Déclaration de M. Michel Rocard, Premier ministre sur l'importance et la richesse de la vie associative et sur les mesures du gouvernement en faveur des associations et des responsables associatifs, Paris le 4 décembre 1990.

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Circonstance : Séance plénière du Conseil national de la vie associative

Texte intégral

Madame et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président du Conseil National de la vie associative,
Mesdames et Messieurs,
Merci tout d'abord de m'accueillir parmi vous à l'occasion de cette séance plénière du Conseil national de la vie Associative.
Si, depuis mon arrivée à MATIGNON, j'ai été régulièrement tenu informé de vos travaux par Tony DREYFUS, nous n'avions pas eu jusqu'à ce jour l'occasion de nous rencontrer.
Voilà qui est fait et je m'en réjouis.
Vous me permettrez de faire d'emblée un constat qui ne doit rien à la complaisance ni à la flatterie : depuis sa création par le Gouvernement de Pierre MAUROY en 1983, votre Conseil a su s'affirmer comme une institution irremplaçable de représentation du monde associatif auprès des pouvoirs publics.
Il le doit d'abord à sa composition qui est le reflet fidèle de ce monde associatif dans sa diversité.
Ainsi que l'a très justement souligné le Président BASTIDE, il n'est de secteur de la vie sociale dont soient absentes les associations : action sociale, culture, environnement, développement local, tourisme, consommation, insertion, sport, éducation...
Vous voyez, cette énumération est longue et je suis sûr d'avoir oublié certains d'entre vous...
J'ai personnellement veillé à ce que le dernier renouvellement du Conseil, intervenu ce printemps, prenne en compte au mieux cette diversité et le pluralisme qui l'accompagne.
Mais si votre Conseil a aujourd'hui une autorité reconnue - ne dit-on pas plaisamment de lui qu'il est le Parlement de la vie associative et cette comparaison est un honneur - il le doit aussi à la grande qualité de ses travaux.
Conformément à sa mission qui est, je le rappelle, de "faire toutes propositions de réformes susceptibles d'améliorer la vie associative", le CNVA a émis sur de nombreuses questions intéressant les associations, des avis qui constituent autant de références pour les pouvoirs publics.
Je pense notamment à l'excellent travail accompli dans les domaines du financement des associations et de la dimension européenne de la vie associative ainsi qu'aux publications et colloques que vous avez organisés.
L'ampleur de la tâche que vous avez accomplie tout au long de ces dernières années est malgré tout encore trop peu connue.
Il est vrai que vous avez fait un choix : celui de la réflexion hors du champ des projecteurs.
Cette discrétion et ce refus de la facilité ont peut être valu à votre institution de ne pas avoir suffisamment les faveurs du grand public et des médias, mais elle n'est certainement pas étrangère à l'intelligence sereine qui se dégage de vos travaux.
Dans ces conditions, quelle meilleure enceinte que celle du CNVA pour présenter la place qui doit être à mes yeux celle des associations dans la politique du Gouvernement.
Tel sera bien sûr l'objet de mon propos aujourd'hui.
Je souhaiterais toutefois commencer par rappeler qu'à l'heure où la société française est confrontée au défi de l'exclusion et à la montée des intolérances, il ne faut pas tout attendre de l'Etat.
Loin de moi l'idée de nier les responsabilités éminentes qui sont celles du Gouvernement.
Ces responsabilités je les assume.
Mais la politique de l'Etat, pour nécessaire qu'elle soit, ne sera jamais suffisante.
Elle doit s'accompagner d'un engagement direct des citoyens, d'une affirmation de la responsabilité qui est la leur à l'égard de la société et de son devenir.
C'est à dire d'un refus de laisser libre cours à des égoïsmes naturels et à un repli sur soi porteurs des germes d'un éclatement de la communauté nationale.
Si l'action individuelle ne doit pas être découragée tant s'en faut, elle trouve cependant rapidement ses limites.
D'où le caractère irremplaçable de la réponse associative.
C'est à l'association, expression du lien social et manifestation d'une citoyenneté active, qu'il appartient de tisser les solidarités et de mobiliser les énergies qu'exige le maintien de l'équilibre social de notre pays.
Même si elle n'est pas si lointaine, elle est bien révolue l'époque où le phénomène associatif était souvent considéré soit avec suspicion soit avec un scepticisme teinté d'ironie.
La légitimité de l'action associative est aujourd'hui communément admise et les atouts qu'elle offre appréciés à leur juste valeur.
Quels sont ces atouts ?
- C'est d'abord la connaissance assez fine des besoins sociaux, toujours évolutifs, que permettent aux associations leur proximité du terrain et leur présence sur l'ensemble du territoire.
- Mais c'est aussi la faculté de conjuguer les expériences, d'offrir aux hommes et aux femmes désireux de servir l'intérêt général des lieux de rencontre et d'échanges.
- C'est enfin, la liberté et la souplesse d'intervention que procure aux associations le cadre juridique de la loi de 1901.
Cette liberté et cette souplesse, elles nous sont chères et c'est bien légitimement que vous les défendez avec passion.
Tous ces atouts que je viens d'évoquer expliquent le formidable développement qu'a connu la vie associative dans notre pays au cours de ces dernières années.
La France compte actuellement quelque 700 000 associations ; il s'en crée chaque année plus de 50 000 contre 25 000 au début des années 1970.
Dans le même temps, une étude d'opinion réalisée récemment sur les pratiques culturelles des Français nous indique que la proportion de nos compatriotes appartenant à une association est passée de 30 % en 1973 à près de 40 % en 1989.
Ce dynamisme qui concerne tous les secteurs de la vie associative, est une chance pour notre pays et un démenti à ceux qui font état de je ne sais quelle démobilisation de nos compatriotes.
Le maire que je suis s'en réjouit car il sait la part que prennent les associations à la vie de la cité.
Mais le Chef du Gouvernement s'en félicite également car il y voit l'une des conditions du succès de la politique qu'il défend.
Je partage totalement le jugement du Président du CNVA, selon lequel les associations sont aujourd'hui un carrefour des actions entreprises par le Gouvernement pour garantir la cohésion de notre société.
Je pourrais illustrer mon propos d'un grand nombre d'exemples. Je n'en retiendrai que trois qui m'apparaissent particulièrement significatifs.
Je pense en premier lieu, à la part que prennent les associations dans la mise en oeuvre de la politique d'insertion sociale et professionnelle de ceux qui, si l'on n'y prenait pas garde, resteraient au bord du chemin.
Je pense également aux efforts qui sont les leurs pour promouvoir l'intégration des jeunes issus de l'immigration dans notre communauté nationale.
Comment ne pas mentionner enfin, j'y faisais référence tout à l'heure, la contribution des associations à la réhabilitation des quartiers défavorisés ?
Les évènements survenus récemment à VAULX-EN-VELIN nous ont brutalement rappelé l'importance qui s'attache à la définition d'une politique de la ville. J'aurai l'occasion de revenir demain sur ce sujet à BRON, dans la banlieue lyonnaise, dans le cadre du colloque "Banlieue 89" auquel participe aujourd'hui même le Président de la République. Cette politique fera aussi l'objet, vendredi prochain, d'un séminaire gouvernemental : c'est dire toute l'importance que j'y attache et combien je réalise que le Gouvernement et les collectivités locales seraient démunis sans les associations.
Comment au vu de ces quelques exemples douter un instant de la nécessité de voir encore se développer la dynamique associative ?
Cette question en entraîne une autre : par quels moyens l'Etat peut-il favoriser cette dynamique ?
Si la question est simple, force est de reconnaître que la réponse est complexe.
Une observation préalable s'impose : pas plus que les pouvoirs publics n'ont vocation à se substituer aux associations, ils ne doivent les placer, plus ou moins insidieusement, sous leur tutelle.
Il leur appartient tout au contraire de préserver leur indépendance, notamment en mettant en place des procédures financières conciliant gestion rigoureuse des derniers publics et non-ingérence dans le fonctionnement interne des organismes concernés.
Au-delà des aspects financiers, je n'éluderai pas les problèmes d'ordre fiscal qu'a soulevés tout à l'heure le Président BASTIDE dans son intervention.
Faut-il réexaminer les règles d'assujettissement des associations à la TVA et à l'impôt sur les sociétés ?
Oui, assurément car je conviens que ne peut être considérée comme satisfaisante la situation actuelle, avec toutes ses incertitudes liées à l'ambiguïté des textes et au décalage observé entre certaines interprétations de l'administration fiscale et la jurisprudence administrative.
TONY DREYFUS va s'employer, en liaison étroite avec Michel CHARASSE, à la clarification qui s'impose.
Il ne faut pas pour autant perdre de vue que la liberté fondamentale inhérente à la loi de 1901 a pu faire naître des vocations quelque peu suspectes pour le statut associatif et inciter certains à s'abriter derrière ce paravent pour mener des activités purement commerciales.
Rien de choquant dans ces conditions à ce que l'administration fiscale procède dans ces cas là aux redressements qui s'imposent.
Tout aussi préoccupants, même s'il est d'une nature différente, est le détournement de la loi de 1901 constitué par la multiplication d'associations qui ne sont que des démembrements de l'administration de l'Etat ou des collectivités locales.
J'ai relevé votre vive inquiétude à ce sujet : elle est légitime et je la partage totalement.
Mais, ne nous voilons pas la face : pour condamnables qu'elles soient, ces pratiques sont difficiles à supprimer.
Les causes peuvent en être facilement analysées : elles tiennent pour l'essentiel à la lourdeur et la rigidité de certaines formes de l'action administrative régie par les règles de la comptabilité publique.
Le Gouvernement s'efforce d'assouplir les contraintes inutiles et je ne désespère pas de voir des progrès sensibles accomplis en ce domaine dans le cadre de la politique de renouveau du service public que nous avons résolument engagée.
Il est clair en tout cas que les pouvoirs publics entendent manifester une vigilance accrue à l'égard de l'ensemble des pratiques que j'ai évoquées.
Le monde associatif a montré dans le passé qu'il savait défendre ses valeurs et s'insurger contre les détournements auxquels elles pouvaient donner lieu : je pense en particulier à la charte de déontologie mise en place au début de cette année, sous l'impulsion du président BLOCH-LAINE, par les organismes faisant appel à la générosité publique et aux règles qu'ils se sont imposées.
Je vous invite sur ce point délicat à faire part au Gouvernement des propositions afin de sauvegarder l'esprit de cette grande loi de la République qu'est la loi de 1901 ; je m'engage à les faire étudier avec toute l'attention qu'elles méritent.
Offrir aux associations un cadre juridique et fiscal adapté à leurs activités.
Préserver l'esprit de la loi de 1901 ; le rôle de l'Etat ne s'arrête pas là. Il doit contribuer par son action à l'essor du bénévolat.
L'avis exprimé sur ce sujet l'an passé par le Conseil économique et social, à partir du rapport présenté par Mme Marie-Thérèse CHEROUTRE, ancien membre de votre assemblée, a insisté à juste titre sur la richesse que représente pour la vie associative la forte implication de plusieurs centaines de milliers de bénévoles.
Ces militants ont fait le choix de sacrifier beaucoup de leur temps, voire de leurs perspectives professionnelles à leurs activités associatives.
Cette abnégation, aussi admirable qu'elle soit, a ses limites.
Nombreux sont ceux, parmi les militants associatifs, qui se heurtent aujourd'hui, dans l'accomplissement de leur mission, à des contraintes de plus en plus lourdes.
Certaines de ces contraintes sont liées à la complexité grandissante de la gestion des associations qui exige une technicité accrue.
L'apport de compétences professionnelles par le recrutement de cadres salariés peut s'avérer indispensable mais il ne saurait prendre le pas sur la responsabilité des élus, sauf à profondément dénaturer le fonctionnement démocratique qui fait la spécificité des entreprises de l'économie sociale.
Les responsables bénévoles, pour tenir pleinement leur rôle, doivent donc se situer eux-mêmes dans ces champs de compétences et acquérir les aptitudes nécessaires.
Dans le même temps, un nombre croissant de responsables associatifs est appelé à siéger dans des instances consultatives créées par l'Etat dans le cadre de la mise en oeuvre de politiques publiques reposant sur la concertation avec la société civile.
Concilier l'ensemble de ces contraintes avec l'exercice d'activités professionnelles va de moins en moins de soi et pourrait, si l'on n'y prend garde, décourager le bénévolat.
Le Gouvernement ne pouvait y être insensible.
Cette situation exige de l'Etat la définition d'un cadre juridique adapté à l'exercice de responsabilités associatives par des bénévoles.
Tout au long de ces derniers mois, Tony DREYFUS a mené une concertation active tant avec les représentants du monde associatif, et tout particulièrement le CNVA, qu'avec les départements ministériels concernés.
Au terme de cette concertation, il m'a proposé plusieurs mesures concrètes qui, pour certaines d'entre elles, étaient réclamées de longue date par les milieux associatifs. Je les ai acceptées.
Il s'agit, en premier lieu, de la création d'un congé-représentation qui sera proposé au Parlement à la session de printemps 91 : les responsables d'associations pourront à ce titre bénéficier d'autorisations d'absence afin de participer aux instances de concertation créées par l'Etat au niveau départemental, régional et national, et ce bien sûr dans certaines limites qu'impose le bon fonctionnement des entreprises. L'Etat leur versera en contrepartie une indemnité pour compenser les pertes de salaires qu'ils subiront.
Je suis sûr que ce congé satisfera plusieurs Ministres ici présents, qui ont vigoureusement plaidé dans ce sens -je pense plus particulièrement à Véronique NEIERTZ pour les consommateurs et à M. GILLIBERT pour les handicapés.
En second lieu, il est apparu nécessaire d'envisager la mise en place de dispositifs de formation des responsables bénévoles semblables à ceux mis en place depuis l'année dernière, à la satisfaction générale, au profit des administrateurs élus de la coopération et de la mutualité.
Ces dispositifs seront créés, à titre expérimental et en liaison étroite avec le CNVA, dans des secteurs où les instances associatives et les ministères concernés sont prêts à unir leurs efforts dans le cadre d'une convention d'engagement de développement de la formation.
Parallèlement, j'ai jugé souhaitable d'ouvrir plus largement les possibilités actuellement offertes aux responsables associatifs par le congé individuel de formation ; des incitations financières en ce sens seront proposées aux organismes paritaires qui gèrent ce congé.
Une troisième mesure vise à améliorer la couverture sociale du bénévolat : un plus grand nombre de responsables associatifs pourront bénéficier du régime de Sécurité sociale relatif aux accidents du travail, en particulier dans le cadre du congé-représentation.
Il m'apparaît enfin souhaitable, et je sais que vous êtes nombreux à partager ce sentiment, de permettre une meilleure reconnaissance sociale de l'exercice de responsabilités bénévoles à la tête d'une association : comment par exemple faire en sorte que pour des responsables associatifs, leur expérience accumulée constitue un atout sur le marché du travail ?
Sur ce sujet je souhaiterais que votre assemblée puisse me faire ses suggestions : je demanderai à Tony DREYFUS en liaison avec Roger BAMBUCK de les examiner de façon approfondie et de veiller à ce qu'elles puissent être rapidement suivies d'effet.
Je tiens enfin à saluer l'initiative de M. Roger BAMBUCK qui va créer, dans sept villes de France, des centres d'information sur la vie associative qui vont permettre, comme cela existe pour les entreprises, de disposer d'un guichet d'accueil unique pour faciliter les démarches administratives des animateurs d'associations.
J'espère par ces mesures faciliter l'exercice des responsabilités associatives parce que je pense que notre pays a besoin d'encore plus d'associations vivantes et dynamiques.
Votre démarche et la mienne, en tant que Chef du Gouvernement, se veulent complémentaires ; puissions-nous ensemble, Mesdames et Messieurs, jeter ces "ponts de compréhension" entre les hommes -selon la belle expression du mouvement mondial du volontariat-, qui seuls garantiront l'équilibre social de notre pays.
Je vous souhaite de fructueux débats et je ne doute pas, compte tenu de la vitalité du monde associatif, que vos travaux nous aideront nous, responsables politiques.
Merci de votre accueil et bon vent au monde associatif.