Déclaration de M. Alain Vidalies, secrétaire d'Etat aux transports, à la mer et à la pêche, sur la mise en oeuvre de l'ouverture à la concurrence des "trains d'équilibre du territoire" (TET ou trains intercités), au Sénat le 9 juin 2015.

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Circonstance : Débat sur le thème : "L'avenir des trains intercités", organisé à la demande du groupe CRC, au Sénat le 9 juin 2015

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « l'avenir des trains intercités », organisé à la demande du groupe CRC.
(...)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie le groupe CRC de l'inscription à l'ordre du jour de ce débat, qui fait suite aux auditions de M. Philippe Duron devant les commissions du développement durable des deux assemblées, et qui permet à chaque groupe parlementaire de s'exprimer en séance sur ce dossier d'importance.
Je tiens à rappeler le contexte dans lequel s'inscrit ce débat.
C'est en 2010 que l'État est devenu autorité organisatrice des trains d'équilibre du territoire. Une convention a alors été signée avec la SNCF pour organiser le service de ces trains.
Aujourd'hui, force est de constater que cette convention n'a pas apporté de réponse satisfaisante et durable. En effet, l'offre est très hétérogène, ce qui rend difficile la définition même des TET - j'observe d'ailleurs que personne parmi vous ne s'est vraiment aventuré à les définir. On y retrouve à la fois aujourd'hui des trains de nuit, des lignes de transport du quotidien - proches cousins des TER -, des lignes à fréquence hebdomadaire, et même une ligne qui est considérée comme TER la semaine et TET le samedi, avec un matériel roulant identique.
Cette hétérogénéité prive cette offre de cohérence, notamment commerciale. La qualité de service, et en particulier la ponctualité, n'est pas, pour être modéré, au niveau attendu par les voyageurs. Le matériel roulant utilisé approche de sa fin de vie et n'offre pas tous les services attendus, ce qui prive les TET d'une image attractive. Le parc, composé en très grande majorité de locomotives et de voitures Corail, a aujourd'hui un âge moyen de trente-cinq ans. Les locomotives thermiques, utilisées sur plusieurs lignes TET comportant des sections non électrifiées, ont, quant à elles, quarante-trois ans en moyenne.
Enfin, le modèle économique des TET est à reconstruire, dans un contexte de contraintes financières pour l'État. Il faut rappeler que l'exploitation des TET représente pour le budget de l'État une dépense annuelle de 800 millions d'euros, en augmentation significative. En 2014, 450 millions d'euros ont été affectés au financement de péages à SNCF Réseau pour l'activité TET, ce qui correspond à la redevance d'accès au réseau, et 330 millions d'euros ont été affectés au financement du déficit d'exploitation de SNCF Mobilités, ce qui inclut la révision et la rénovation du matériel roulant.
Comme cela est rappelé dans le rapport, le déficit d'exploitation de SNCF Mobilités pourrait, si nous ne faisons rien, atteindre 450 millions d'euros en 2016 et 500 millions d'euros en 2025. Je veux bien entendre toutes les positions, mais, franchement, je ne m'attendais pas à ce que certains voient du libéralisme exacerbé dans l'objectif de maîtrise de ce déficit, pour le ramener à 200 ou 300 millions d'euros. On peut être un défenseur du service public et vouloir maîtriser le déficit des finances publiques. (M. Jean-Jacques Filleul applaudit.)
Je rappelle que nous parlons de 340 trains et 100 000 voyageurs par jour, avec une mission d'aménagement du territoire, sur une activité ferroviaire totale de 13 500 trains et 5 millions de voyageurs - dont 3,5 millions en Île-de-France - quotidiens. Les TET posent un problème spécifique, que tous les gouvernements ont connu, mais il ne faut pas caricaturer la situation en prétendant qu'il n'y a pas de politique ferroviaire ou qu'il n'y a pas de trains ni de voyageurs.
Notre objectif est de faire évoluer la convention actuelle pour améliorer la qualité du service rendu aux usagers et assurer dans la durée les objectifs de maintien du droit à la mobilité et d'aménagement du territoire dans le contexte budgétaire que j'ai évoqué. J'ai donc décidé, en novembre dernier, de lancer le chantier de la clarification de l'avenir des TET. À cette fin, j'ai demandé à une commission présidée par Philippe Duron et composée de parlementaires de tous les groupes, d'élus régionaux et d'experts, de formuler des propositions sur la base d'un diagnostic complet.
La commission m'a remis ses conclusions le 26 mai dernier. Je tiens à remercier l'ensemble de ses membres, et notamment les trois représentants du Sénat - Annick Billon, Jean-Jacques Filleul et Jean-Vincent Placé – qui ont participé activement à ses travaux. La commission a eu à cœur de disposer de constats précis. Elle s'est déplacée dans plusieurs pays européens pour observer comment nos voisins gèrent cette question. Elle s'est appuyée sur une expertise technique très fine et a réalisé un travail de concertation très important, qui l'a amenée à auditionner de multiples acteurs représentatifs, et même, au-delà, à recueillir 6 000 contributions du grand public. Chacun doit prendre la mesure de la solidité et de la qualité de ce travail.
Le débat est désormais engagé. Je ne suis pas de ceux qui vont chercher la responsabilité de l'un ou l'autre dans le déficit actuel, mais je ne suis pas non plus de ceux qui s'abritent derrière des discours de posture.
J'ai entendu ce soir les différentes positions exprimées. Certains présentent l'ouverture à la concurrence comme une solution aux difficultés commerciales et économiques des TET.
M. Louis Nègre. Cela marche en Allemagne et en Grande-Bretagne !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Je citerai Malraux : il faut transformer l'expérience en conscience. Au vu des conséquences de l'ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, vous pourriez être un peu moins certain des résultats d'une ouverture à la concurrence, surtout si elle n'est pas préparée. Cette solution est loin de résoudre toutes les difficultés.
M. Louis Nègre. Cela dépend des conditions de mise en œuvre !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Nous parlons de lignes pour lesquelles le déficit public est de 265 euros par voyageur et par voyage. Si vous payez les frais - moi, je ne le ferai pas ! -, je suis d'accord pour organiser un appel d'offres, mais je connais le résultat à l'avance : il ne se présentera pas beaucoup de candidats... Si l'ouverture à la concurrence consiste à n'introduire de la concurrence que sur les lignes TET rentables sans s'occuper des autres, elle ne peut être une réponse satisfaisante aux questions qui se posent en matière d'aménagement du territoire.
M. Louis Nègre. Il ne faut pas être caricatural !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. L'ouverture à la concurrence n'est pas un choix, puisqu'elle est déjà inscrite dans le calendrier européen ; c'est un horizon. Encore faut-il que, préalablement, les étapes prévues par la loi portant réforme ferroviaire, et notamment la négociation de la convention collective et du décret socle, soient respectées. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs : il s'agit en premier lieu de concrétiser les engagements de la loi susmentionnée.
Les conditions de mise en œuvre de la concurrence doivent être précisées dans le volet politique du quatrième paquet ferroviaire, car ce n'est pas la même chose d'ouvrir la concurrence avec un libre accès ou d'utiliser des appels d'offres dans le cadre de délégations de service public. J'appelle à la plus grande prudence ceux qui pensent que ce débat est déjà tranché dans les autres pays européens. Ce n'est pas vrai ! Le débat persiste non pas sur l'objectif, mais sur ses conditions de mise en œuvre.
Mme Évelyne Didier. Tout à fait !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Par ailleurs, comment justifier que l'État verse jusqu'à 265 euros de subvention pour certains voyages ? Est-ce que quelqu'un peut se satisfaire de cette situation ? Aucun Français, même attaché au service public, ne peut la considérer comme acceptable.
M. Rémy Pointereau. Caricature !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Je retiens, dès à présent, plusieurs points du rapport sur lesquels le Gouvernement pourra s'appuyer pour prendre ses prochaines décisions.
Tout d'abord, je constate que les propositions s'inscrivent dans une logique de redynamisation de l'offre ferroviaire des TET, en la recentrant sur son champ de pertinence. Ces propositions visent une amélioration de la qualité du service proposé, afin de valoriser pleinement les avantages du ferroviaire.
Comme l'attestent les contributions du grand public auprès de la commission, la vitesse n'est plus la première priorité des voyageurs. La valorisation du temps de voyage est un atout important du mode ferroviaire, qu'il faut renforcer, par exemple en offrant aux voyageurs la possibilité de se connecter à internet.
Chacun doit en être conscient, l'atout majeur du ferroviaire reste que, contrairement à l'aérien et au routier - covoiturage ou bus -, il peut être pour le citoyen qui voyage un moment de vie pleinement occupé, à se reposer, à parler ou encore à travailler. Il s'agit d'un atout considérable. Quand on interroge les voyageurs sur les raisons de leur choix de mobilité, certains évoquent le temps de parcours - la vitesse est alors la réponse -, mais d'autres déclarent qu'ils souhaitent voyager dans les meilleures conditions : il faut que le ferroviaire puisse leur apporter une réponse.
Je ne veux pas passer sous silence la question du prix de la mobilité. La France l'a mise de côté lors du développement du low cost aérien. Le résultat, c'est que, sur les cinq millions de voyageurs supplémentaires, aucun n'utilise une compagnie française, car nous avons pensé que le low cost n'était pas digne de ce que nous faisions.
Mme Évelyne Didier. Exact !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Il faut prendre en compte ceux pour qui le prix est par obligation la question essentielle. Aujourd'hui, beaucoup de jeunes se déplacent. L'évolution des bus dans d'autres pays - nous ne sommes pas forcément en avance sur ce point - montre certes qu'il y a là un champ de croissance, mais qu'il existe aussi une complémentarité avec le ferroviaire, qui garde naturellement toute sa pertinence. Je suis même de ceux qui pensent que si nous savons valoriser son avantage particulier, le ferroviaire correspondra de plus en plus aux attentes de nos concitoyens.
Je note que les propositions de la commission veillent à maintenir une offre de transport public dans tous les territoires concernés. Il s'agit non pas de concentrer l'offre de transport sur des liaisons rentables, mais de tenir compte des enjeux d'aménagement du territoire. Toutefois, le ferroviaire n'est pas pertinent partout, notamment pour des raisons de coût et de qualité du service. Il faut trouver les solutions les mieux adaptées aux besoins.
Les propositions permettent de déterminer les services de TET répondant à un besoin d'intérêt national clairement identifié, en les distinguant des services de TER répondant à des besoins régionaux. Une telle simplification pourrait permettre à une seule autorité organisatrice d'améliorer l'offre, et donc d'optimiser son coût, sur un axe où coexistent aujourd'hui des TER et des TET desservant les mêmes destinations.
J'ai bien noté aussi que les propositions consistaient à renforcer l'exercice par l'État de ses compétences, recentrées sur les services d'intérêt national. Le rapport souligne enfin la nécessité pour la SNCF de réaliser des efforts importants afin d'améliorer la qualité du service et de maîtriser ses coûts.
Le Gouvernement présentera à la fin du mois de juin sa feuille de route, en plusieurs étapes, pour préparer l'avenir des TET. Cette feuille de route répondra à l'objectif de mettre fin à la dérive des déficits des TET et s'inscrira dans le respect des principes du maintien du droit à la mobilité et de l'aménagement du territoire. Elle retiendra la démarche d'une concertation indispensable avec les régions et les futures grandes régions.
Pour ne pas assister impuissants à l'érosion des TET et à l'explosion de leurs déficits d'exploitation, qui les condamneraient définitivement à court terme, il faut remettre l'usager au cœur de leur offre de transport.
Mme Fabienne Keller. Bonne idée ! Il faut penser aux voyageurs !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Les trains TET méritent que leur avenir soit clarifié, pour apporter un service de qualité aux usagers. Je veillerai à maintenir une offre de transport public de qualité dans tous les territoires. C'est mon objectif et celui du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « L'avenir des trains Intercités ».
source http://www.senat.fr, le 12 juin 2015