Déclaration de M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, sur les enjeux de la nouvelle gestion publique après le vote de la loi organique sur les lois de finances, Paris le 10 octobre 2001.

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Circonstance : Colloque sur la loi organique relative aux lois de finances, à Paris le 10 octobre 2001

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
La nouvelle loi organique sur les lois de finances est une des réformes les plus importantes et les plus lourdes que l'Etat ait engagée depuis le début de la Vème République.
C'est une uvre de longue haleine. D'abord parce qu'il a fallu s'y prendre à plusieurs reprises pour la traduire dans la loi. Les échecs ont été si nombreux que le scepticisme avait fini par prévaloir. Qui aurait cru il y a un an que nous nous trouverions aujourd'hui, avec une loi organique relative aux lois de finances entièrement nouvelle ? Qui aurait cru que la proposition de loi déposée en juillet 2000 par Didier MIGAUD déboucherait aussi rapidement sur un texte voté, déclaré dans sa quasi-totalité conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, promulgué ? Il a fallu, pour parvenir à ce résultat remarquable toute la détermination des auteurs de la proposition de loi, toute l'adhésion du Parlement, sans clivages partisans, et toute l'attention et la disponibilité du gouvernement.
Maintenant que le Parlement a fait son uvre, c'est au gouvernement et à l'administration de se montrer à la hauteur de la tâche qui reste à accomplir : car cette réforme est de longue haleine aussi parce que sa mise en uvre prendra du temps.
Je sais que le travail technique sera complexe ; mais je sais aussi que nous avons les moyens de trouver les bonnes solutions aux questions multiples qui ne manqueront pas d'apparaître.
Je crois en revanche que notre attention doit se porter sur deux tentations qui ne manqueront pas d'apparaître chemin faisant : la tentation de reprendre ce que la nouvelle loi organique redistribue et la tentation de refuser des responsabilités nouvelles. Certains services auront en effet l'impression qu'ils perdent de leur pouvoir traditionnel et pourraient se placer dans une position défensive, cependant que beaucoup d'autres seront peut-être effrayés des nouvelles responsabilités qui vont leur incomber et pourraient tenter de repousser le calice. Nous devons donc expliquer la réforme, montrer qu'elle est un progrès pour tous : représentation nationale bien sûr, qui sera mieux à même d'exercer ses prérogatives ; usagers sans doute, car le résultat de l'action de l'administration prendra le pas sur la logique traditionnelle de moyens ; fonctionnaires, j'en suis certain, car les services travailleront mieux, sur des objectifs clairs, et, ce n'est pas le moindre des progrès, dans un climat de plus grande confiance entre ceux qui engagent la dépense, et ceux qui la contrôlent.
L'enjeu est immense. Je suis donc particulièrement heureux de pouvoir m'exprimer devant vous, après Florence Parly, et avant Laurent Fabius. Nous avons tous les trois, et nos administrations avec nous, des responsabilités particulières dans la mise en uvre de la réforme. Mais nous n'agirons pas en proconsuls : cette réforme réussira pleinement si tous les ministères, tous les services y sont associés.
Nous voici donc avec un texte voté, validé par le Conseil constitutionnel et promulgué. L'application de ces dispositions suppose désormais la mobilisation des énergies de vos administrations, et de toutes vos administrations. De même que la gestion de la réforme ne peut être traitée que de façon interministérielle, autour d'orientations définies par le Premier ministre, et appliquées de façon concertée dans chaque département ministériel, de même la déclinaison de la réforme au sein de chaque ministère est l'affaire de toutes les directions et non pas d'une seule.
La réforme de la gestion publique induite par la réforme de l'ordonnance de 59 ne peut pas et ne doit pas être une affaire de spécialistes, confinée à certains cercles restreints. Pour que les principes d'autonomie et de responsabilité irriguent l'ensemble des gestionnaires, la mobilisation doit nécessairement dépasser les seuls bureaux de la direction du budget, de la direction générale de la comptabilité publique ou de la délégation interministérielle à la réforme de l'Etat
La logique des programmes budgétaires, la responsabilisation des chefs de programme, la nécessité de comptes-rendus axés sur des indicateurs de performance, tout cela implique un déplacement de l'équilibre entre les directions opérationnelles, qui conduiront chacune un ou plusieurs programmes, et les directions fonctionnelles, qui seront chargées de faire respecter les procédures budgétaires et de veiller à la bonne utilisation des moyens affectés aux programmes. Les directions opérationnelles, gestionnaires de programmes budgétaires, vont vraisemblablement accroître leur poids, alors que les directions fonctionnelles devront évoluer vers des fonctions de contrôle interne. Le rôle des services d'inspection ministériels ou interministériels devra également se transformer : définition d'outils de maîtrise budgétaire, définition de procédures cohérentes dans chaque département ministériel, de techniques d'analyse de la performance, du suivi de l'application de la réforme.
Le comité interministériel à la réforme de l'Etat du 12 octobre dernier avait donné mission aux administrations, autour de la direction du budget, de la délégation interministérielle à la réforme de l'Etat et de la direction générale de la comptabilité publique, de dégager des éléments de problématique autour de huit thèmes : les groupes de travail ont rendu leurs conclusions au début de l'été dernier et leurs travaux ont parfaitement cadré les éléments structurants de la réforme, les questions essentielles à trancher et les pistes de solution. Ces travaux interministériels vont se poursuivre : le comité interministériel du 31 octobre prochain arrêtera de nouvelles orientations de travail.
Mesdames, Messieurs,
Il ne s'agit pas pour moi aujourd'hui de dresser devant vous une liste exhaustive des évolutions prévisibles : cette réforme sera ce que vous en ferez, ce que nous en ferons. Au Parlement d'utiliser la totalité de la boîte à outil fournie par le texte du 1er août, à vous de transformer le mode de dépense des crédits de l'Etat.
Le ministre en charge des questions de fonction publique et de réforme de l'Etat est cependant plus attentif sur certaines conséquences de la réforme. J'en citerai trois : l'évolution de la gestion des dépenses de personnel, l'évolution des mécanismes de contrôle budgétaire, la déconcentration et l'interministérialité des crédits au niveau local.
Le poids des dépenses de personnel dans le budget de l'Etat mérite une attention des plus soutenues.
Dans ce domaine, nous savons ce que la nouvelle loi va changer : une autorisation en stocks et non plus en flux, une autorisation portant sur un nombre d'emploi déterminé par ministère, une autorisation en masse salariale déterminée par programme, une fongibilité asymétrique. Ce nouveau système donnera incontestablement au Parlement une vision plus complète de l'emploi public, qui lui permettra d'alimenter les débats sur ce thème avec des fondements plus solides.
On n'alimente pas sereinement le débat sur le nombre de fonctionnaires en se contentant de présenter chaque année la variation des emplois budgétaires par rapport à l'année précédente. L'examen des créations effectives montre que ce type d'autorisation budgétaire débouche la plupart du temps sur des évolutions relativement autonomes par rapport à ce qu'autorise le Parlement. Pour tirer profit de la réforme, nous devons avant toute chose mieux connaître la réalité de l'emploi public : combien d'agents sont financés par le budget de l'Etat ? Quel est le coût complet, à quelle masse salariale correspondent ces effectifs ?
Je me suis souvent étonné, depuis que j'ai pris mes fonctions , de ne pas être en mesure d'alimenter le débat sur l'emploi public par des chiffres clairs, précis, récents. C'est pourtant une exigence essentielle de transparence démocratique, c'est un outil crucial d'efficacité de la nouvelle gestion publique.
Depuis plusieurs mois, nous avançons dans ce sens : les travaux de l'observatoire de l'emploi public, auxquels nombre d'entre-vous ont participé, ont déjà contribué à éclaircir certains concepts, à unifier des méthodes statistiques parfois disparates d'un ministère à l'autre, à mutualiser certaines techniques. Le premier rapport que j'ai transmis au Parlement il y a quelques semaines est une étape statistique et méthodologique très importante, dans la mesure où il repose sur une unification des méthodes de comptage et présente, pour la première fois, des matrices de passage, entre l'emploi budgétaire et l'emploi réel dans les trois ministères pilotes.
Mais nous sommes encore loin du compte, comme en témoigne le programme chargé de l'Observatoire pour l'année à venir : nous devons aller plus loin dans la transparence statistique pour être à même de fournir au Parlement, en temps et en heure, des comptes-rendus minutieux et clairs de la gestion de l'autorisation budgétaire.
Une deuxième conséquence essentielle de la réforme est la redéfinition complète de la notion de contrôle, dans toutes ses facettes. Le contrôle, qu'il s'agisse du contrôle de l'exécution budgétaire, du contrôle de la disponibilité des crédits, du contrôle de gestion, ou du contrôle de la sincérité et de la fidélité des comptes de l'Etat, connaîtra dès les prochains mois une mutation profonde.
Nous ne partons pas de rien : le développement de systèmes de contrôle de gestion dans tous les ministères a été décidé par le CIRE du 12 octobre dernier. Le contrôle de gestion est l'instrument clé de l'autonomie et de la responsabilité des gestionnaires : de l'autonomie car il est conçu comme un outil d'aide à la décision budgétaire ; de la responsabilité car il permet à chaque gestionnaire de définir des engagements et de constater leur réalisation dans le cadre d'une contractualisation pluriannuelle sur des objectifs et sur des moyens.
Les travaux interministériels conduits par la délégation interministérielle à la réforme de l'Etat et par la direction du budget ont débouché sur la publication d'un guide méthodologique sur la contractualisation entre les services, qui vient de vous être adressé. Les travaux actuellement en cours sur le développement du contrôle de gestion doivent être approfondis et accélérés : là aussi, il doit s'agir d'un travail commun associant l'ensemble des ministères.
Il nous faut enfin réfléchir sur l'évolution du contrôle financier, dont la légitimité va également évoluer. La notion même de disponibilité des crédits sera modifiée, avec 100 à 150 programmes, au lieu de 800 chapitres. Les techniques de régulation budgétaire, quelle que soit leur appellation, doivent également évoluer, pour continuer à garantir les conditions macro-économiques de l'exécution de la loi de finances sans que la responsabilité des ordonnateurs puisse être entravée. Le contrôle financier a certes énormément évolué depuis sa création. Il est souvent devenu un outil précieux d'aide à la gestion, fondé sur un échange mieux organisé d'informations objectives. Avec la nouvelle loi organique, le contrôle a priori devient incompatible avec les principes d'autonomie et de responsabilité : sa suppression progressive doit faire l'objet dès maintenant de travaux et d'expérimentations dans les ministères.
Enfin, permettez-moi de revenir sur une troisième conséquence tout aussi importante à mes yeux : si elle donne un cadre ministériel aux programmes budgétaires, la nouvelle loi organique ouvre le champ à des missions interministérielles.
De telles missions sont indispensables pour traduire l'interministérialité de nombreuses politiques publiques. Cette possibilité doit être pleinement employée : il est logique pour le Parlement de voir plusieurs ministres défendre ensemble une mission interministérielle reposant sur plusieurs programmes ministériels. Il est tout aussi logique de voir, au niveau déconcentré, les ordonnateurs secondaires, qui gèrent l'interministérialité des politiques publiques sur le terrain, pouvoir disposer de façon relativement souple de crédits issus de différents programmes mais relevant d'une même mission.
La fongibilité des crédits dans chaque programme interministériel est certes, déjà, un gage de souplesse : au-delà, je souhaite que soient expérimentées des formules permettant à un préfet de disposer d'enveloppes fongibles issues de différents programmes ministériels pour mettre en uvre certaines politiques interministérielles. Il faut dans ce domaine respecter le principe de responsabilité ministérielle sur les programmes. Mais il faut également être suffisamment imaginatif pour faire vivre, sur le terrain, les politiques publiques.
Mesdames, Messieurs,
L'horizon du projet de loi de finances pour 2006 ne doit pas être considéré comme lointain. Le chemin des expérimentations doit être aujourd'hui tracé, le travail interministériel se poursuivre. Nous devons expliquer la réforme, la faire entrer dans les murs.
Et nous devons toujours avoir à l'esprit que la réforme de l'Etat n'est pas faite d'abord pour l'administration, mais par l'administration pour les usagers. S'agissant de la gestion publique, il s'agit d'allier transparence et autonomie, responsabilité et contrôle. Les efforts que vous allez mettre en uvre pour sa réussite seront considérables. Et c'est bien parce que je suis certain qu'ils seront couronnés de succès, que je vous en remercie d'avance.
* Seul le discours prononcé fait foi.
(Source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 12 octobre 2001)