Interview de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, à RFI le 18 juin 2015, sur la proposition de la Commission européenne concernant la répartition des demandeurs d'asile entre les Etats membres et les négociations de réadmission des migrants dans leur pays d'origine.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

FRÉDÉRIC RIVIERE
Bonjour Bernard CAZENEUVE.
BERNARD CAZENEUVE
Bonjour.
FREDERIC RIVIERE
Vous avez donc dévoilé hier les mesures que la France va prendre pour faire face à cet afflux de migrants, on va en parler, mais vous étiez avant-hier au Luxembourg, pour le Conseil des ministres européens de l'Intérieur et de la Justice, alors que la tension est de plus en plus forte entre différents pays de l'Union européenne, la France et l'Italie notamment. La Commission européenne a bien du mal à faire accepter l'idée d'une répartition des demandeurs d'asile entre les Etats membres. La France, pour sa part, est-elle prête à accepter aujourd'hui ce que demande la Commission européenne, soit l'accueil de 6752 personnes, des érythréens et des syriens pour la plupart ?
BERNARD CAZENEUVE
J'ai déjà eu l'occasion de me prononcer à plusieurs reprises sur ce sujet. Les propositions de la Commission sont des propositions qui ont été inspirées par la démarche faite par la France l'été dernier. J'avais vu venir ce problème migratoire et j'avais au mois d'août dernier, le 30 août exactement, fait une tournée des capitales européennes pour dire des choses simples. Un, il faut qu'il y ait une politique européenne de l'asile qui conduise à répartir ceux qui relèvent du statut de réfugié en Europe entre les différents pays de l'Union européenne. Cela n'est soutenable que dès lors que dans les pays de première arrivée, il y a des dispositifs d'enregistrement des migrants, qui permettent de distinguer ceux qui relèvent du statut de réfugié, de ceux qui relèvent de l'immigration économique irrégulière, de manière à pouvoir organiser, à partir des pays de première arrivée, les reconduites à la frontière vers les pays de provenance, et tout cela devait se faire vite. Parce que, si nous ne sommes pas capables de faire ce travail rapidement, l'Europe sortira très affaiblie de cette crise migratoire, et Schengen risque de s'en trouver remise en cause. Donc, nous sommes d'autant plus favorables aux propositions de la Commission, que c'est nous qui les avons inspirées.
FREDERIC RIVIERE
Pourtant le message a été un peu brouillé parce qu'on a entendu le président de la République dire « pas de quotas. »
BERNARD CAZENEUVE
Je termine juste une seconde… je crois que sur ce sujet-là il faut savoir de quoi l'on parle. Est-ce que vous êtes, vous, favorable à ce que l'on mette des quotas pour les réfugiés, c'est-à-dire que la France dise, comme les autres pays de l'Union européenne, « vous êtes persécuté dans votre pays, vous êtes torturé, vous êtes emprisonné, mais nous avons atteint notre quota, nous ne vous accueillons pas » ? Ça n'a aucun sens, pour ceux qui relèvent de l'asile. Ce sont des critères qui président à l'accueil des demandeurs d'asile, et pas des quotas. Donc, quand on est attaché au droit d'asile, on ne dit pas à ceux qui sont susceptibles de bénéficier du statut de réfugié, « désolé, on a atteint notre quota, on ne vous accueille pas. » Et pour les migrants irréguliers, il n'a pas de quota non plus parce qu'ils ont l'occasion d'être reconduits. Donc, ce que nous souhaitons, c'est qu'il y ait un dispositif solidaire de répartition de ceux qui relèvent du statut de l'asile, la France y est très favorable, cette solidarité, cette politique européenne de l'asile, est une nécessité, mais elle n'est pas possible à mettre en oeuvre s'il n'y a pas la responsabilité. Et la responsabilité c'est quoi ? Ce sont deux choses très simples. Les hotspots que nous devons mettre en place, en Italie et en Grèce, c'est-à-dire des dispositifs d'accueil des migrants pour distinguer ceux qui relèvent de l'asile de ceux qui relèvent de l'immigration économique irrégulière. il faut avoir un dispositif de reconduite, dans leur pays d'origine, de ceux qui relèvent de l'immigration économique irrégulière, il faut avoir, à partir de l'Italie, avec l'armement de Frontex, le confortement de Frontex, des dispositifs puissants de lutte contre l'immigration irrégulière, et il faut travailler à des politiques de co-développement puissantes, robustes, avec les pays de provenance. Voilà ce qu'il faut faire. Et ça, s'il n'y a pas dans chaque pays de l'Union européenne, la volonté d'être, sur tous les sujets, dans la solidarité, les uns avec les autres, et dans la responsabilité, les uns à côté des autres, ça ne marche pas.
FREDERIC RIVIERE
Alors, vous insistez beaucoup sur ces deux piliers, responsabilité, solidarité. Vous dites la France est prête à prendre sa part de solidarité, mais est-ce qu'il y a aujourd'hui un défaut de responsabilité ?
BERNARD CAZENEUVE
Je veux vraiment insister sur ce point. Les propositions de la Commission ont été inspirées par la France, par un long papier que nous avons-nous-mêmes préparé, en France, et, le pilier c'est responsabilité et solidarité. La France…
FREDERIC RIVIERE
Il y a un problème de responsabilité aujourd'hui ?
BERNARD CAZENEUVE
Mais, il faut que nous comprenions la position des pays qui hésitent à entrer dans ce dispositif. Moi je comprends très bien que c'est très lourd pour l'Italie que de mettre en place ces dispositifs de hotspots, et par conséquent nous avons proposé, avec mon collègue allemand, que ce soit la Commission européenne qui assure la maîtrise d'ouvrage de ce dispositif d'accueil des migrants dans les pays de première arrivée, parce que la solidarité elle doit s'exprimer aussi dans les dispositifs de responsabilité, on ne peut pas laisser l'Italie seule face à la mise en place de ces dispositifs. Et donc, nous sommes désireux que ce soit la Commission qui porte cela, nous sommes désireux que la Commission précise les modalités de l'organisation des retours, avec Frontex, dans le cadre d'une discussion avec les pays de provenance, notamment le Niger, et il faut que nous puissions faire cela vite. Et l'Italie doit savoir que, y compris sur les sujets qui concernent la mise en place de ces hotspots, elle n'est pas seule, que la Commission européenne peut mettre en place ces dispositifs, que nos propres administrations peuvent les conforter, moi je suis prêt à envoyer des agents de l'OFPRA et de l'OFII aux côtés des Italiens pour les aider, mais il faut, à un moment donné, que chacun dise s'il est d'accord pour prendre les propositions de la Commission ou pas. Or, la France y est favorable, à condition qu'on prenne toutes les propositions, on ne peut pas prendre une partie et pas l'autre. La proposition de la Commission elle a sa cohérence, et on ne peut pas sortir de cette cohérence, parce que cette cohérence elle repose sur ce fameux équilibre, solidarité, responsabilité.
FREDERIC RIVIERE
Dans le communiqué du ministère de l'Intérieur hier, au moment où vous avez annoncé les mesures d'accueil, il est question aussi d'une action « déterminée » dites-vous, qui doit être développée vis-à-vis des pays d'origine afin de favoriser la réadmission de leurs ressortissants, notamment par la délivrance de laissez-passer consulaires. Le communiqué précise que l'absence de laissez-passer consulaires aujourd'hui est un des principaux freins aux éloignements, car le taux de délivrance de ces laissez-passer n'est que de 30 %. Des actions « robustes » dites-vous, doivent être entreprises, dans des délais brefs, vis-à-vis de certains pays d'où proviennent nombre de migrants. De quoi s'agit-il, quelles sont ces actions robustes, est-ce que ça veut dire qu'il faut trouver des moyens de pression contre ces pays ?
BERNARD CAZENEUVE
Là aussi tout est affaire d'approche globale. Je me suis rendu, il y a de cela un peu plus de 15 jours, au Niger, et au Cameroun, pour évoquer ces questions avec les deux présidents de ces Etats, et ce que j'ai entendu c'est : « Nous sommes favorables à travailler avec l'Union européenne sur ces enjeux, nous sommes conscients de la nécessité de délivrer les laissez-passer consulaires. » Nous voyons, dans la bande sahélienne, il y a de plus en plus de groupes du crime organisé, des filières de la traite des êtres humains, qui franchissent les frontières, qui sont parfois en lien avec les organisations du trafic de stupéfiant ou les organisations terroristes, et ces pays nous sollicitent pour que nous les aidions à contrôler leurs frontières. Et nous avons d'ailleurs proposé, avec l'Espagne, la mise en place d'équipes qui, dans le domaine de la fraude documentaire, du contrôle des frontières, aident ces pays à être plus efficients. Et, par ailleurs, ils voient bien les camps de réfugiés, qui sont entre les mains des passeurs dans leur propre pays. Et ils souhaitent, par conséquent, qu'il y ait une action de l'Union européenne, très forte, qui permette d'engager ces pays dans des actions de co-développement, en mettant en place, dans ces camps, une véritable action de l'OIM, du HCR, de l'Union européenne, que nous puissions accompagner individuellement les migrants dans un processus de retour, et ce qui permettrait de faciliter la délivrance des laissez-passer consulaires. Là aussi nous sommes dans une approche globale. Il faut travailler avec les pays de provenance, c'est une proposition française, elle est reprise par la Commission, je pense qu'il faut que maintenant nous allions au contact de ces pays pour construire avec eux de véritables politiques globales qui incluent le contrôle des frontières, la lutte contre la fraude documentaire, la mise en place de dispositifs d'accompagnement solidaire dans les camps de migrants, parce que 70 % de ceux qui arrivent en Italie passent par la bande sahélienne et passent par le Niger. Donc, toutes ces politiques sont aussi des politiques globales, équilibrées, et quand je dis qu'elles doivent être robustes, ça veut dire qu'il y ait un volontarisme politique pour les mettre en oeuvre.
FREDERIC RIVIERE
Alors, vous avez dévoilé hier, je le disais, les mesures que la France va prendre pour faire face à cet afflux de réfugiés, 11.000 places d'hébergement supplémentaires vont être créées pour les accueillir. Est-ce que ça veut dire qu'on ne verra plus l'installation de camps et les démantèlements auxquels on a pu assister au cours de ces dernières semaines ?
BERNARD CAZENEUVE
Moi ce que je ne veux pas ce sont des femmes, des enfants, des personnes en situation de vulnérabilité, qui se trouvent dans des camps, où les conditions sanitaires sont épouvantables, ou qui errent dans les rues des villes. Je pense qu'il faut créer les conditions de la protection. Comment faire ? D'abord il y a beaucoup de personnes qui ont déjà le statut de réfugié, qui l'ont obtenu, et qui sont encore dans l'hébergement d'urgence, qui sont encore dans la rue, pour un certain nombre d'entre elles, ou dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile. Il faut que ces personnes puissent rentrer dans des logements de droit commun en zone non tendue, c'est le premier volet du plan, 5000 places que nous comptons offrir sur 2 ans, à ceux qui sont déjà réfugiés. Pour faire cela, il y a une mobilisation très forte du ministère du Logement qui a fait un travail absolument remarquable, pour que cet objectif soit atteint. Il faut ensuite créer des places en CADA, parce que beaucoup de ceux qui arrivent relèvent du statut de réfugiés, donc les places en centres d'accueil pour demandeurs d'asile permettent de désengorger l'hébergement d'urgence, nous créons 4200 places de plus en centres d'accueil pour demandeurs d'asile, et 1500 places de plus en centres d'hébergement d'urgence, tout cela pour faire en sorte qu'il n'y ait pas, d'hommes, de femmes, d'enfants, en situation de vulnérabilité dans les rues. Ça veut dire, aussi, que je souhaite, et je termine par là, en liaison avec les associations et les collectivités locales, organiser le démantèlement de ces camps pour pouvoir héberger dans de bonnes conditions ces étrangers en situation de vulnérabilité.
FRÉDÉRIC RIVIERE
Merci Bernard CAZENEUVE. Bonne journée.Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 juin 2015