Déclaration de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, sur les premières mesures prises pour soutenir le secteur aérien : renforcement du dispositif Vigipirate et indemnisation des compagnies aériennes touchées par l'interdiction de survol du territoire des USA, après les attentats du 14 septembre à New York, Paris, le 15 octobre 2001.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence de presse sur les premières mesures destinées à soutenir le secteur aérien à Paris, le 15 octobre 2001

Texte intégral

Depuis le 11 septembre, le monde de l'aérien et de l'aéronautique, tout comme celui du tourisme est en crise.
Cette crise est grave. Probablement plus que celle vécue lors de la guerre du Golfe. Mais elle est conjoncturelle.
Affirmer que le transport aérien serait irrémédiablement touché n'est pas crédible. Le besoin d'échanges, des biens et des personnes, est tel qu'à moyen terme la tendance au développement du transport aérien reprendra son cours.
Je note d'ailleurs que les experts indépendants sollicités par les uns et les autres dans le cadre du débat public sur l'avenir aéroportuaire de notre pays partagent cette analyse. Leurs prévisions de trafic à vingt ans sont mêmes supérieures à celles soumises à discussion dans le cadre de la Commission DUCSAI. C'est cette conviction profonde qui va me conduire à proposer au premier ministre que soit décidé, sans tarder, le choix de l'implantation de la troisième plate-forme aéroportuaire dans le grand bassin parisien.
Crise grave mais crise conjoncturelle dont je ne suis pas - mais qui peut l'être ? - en mesure de définir l'ampleur et la durée. Face à cette situation, la responsabilité du politique, au sens noble du terme, est de faire en sorte que les mesures de nature à permettre au transport aérien de retrouver la place qui lui revient, compte tenu de son impact sur l'économie et sur l'emploi, soient décidées.
Les compagnies américaines, incontestablement les plus touchées par les événements du 11 septembre, étaient déjà concernées, comme certaines autres, depuis plus d'un an par le recul de leur activité. Ce n'était pas le cas de la compagnie nationale Air France comme l'indiquent les bons résultats du dernier semestre. Les autorités gouvernementales américaines ont fortement et très rapidement réagi. Des aides d'une importance exceptionnelle ont été consenties à ces compagnies par leur gouvernement à hauteur de 18 milliards de dollars (plus de 20 milliards d'euros) dont 5 milliards de dollars en liquidités immédiates.
J'observe que le versement concret de cette dernière aide s'est traduit immédiatement par un dumping tarifaire sur les lignes transatlantiques. Madame Loyola de Palacio a réagi vivement pour que cessent de telles pratiques injustes et unilatérales.
Face à la nécessité que le transport aérien et, par voie de conséquence, l'activité aéronautique ne connaissent pas une situation telle qu'ils ne seraient plus en mesure d'agir lors de la sortie de crise, des mesures spécifiques, adaptées et ciblées doivent être prises.
Dès le 20 septembre, j'ai réuni les présidents des compagnies aériennes (Air France, Air Lib, Air Littoral, Corsair) et leurs organisations professionnelles (FNAM, SCARA). J'ai reçu les dirigeants de l'aéronautique (Airbus, Dassault, SNECMA). Les organisations syndicales représentatives des métiers de l'aérien ont également été réunies au ministère sur le thème de la sûreté.
Enfin, j'ai pris contact avec mes collègues européens. Nous avons débattu, à chaud, dès le 14 septembre, des conséquences prévisibles des attentats aux Etats-Unis.
Deux problèmes majeurs ont été spontanément évoqués :
- la sûreté dans le transport aérien
- les conséquences économiques
Sur le premier point, au-delà des mesures prises dans le cadre de Vigipirate renforcé, le gouvernement a décidé de renforcer le dispositif, celui-là même qui existait lors de la forte tension internationale du premier semestre 1991.
La concertation avec les entreprises du secteur et les organisations syndicales a permis de cerner au mieux les dispositions complémentaires à prendre.
Vous comprendrez que je ne rentre pas dans le détail de ces mesures. Je peux vous indiquer néanmoins que le contrôle des passagers et des bagages à main sera fortement renforcé, que le programme de contrôles de bagages en soute sera accéléré pour être opérationnel à 100 % dès le premier semestre 2002 au lieu du 1er janvier 2003, et que le contrôle systématique à l'accès aux zones réservées sera mis en place. Des mesures complémentaires seront en outre prises pour renforcer la sécurisation du fret. Ce dispositif se traduira par l'embauche de 3 200 personnes.
Ces dispositions, vous vous en doutez, ont un coût important, tant en investissements qu'en fonctionnement.
En ce qui concerne la part relevant des compagnies aériennes dont j'observe qu'elles ont immédiatement pris des mesures spécifiques dans le cadre de leurs responsabilités, elles doivent en être soulagées financièrement. Je ne doute pas que cette approche sera également validée lors du conseil des ministres européens du 16 octobre et, dans ce cadre, l'Etat prendra en charge les mesures de sûreté supplémentaires prises par les compagnies françaises depuis le 11 septembre.
J'en viens maintenant à la situation économique des compagnies aériennes.
La Commission européenne a indiqué, dans les travaux préparatoires au Conseil européen des ministres des transports de demain à Luxembourg, sa volonté de soutenir les compagnies aériennes par l'indemnisation du manque à gagner, résultat de l'interdiction du survol des États Unis.
Cette mesure est nécessaire et totalement légitime. Il faut en définir le périmètre. La limitation à la période du 11 au 14 septembre me semble insuffisante tant les pertes constatées sont importantes sur les jours qui ont suivi les attentats. A titre d'exemple, le 14 septembre, Air France n'a pu assurer qu'un vol vers Atlanta et le 19 septembre elle n'en assurait que 16 vols à destination des Etats-Unis au lieu des 23 réellement effectués le 10 septembre. Par ailleurs, l'ensemble des correspondances au hub de Roissy a été très fortement perturbé. Le Gouvernement prendra en charge la compensation des pertes engendrées par la fermeture de l'espace aérien américain dans le cadre du dispositif retenu au niveau communautaire dont je souhaite qu'il intègre ces données objectives.
Je n'oublie pas les compagnies Air Lib et Air Littoral qui, dans ce contexte difficile, ont à subir en outre les conséquences de la défaillance de Swissair qui n'a pas honoré la totalité des engagements qu'elle avait prise en juin et juillet dernier.
Ces deux compagnies telles que reformatées après la lourde crise qu'elles ont connues du fait d'erreurs stratégiques et industrielles majeures, imputables à leurs actionnaires précédents, possèdent de solides atouts avec pour l'une, la desserte des DOM-TOM dont l'analyse de ce qui s'est passé en 1991 a montré, dans une période de crise, l'intérêt de ces destinations qui bénéficient d'un effet report, et, pour l'autre, l'intérêt du réseau régional.
Ma conviction de la nécessité d'un autre pôle aérien français à côté de l'entreprise nationale, reste totale. C'est pourquoi toutes les mesures seront prises pour permettre à ces compagnies de passer ce cap difficile. Des procédures existent, elles seront appliquées si besoin est.
En ce qui concerne l'engagement que j'ai pris de ne laisser aucun des salariés victimes des plans sociaux sur le carreau, il reste valable. Parmi les entreprises publiques qui ont répondu présentes, seules celles ayant compétence dans l'aérien sont touchées par la crise actuelle. Les autres, SNCF, RATP et même ADP qui va devoir faire face aux mesures de sécurité complémentaires à prendre sans délai, respecteront les propositions formulées le 27 août.
Certains métiers, je pense aux mécaniciens, sont très sollicités dans le contexte de pénurie sur ce type d'emploi.
La situation est plus délicate pour les navigants commerciaux mais je veux leur dire que les embauches à Air France ne sont que gelées et que les personnels d'AOM Air Liberté, d'Air Littoral, seront embauchés dès que possible comme je l'ai promis, j'espère durant le premier semestre 2002.
Au-delà, le gouvernement souhaite qu'une solution pérenne soit trouvée pour réduire le coût pour les compagnies aériennes des assurances dont le montant à fortement augmenté depuis les attentats du 11 septembre. Nous y travaillons avec le ministre des finances comme avec tous les ministres européens. Si le marché des compagnies d'assurance s'avérait durablement inefficace pour proposer des coûts raisonnables aux besoins des compagnies aériennes, je souhaite que soit mis rapidement à l'étude la constitution d'un fonds européen d'assurance.
S'agissant par ailleurs des règles d'attribution des créneaux horaires, il serait anormal que nos compagnies pâtissent durablement d'une crise conjoncturelle qui mette à mal leurs positions quand d'autres, qui ne nous ont pas donné dans le passé les mêmes garanties de continuité et qui n'ont pas contribué à la forte croissance du transport aérien, pourraient en profiter. Je plaiderai donc à Bruxelles pour une interprétation souple des règles, une sorte de moratoire concernant la répartition des créneaux.
Au total, ce sont environ 2 milliards de francs qui seront dégagés pour faire face aux coûts engendrés par le renforcement de la sûreté et par les aides aux compagnies.
Sur cette somme, la moitié devrait être financée par les passagers des compagnies aériennes et l'autre moitié par l'État. Ainsi, les taxes liées à la sûreté, qui sont individualisées sur le billet, seront augmentées de l'ordre de 15 francs pour permettre de financer un renforcement sans précédent et durable de la sécurité des passagers et des transports aériens. D'autre part l'État dégagera près d'1 milliard essentiellement pour aider les compagnies, mais aussi les aéroports.
Les modalités précises de ce plan seront présentées et discutées avec les Parlementaires lors du passage de mon budget à l'Assemblée Nationale et au Sénat.
Le secteur de la construction aéronautique pâtit fortement, même si c'est de façon moindre en Europe par rapport aux États-Unis, des difficultés financières des compagnies aériennes. La principale inquiétude des entreprises aéronautiques est liée aux difficultés de trésorerie des compagnies aériennes qui peuvent conduire ces dernières à annuler des commandes sur les avions livrables rapidement. Le soutien que les Etats pourront apporter aux compagnies aériennes et qui pourra les solvabiliser, sera également un appui précieux pour les constructeurs aéronautiques. Au-delà la France poursuivra les formes d'aides permises dans le cadre des règles communautaires et dans le cadre de l'accord conclu avec les États-Unis sur le soutien à l'industrie aéronautique. Je tiens toutefois à souligner qu'à ce jour, les commandes d'A380 n'ont connu aucun désistement.
Il va de soi que les propos que je tiens correspondent à la situation que nous connaissons aujourd'hui.
Évidemment, je n'exclus pas qu'il faille aller plus loin, tant la réactivité des transports aériens est intimement liée à l'évolution de la situation politique internationale. Si rien ne vient modifier la tendance de fond que j'évoquais à l'instant sur la reprise normale et prévisible du trafic aérien, rien non plus ne m'autorise à vous dissimuler l'inquiétude qui est la mienne à la lecture des statistiques de réservation en retrait depuis dimanche dernier. Et ce que j'apprends concernant les mesures de licenciement prises par telle ou telle compagnie européenne renforce encore ma détermination à faire ce qu'il faut au moment où il faut le faire.
Il y a donc bien lieu de rester particulièrement attentif aux évolutions à très court terme, et d'être prêt, si le besoin s'en fait sentir, à réagir rapidement au bon niveau, notamment européen.
Vous me permettrez de conclure en vous disant que je crois, que les mesures sûreté et de sécurité renforcées, imposées au transport aérien en font toujours, c'est ma conviction, un des moyens les plus sûrs de déplacement.
En économie, vous savez le rôle déterminant du facteur confiance. Il en est de même pour le transport aérien. Rien ne saurait pire que dans de telles conditions de sûreté et de sécurité considérablement renforcées, le transport aérien continue d'être brutalement sanctionné. Ce serait tout à la fois illégitime et dangereux pour l'avenir.
Le terrorisme qui a choisi l'insoutenable pour déstabiliser les démocraties et leurs économies ne doit en aucun cas pouvoir tirer profit de ses crimes. Les responsables politiques, à l'échelle européenne, ont le devoir de ne pas laisser faire. C'est en ce sens que la France avance les propositions que je viens de vous exposer.
(source http://www.equipement.gouv.fr, le 16 octobre 2001)