Déclaration de M. Michel Rocard, Premier ministre, sur l'oeuvre de l'Institut Pasteur et sur la politique de lutte contre le SIDA et les exclusions que pourrait entraîner la maladie, Paris le 5 mars 1991.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Inauguration d'un nouveau bâtiment de recherche sur le SIDA à l'Institut Pasteur

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur,
Mesdames, Messieurs,
Les propos de Louis Pasteur, que vous venez de nous rappeler, Monsieur le Professeur, sont d'une dramatique actualité et, dans le même temps, porteurs d'immenses espoirs.
Il nous appartient de poursuivre notre effort et de mobiliser nos énergies pour la lutte contre les fléaux qui assaillent l'humanité.
Le SIDA fait partie de ceux-ci. L'épidémie continue de progresser. Plus de 800 000 adultes et 400 000 enfants sont aujourd'hui atteints par la maladie à travers le monde.
Le continent africain, en particulier l'Afrique subsaharienne, est particulièrement frappé. Il contient à lui seul la moitié des contaminations chez les hommes, plus de 80 % chez les femmes et 90 % des cas pédiatriques dans le monde.
Les organisations des Nations Unies sont engagées dans une action concertée de grande envergure contre l'épidémie qui aggrave encore les dramatiques problèmes de développement.
Le seul véritable moyen que nous avons d'aider ces pays en voie de développement qui risquent d'être ravagés par l'infection, est de consacrer l'essentiel de nos efforts à la recherche.
Ce devoir de recherche est un impératif absolu pour les pays riches comme le nôtre, pour favoriser la mise au point des traitements et des vaccins qui, nous l'espérons tous, enrayeront ce terrible mal.
C'est pourquoi, j'ai tenu à rendre hommage à l'engagement de la communauté scientifique française et particulièrement à vous toutes et à vous tous dont les travaux sont internationalement reconnus depuis 10 ans pour leur qualité et leur antériorité.
L'Institut Pasteur, c'est bien sûr l'image d'Epinal de Louis Pasteur, qui fait partie du patrimoine culturel de tous les Français.
C'est surtout de grandes découvertes, hier celles de Pasteur et de ses élèves immédiats (Roux, Ramon, Calmette, Guérin...) et aujourd'hui celles de Philippe Kourilsky et ses travaux d'immunologie fondamentale, Gérard Orth et ses découvertes sur les papilloma virus, Pierre Thiollais et ses études sur les virus de l'hépatite et leurs vaccins sans oublier bien sûr MM. JACOBS, LWOFF ET MONOD distingués en 1965 par le jury du Prix Nobel.
Cette vocation de l'Institut Pasteur dans la lutte contre les maladies infectieuses a été une nouvelle fois brillamment illustrée par la découverte en 1983 du virus du Sida, par Luc Montagnier et son équipe, puis par la mise au point des tests de dépistage indispensables à la prévention.
Les quelques 20 équipes qui aujourd'hui sont mobilisées sur ces recherches trouveront dans le nouveau bâtiment de rétrovirologie, un outil exceptionnel.
Par ailleurs, l'Institut Pasteur, instrument essentiel de la santé publique en France, dispose d'un réseau qui, dans le monde entier, témoigne du rôle de notre pays dans la recherche biomédicale.
Vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, l'Institut Pasteur a pu atteindre ces résultats en s'adaptant au début des années 1970 aux nouvelles données économiques.
Grâce aux subventions attribuées par l'Etat, il a pu poursuivre son oeuvre et faire la preuve, comme par le passé, de la fécondité de ses travaux, pour le bienfait de l'humanité.
S'il est du devoir de l'Etat d'aider une fondation privée comme l'Institut Pasteur, je suis intimement convaincu que les résultats prodigieux que les Pasteuriens ont obtenu, et obtiendront encore dans la lutte sans cesse renouvelée contre les maladies infectieuses, tiennent notamment à l'indépendance que vous revendiquez à juste titre et dont je serai un ardent défenseur avec les ministres en charge de ce secteur.
Mais indépendance ne signifie pas isolement, comme le montrent les rapports qui vous unissent à l'ensemble de la communauté scientifique, du CNRS à l'INSERM, de l'Assistance Publique aux Universités.
Les liens étroits que vous entretenez pour la mise en oeuvre du programme de lutte contre le Sida avec l'Agence Nationale de recherche sur le Sida le prouvent également.
Mon Gouvernement, sous l'impulsion de Claude EVIN, a en effet mis en place, pour la première fois dans notre pays, une politique cohérente de lutte contre le Sida.
Les structures que nous avons crées en 1988, sur la proposition du Professeur Claude GOT, ont acquis une légitimité et une efficacité incontestables.
- Le Conseil National du Sida conduit, sous l'autorité de Mme Françoise HÉRITIER-AUGÉ, une réflexion riche et nécessaire, comme en témoigne son premier rapport annuel.
- L'Agence Nationale de Recherche sur le Sida, dirigée par le Professeur Jean-Paul LEVY a accompagné la mobilisation de la communauté scientifique. Elle coordonne efficacement l'ensemble du programme de recherche qui va, de la biologie moléculaire aux sciences sociales.
- L'Agence Française de lutte contre le Sida qu'anime avec passion Dominique CHARVET, conduit une politique de prévention et d'éducation tout à fait indispensable, et assure le développement des solidarités sociales nécessaires.
Parallèlement, nous avons, entre 1988 et 1989, multiplié par quatre les budgets consacrés à la prévention et par trois les budgets consacrés à la recherche.
Les besoins hospitaliers sont financés sur une enveloppe spécifique hors taux directeur et les structures hospitalières ont été réaménagées pour assurer la meilleure prise en charge des malades sur le plan psychologique et social. Le réseau des centres d'information et de surveillance de l'immuno-déficience humaine mis en place depuis 1987 assure aujourd'hui la prise en charge des deux tiers des malades les plus atteints.
Je tiens à vous préciser, pour répondre sans tarder aux inquiétudes exprimées ici et là que l'ensemble des crédits consacrés au Sida seront maintenus.
A ces moyens structurels et financiers, j'ajouterai - et c'est peut être le plus important - une volonté inébranlable de lutter contre toutes les formes d'exclusion vis à vis des malades et des séropositifs.
Les personnes vivant avec le virus sont en effet confrontées à une situation angoissante : les incertitudes sont grandes, les problèmes médicaux ou sociaux complexes, les imperfections et les lenteurs de certains de nos systèmes de prise en charge sociale cruellement accentués.
Nos compatriotes font cependant preuve d'une solidarité exemplaire. Les campagnes menées depuis 1989 ont renforcé cette cohésion. La plupart des personnes atteintes trouvent auprès des professionnels de santé et des associations, l'écoute, les soins et le soutien dont elles ont besoin.
Je tiens à rendre hommage aux très nombreuses compétences et énergies mobilisées par les associations bénévoles et les institutions sanitaires et sociales pour informer, éduquer, écouter, conseiller et soutenir.
C'est grâce à elles que notre pays n'a pratiquement pas connu les exclusions dramatiques rencontrées ailleurs, aussi bien à l'école que sur le lieu de travail.
Le Gouvernement, en liaison avec le Conseil National du SIDA, restera très vigilant sur ce point.
- Le dispositif de lutte contre la discrimination en raison de l'état de santé et du handicap a été renforcé.
- La concertation avec les assureurs menée par Pierre BEREGOVOY, Claude EVIN, et Bruno DURIEUX a débouché sur des mesures positives qui répondent aux attentes du Conseil National du Sida et des associations d'aide aux patients.
J'entends aujourd'hui réaffirmer les priorités essentielles de l'action gouvernementale conduite par Claude EVIN et Bruno DURIEUX.
La lutte contre le Sida dans la décennie qui s'annonce doit reposer sur 4 axes complémentaires.
- Un effort accru de la recherche.
La poursuite acharnée d'essais thérapeutiques rigoureusement conduits permettra la mise au point de traitements et de nouveaux tests de diagnostic, et, peut être, nous l'espérons tous, de vaccins. Le bâtiment de rétrovirologie y apportera, j'en suis certain, une contribution essentielle.
L'effort budgétaire sera maintenu, voire amplifié en fonction des besoins constatés.
- Un effort accru de prévention.
Mettre au point un vaccin prendra du temps et nul ne peut encore affirmer qu'il sera possible d'en trouver un. Il est de mon devoir de rappeler une fois encore aux français qu'il est facile de se protéger du Sida puisque tout le monde sait ou devrait savoir maintenant comment il se transmet : par les relations sexuelles, par les injections intra-veineuses de sang contaminé et par la femme enceinte à l'enfant qu'elle porte.
La prévention doit être adaptée aux milieux très variés auxquels elle est destinée, milieu scolaire, milieu carcéral, milieu de travail, jeunes en difficultés, migrants, prostituées. L'excellent travail de l'Agence Française de lutte contre le Sida et de son Directeur, Dominique CHARVET y contribuera.
La politique de dépistage sera également intensifiée car elle permet d'adopter ces comportements de prévention et de bénéficier d'un traitement précoce. Le remboursement depuis 1986 et la création en 1988 de consultations de dépistage anonyme et gratuit permettent aujourd'hui un large accès au test, effectué non pas arbitrairement mais avec le consentement éclairé des intéressés.
- Un effort de solidarité plus grand envers les pays en voie de développement.
La France poursuivra résolument son action au sein de la Communauté Européenne, de l'Organisation Mondiale de la Santé, et son effort de coopération avec l'Afrique subsaharienne notamment.
La réunion, en mai 1989 à Paris, du Comité international d'Ethique sur le Sida, à l'initiative du Président de la République, a marqué une étape importante qui devrait avoir des suites concrètes prochaines.
- Un effort de solidarité soutenu en France autour des personnes séropositives ou atteintes du Sida.
Notre société leur doit non seulement les soins mais aussi la dignité, la confidentialité et la solidarité.
L'accueil des personnes atteintes, leur prise en charge par le refus de toute discrimination sont essentiels et nous poursuivrons notre effort sans relâche.
Nous serons en effet jugés sur notre capacité collective à maintenir les solidarités sociales nécessaires.
Mesdames, Messieurs, je tiens une fois encore à rendre hommage à vos travaux et à votre engagement.
Notre reconnaissance va en priorité aux médecins, infirmières, aides soignantes qui, auprès des malades atteints du Sida, se dévouent totalement, dans des conditions psychologiques difficiles, à la prise en charge de ces malades.
Tous, vous portez les espoirs de milliers et de millions de personnes en France et dans le monde. Votre tâche est inestimable.
L'Etat est là pour vous aider à réussir. Je ne doute pas que vous y parviendrez.