Interview de M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, à "France Inter" le 10 juin 2015, sur les mesures en faveur des PME (plafonnement des indemnités accordées devant les prud'hommes...).

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN
Bonjour Emmanuel MACRON.
EMMANUEL MACRON
Bonjour.
PATRICK COHEN
Beaucoup d'interrogations ce matin sur la philosophie et les effets possibles des mesures que vous avez annoncées hier en faveur des PME. J'en saisis une pour commencer : le plafonnement des indemnités accordées aux prud'hommes après un licenciement individuel. C'était réclamé par le patronat mais est-ce que vous pouvez imaginer que cette mesure puisse déclencher ou inciter directement à des embauches ?
EMMANUEL MACRON
Oui. C'est une mesure qui permettra de donner plus de visibilité aux salariés et aux employeurs. Elle remet de la confiance, pourquoi ? Parce que lorsqu'on signe un contrat de travail, lorsqu'on conclut ce contrat, il faut toujours penser à ce qui peut advenir si ça se passe mal. Aujourd'hui pour rompre un contrat, dans quarante pourcent des cas c'est une rupture amiable ; dans dix pourcent des cas, ce sont des licenciements économiques. Ces licenciements économiques, on en a clarifié le cadre avec la loi de 2013 ; on a réduit vraiment les recours sur ces sujets, et cætera. Et puis, vous avez dans donc la moitié des cas des licenciements ce qu'on appelle individuels et un tiers de ces licenciements individuels font l'objet de recours aux prud'hommes, un tiers. Lorsqu'on arrive aux prud'hommes, on est sûr aujourd'hui de deux choses : ça va durer longtemps et rien n'est sûr.
PATRICK COHEN
« Ça va durer longtemps », ça va continuer à durer longtemps.
EMMANUEL MACRON
Non, ça ne va pas continuer à durer longtemps parce que la réforme que nous avons initiée au mois de janvier, et c'est toute la cohérence des annonces d'hier qui viennent compléter un dispositif qui est porté dans la loi croissance et activité et qui a été avec les parlementaires – il y a eu un très gros travail des parlementaires à l'Assemblée nationale sur ce sujet, en particulier du rapporteur AUDIBERT – sur véritablement le raccourcissement des délais. Donc qu'est-ce qu'on fait ? On raccourcit les délais.
PATRICK COHEN
Et ça va coûter moins cher aux chefs d'entreprise.
EMMANUEL MACRON
On facilite la conciliation amiable en donnant un référentiel, c'est-à-dire qu'on donne une visibilité précisément aux deux parties pour qu'elles se mettent d'accord très tôt. Aujourd'hui, on concilie dans six pourcent des cas aux prud'hommes et ça dure en moyenne vingt-sept mois, ça dure quatre ans à Paris. Est-ce que vous pensez que c'est bon pour un salarié d'attendre pendant quatre ans ? Et ensuite, si vous et mois travaillons dans deux entreprises totalement comparables, qu'on est licencié de manière à peu près équivalente ; on va tous les deux aux prud'hommes ; vous êtes à l'autre bout de la France ; vous allez pouvoir toucher le double de moi aujourd'hui. Il y a une grande dispersion des dommages et intérêts.
PATRICK COHEN
Sauf que les fourchettes que vous proposez vont de un à six et d'une certaine façon, elles aggravent les disparités où elles les aggravent de façon différente.
EMMANUEL MACRON
Pas du tout !
PATRICK COHEN
Puisque si vous êtes dans une entreprise de moins de vingt salariés, vous pouvez toucher de deux à six mois d'indemnités ; si vous êtes dans une entreprise de plus de vingt salariés, de quatre à dix mois.
EMMANUEL MACRON
Pas du tout parce que les fourchettes que nous avons mises, elles sont beaucoup plus resserrées que l'existant. Le plafond, il est au-dessus de la moyenne constatée mais largement en-dessous des sommes les plus élevées, et donc on donne de la lisibilité en réduisant la dispersion des peines. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que si je suis un salarié, je sais que je peux toucher par exemple dans une petite entreprise de moins de vingt salariés, si j'ai cinq-six ans d'ancienneté, entre deux et six mois de salaire en équivalent de dommages et intérêts. Si je suis l'employeur, je sais qu'au plus, ça me coûtera cette somme. Nous avons gagné de part et d'autre en visibilité, et cette visibilité qu'est-ce que c'est ? C'est de la sécurité et moi, je veux insister sur ce point. Pourquoi je suis convaincu que ces mesures vont créer de l'emploi ? Parce qu'il y a beaucoup de potentiel, de création d'emploi dans les petites et moyennes entreprises. Aujourd'hui, le problème quel est-il ? C'est d'abord d'avoir des carnets de commandes, cela repart. La consommation est au rendez-vous, les exemples sont nombreux et j'en vois tout le temps quand je me déplace, de chefs d'entreprise qui me disent : « J'ai des commandes, ça va mieux mais qu'est-ce qui se passe si ça va moins bien ? » ; et comme ils sont dans l'incapacité de dire comment ils pourront réagir, s'adapter si les circonstances sont moins favorables, ils ne prennent pas le risque. Là, on donne une visibilité et le chef d'entreprise sait que si ça devait mal se passer au cas extrême, il a au moins une visibilité sur le temps que ça lui prendra et sur le maximum que cela coûtera, de même pour le salarié. De la visibilité, de la sécurité, c'est une bonne chose.
PATRICK COHEN
Les indemnités aux prud'hommes, c'est la mesure la plus critiquée par les syndicats et par la gauche du Parti socialiste. C'est une mesure que vous n'avez pas osé présenter et mettre sur la table des discussions avec les syndicats.
EMMANUEL MACRON
Non, c'est totalement faux. Elle a été discutée avec les syndicats ; ça n'est pas une mesure qui fait l'objet d'une négociation préalable.
PATRICK COHEN
Et sur laquelle ils étaient absolument opposés.
EMMANUEL MACRON
Mais est-ce que vous pensez que le rôle d'un gouvernement quel qu'il soit, c'est de faire exactement ce que lui dictent les organisations syndicales ou patronales ?
PATRICK COHEN
Non, mais ils vous reprochent de faire ce que demande le patronat en l'occurrence.
EMMANUEL MACRON
Et vous avez pu constater semaine après semaine que le patronat nous tressait des lauriers et considérait que ce gouvernement faisait formidablement bien. Non, non plus. Donc quand on poursuit l'intérêt général, on fait peut-être beaucoup de mécontents mais on fait ce que l'on pense juste. Il ne s'agit pas pour prendre telle ou telle mesure de savoir si elle plaît à l'un ou à l'autre, ou successivement aux uns puis aux autres, il s'agit de savoir si elles sont efficaces et justes. Ce que je vous dis, c'est que cette mesure, j'en suis convaincu, elle a une efficacité et elle est juste parce qu'elle donne de la visibilité.
PATRICK COHEN
Une prime pour la première embauche, réaction d'Alain JUPPE hier sur Twitter : « Quatre mille euros de prime à l'embauche d'ici 2017, ficelle un peu grosse. Nos PME ont besoin de visibilité sur la durée, pas de mesure pré-élection », que lui répondez-vous ?
EMMANUEL MACRON
Moi, je ne rentre jamais dans la polémique.
PATRICK COHEN
Non, mais là il développe des arguments de fond.
EMMANUEL MACRON
Oui, mais je vais y répondre sur le fond, le sujet qu'on traite est trop importante. Ce n'est pas des mesures pré-électorales et pour ma part, je ne fais pas partie des gens qui sont obsédés par les élections deux ans avant celles-ci. Dans un paquet de mesures comme celui-ci, vous avez des mesures structurelles : ce qu'on fait dans les accords de maintien dans l'emploi défensif par exemple, qui donnent beaucoup plus de flexibilité au niveau de l'entreprise pour, sur la base d'un accord majoritaire, se réorganiser. Ça, ce sont des mesures structurelles fondamentales parce qu'elles permettent d'éviter de détruire de l'emploi si les choses vont moins bien. La mesure dont on vient de parler, qui parachève la réforme des prud'hommes qui a été commencée au mois de janvier dans le cadre de la loi que je porte, et puis des mesures plus conjoncturelles qui servent à faire relancer l'économie. On a pris une mesure il y a quelques semaines sur l'investissement, le Premier ministre l'a annoncé au début du mois d'avril, pour accélérer l'investissement. On fait la même chose pour l'emploi dans les TPE-PME. Il y a deux millions et demi de petits patrons individuels. Ce qu'on se dit, c'est qu'aujourd'hui on a fait beaucoup d'allègements de charges sur les emplois comme vous le savez au SMIC, mais là on donne un coup de pouce pour aider à déclencher ce comportement parce qu'on a besoin d'embauches. Vous savez, je pense que cette aide pendant deux ans pour la première embauche, c'est quelque chose qui dans la période qu'on vit, avec tous ces éléments de stabilité et de structure qu'on ajoute, c'est quelque chose qui peut déclencher un emploi sur ces petits patrons et c'est une bonne chose.
PATRICK COHEN
Puisque vous venez de parler d'allègements de charges, faut-il comme le demande un certain nombre de parlementaires socialistes réorienter le Pacte de responsabilité ? Ces quarante milliards rendus aux entreprises vers les entreprises qui investissent ou selon d'autres critères ?
EMMANUEL MACRON
Ce qui est sûr, c'est qu'il faut l'évaluer et c'est d'ailleurs ce à quoi le président de la République dès le début s'est engagé. C'est ce que nous avons fait déjà la semaine dernière et donc il y aura une évaluation à l'automne pour regarder ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas et comment l'adapter si besoin était. Moi, je ne fais pas de postulat de base, vous savez.
PATRICK COHEN
On a déjà des indications quand même sur où est allé l'argent.
EMMANUEL MACRON
Il faut proposer, mettre en oeuvre et évaluer. Les mesures sur le coût du travail, il faut leur donner de la stabilité. On ne peut pas dire tout et son contraire. Je pense que nos entreprises comme nos salariés, ils ont besoin de quoi aujourd'hui ? De stabilité et d'adaptabilité, d'agilité. C'est ça la philosophie des deux mesures, des deux catégories de mesures que nous prenons. Il ne faut pas que cette stabilité qui est celle du Pacte de responsabilité, on vienne l'endommager en disant tous les matins : « On va le revoir » parce que je peux vous dire que celles et ceux qui vont prendre chaque jour des risques, qui emploient des gens qui sont aussi les forces vives de ce pays avec leurs salariés que sont les petits patrons, si vous leur dites tous les matins : « On a pris cette mesure mais on va la revoir la semaine prochaine », ils n'y toucheront pas.
PATRICK COHEN
Même à ceux qui en profitent sans contrepartie pour l'emploi ?
EMMANUEL MACRON
Donc il faut sur ces mesures-là avoir une évaluation et pouvoir réorienter ce qui marche et ce qui ne marche pas. Il y a des mesures relatives au coût du travail, elles étaient une nécessité et elles ont eu une efficacité puisque notre coût unitaire du travail est repassé depuis la fin de l'année dernière sous le coût unitaire allemand, donc nous sommes en train de redevenir compétitifs et de reconverger avec l'Allemagne. Par contre, c'est vrai qu'il y a des catégories d'entreprise qui jouent moins le jeu. On sait qu'il y a des dispositions qui sont à venir, qui sont peut-être moins efficaces, cette C3S qu'on supprime en plusieurs tranches ou certaines mesures fiscales et là je ne parle pas du coût du travail. C'est ça qu'il faut pouvoir évaluer et regarder en se disant : « Est-ce qu'on peut mieux utiliser l'argent ? » ; et ça suppose un travail d'évaluation économique, ça suppose un travail de concertation qui sera mené à l'automne mais il ne s'agit pas de tout détricoter. Il faut garder un socle de stabilité en l'adaptant intelligemment à ce qu'on évalue et ce qu'on veut faire.
PATRICK COHEN
La loi qui porte votre nom, Emmanuel MACRON, revient en deuxième lecture à l'Assemblée nationale. Faut-il accorder aux FNAC et aux enseignes culturelles la faculté d'ouvrir le dimanche, jusqu'à douze dimanches par an ?
EMMANUEL MACRON
Vous savez qu'aujourd'hui, c'est une possibilité qui est ouverte par la voie du décret. C'est-à-dire que les ministres compétents dont je suis auraient pu prendre le décret pour l'ouvrir. Pourquoi on ne le fait pas ? Parce que si demain on autorise les FNAC à ouvrir – ça a déjà d'ailleurs commencé -, les FNAC ne vendant pas que des livres mais aussi de l'électroménager, du matériel informatique, toutes celles et ceux qui vendent ces biens demanderont aussi l'ouverture. Et de proche en proche, évidemment vous allez généraliser beaucoup plus qu'on ne le veut l'ouverture des commerces le dimanche. Le sujet pour la FNAC, c'est la concurrence de l'internet ; c'est le fait que vous avez des enseignes qui ne s'appellent pas FNAC et qui sont moins françaises voire moins européennes, qui vendent massivement le dimanche, qui font plus du quart de leur chiffre d'affaires le dimanche. Elles sont en ligne et donc il faut qu'on puisse y répondre. Ce qu'on va faire, c'est qu'on va regarder au cas par cas comment répondre aux besoins de cette entreprise française mais aussi des autres pour à la fois lui permettre de faire face à cette concurrence qu'elle juge déloyale mais qui est en effet agressive de ces plateformes internet sans pour autant déstabiliser les autres enseignes qui ne vendent pas de livre, et aussi les libraires indépendants dont il faut bien comprendre aujourd'hui les revendications. Vous savez, réformer dans un pays qui a une économie installée, alors même qu'il y a des nouvelles formes d'économies qui arrivent, c'est toujours compliqué parce que vous avez des effets de bord. C'est ce qu'on essaye de faire. Je pense qu'on ne le fera pas à travers cette loi. Par contre, moi je m'engage à ce qu'on regarde au cas par cas comment répondre aux problématiques de cette entreprise pour pouvoir, partout où c'est nécessaire et au rythme où c'est nécessaire, trouver les bons aménagements avec les élus locaux ou avec le secteur.
PATRICK COHEN
Emmanuel MACRON est l'invité de France Inter ce matin. Beaucoup d'autres questions pour vous, une réponse à la tribune d'Arnaud MONTEBOURG, critique de fond sur la politique économique du gouvernement et puis dans un instant à la Une de la revue de presse, la polémique sur un aller-retour express du Premier ministre à Berlin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 11 juin 2015