Texte intégral
J.-P. Elkabbach Vous êtes en direct de Moscou, pour quelques heures encore. Vous avez vu des dirigeants russes, le ministre Ivanov. Est-ce que vous sentez une émotion réelle en Russie et en même temps la solidarité de la Russie avec l'Amérique et avec ceux qui vont riposter contre les terroristes ou l'Etat terroriste quand il sera visé et désigné ?
- "Je sens là aussi une émotion, comme à peu près partout dans le monde. Je sens une volonté de participer à une action mondiale contre le terrorisme. D'ailleurs, cette volonté est exprimée par les dirigeants russes. Cela rejoint d'ailleurs ce qu'a dit C. Powell quand il dit qu'il essaye de mettre sur pied une coalition mondiale contre le terrorisme qui déborde de très loin les pays de l'Otan."
Les Russes seraient prêts à faire partie de cette coalition mondiale ?
- "Ils n'ont rien dit de concret sur ce plan. Pour le moment, c'est une détermination politique. Il y a un certain nombre d'enceintes dans lesquelles on peut travailler contre le terrorisme. L'action contre le terrorisme n'est pas - même si c'est prévisible et compréhensible à court terme - une action punitive et de sanction. Cela doit être un ensemble de mesures beaucoup plus vastes encore."
Par exemple ?
- "Par exemple, l'action sur le financement du terrorisme. L'an dernier, la France a déposé à l'Onu une convention pour la lutte contre le financement du terrorisme. On peut en tirer des mesures beaucoup plus concrètes et une coordination beaucoup plus étroite. C'est un exemple parmi beaucoup d'autres."
Si cela leur était demandé par les Etats-Unis, est-ce que les Russes seraient d'accord pour participer ? Et d'autre part, est-ce que sur le principe même, ils sont d'accord avec une riposte antiterroriste ?
- "Je ne peux pas répondre à leur place. D'autant que personne ne sait ce que les Etats-Unis feront, puisqu'ils ne l'ont eux-mêmes pas encore décidé. Ils n'ont eux-mêmes pas encore conclu leur enquête. On ne peut pas aller au-delà de constater une solidarité générale et de principe de la part des Russes et cette volonté de participer à une lutte. Comment ? Je ne peux pas le dire à leur place, c'est trop tôt de toute façon."
Qu'est-ce qui leur est inacceptable ?
- "Même réponse."
Vous n'avez encore jamais expliqué votre version de ce qui s'est passé depuis mardi. Vous ne l'avez pas fait en tout cas en public et c'est la première fois que vous allez livrer votre analyse de l'apocalypse, ses raisons et ses effets probables. Pourquoi refusez-vous la formule qui est la mode : le choc des civilisations ?
- "Je ne refuse pas la formule mais je dis simplement qu'au contraire il faut tout faire pour que cette immense tragédie, cette effroyable agression sur le sol américain ne conduise pas par une série de conséquences à un choc des civilisations. On ne peut pas exclure que ce soit le calcul, certes délirant, mais le calcul quand même des instigateurs des attentats, voulant provoquer un certain type de réactions qui entraîneraient l'embrasement d'une partie du monde. On a vu des terroristes faire des calculs de ce type. Je note que les dirigeants américains y sont déjà très attentifs. J'ai remarqué que le Président Bush avait demandé à ces concitoyens de ne surtout pas prendre pour cible les Arabes ou les musulmans qui sont sur le sol des Etats-Unis. Je note qu'il a appelé tout de suite plusieurs dirigeants arabes responsables qui sont eux-mêmes exposés au terrorisme."
Ces dirigeants arabes pourraient-ils faire partie de ce que l'Amérique appelle "la coalition mondiale contre les terroristes" ?
- "Quand je vois C. Powell parler de coalition précisément, ce qui renvoie à ce qui s'était passé au moment de la Guerre du Golfe, même si les choses ne sont pas du tout comparables parce que là personne ne sait exactement ce qu'il y a en face et ce qu'il y avait derrière, cela traduit bien l'idée que cela ne relève pas que des "Occidentaux" ou que de l'Otan. Et il y a beaucoup d'autres pays dans le monde qui sont les victimes du terrorisme et qui sont exposés pour des tas de raisons. Il y a beaucoup de choses qui alimentent le terrorisme. Cela ne menace pas qu'un pays en particulier. Ils font en cela preuve de sens des responsabilités à moyen et long termes. Les dirigeants américains ne veulent pas que cela conduise à une sorte d'affrontement effrayant entre le monde occidental et d'autre part le monde arabo-musulman. Il faut éviter ces amalgames. Je crois qu'ils ont raison."
Beaucoup disent qu'on retrouve la famille Bush, D. Cheney, le vice-Président et C. Powell : est-ce qu'on va reproduire, même d'une manière différente, le schéma de la guerre du Golfe ? C'est-à-dire l'administration républicaine fait ce qu'elle sait faire ?
- "Non, on ne peut pas comparer les situations et je ne pense pas qu'ils réagissent comme ça de façon mécanique. C'est une situation différente. C'est une agression effroyable sans précédent sur le territoire des Etats-Unis touchant un nombre immense de civils. Vous avez dû être frappé comme moi par le fait que les commentateurs américains relèvent qu'il y aura beaucoup plus de victimes qu'à Pearl Harbor, même si les deux choses ne sont pas comparables."
Deux à trois fois plus.
- "Ils n'ont pas en face d'eux un Etat précis comme dans l'affaire du Koweit où c'était l'Irak qui avait envahit et annexé son voisin. C'est différent et on voit bien que la réponse, le traitement de l'affaire ne peut pas être le même. Naturellement, on peut s'attendre à ce que les Etats-Unis répliquent et qu'ils répliquent fort."
Vous pensez que cela va se faire sans tarder ?
- "Je n'en sais rien et je suis convaincu qu'ils ne l'ont pas décidé. On peut le comprendre naturellement, mais la situation n'est pas comparable."
Est-ce que ce sera une décision américaine ou commune avec les alliés ? Ou une décision des Etats-Unis après concertation avec les alliés ? Est-ce que G. Bush est désormais notre chef à tous ?
- "Là aussi, il est un peu trop tôt pour dire sous quelque forme les Etats-Unis vont vouloir répondre. D'abord, cela dépend de ce qu'ils veulent faire. On peut considérer qu'ils sont dans la situation prévue par l'article 51 de la Charte des Nations Unies, c'est-à-dire une situation de légitime défense. C'est d'ailleurs ce à quoi se réfère l'article 5 du Traité de l'Otan dont nous avons constaté qu'il s'appliquait, s'il était avéré - comme c'est très probable - et établi que c'était une attaque depuis l'étranger contre les territoires d'un Etat-membre. Nous avons donc invoqué cet article qui exprime la solidarité politique des membres de l'Alliance. Après, est-ce que ce sera une décision américaine, est-ce qu'ils souhaiteront associer tel ou tel, est-ce qu'ils souhaiteront simplement informer, je n'en sais rien, c'est trop tôt pour le dire. Et quand nous serons dans cette situation éventuelle, le président de la République et le Gouvernement apprécieront ce qui doit être fait, à partir de cette position de solidarité qui a été exprimée avec force."
Le président de la République disait hier, à CNN, que la France sera aux côtés des Etats-Unis quand il s'agira de sanctionner cette folie meurtrière. Qu'est-ce que cela veut dire ? Est-ce une position de principe ou est-ce que cela va au-delà ?
- "C'est la position qui a été exprimée par les dirigeants européens, par le président de la République, par le Chancelier allemand, par T. Blair. C'est la position exprimée par l'ensemble des alliés, en constatant que, vraisemblablement, nous étions dans la situation de l'article 5 qui prévoit que quand on en vient à une phase concrète éventuelle, chaque Etat détermine la façon dont il participe à l'effort collectif."
Est-ce que pour agir, les Américains ont besoin de l'assentiment des Nations Unies, "en état de légitime défense", comme vous dites ?
- "Il me semble que, précisément, cette situation de légitime défense prévoit qu'un Etat a le droit de se défendre, c'est-à-dire de répliquer."
C. Powell déclarait cette nuit : "Nous devons aussi agir et travailler sur la situation au Proche-Orient." Etes-vous d'accord sur ce plan ?
- "Oui, c'est une remarque très juste - une de plus de sa part - : il a dit que c'était une raison de plus pour la paix au Proche-Orient. Il est clair qu'il va s'organiser dans le monde une coalition, sans doute une détermination accrue pour lutter contre le terrorisme. Mais lutter contre le terrorisme, cela peut-être punitif, préventif, et je dirais que cela doit également être radical, au sens d'extirper les racines du terrorisme. Or, le terrorisme est alimenté par beaucoup de choses : des idéologies de haine et de démence, certes, mais très concrètement, il est alimenté par des financements, par des réseaux, par des aides logistiques et par toutes sortes de crises régionales sans fin qui lui fournissent des volontaires en quelque sorte, des kamikazes. Il faut donc avoir une vision d'ensemble et je vois que C. Powell, là aussi, tout en préparant - certainement avec le président des Etats-Unis - la riposte appropriée, a cette vision politique présente à l'esprit et je dirais que nous aussi."
On peut imaginer que les Etats-Unis et l'Europe vont essayer d'intervenir encore plus nettement - l'Europe l'a fait récemment - au Proche-Orient, peut-être pour forcer les protagonistes, qui sont jusqu'ici des ennemis irréductibles, à se rencontrer et à se parler ?
- "Tous les problèmes du monde, tous les problèmes terribles, irrésolus sur lesquels nous étions en train de travailler - vous avez pu noter que les responsables européens s'étaient beaucoup engagés ces dernières semaines - tous ces problèmes qui existaient avant le 11 septembre existent évidemment après."
On sent monter aux Etats-Unis un sorte de vague de patriotisme et d'inquiétude en même temps, parce que l'on découvre que les terroristes avaient des complices ; on est peut-être en train de les arrêter en ce moment... Est-ce que les Russes pensent que ce terrorisme peut encore - puisque vous avez entendu M. Ivanov - se manifester et même aux Etats-Unis ?
- "Ce qui frappe le monde entier et les Américains en premier lieu, c'est de découvrir que le territoire américain est vulnérable, que ce n'est pas une forteresse absolument inviolable. C'est un choc terrible pour les Américains parce qu'ils n'ont jamais été agressés dans leur histoire, sur leur propre sol. Pearl Harbor était une base dans le Pacifique, il y a eu la guerre de Sécession, mais c'était une guerre entre Américains, donc ce n'est jamais arrivé. C'est un choc en profondeur qui aura certainement des répercussions. Mais le peuple américain est un très grand peuple et je suis convaincu qu'il saura surmonter ces épreuves."
Là où vous êtes, est-ce que vous dites que mardi 11 septembre 2001, le monde a, d'une certaine façon, basculer, qu'il faudra tout repenser tout réinventer, inventer une nouvelle politique, un nouveau monde et comment ?
- "Il faut se méfier de ce type de commentaires."
C'est trop tôt ?
- "Non seulement c'est trop tôt, mais les problèmes qui se posaient dans le monde avant le 11 septembre se posent après, ils sont toujours là. La question de la paix au Proche-Orient n'est pas réglée, la question de la paix dans l'Afrique des Grands lacs n'est pas réglée, la question entre l'Inde, le Pakistan et au Cashmire n'est pas réglée... Et je pourrais faire une longue liste. Les contradictions du monde qui sont apparues avec violence et de façon choquante mais malheureusement réelles à la Conférence de Durban sont toujours là. La communauté internationale n'a de communauté que le nom dans bien des cas ; la communauté internationale reste à construire. Tout cela n'a donc pas changé, cela se présente sous un jour plus tragique et plus urgent après cette journée terrible, mais nous avons à continuer notre travail sur tous ces plans."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 14 septembre 2001)
- "Je sens là aussi une émotion, comme à peu près partout dans le monde. Je sens une volonté de participer à une action mondiale contre le terrorisme. D'ailleurs, cette volonté est exprimée par les dirigeants russes. Cela rejoint d'ailleurs ce qu'a dit C. Powell quand il dit qu'il essaye de mettre sur pied une coalition mondiale contre le terrorisme qui déborde de très loin les pays de l'Otan."
Les Russes seraient prêts à faire partie de cette coalition mondiale ?
- "Ils n'ont rien dit de concret sur ce plan. Pour le moment, c'est une détermination politique. Il y a un certain nombre d'enceintes dans lesquelles on peut travailler contre le terrorisme. L'action contre le terrorisme n'est pas - même si c'est prévisible et compréhensible à court terme - une action punitive et de sanction. Cela doit être un ensemble de mesures beaucoup plus vastes encore."
Par exemple ?
- "Par exemple, l'action sur le financement du terrorisme. L'an dernier, la France a déposé à l'Onu une convention pour la lutte contre le financement du terrorisme. On peut en tirer des mesures beaucoup plus concrètes et une coordination beaucoup plus étroite. C'est un exemple parmi beaucoup d'autres."
Si cela leur était demandé par les Etats-Unis, est-ce que les Russes seraient d'accord pour participer ? Et d'autre part, est-ce que sur le principe même, ils sont d'accord avec une riposte antiterroriste ?
- "Je ne peux pas répondre à leur place. D'autant que personne ne sait ce que les Etats-Unis feront, puisqu'ils ne l'ont eux-mêmes pas encore décidé. Ils n'ont eux-mêmes pas encore conclu leur enquête. On ne peut pas aller au-delà de constater une solidarité générale et de principe de la part des Russes et cette volonté de participer à une lutte. Comment ? Je ne peux pas le dire à leur place, c'est trop tôt de toute façon."
Qu'est-ce qui leur est inacceptable ?
- "Même réponse."
Vous n'avez encore jamais expliqué votre version de ce qui s'est passé depuis mardi. Vous ne l'avez pas fait en tout cas en public et c'est la première fois que vous allez livrer votre analyse de l'apocalypse, ses raisons et ses effets probables. Pourquoi refusez-vous la formule qui est la mode : le choc des civilisations ?
- "Je ne refuse pas la formule mais je dis simplement qu'au contraire il faut tout faire pour que cette immense tragédie, cette effroyable agression sur le sol américain ne conduise pas par une série de conséquences à un choc des civilisations. On ne peut pas exclure que ce soit le calcul, certes délirant, mais le calcul quand même des instigateurs des attentats, voulant provoquer un certain type de réactions qui entraîneraient l'embrasement d'une partie du monde. On a vu des terroristes faire des calculs de ce type. Je note que les dirigeants américains y sont déjà très attentifs. J'ai remarqué que le Président Bush avait demandé à ces concitoyens de ne surtout pas prendre pour cible les Arabes ou les musulmans qui sont sur le sol des Etats-Unis. Je note qu'il a appelé tout de suite plusieurs dirigeants arabes responsables qui sont eux-mêmes exposés au terrorisme."
Ces dirigeants arabes pourraient-ils faire partie de ce que l'Amérique appelle "la coalition mondiale contre les terroristes" ?
- "Quand je vois C. Powell parler de coalition précisément, ce qui renvoie à ce qui s'était passé au moment de la Guerre du Golfe, même si les choses ne sont pas du tout comparables parce que là personne ne sait exactement ce qu'il y a en face et ce qu'il y avait derrière, cela traduit bien l'idée que cela ne relève pas que des "Occidentaux" ou que de l'Otan. Et il y a beaucoup d'autres pays dans le monde qui sont les victimes du terrorisme et qui sont exposés pour des tas de raisons. Il y a beaucoup de choses qui alimentent le terrorisme. Cela ne menace pas qu'un pays en particulier. Ils font en cela preuve de sens des responsabilités à moyen et long termes. Les dirigeants américains ne veulent pas que cela conduise à une sorte d'affrontement effrayant entre le monde occidental et d'autre part le monde arabo-musulman. Il faut éviter ces amalgames. Je crois qu'ils ont raison."
Beaucoup disent qu'on retrouve la famille Bush, D. Cheney, le vice-Président et C. Powell : est-ce qu'on va reproduire, même d'une manière différente, le schéma de la guerre du Golfe ? C'est-à-dire l'administration républicaine fait ce qu'elle sait faire ?
- "Non, on ne peut pas comparer les situations et je ne pense pas qu'ils réagissent comme ça de façon mécanique. C'est une situation différente. C'est une agression effroyable sans précédent sur le territoire des Etats-Unis touchant un nombre immense de civils. Vous avez dû être frappé comme moi par le fait que les commentateurs américains relèvent qu'il y aura beaucoup plus de victimes qu'à Pearl Harbor, même si les deux choses ne sont pas comparables."
Deux à trois fois plus.
- "Ils n'ont pas en face d'eux un Etat précis comme dans l'affaire du Koweit où c'était l'Irak qui avait envahit et annexé son voisin. C'est différent et on voit bien que la réponse, le traitement de l'affaire ne peut pas être le même. Naturellement, on peut s'attendre à ce que les Etats-Unis répliquent et qu'ils répliquent fort."
Vous pensez que cela va se faire sans tarder ?
- "Je n'en sais rien et je suis convaincu qu'ils ne l'ont pas décidé. On peut le comprendre naturellement, mais la situation n'est pas comparable."
Est-ce que ce sera une décision américaine ou commune avec les alliés ? Ou une décision des Etats-Unis après concertation avec les alliés ? Est-ce que G. Bush est désormais notre chef à tous ?
- "Là aussi, il est un peu trop tôt pour dire sous quelque forme les Etats-Unis vont vouloir répondre. D'abord, cela dépend de ce qu'ils veulent faire. On peut considérer qu'ils sont dans la situation prévue par l'article 51 de la Charte des Nations Unies, c'est-à-dire une situation de légitime défense. C'est d'ailleurs ce à quoi se réfère l'article 5 du Traité de l'Otan dont nous avons constaté qu'il s'appliquait, s'il était avéré - comme c'est très probable - et établi que c'était une attaque depuis l'étranger contre les territoires d'un Etat-membre. Nous avons donc invoqué cet article qui exprime la solidarité politique des membres de l'Alliance. Après, est-ce que ce sera une décision américaine, est-ce qu'ils souhaiteront associer tel ou tel, est-ce qu'ils souhaiteront simplement informer, je n'en sais rien, c'est trop tôt pour le dire. Et quand nous serons dans cette situation éventuelle, le président de la République et le Gouvernement apprécieront ce qui doit être fait, à partir de cette position de solidarité qui a été exprimée avec force."
Le président de la République disait hier, à CNN, que la France sera aux côtés des Etats-Unis quand il s'agira de sanctionner cette folie meurtrière. Qu'est-ce que cela veut dire ? Est-ce une position de principe ou est-ce que cela va au-delà ?
- "C'est la position qui a été exprimée par les dirigeants européens, par le président de la République, par le Chancelier allemand, par T. Blair. C'est la position exprimée par l'ensemble des alliés, en constatant que, vraisemblablement, nous étions dans la situation de l'article 5 qui prévoit que quand on en vient à une phase concrète éventuelle, chaque Etat détermine la façon dont il participe à l'effort collectif."
Est-ce que pour agir, les Américains ont besoin de l'assentiment des Nations Unies, "en état de légitime défense", comme vous dites ?
- "Il me semble que, précisément, cette situation de légitime défense prévoit qu'un Etat a le droit de se défendre, c'est-à-dire de répliquer."
C. Powell déclarait cette nuit : "Nous devons aussi agir et travailler sur la situation au Proche-Orient." Etes-vous d'accord sur ce plan ?
- "Oui, c'est une remarque très juste - une de plus de sa part - : il a dit que c'était une raison de plus pour la paix au Proche-Orient. Il est clair qu'il va s'organiser dans le monde une coalition, sans doute une détermination accrue pour lutter contre le terrorisme. Mais lutter contre le terrorisme, cela peut-être punitif, préventif, et je dirais que cela doit également être radical, au sens d'extirper les racines du terrorisme. Or, le terrorisme est alimenté par beaucoup de choses : des idéologies de haine et de démence, certes, mais très concrètement, il est alimenté par des financements, par des réseaux, par des aides logistiques et par toutes sortes de crises régionales sans fin qui lui fournissent des volontaires en quelque sorte, des kamikazes. Il faut donc avoir une vision d'ensemble et je vois que C. Powell, là aussi, tout en préparant - certainement avec le président des Etats-Unis - la riposte appropriée, a cette vision politique présente à l'esprit et je dirais que nous aussi."
On peut imaginer que les Etats-Unis et l'Europe vont essayer d'intervenir encore plus nettement - l'Europe l'a fait récemment - au Proche-Orient, peut-être pour forcer les protagonistes, qui sont jusqu'ici des ennemis irréductibles, à se rencontrer et à se parler ?
- "Tous les problèmes du monde, tous les problèmes terribles, irrésolus sur lesquels nous étions en train de travailler - vous avez pu noter que les responsables européens s'étaient beaucoup engagés ces dernières semaines - tous ces problèmes qui existaient avant le 11 septembre existent évidemment après."
On sent monter aux Etats-Unis un sorte de vague de patriotisme et d'inquiétude en même temps, parce que l'on découvre que les terroristes avaient des complices ; on est peut-être en train de les arrêter en ce moment... Est-ce que les Russes pensent que ce terrorisme peut encore - puisque vous avez entendu M. Ivanov - se manifester et même aux Etats-Unis ?
- "Ce qui frappe le monde entier et les Américains en premier lieu, c'est de découvrir que le territoire américain est vulnérable, que ce n'est pas une forteresse absolument inviolable. C'est un choc terrible pour les Américains parce qu'ils n'ont jamais été agressés dans leur histoire, sur leur propre sol. Pearl Harbor était une base dans le Pacifique, il y a eu la guerre de Sécession, mais c'était une guerre entre Américains, donc ce n'est jamais arrivé. C'est un choc en profondeur qui aura certainement des répercussions. Mais le peuple américain est un très grand peuple et je suis convaincu qu'il saura surmonter ces épreuves."
Là où vous êtes, est-ce que vous dites que mardi 11 septembre 2001, le monde a, d'une certaine façon, basculer, qu'il faudra tout repenser tout réinventer, inventer une nouvelle politique, un nouveau monde et comment ?
- "Il faut se méfier de ce type de commentaires."
C'est trop tôt ?
- "Non seulement c'est trop tôt, mais les problèmes qui se posaient dans le monde avant le 11 septembre se posent après, ils sont toujours là. La question de la paix au Proche-Orient n'est pas réglée, la question de la paix dans l'Afrique des Grands lacs n'est pas réglée, la question entre l'Inde, le Pakistan et au Cashmire n'est pas réglée... Et je pourrais faire une longue liste. Les contradictions du monde qui sont apparues avec violence et de façon choquante mais malheureusement réelles à la Conférence de Durban sont toujours là. La communauté internationale n'a de communauté que le nom dans bien des cas ; la communauté internationale reste à construire. Tout cela n'a donc pas changé, cela se présente sous un jour plus tragique et plus urgent après cette journée terrible, mais nous avons à continuer notre travail sur tous ces plans."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 14 septembre 2001)