Déclaration de M. Thierry Mandon, secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat et à la simplification, sur le recueil de l'avis des usagers, l'évaluation des politiques publiques et l'importance de la transition numérique dans le cadre de la réforme de l'Etat, à Paris le 27 janvier 2015.

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Circonstance : Colloque à l'occasion du 10ème anniversaire du baromètre des services publics par l'institut Paul Delouvrier, au grand auditorium du Collège des Bernardins, à Paris le 27 janvier 2015

Texte intégral

Je dois vous dire et je vais le faire d'une manière très simple car je ne suis jugé qu'à cette aune, la simplicité, je dois vous dire que votre travail qui est d'une richesse considérable ne pouvait pas mieux tomber dans le moment dans lequel nous sommes de travail très important de préparation d'un certain nombre de décisions en février prochain et en avril prochain, relatives à ce qu'on appelle d'un mot qui mériterait d'être affiné : la réforme de l'Etat.
Et cela se joue autour de trois mots clés que l'on retrouve dans ce baromètre et ce survol des dix dernières années.
Le premier, celui que vous avez appelé l'écoute qui est la raison même, la raison d'être de cet outil dont vous vous êtes doté il y a dix ans, l'idée de recueillir l'avis des usagers. Cette idée qui revient sans arrêt dans l'ensemble des items présentés, l'idée que ce n'est pas un luxe d'écouter les usagers, c'est une nécessité mais c'est même me semble-t-il aujourd'hui quand on réfléchit aux évolutions que l'Etat doit entreprendre, c'est un préalable.
C'est bien sûr une nécessité au sens où le rôle des services publics c'est de s'adapter au syndicat des copropriétaires que sont les Français. C'est la moindre des choses. Je mesure ce que cette démarche peut induire d'évolution culturelle dans le rapport que certaines administrations ont à l'égard des usagers mais, encore une fois, c'est la moindre des choses.
Mais c'est plus qu'une nécessité, c'est un préalable car je suis totalement convaincu que le grand chantier de modernisation d'adaptation des services publics passe par des formes nouvelles à réfléchir, d'association étroite des usagers à l'évolution des services publics.
Dans les méthodologies que nous avons mises en place sur la question de la simplification, ce sont les usagers, en l'occurrence les entreprises quand nous simplifions la vie économique ou les usagers, les citoyens quand nous nous attaquons aux démarches des particuliers, ce sont les usagers qui définissent l'agenda de la complexité à traiter.
Nous ne demandons pas aux administrations de nous dire ce qu'il leur semble important de simplifier. Nous demandons à partir d'une analyse très précise des moments de vie des entreprises, la création, le développement, le recrutement, l'import-export…ou des moments de vie des citoyens, de nous dire les problèmes auxquels nous devons nous attaquer. Et cette mécanique d'inversion de définition de l'agenda des décisions publiques, cette mécanique-là qui est le prolongement, qui est plus qu'une écoute, qui est une irrigation de la décision publique par les attentes précisées par les usagers, passe par une connaissance très précise de ce qu'ils attendent.
Ce n'est pas facile, cela pose même des difficultés, une de celles que nous avons aujourd'hui sur la simplification et que demain si nous démultiplions cette méthode sur d'autres champs nous retrouverons c'est qu'il peut y avoir des contradictions entre l'agenda émergeant des usagers, exprimé comme tel et celui des administrations qui ‘n'ont pas forcément le même.
Mon sentiment c'est que, sans conflictualiser les choses, le renouveau des politiques publiques, le renouveau des services publics, le renouveau d'une puissance publique redevenue puissante passe par une nouvelle synthèse entre un agenda émergeant de ceux à qui sont destinées les politiques publiques et ceux qui ont en charge de les mettre en oeuvre.
Donc recueillir l'avis auprès des usagers, c'est plus qu'une nécessité c'est un préalable pour faire évoluer la fabrique des politiques publiques de manière beaucoup plus collaborative.
Deuxième réflexion que je me faisais nuitamment en regardant votre baromètre, si j'ai bien compris et je ne voudrais pas être trop vulgaire et schématiser un travail d'une densité incroyable mais il y a une permanence des priorités des Français : l'emploi tout d'abord, l'éducation ensuite, la santé et la montée récemment notamment d'un certain nombre de nouvelles attentes, fortes, à des niveaux moindres mais qui quand même disent beaucoup sur la période que nous traversons en matière d'environnement, en matière de sécurité et de défense.
Mais ce qui me frappe là aussi, et je dis ça quelques jours après le formidable appel du peuple français à la République et au besoin de République, ce qui me frappe c'est l'exigence d'une République des résultats. Pas une République qui s'arrêterait à une République des valeurs affichées, des principes répétés, la liberté, l'égalité, la fraternité, la solidarité, la laïcité, mais une République qu'on interroge au vu de ce que réellement au regard des moyens qui lui sont donnés, elle produit pour chacun des Français.
Cette République du réel, cette République des résultats, cette exigence absolue d'une efficacité du service public, me semble être un élément absolument essentiel qui est le fil rouge de votre travail et de ce point de vue là je crois que les Français ont raison la République ne meurt pas de manque de moyens en tous cas globalement 57% de la dépense publique, du PIB consacré à la dépense publique c'est un des records du monde.
Elle manque à l'évidence de résultats dans un certain nombre de domaines et les variations sur
dix ans d'un certain nombre de courbes le montrent très précisément et dans la réforme de l'Etat que nous préparons ça aussi ça doit être le fil rouge : être beaucoup plus exigeants sur l'efficacité réelle des politiques publiques mises en oeuvre, ne pas considérer que parce qu'une décision est prise elle est forcément bonne et qu'elle règle les problèmes mais se doter d'outils très précis qui permettent d'évaluer l'impact ex post, a posteriori, des politiques publiques et avoir l'humilité qu'il faut pour corriger ce qui doit l'être.
Cette nouvelle attitude qui doit être au coeur des évolutions de l'organisation de l'Etat me semble confortée par le type d'étude que vous avez, de ce baromètre que vous avez publié aujourd'hui.
De ce point de vue là je me réjouis que le SGMAP, qui, je crois, participe et soumissionne la question de ce baromètre et plus généralement de vos travaux, que le SGMAP qui a mis un accent très fort depuis quelques mois sur les évaluations de politiques publiques continue voire relance un certain nombre d'autres outils d'évaluation de politiques publiques.
Là encore avec la volonté ancrée de regarder très précisément les résultats concrets.
Mais aussi d'une certaine manière si on faisait un transfert de méthodologie des sciences économiques sur les sciences de l'action publique une sorte de méthode j'allais dire, peut-être qu'elle ne le dirait pas comme ça mais à la « Esther Duflo » c'est-à-dire qu'on regarde, on part de l'impact concret de la politique et on déconstruit la politique à partir de ces résultats concrets, de ces insatisfactions pour éventuellement la corriger.
Troisième point - pardon je ne voudrais pas être trop long mais il y a quelque chose qui monte dans votre baromètre sur 10 ans on le voit très nettement - c'est le numérique, grand chantier ça aussi, troisième grand chantier après la coproduction après l'exigence de résultats et les outils dont il faut se doter.
Troisième grand chantier de la réforme de l'Etat c'est la transition numérique et plus généralement même que la transition numérique, l'adaptation de la machine publique à ce qu'induit la transition numérique je dis ça devant un des grands spécialistes de ce sujet que je salue.
Là il va falloir probablement procéder de manière assez puissante y compris bousculer un peu les habitudes
La culture du numérique est absolument insuffisante dans ceux et celles qui aujourd'hui ont charge d'organiser les politiques publiques ou les services publics.
L'organisation de ces administrations est insuffisante au niveau décisionnel pour que cette mutation dans laquelle nous entrons grâce ou par le numérique soit mise en oeuvre très rapidement ; que des efforts de mutualisation importants soit fait j'observe d'ailleurs avec intérêt que là aussi les Français dans ce baromètre nous invitent à ce type de travail.
Mais aussi que nous ayons à l'esprit qu'un certain nombre de Français n'ont pas forcément spontanément encore accès ou savent bien faire avec cet outil, qu'il faut répondre aussi à ces catégories là aussi.
Et enfin dernier point, dernier mot clé de ce travail la tension qu'il existe, la tension existante entre la satisfaction des Français à l'égard d'un certain nombre de services publics et les bonnes opinions vis-à-vis de ces services publics.
Il faut faire très attention à ce grand écart, je ne sais pas si ces mots correspondent scientifiquement à ceux que vous utiliseriez mais cette tendance, ce grand écart grandissant entre l'usager d'un service et l'opinion générale, dans ce divorce progressif, dans cette séparation progressive, il y a des germes de choses beaucoup plus ennuyeuses sur le financement durable des services publics, l'attachement à ceci et vous dessinez très bien les trois ou quatre points qui permettraient là encore d'améliorer les choses.
Premièrement la personnalisation des réponses. Donc je ne reviens pas sur la numérisation, la digitalisation mais il y a sûrement là des voies.
Deuxièmement la qualité de l'accueil.
Plus les services en ligne vont se développer plus, physiquement en tous cas, l'éloignement entre les usagers et ceux qui délivrent le service public se créera et plus la qualité de l'accueil devient importante.
Ceux et celles qui sont en première ligne, ceux qui ont, reçoivent des usagers par téléphone ou physiquement doivent être formés à ce nouveau rapport fait à la fois de beaucoup plus d'éloignement et, quand on a un vrai besoin, d'une nécessité d'une proximité renforcée et psychologiquement renforcée.
Et enfin, dernier point, la boussole pour…qu'est-ce que c'est l'ambition des services publics de demain ? qu'est-ce qui réunit ? quand on est Etat mais d'ailleurs pour les collectivités territoriales qui délivrent elles aussi des services publics cela devrait être le cas, qu'est-ce c'est le projet ?
Ce projet, de mon point de vue qui pourrait être aussi un projet de société, là aussi très souvent dans votre baromètre, c'est la question de la qualité.
C'est l'exigence de qualité qui recouvre l'ensemble des politiques et des leviers sur lesquels on peut jouer Biensûr de l'efficacité, biensûr de la personnalisation, biensûr de la qualité d'accueil, bien sûr de la vitesse dans la réponse.
Ce projet qualité appliqué au service public, qui est une ambition, doit trouver les outils de cette ambition.
Aujourd'hui, il n'y en a pas assez.
Les certifications qualité de politiques publiques sont insuffisantes.
La modélisation de ce que pourrait être la qualité d'une politique publique, ce travail là doit être fait parce que c'est un outil, qui peut permettre à terme, c'est un travail qui sera long, de resituer vis à vis des usagers l'intensité des efforts que la puissance publique fait, a décidé de faire pour s'adapter.
Cet effort, il est engagé. Encore une fois, les travaux du SGMAP en attestent et la volonté du gouvernement dans les semaines qui viennent de prendre des décisions assez puissantes est engagée.
Elle est engagée sur fond de défiance.
Elle demande donc des outils méthodologiques.
Elle demande donc une volonté farouche, elle existe.
Et elle demande aussi, et c'est ce qui sera finalement le plus difficile pour la puissance publique - mais je suis sûr qu'elle arrivera à trouver le chemin qui lui permet d'y arriver- elle demande de l'humilité c'est-à-dire la capacité finalement d'être interrogée par ceux envers qui sont destinées les politiques publiques pour continuer à s'améliorer ce qui est un chemin jamais achevé.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 21 mai 2015