équipes, les personnels qui ont affronté ces dernières années une surcharge de travail, avec la formation par exemple des juges consulaires, des juges de proximité, des médiateurs, avec un enrichissement du catalogue sur la formation continue. Je sais que ce sont de petites équipes, mais avec une motivation infinie. Ce sont des moyens logistiques souvent contraints aussi, de sorte quil y a une inventivité extraordinaire pour faire face aux besoins et aux enseignements. Je veux donc donner toute ma gratitude aux équipes, et cest avec la plus grande attention que, chaque fois que ce sera nécessaire et possible, je ferai en sorte que les moyens vous soient donnés, toutes les ficelles possibles, même si je parle sous le regard fusilleur de la directrice des services judiciaires je le disais ce matin, elle tient le rôle de la méchante lorsquon demande les augmentations deffectif. En tout cas je ferai tout ce qui est possible, parce que je tiens à ce que cette école continue à disposer de moyens pour progresser.
Mesdames et Messieurs, je le disais, vous allez entrer en fonction dans un an et demi. Vous êtes jeunes pour la plupart, et tous jeunes parce quen fait même ceux qui ont eu des parcours avant vont entrer en toute jeunesse dans cette nouvelle fonction. Vous allez le faire dans un contexte dont les difficultés sont là, mais dont le potentiel aussi est considérable. Vous allez le faire avec vos moyens, avec vos méthodes, avec vos facilités relationnelles. Vous allez le faire dans un contexte qui est marqué encore aujourdhui, je men rends compte, par quelques événements de ces dernières années qui ont laissé des traces assez profondes. Je pense notamment au drame de Pornic, qui a généré de lamertume, qui a conduit les différents métiers, les différentes professions avec lesquelles vous êtes en contact à des interrogations fortes, à une crise aussi parfois je crois, y compris presque ontologique sur le métier. Mais je suis sure que vous allez surmonter tout cela. Vous allez surmonter tout cela par votre jeunesse, la jeunesse de tous, la jeunesse dans le métier, la jeunesse dans la vie, aussi. Je pense à la définition que Jean JAURES donnait de la république dans son discours sur la jeunesse, cétait au début du siècle dernier, où il sinterrogeait sur ce que définissait la république et il la définissait comme un acte de confiance : un acte de confiance en disant quinstituer la république cest faire le pari que des millions dhommes sauront eux-mêmes concevoir les règles communes, en conciliant la liberté et la loi, le mouvement et lordre, et en sachant se combattre sans se déchirer. Cest ce que vous devrez faire vous aussi en tant que magistrats. Je suis persuadée que vous saurez le faire. Lors de ces moments difficiles où vous aurez à porter seuls des décisions de jugement, je vous invite à toujours échanger, avec dautres magistrats bien entendu, mais autant que possible avec les autres, tous les autres : les autres qui concourent à luvre de justice, les avocats, la police judiciaire, les huissiers, les experts, les experts divers, les psychiatres, les conseillers dinsertion et de probation, les éducateurs, les personnels pénitentiaires ; parce que ensemble vous concourez à luvre de justice. Je vous invite à toujours échanger avec dautres magistrats. La collégialité est un principe important pour une justice équilibrée. Mais la décision vous la prendrez en votre âme et conscience, au regard du droit, et au nom du peuple français. Cette décision pèsera sur vous, chaque fois, et cest sans doute la grandeur et la servitude de votre belle mission. Tels que vous êtes, vous êtes appelés, invités, solennellement, fortement, symboliquement, à toujours vous ouvrir aux autres, à toujours échanger avec les autres, à toujours regarder lautre, interroger lautre, interroger ce quest lautre et ce qui fait quen cette situation il est en face de vous. Ayez constamment les yeux grands ouverts. Soyez réceptifs au monde, à ses effervescences, à ses contradictions, à ses exigences, à ses ambivalences aussi, à ses imperfections. Acceptez ce défi. Relevez ce pari. Convenez de la force et de limportance de ces enjeux. Et partez en voyage. Partez en voyage, comme disait Pablo NERUDA : « il meurt lentement celui qui se soumet à lhabitude, refaisant chaque jour le même chemin ; il meurt lentement celui qui ne lit pas, qui ne voyage pas. Ne te laisse pas mourir lentement. » Sil-vous-plaît.
Source http://www.justice.gouv.fr, le 14 mai 2013