Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Président (Hervé Maurey)
et Monsieur le Rapporteur au fond (Jérôme Bignon) de la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable,
Mesdames les Rapporteures de la Commission des affaires économiques (Sophie Primas) et de la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication (Françoise Férat),
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Je suis très heureuse de vous présenter aujourd'hui ce projet de loi relatif à la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages qui a pour ambition de donner un nouvel élan à la protection et à la valorisation de nos richesses naturelles en conférant force de loi au choix de ce nouveau modèle de développement, de société et à vrai dire de civilisation : agir non plus contre la nature mais avec elle et la traiter en partenaire dans une chaîne du vivant dont nous sommes à la fois tributaires et acteurs. Créer aussi ces emplois de la croissance verte et de la croissance bleue qui constituent, dans le monde d'aujourd'hui, notre nouvelle frontière.
Cette nouvelle alliance entre l'humanité et la nature est un renversement de perspective qu'ont amorcé, il y a 40 ans, la loi de 1976, première loi de portée globale sur la nature qui faisait de la protection des espèces et des espaces une cause d'intérêt général, puis en 1993 la loi Paysages que j'avais défendue devant votre Assemblée comme Ministre de l'Environnement, qui donnait une base législative à la création des parcs naturels régionaux et avait conduit à la labellisation des paysages et des produits de qualité, sans oublier, plus près de nous, les avancées de la réflexion à l'occasion du Grenelle de l'Environnement.
Permettez-moi de remercier votre Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, devant laquelle j'ai présenté ce texte en juin dernier et qui l'a minutieusement examiné en juillet, ainsi que vos 3 rapporteurs pour l'excellence de leurs travaux.
Et de rappeler qu'en 2007 déjà, deux de vos collègues, les sénateurs Pierre Laffitte et Claude Saunier, avaient déposé au nom de l'Office parlementaires d'évaluation des choix scientifiques et technologiques un fort intéressant rapport sur la biodiversité dont le titre, « L'autre choc ? L'autre chance ? » disait à la fois l'ampleur de l'altération des écosystèmes, l'urgence d'agir ainsi que le potentiel scientifique, technologique et économique de la diversité du vivant.
Le texte qui vous est soumis, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale en mars dernier puis retravaillé par votre Commission du développement durable, est aussi le fruit d'une implication active des ONG et de toutes les parties prenantes du Conseil national de la transition écologique que je remercie, elles aussi, pour leurs contributions et leur vigilance.
Il a également fait l'objet, à votre initiative, d'une consultation participative qui a suscité beaucoup d'intérêt, près de 2000 contributions et de 50.000 votes alimentant des amendements dont nous aurons l'occasion de débattre.
Ce projet s'inscrit, comme vous le soulignez à raison, M. Bignon, dans le même esprit que celui de la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte : la France se dote, avec ces deux textes complémentaires, du cadre législatif le plus avancé en Europe et au-delà car le plus complet et le plus volontariste.
Ensemble, ils donnent corps dans notre pays à cette avancée majeure et, pour la première fois explicite dans l'histoire des négociations internationales sur le climat : la reconnaissance du lien étroit entre changement climatique et biodiversité, la prise en compte des impacts du dérèglement climatique sur l'intégrité de tous les écosystèmes, terrestres et aquatiques, et la valorisation de la biodiversité comme solution d'atténuation et d'adaptation à la dérive du climat.
L'Agenda des Solutions qui a accompagné le Sommet de Paris et anticipe la mise en application de l'accord qui y a été adopté en témoigne également, qu'il s'agisse des nombreux événements programmés sur ce sujet ou des alliances et des coalitions internationales d'acteurs qui, sans attendre 2020, s'engagent à agir ici et maintenant.
Je pense, par exemple, au Pacte de Paris sur l'eau et l'adaptation au changement climatique dans les bassins versants des fleuves, des lacs et des aquifères, signé par plus de 305 organisations et 87 Etats.
Ou à la promotion, avec l'appui de l'UICN, des solutions fondées sur la nature comme celles que mettent déjà en place la Région Rhône Alpes avec la protection des forêts en libre évolution, la Polynésie avec ses grandes aires marines protégées, la Seine St Denis avec la restauration de ses milieux humides, le littoral aquitain pour la préservation de ses dunes, les îlots de fraîcheur créés à Orléans ou les mosaïques paysagères du Parc naturel régional des Alpilles.
Pour la première fois dans une COP Climat, l'océan, grand oublié des négociations internationales quoique régulateur climatique hors pair et immense réserve de biodiversité, a trouvé, grâce notamment à la mobilisation de la Plate-forme Océan et Climat, une place à la mesure du rôle vital de ses écosystèmes : j'y tenais et j'y ai veillé.
Il fera d'ailleurs, comme je l'ai demandé au Secrétaire général du GIEC, l'objet d'un rapport spécial qui servira de base aux négociations ultérieures.
S'agissant de la France, nous avions, Alain Vidalies et moi-même, installé dès le mois de janvier de l'année dernière le Comité national de suivi de la Stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte, co-présidé par deux élues de Gironde et de Guyane car ce phénomène d'érosion côtière concerne non seulement les rivages ultra-marins mais aussi le littoral atlantique.
La France s'est également engagée à protéger 55.000 hectares de ses mangroves d'ici 2020 et 75% de ses récifs coralliens d'ici 2021, ces écosystèmes fragilisés par le dérèglement climatique et les pollutions, qui remplissent pourtant des fonctions décisives de nurserie pour la faune aquatique, d'épuration des eaux, de captation du carbone et d'adaptation aux impacts climatiques.
La COP 21 a accéléré la prise de conscience des enjeux de la biodiversité et de leurs relations avec la question climatique Elle a témoigné d'une volonté d'agir inédite.
Tel est le nouveau contexte dans lequel s'inscrit le projet dont nous allons débattre : un contexte marqué par l'urgence car les activités humaines détruisent la biodiversité à un rythme et à une échelle qui ne lui permettent pas de se régénérer mais un contexte dans lequel, comme pour le climat, prévaut de plus en plus la conviction que l'inaction est plus coûteuse que l'action et que le temps est venu de ce que votre rapporteur appelle à juste titre « un changement de paradigme ».
I.- L'urgence d'agir
La biodiversité est un mot encore jeune : créé par des écologues en 1985, il est sorti du sérail des laboratoires en 1992, lors du Sommet de la Terre à Rio, auquel je participais comme Ministre de l'Environnement, pour désigner une réalité aussi ancienne que la vie sur terre, depuis toujours caractérisée par la diversité du vivant et par l'interdépendance de ses composantes dont nous, les humains, faisons partie et dont dépend notre survie.
Pas celle de la planète qui s'est longtemps passée de nous et nous survivrait à coup sûr alors que l'espèce humaine, elle, ne peut se passer de la nature.
Certains experts parlent d'une 6ème extinction de masse.
Un rapport de l'Agence européenne estime que 60 % des espèces sont en situation défavorable en Europe où, en 30 ans, 420 millions d'oiseaux ont disparu.
Je n'accumulerai pas ici les chiffres : votre rapporteur cite les plus frappants qui donnent la mesure de l'érosion accélérée, due aux activités humaines, d'une biodiversité pourtant vitale et de sa cadence qui excède de beaucoup les capacités de régénération de la nature.
Lors des épisodes précédents, dont le dernier remonte à 65 millions d'années et emporta, entre autres, les dinosaures, la biosphère est toujours repartie de l'avant à partir d'un petit nombre d'espèces survivantes.
Mais la question désormais posée est de savoir, à ce rythme qui dépasse de beaucoup celui de la sélection naturelle, si l'humanité fera à terme partie du lot.
« Nous coupons, nous prévient Hubert Reeves, la branche sur laquelle nous sommes assis : c'est nous qui sommes désormais dans le colimateur de cette destruction ».
La reconquête de la biodiversité est aujourd'hui impérative, « elle est aussi possible, ajoute-t-il, mais elle nécessite la mobilisation de tous les acteurs, publics et privés, à toutes les échelles ».
C'est l'ambition de ce projet de loi et des plans d'action qui l'accompagnent : faire de l'urgence une chance en rétablissant avec la nature des relations non seulement harmonieuses mais fructueuses, bonnes pour la santé, bonnes pour l'innovation et bonnes pour l'emploi.
Protéger et valoriser notre capital naturel pour faire de la France le pays de l'excellence environnementale, tel est l'objectif.
Notre pays est l'un des plus riches au monde en merveilles de la nature, dans l'Hexagone et tout particulièrement dans les outre-mer français qui concentrent plus de 80% de la biodiversité nationale : N°1 européen pour la variété de ses amphibiens, oiseaux et mammifères et parmi les 10 pays du monde qui abritent le plus grand nombre d'espèces, 2ème domaine maritime de la planète,
N°4 mondial pour ses récifs coralliens.
Mais aussi, selon la liste de l'Union internationale pour la conservation de la nature, au 6ème rang des pays abritant le plus grand nombre d'espèces menacées.
La loi qui vous est soumise est une loi de mobilisation qui inscrit dans notre droit positif des grands principes opérationnels, qui clarifie et simplifie pour plus d'efficacité, qui crée avec l'Agence française de la biodiversité un outil d'expertise et de pilotage unique au monde (dont je puis vous dire qu'il est regardé avec grand intérêt par nombre de mes collègues Ministres de l'Environnement en Europe).
Elle s'accompagne d'actions concrètes qui en préfigurent les dispositions et vont en approfondir la dynamique.
Bien sûr, au fil des ans, la France s'est dotée de moyens de protection de sa biodiversité et de ses paysages.
Certains, comme le Conservatoire du littoral, les parcs nationaux et régionaux, les parcs marins ou les grands sites nous ont permis d'enregistrer des progrès mais, face à la pression croissante des activités humaines, cela reste insuffisant pour enrayer la dégradation de notre patrimoine naturel et tirer pleinement partie de son potentiel sans l'épuiser.
II.- Solidarité, responsabilité, équité :
3 valeurs majeures de la biodiversité à inscrire dans notre Code l'Environnement, 3 principes pour agir.
1er principe : la solidarité écologique, fondée sur la prise en compte des écosystèmes et des innombrables services vitaux qu'ils nous rendent dans des domaines aussi variés que l'agriculture et la régénération des sols, la régulation climatique et la protection de nos littoraux, la qualité de l'air et de l'eau, la pollinisation, les médicaments et bien d'autres choses encore.
La solidarité écologique, c'est la reconnaissance des interactions multiples de ces écosystèmes car la biodiversité, c'est bien plus qu'une collection d'espèces ou une juxtaposition d'espaces : c'est le tissu vivant de la planète au sein duquel tout se tient et se soutient.
Il ne s'agit donc pas de mettre la nature sous cloche mais de préserver les capacités d'évolution et d'adaptation du vivant qui constituent « notre assurance sur la vie elle-même » :
- en renforçant et en étendant ce qui a fait ses preuves ;
- en simplifiant et en clarifiant, pour plus d'efficacité, ce qui s'est additionné au fil du temps au détriment de la cohérence et de la lisibilité ;
- en créant des outils capables de fédérer toutes les énergies et de mobiliser tous les acteurs.
Pour illustrer ces interdépendances de toutes les composantes de la toile du vivant, je trouve très parlante cette image que j'emprunte à un pionnier de l'approche écosystémique de la biodiversité qu'il comparait à un pull-over : une maille qui saute, ça ne semble pas gênant, mais une maille entraîne l'autre et quand l'effilochage s'accélère, on se rend compte de l'importance de chaque maille et de ses relations avec toutes les autres.
2ème principe opérationnel : « Eviter, Réduire, Compenser », qui met l'accent sur l'action préventive et sur la notion de valeur écologique : anticiper plutôt que réparer après coup, intégrer les enjeux de la biodiversité et les impacts sur l'environnement en amont des projets d'aménagement.
L'ordre des priorités est clairement indiqué et l'obligation de compenser n'est pas un permis de détruire mais au contraire une obligation de responsabilité.
D'où d'ailleurs l'importance d'une élaboration partenariale et participative des politiques publiques et privées qui est une condition de leur efficacité, en cohérence avec le chantier sur la modernisation et la démocratisation du dialogue environnemental.
D'où, aussi, l'importance de la mise en mouvement des territoires autour des continuités écologiques, des trames vertes et bleues dont toutes les Régions doivent se doter et de l'aménagement durable du territoire qui doit devenir la manière de faire s'imposant à tous les opérateurs.
3ème principe, lui aussi opérationnel : « Innover sans piller » pour soutenir l'innovation ainsi que les emplois de la croissance verte et bleue en érigeant contre la biopiraterie un principe de justice qui fonde le partage équitable des avantages tirés des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles, pour le bénéfice mutuel des habitants et des territoires directement concernés, de la recherche scientifique et de ses prolongements industriels et commerciaux dans les secteurs comme celui de l'agro-alimentaire, des cosmétiques ou de la pharmacie.
Certaines entreprises françaises ont commencé à le faire.
La Polynésie française, la Province Sud de la Nouvelle Calédonie et le Parc amazonien de Guyane ont mis en place avec profit de tels systèmes sur leurs territoires qui comptent parmi les « points chauds » de la planète.
Les contreparties peuvent être des avantages en nature (formation, mise à disposition gratuite d'études scientifiques, recrutements locaux ) voire le cas échéant financiers.
Je vous proposerai d'ailleurs une disposition qui permettra de s'assurer qu'aucun dépôt intempestif de brevet ne vienne limiter l'accès à des ressources dont il s'agit de partager les bénéfices.
III. L'Agence française de la biodiversité
Trop d'instances, je l'ai dit, se sont additionnées au fil du temps.
Le projet de loi en réunit les missions et en simplifie les structures avec la création :
- d'une seule instance d'expertise scientifique, le Conseil national de la protection de la nature
- et d'une instance de débat qui rassemblera toutes les parties prenantes, le Comité national de la biodiversité, flanqué de Comités régionaux dans les outre-mer où les enjeux de la biodiversité sont stratégiques comme l'a notamment souligné le Message de la Guadeloupe adopté en 2014 lors de la Conférence internationale sur la biodiversité et le changement climatique et comme l'ont souhaité à juste titre les élus ultra-marins.
Innovation majeure et outil très attendu : l'Agence française de la biodiversité que crée le texte qui vous est soumis.
C'était un engagement du Président de la République lors de la Conférence environnementale 2014 et une forte demande des ONG.
Pour qu'elle puisse être opérationnelle dès la promulgation de la loi, j'ai installé dès octobre 2014 une mission de préfiguration dirigée par Olivier Larroussinie, à laquelle Hubert Reeves a accepté de donner son parrainage, actif et vigilant, et Gilles Boeuf son conseil scientifique.
Cette mission a travaillé d'arrache-pied pour que l'Agence soit en mesure d'exercer, dès sa création, les missions qui lui incombent en matière :
- d'appui technique, de conseil et d'expertise pour tous les acteurs de la biodiversité ;
- de mobilisation des moyens nécessaires aux politiques en faveur de la biodiversité terrestre, marine et aquatique ;
- de gestion des aires protégées et d'appui aux missions de police de l'eau ;
- de formation initiale et continue ;
- de référence et de représentation dans les instances européennes et internationales.
J'ai réuni en février dernier un atelier sur la déclinaison dans les outre-mer des objectifs de la future Agence.
Un séminaire avec tous les partenaires de l'Agence s'est tenu les 22 et 23 mai à Strasbourg dans le cadre d'une démarche de co-construction à laquelle je suis très attachée, et qui a témoigné d'une ambition partagée par tous.
Les professionnels de la biodiversité ont été étroitement associés à la réflexion sur les services attendus de l'Agence, notamment lors des Assises de la biodiversité qui se sont tenues à Dijon les 10 et 11 juin.
Ces bases ont été formalisées dans le rapport qui m'a été rendu le 25 juin puis dans le complément relatif aux déclinaisons de l'Agence dans les outre-mer qui m'a été remis en juillet. L'Agence bénéficiera de 60 millions d'euros qui s'ajouteront à son budget de l'ordre de 230 millions d'euros au titre des investissements d'avenir car la biodiversité est, à proprement parler, un investissement d'avenir.
Elle regroupera l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, le groupement d'intérêt public Atelier technique des espaces naturels, l'Agence des aires marines protégées, l'établissement public des Parcs nationaux de France, avec la mise en place de services communs assurés par l'Agence.
Elle privilégiera une logique de réseaux avec des organismes intégrés, des organismes rattachés et d'autres avec lesquels elle passera des conventions de partenariat (comme le Muséum national d'histoire naturelle, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, l'IFREMER, le Centre d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement.
J'ai bien entendu que nombre d'ONG et certains d'entre vous auraient souhaité que l'ONCFS y soit intégré au même titre que l'ONEMA mais j'ai la conviction qu'une bonne contractualisation des relations de l'Office avec l'Agence ainsi que le rapprochement des équipes dans l'action et sur le terrain permettront de dépasser les blocages institutionnels et créeront une dynamique plus positive j'y serai très attentive que ne l'aurait fait une fusion autoritairement imposée qui aurait, de surcroît, ralenti le processus.
Je crois davantage au pouvoir d'entraînement des incitations et des dynamiques collectives qu'à celui des contraintes qui braquent inutilement et souvent paralysent.
Je crois que, chemin faisant et en travaillant ensemble sur des projets partagés, l'hybridation se fera de manière plus pragmatique et plus sereine, pour le plus grand bénéfice de la biodiversité.
Cette Agence sera le fer de lance d'une politique volontariste, mobilisatrice, à la fois protectrice et innovante, en liens étroits avec tous les territoires.
Elle donnera une meilleure lisibilité à la stratégie française, décloisonnera les politiques de l'eau et de la biodiversité terrestre et marine afin de mettre à la disposition des acteurs un instrument intégré capable d'appuyer pleinement leur action.
Elle sera aussi le lieu d'une expérimentation inédite des relations entre l'Etat et les collectivités, avec une forme d'organisation très souple à adapter aux niveaux régional et départemental, selon les territoires et la nature de leurs projets relatifs à la biodiversité.
C'est d'ailleurs pourquoi, parmi les amendements gouvernementaux que je vous présenterai et que j'ai voulus peu nombreux, je vous proposerai une rédaction plus souple qui permettra l'adoption, Région par Région, d'un dispositif particulier sur mesure, en fonction des demandes des nouveaux exécutifs régionaux.
Cette manière innovante d'organiser les relations entre l'Etat et les Régions pourra, qui sait, faire école pour les politiques publiques conduites dans d'autres secteurs
Je vous proposerai également un amendement corrigeant une disposition de la loi de modernisation de l'action publique qui affecte aux communes la compétence de gestion des eaux, des milieux aquatiques et de la prévention des inondations car elle ne permet pas aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale qui ont transféré leurs compétences à un syndicat ou un établissement public de lever la taxe qui a été instaurée.
Il s'agit simplement là de supprimer un frein inutile et de rendre plus cohérente notre organisation territoriale.
Je tiens à souligner que toutes les collectivités sont concernées par les objectifs de ce projet de loi et les outils qu'il met en place.
Les Départements jouent à ce titre un rôle important avec la gestion des espaces naturels sensibles.
Je sais que nombre d'entre vous connaissez très bien ces questions et avez à coeur d'approfondir les liens à venir entre l'Agence et ces espaces.
L'élargissement du champ de compétences des Agences de l'eau à la biodiversité et au milieu marin va permettre de mieux intégrer l'ensemble des acteurs des territoires dans la mise en oeuvre des politiques publiques, de faire évoluer leur gouvernance et de tenir compte des remarques de la Cour des Comptes en matière de transparence et de prévention des conflits.
IV.- Paysages
Les paysages, leur protection et leur valorisation, constituent également un axe important de ce projet de loi.
C'est, là aussi, un sujet auquel je suis de longue date attachée.
Il est aujourd'hui possible d'aller plus loin en englobant dans une action vigoureuse, au-delà de nos sites remarquables, les paysages du quotidien qui concernent directement la qualité de vie des Français et contribuent si puissamment à forger l'image de la France.
Pays parmi les plus visités du monde pour la qualité et la diversité de ses paysages, la France se doit d'être exemplaire dans leur gestion.
Nous aurons l'occasion de débattre plus en détail de l'articulation entre l'inscription et le classement mais une chose est sûre : ce projet de loi donne aux territoires les moyens de renforcer la prise en compte de leur qualité paysagère.
Le paysage, c'est l'environnement de tous les jours, un facteur de santé, de bien-être et d'équilibre, une composante essentielle de l'attractivité de la France et une dimension fondamentale de l'économie touristique, un gisement d'emplois et de métiers traditionnels et nouveaux : autant de raisons de prendre mieux soin de ce capital paysager qui est le bien commun des Français et auquel ils sont très sensibles car une part de notre histoire et de notre identité communes s'y rattache.
C'est d'ailleurs pourquoi je me réjouis que, désormais, les journées annuelles du patrimoine allient ses deux dimensions, naturelle et culturelle, entre lesquelles la frontière est loin d'être étanche.
Je remettrai prochainement, le 3 février, le Grand Prix des Paysages que j'ai relancé dès mon arrivée à la tête du Ministère de l'Ecologie au fronton duquel j'ai inscrit cette année ces mots de Gilles Clément, jardinier, botaniste et poète, qui nous appelle chacun à prendre soin ensemble du jardin planétaire et à en partager les beautés.
V.- Biodiversité et Santé
Je sais qu'à certains, la biodiversité apparaît encore comme un terme un peu abstrait et quelque chose de complexe, bien que la COP 21 ait contribué à en rendre les enjeux plus compréhensibles et plus sensibles, ce que, je l'espère, va poursuivre la loi dont nous commençons aujourd'hui la discussion.
La biodiversité, c'est pourtant très concret et ça concerne directement la santé de chacun car une nature malmenée par le dérèglement climatique et les pollutions, ce sont aussi des risques sanitaires accrus.
Ce projet de loi intègre la relation entre la santé et le bon état de la biodiversité, par exemple en facilitant le recours au traitement naturel de l'eau et en interdisant le rejet en mer des eaux de ballast non traités.
Le génie écologique protège la santé en promouvant l'utilisation de solutions fondées sur la nature qui préviennent le développement de maladies transmises par des vecteurs biologiques (moustiques, tiques, etc.) et en agissant sur le maintien des équilibres entre espèces.
Ce sont d'ailleurs des démarches encouragées par le Plan Santé-Environnement 2015-2019.
Le texte qui vous est soumis ainsi que les plans d'action qui l'ont anticipé et l'accompagnent en 2016 se fixent des objectifs de santé publique, à travers notamment la réduction de l'utilisation des pesticides :
- en développant des alternatives aux pesticides (c'est possible comme le montre la remise des 50 premiers labels « Terre saine, commune sans pesticides ») ;
- en mettant en place, comme il va en être donné instruction aux préfets, des périmètres d'interdiction d'épandage autour des écoles et des lieux sensibles, conformément aux recommandations de la dernière Conférence environnementale, première étape vers le bannissement des pesticides de tous les espaces publics puis des jardins des particuliers.
Même objectif avec la restauration de la qualité écologique des eaux marines, la réduction des déchets et polluants qui contaminent le milieu marin. Dès 2016, les sacs plastiques à usage unique seront supprimés aux caisses et début 2017, la distribution de sacs plastiques non biodégradables sera interdite.
Car non seulement ils défigurent nos paysages mais les micro-déchets de plastique passent au travers des systèmes d'épuration, attirent et déplacent sur de longues distances microbes et virus, contaminent toute la chaîne alimentaire.
Même objectif, encore, avec le soutien au développement d'un couvert végétal sain qui limite l'expansion de l'ambroisie, cette plante envahissante dont le pollen provoque des allergies.
Ou encore avec le soutien apporté aux jardins thérapeutiques en milieu hospitalier et aux bienfaits des contacts avec la nature pour les convalescences mais aussi les apprentissages scolaires et, plus largement, l'équilibre et l'épanouissement de chacun.
Développer, parmi les solutions s'inspirant de la nature pour lutter contre le changement climatique et restaurer la biodiversité, les mares, les haies, les bosquets qui captent la pollution, le mécanisme des obligations réelles environnementales ou les espaces de continuité écologique, c'est aussi mieux protéger la santé.
Certaines de ces dispositions figurent dans le projet qui vous est soumis, d'autres ont été intégrées à la loi cousine relative à la transition énergétique ou font l'objet d'appels à projets comme celui sur les « Territoires zéro déchet, zéro gaspillage » : tous mettent la santé au coeur de la mutation écologique dans laquelle notre pays a choisi de s'engager.
VI.- Actions d'accompagnement de la loi
Je présenterai demain au Conseil des Ministres l'ensemble des actions qui accompagnent le projet de loi sur la biodiversité.
J'en ai évoqué quelques-unes. Permettez-moi d'en citer quelques autres :
- Dans les 212 Territoires à énergie positive pour la croissance verte, la 2ème vague des appels à projets que j'ai lancée aujourd'hui met l'accent sur leur mobilisation pour la biodiversité comme, par exemple : la réalisation d'atlas de la biodiversité communale élaborés avec les écoles et les habitants afin de recenser les espèces remarquables locales pour mieux les faire connaître et mieux les protéger.
Ou la mise en place de ruchers municipaux et la protection des pollinisateurs (parallèlement à l'accélération du Plan national « France, terre de pollinisateurs » qui fixe un objectif d'installation de 1000 ruchers locaux et de développement de couverts végétaux favorables aux pollinisateurs).
Ou encore la restauration de trames vertes et bleues, le retour de la nature en ville.
J'y joute le développement de l'éducation à l'environnement dans le cadre de laquelle le Ministère de l'Écologie accompagne 2000 écoles des Territoires à énergie positive pour qu'elles mettent en place en 2016 un « coin nature » et les écoles volontaires pour la création d'aires marines éducatives, une démarche venue de la Polynésie française avec laquelle j'ai signé un accord de partenariat lors de la COP 21.
A l'occasion de la Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique qui se tiendra en décembre 2016, la Stratégie nationale de la biodiversité est relancée et son caractère inter-ministériel affirmé.
Je propose également que la France se positionne pour accueillir la Conférence des parties de 2020, qui tirera le bilan des objectifs fixés à Nagoya 10 ans plus tôt et définira des objectifs actualisés.
VII.- Innover pour créer les emplois de la croissance verte et de la croissance bleue : le grand enjeu transversal de la loi sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
Je l'ai gardé pour la fin mais j'aurais pu commencer par lui tant est majeur ce grand objectif transversal de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages : innover avec la nature pour créer les emplois de la croissance verte et de la croissance bleue.
J'ai évoqué l'importance de l'océan, thermostat de la planète, au regard du climat et de la biodiversité.
C'est pourquoi la France finalisera son réseau de 10 Parcs naturels marins et dépassera en 2016 son objectif de 20% de ses espaces marins protégés, avec l'extension de la réserve naturelle des Terres australes françaises, d'une surface égale à celle de notre pays.
La protection et la valorisation de la riche biodiversité océanique et de ses ressources halieutiques qui nourrissent la population mondiale et en font vivre une large part sont aussi le support de multiples activités économiques, contribuent à l'essor des énergies renouvelables et nous fourniront demain de nouvelles ressources, énergétiques, scientifiques et médicales qui permettront à la croissance bleue de déployer tout son potentiel.
Car l'océan et les écosystèmes marins sont aussi de formidables gisements d'emplois dès lors qu'ils sont en bonne santé, que la pêche y est durable et le transport maritime responsable, objectifs pour lesquels des coalitions d'acteurs motivés se sont formées lors du Sommet de Paris.
L'innovation scientifique et technologique, le développement de filières d'avenir et la création d'emplois ancrés dans les territoires constituent, comme je vous l'ai dit, le grand enjeu transversal et très concret de la loi dont nous allons débattre.
400.000 emplois dépendent aujourd'hui, toutes catégories confondues, de la croissance bleue et j'évalue à 500.000 le potentiel de création d'emplois nouveaux de la croissance verte.
A très court terme, les emplois directement liés à la protection et à la gestion de la biodiversité (dans les Parcs nationaux et régionaux, les aires protégées, etc.) atteindront le chiffre de 40.000.
Les différents métiers du secteur des jardins et paysages représentent aujourd'hui plus de 150.000 emplois sur un marché de 10 milliards d'euros.
Les activités fortement dépendantes de la biodiversité et de ses services écosystémiques (comme la pêche, l'agriculture, la sylviculture et la première transformation) pèsent 2 millions d'emplois.
Les emplois indirects induits par la protection et la valorisation de la biodiversité (tourisme, filière bois, cosmétiques ) se chiffrent à près de 5 millions.
Le secteur, en plein essor, du génie écologique regroupe déjà un demi-millier d'entreprises et réalise un chiffre d'affaire de l'ordre de 2 milliards d'euros.
Les travaux du 10ème programme des Agences de l'eau soutiennent en moyenne 70.000 emplois.
Je cite ces chiffres en vrac pour donner une idée du poids économique actuel de la biodiversité et plus encore du potentiel d'activités et d'emplois susceptibles d'être activé par sa préservation et sa mise en valeur.
Car l'avenir est là : dans le soutien à l'émergence des métiers de l'économie verte et bleue, dans le soutien à l'innovation dont le rythme s'accélère et où excellent de nombreuses entreprises françaises, grandes et petites.
C'est aussi ce tournant-là que la loi sur la biodiversité, la nature et les paysages doit permettre d'accélérer, d'amplifier et d'approfondir.
En facilitant la création d'un réseau de start ups et de PME à la pointe de l'ingénierie écologique.
En encourageant le développement et les applications du bio-mimétisme et de la bio-inspiration qui ont déjà à leur actif de formidables découvertes scientifiques et de belles réalisations industrielles dont, jusque dans notre vie quotidienne, les exemples abondent : des ailes des avions inspirées de celles des rapaces aux pare-brises qui, comme la feuille de nénuphar, ne retiennent pas l'eau, en passant par ces systèmes de climatisation naturelle calqués sur la circulation de l'air dans les termitières, ces bétons hyper-légers, résistants et compostables qui imitent le squelette des éponges calcaires ou ces scratch qui reproduisent les capacités adhésives des pattes du gecko.
Et le Centre européen d'excellence en biomimétisme de Senlis est le quartier général des chercheurs et des entrepreneurs qui se passionnent pour ces innovations écologiques de rupture et leurs marchés présents et à venir.
Robert Barbault avait raison : « la biodiversité est une véritable bibliothèque d'innovations auprès de laquelle les bibliothèques de nos pays ne représentent même pas un bout d'étagère ».
Autre passionnante nouvelle frontière : la chimie verte, affranchie des hydrocarbures, qui mise avec succès sur la nature et l'industrialisation des bioprocédés.
Le Programme des Investissements d'avenir soutient ces démarches.
Et l'appel à projets « Initiative PME Biodiversité 2015 », lancé dans le cadre de son action « Démonstrateurs de la transition écologique et énergétique », a rencontré un vif succès et permis de sélectionner 13 projets innovants qui bénéficient de 6,6 millions d'euros d'investissement et de 2,2 millions d'aides de l'Etat.
L'un utilise le bruit d'insectes destructeurs des palmiers pour mieux les localiser et les combattre.
L'autre crée une plate-forme de financement participatif de la biodiversité sylvicole.
D'autres ont conçu des systèmes de détection des chauve-souris ou des oiseaux migrateurs pour leur éviter les accidents à proximité des éoliennes.
D'autres ont mis au point des procédés de réhabilitation des sols stériles, d'étude et de dépollution des fonds marins, de partage des connaissances et de restauration de la biodiversité, etc.
Une nouvelle édition de cet appel à projets a été lancée pour 2016 afin de faciliter la structuration de nouvelles filières dans l'immense domaine des solutions s'inspirant de la nature, avec l'objectif de doubler, dans les PME, les emplois du secteur à l'horizon 2020.
Les Trophées de la Stratégie nationale de la biodiversité ont, eux aussi, permis de distinguer une douzaine de lauréats parmi lesquels, cette fois-ci, des groupes comme Air France pour son engagement dans les sciences participatives au service d'une meilleure connaissance de la biodiversité aéroportuaire, ou Véolia pour son soutien à une expédition de recherche et de sensibilisation sur la préservation des coraux, ou Eiffage pour son soutien à la recherche sur l'intégration du biomimétisme dans les domaines de l'architecture et de l'aménagement.
Cela ne vaut pas quitus pour l'ensemble de leurs pratiques mais c'est le signe d'une évolution.
J'ai vu, il y a une dizaine de jours à Las Vegas et dans la Silicon Valley, combien la créativité des entreprises française de la Green Tech séduisait et intéressait outre-Atlantique.
Les talents sont là.
L'imagination est là.
Les fonds publics sont là, avec notamment le Programme des Investissements d'avenir, la Banque publique d'investissement, la Caisse des Dépôts dont les financements ont un effet de levier sur les investissements privés.
La révolution écologique et numérique est en marche.
La loi sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages va lui donner une très forte impulsion.
Conclusion
Permettez-moi, pour conclure, deux remarques.
La première, c'est que, comme je vous l'ai dit, il s'agit de doter notre pays d'une loi d'action et de mobilisation de toutes ses forces vives (citoyens, associations, entreprises, territoires).
Une bonne loi est tout le contraire d'une usine à gaz : elle doit simplifier, clarifier, fixer le cap, mettre en place et optimiser des outils opérationnels.
C'est, avec ce texte, ma priorité.
C'est pourquoi j'ai voulu que les amendements gouvernementaux soient peu nombreux et pris l'initiative de réduire le plus possible le renvoi à des textes d'application, en particulier des décrets en Conseil d'Etat, ce qui va permettre une mise en pratique plus rapide des dispositions que vous adopterez.
C'est aussi pourquoi j'ai entendu vos demandes relatives aux articles d'habilitation à légiférer par ordonnances : je vous proposerai des amendements qui les suppriment en intégrant directement dans la loi les sujets sur lesquels elles devaient porter.
L'efficacité n'y perdra pas et la rapidité y gagnera.
Ma deuxième remarque, c'est que la biodiversité est aussi un bel enjeu démocratique car sa protection et sa valorisation supposent que tous les citoyens et toutes les générations joignent leurs forces, puissent contribuer à son observation (comme c'est le cas avec les sciences participatives et notamment le programme « 65 millions d'observateurs » piloté par le Muséum national d'histoire naturelle).
Elles supposent aussi que l'information soit mutualisée et accessible à tous, experts et profanes, que les décisions soient co-construites et non pas imposées d'en haut.
Dans un monde et en un temps où prévaut si souvent le sentiment de perdre prise, la biodiversité est une belle occasion de redonner à chacun un pouvoir d'agir pour améliorer concrètement et du même pas son environnement quotidien et l'état de la planète en contribuant à réparer et renforcer cette toile du vivant dont nous sommes parties intégrantes.
Hubert Reeves a coutume de dire que le temps presse mais que la bonne nouvelle, c'est que l'action est possible, si nous en avons la volonté et actionnons les bons leviers.
« Issus nous-mêmes de la biodiversité, dit-il aussi, utilisons sa stratégie : innovons ! ».
C'est la raison d'être du projet aujourd'hui soumis à votre discussion qui, j'en suis sûre, ne manquera pas de l'enrichir.
Je vous remercie.Source http://www.developpement-durable.gouv.fr, le 22 janvier 2016
Monsieur le Président (Hervé Maurey)
et Monsieur le Rapporteur au fond (Jérôme Bignon) de la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable,
Mesdames les Rapporteures de la Commission des affaires économiques (Sophie Primas) et de la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication (Françoise Férat),
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Je suis très heureuse de vous présenter aujourd'hui ce projet de loi relatif à la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages qui a pour ambition de donner un nouvel élan à la protection et à la valorisation de nos richesses naturelles en conférant force de loi au choix de ce nouveau modèle de développement, de société et à vrai dire de civilisation : agir non plus contre la nature mais avec elle et la traiter en partenaire dans une chaîne du vivant dont nous sommes à la fois tributaires et acteurs. Créer aussi ces emplois de la croissance verte et de la croissance bleue qui constituent, dans le monde d'aujourd'hui, notre nouvelle frontière.
Cette nouvelle alliance entre l'humanité et la nature est un renversement de perspective qu'ont amorcé, il y a 40 ans, la loi de 1976, première loi de portée globale sur la nature qui faisait de la protection des espèces et des espaces une cause d'intérêt général, puis en 1993 la loi Paysages que j'avais défendue devant votre Assemblée comme Ministre de l'Environnement, qui donnait une base législative à la création des parcs naturels régionaux et avait conduit à la labellisation des paysages et des produits de qualité, sans oublier, plus près de nous, les avancées de la réflexion à l'occasion du Grenelle de l'Environnement.
Permettez-moi de remercier votre Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, devant laquelle j'ai présenté ce texte en juin dernier et qui l'a minutieusement examiné en juillet, ainsi que vos 3 rapporteurs pour l'excellence de leurs travaux.
Et de rappeler qu'en 2007 déjà, deux de vos collègues, les sénateurs Pierre Laffitte et Claude Saunier, avaient déposé au nom de l'Office parlementaires d'évaluation des choix scientifiques et technologiques un fort intéressant rapport sur la biodiversité dont le titre, « L'autre choc ? L'autre chance ? » disait à la fois l'ampleur de l'altération des écosystèmes, l'urgence d'agir ainsi que le potentiel scientifique, technologique et économique de la diversité du vivant.
Le texte qui vous est soumis, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale en mars dernier puis retravaillé par votre Commission du développement durable, est aussi le fruit d'une implication active des ONG et de toutes les parties prenantes du Conseil national de la transition écologique que je remercie, elles aussi, pour leurs contributions et leur vigilance.
Il a également fait l'objet, à votre initiative, d'une consultation participative qui a suscité beaucoup d'intérêt, près de 2000 contributions et de 50.000 votes alimentant des amendements dont nous aurons l'occasion de débattre.
Ce projet s'inscrit, comme vous le soulignez à raison, M. Bignon, dans le même esprit que celui de la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte : la France se dote, avec ces deux textes complémentaires, du cadre législatif le plus avancé en Europe et au-delà car le plus complet et le plus volontariste.
Ensemble, ils donnent corps dans notre pays à cette avancée majeure et, pour la première fois explicite dans l'histoire des négociations internationales sur le climat : la reconnaissance du lien étroit entre changement climatique et biodiversité, la prise en compte des impacts du dérèglement climatique sur l'intégrité de tous les écosystèmes, terrestres et aquatiques, et la valorisation de la biodiversité comme solution d'atténuation et d'adaptation à la dérive du climat.
L'Agenda des Solutions qui a accompagné le Sommet de Paris et anticipe la mise en application de l'accord qui y a été adopté en témoigne également, qu'il s'agisse des nombreux événements programmés sur ce sujet ou des alliances et des coalitions internationales d'acteurs qui, sans attendre 2020, s'engagent à agir ici et maintenant.
Je pense, par exemple, au Pacte de Paris sur l'eau et l'adaptation au changement climatique dans les bassins versants des fleuves, des lacs et des aquifères, signé par plus de 305 organisations et 87 Etats.
Ou à la promotion, avec l'appui de l'UICN, des solutions fondées sur la nature comme celles que mettent déjà en place la Région Rhône Alpes avec la protection des forêts en libre évolution, la Polynésie avec ses grandes aires marines protégées, la Seine St Denis avec la restauration de ses milieux humides, le littoral aquitain pour la préservation de ses dunes, les îlots de fraîcheur créés à Orléans ou les mosaïques paysagères du Parc naturel régional des Alpilles.
Pour la première fois dans une COP Climat, l'océan, grand oublié des négociations internationales quoique régulateur climatique hors pair et immense réserve de biodiversité, a trouvé, grâce notamment à la mobilisation de la Plate-forme Océan et Climat, une place à la mesure du rôle vital de ses écosystèmes : j'y tenais et j'y ai veillé.
Il fera d'ailleurs, comme je l'ai demandé au Secrétaire général du GIEC, l'objet d'un rapport spécial qui servira de base aux négociations ultérieures.
S'agissant de la France, nous avions, Alain Vidalies et moi-même, installé dès le mois de janvier de l'année dernière le Comité national de suivi de la Stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte, co-présidé par deux élues de Gironde et de Guyane car ce phénomène d'érosion côtière concerne non seulement les rivages ultra-marins mais aussi le littoral atlantique.
La France s'est également engagée à protéger 55.000 hectares de ses mangroves d'ici 2020 et 75% de ses récifs coralliens d'ici 2021, ces écosystèmes fragilisés par le dérèglement climatique et les pollutions, qui remplissent pourtant des fonctions décisives de nurserie pour la faune aquatique, d'épuration des eaux, de captation du carbone et d'adaptation aux impacts climatiques.
La COP 21 a accéléré la prise de conscience des enjeux de la biodiversité et de leurs relations avec la question climatique Elle a témoigné d'une volonté d'agir inédite.
Tel est le nouveau contexte dans lequel s'inscrit le projet dont nous allons débattre : un contexte marqué par l'urgence car les activités humaines détruisent la biodiversité à un rythme et à une échelle qui ne lui permettent pas de se régénérer mais un contexte dans lequel, comme pour le climat, prévaut de plus en plus la conviction que l'inaction est plus coûteuse que l'action et que le temps est venu de ce que votre rapporteur appelle à juste titre « un changement de paradigme ».
I.- L'urgence d'agir
La biodiversité est un mot encore jeune : créé par des écologues en 1985, il est sorti du sérail des laboratoires en 1992, lors du Sommet de la Terre à Rio, auquel je participais comme Ministre de l'Environnement, pour désigner une réalité aussi ancienne que la vie sur terre, depuis toujours caractérisée par la diversité du vivant et par l'interdépendance de ses composantes dont nous, les humains, faisons partie et dont dépend notre survie.
Pas celle de la planète qui s'est longtemps passée de nous et nous survivrait à coup sûr alors que l'espèce humaine, elle, ne peut se passer de la nature.
Certains experts parlent d'une 6ème extinction de masse.
Un rapport de l'Agence européenne estime que 60 % des espèces sont en situation défavorable en Europe où, en 30 ans, 420 millions d'oiseaux ont disparu.
Je n'accumulerai pas ici les chiffres : votre rapporteur cite les plus frappants qui donnent la mesure de l'érosion accélérée, due aux activités humaines, d'une biodiversité pourtant vitale et de sa cadence qui excède de beaucoup les capacités de régénération de la nature.
Lors des épisodes précédents, dont le dernier remonte à 65 millions d'années et emporta, entre autres, les dinosaures, la biosphère est toujours repartie de l'avant à partir d'un petit nombre d'espèces survivantes.
Mais la question désormais posée est de savoir, à ce rythme qui dépasse de beaucoup celui de la sélection naturelle, si l'humanité fera à terme partie du lot.
« Nous coupons, nous prévient Hubert Reeves, la branche sur laquelle nous sommes assis : c'est nous qui sommes désormais dans le colimateur de cette destruction ».
La reconquête de la biodiversité est aujourd'hui impérative, « elle est aussi possible, ajoute-t-il, mais elle nécessite la mobilisation de tous les acteurs, publics et privés, à toutes les échelles ».
C'est l'ambition de ce projet de loi et des plans d'action qui l'accompagnent : faire de l'urgence une chance en rétablissant avec la nature des relations non seulement harmonieuses mais fructueuses, bonnes pour la santé, bonnes pour l'innovation et bonnes pour l'emploi.
Protéger et valoriser notre capital naturel pour faire de la France le pays de l'excellence environnementale, tel est l'objectif.
Notre pays est l'un des plus riches au monde en merveilles de la nature, dans l'Hexagone et tout particulièrement dans les outre-mer français qui concentrent plus de 80% de la biodiversité nationale : N°1 européen pour la variété de ses amphibiens, oiseaux et mammifères et parmi les 10 pays du monde qui abritent le plus grand nombre d'espèces, 2ème domaine maritime de la planète,
N°4 mondial pour ses récifs coralliens.
Mais aussi, selon la liste de l'Union internationale pour la conservation de la nature, au 6ème rang des pays abritant le plus grand nombre d'espèces menacées.
La loi qui vous est soumise est une loi de mobilisation qui inscrit dans notre droit positif des grands principes opérationnels, qui clarifie et simplifie pour plus d'efficacité, qui crée avec l'Agence française de la biodiversité un outil d'expertise et de pilotage unique au monde (dont je puis vous dire qu'il est regardé avec grand intérêt par nombre de mes collègues Ministres de l'Environnement en Europe).
Elle s'accompagne d'actions concrètes qui en préfigurent les dispositions et vont en approfondir la dynamique.
Bien sûr, au fil des ans, la France s'est dotée de moyens de protection de sa biodiversité et de ses paysages.
Certains, comme le Conservatoire du littoral, les parcs nationaux et régionaux, les parcs marins ou les grands sites nous ont permis d'enregistrer des progrès mais, face à la pression croissante des activités humaines, cela reste insuffisant pour enrayer la dégradation de notre patrimoine naturel et tirer pleinement partie de son potentiel sans l'épuiser.
II.- Solidarité, responsabilité, équité :
3 valeurs majeures de la biodiversité à inscrire dans notre Code l'Environnement, 3 principes pour agir.
1er principe : la solidarité écologique, fondée sur la prise en compte des écosystèmes et des innombrables services vitaux qu'ils nous rendent dans des domaines aussi variés que l'agriculture et la régénération des sols, la régulation climatique et la protection de nos littoraux, la qualité de l'air et de l'eau, la pollinisation, les médicaments et bien d'autres choses encore.
La solidarité écologique, c'est la reconnaissance des interactions multiples de ces écosystèmes car la biodiversité, c'est bien plus qu'une collection d'espèces ou une juxtaposition d'espaces : c'est le tissu vivant de la planète au sein duquel tout se tient et se soutient.
Il ne s'agit donc pas de mettre la nature sous cloche mais de préserver les capacités d'évolution et d'adaptation du vivant qui constituent « notre assurance sur la vie elle-même » :
- en renforçant et en étendant ce qui a fait ses preuves ;
- en simplifiant et en clarifiant, pour plus d'efficacité, ce qui s'est additionné au fil du temps au détriment de la cohérence et de la lisibilité ;
- en créant des outils capables de fédérer toutes les énergies et de mobiliser tous les acteurs.
Pour illustrer ces interdépendances de toutes les composantes de la toile du vivant, je trouve très parlante cette image que j'emprunte à un pionnier de l'approche écosystémique de la biodiversité qu'il comparait à un pull-over : une maille qui saute, ça ne semble pas gênant, mais une maille entraîne l'autre et quand l'effilochage s'accélère, on se rend compte de l'importance de chaque maille et de ses relations avec toutes les autres.
2ème principe opérationnel : « Eviter, Réduire, Compenser », qui met l'accent sur l'action préventive et sur la notion de valeur écologique : anticiper plutôt que réparer après coup, intégrer les enjeux de la biodiversité et les impacts sur l'environnement en amont des projets d'aménagement.
L'ordre des priorités est clairement indiqué et l'obligation de compenser n'est pas un permis de détruire mais au contraire une obligation de responsabilité.
D'où d'ailleurs l'importance d'une élaboration partenariale et participative des politiques publiques et privées qui est une condition de leur efficacité, en cohérence avec le chantier sur la modernisation et la démocratisation du dialogue environnemental.
D'où, aussi, l'importance de la mise en mouvement des territoires autour des continuités écologiques, des trames vertes et bleues dont toutes les Régions doivent se doter et de l'aménagement durable du territoire qui doit devenir la manière de faire s'imposant à tous les opérateurs.
3ème principe, lui aussi opérationnel : « Innover sans piller » pour soutenir l'innovation ainsi que les emplois de la croissance verte et bleue en érigeant contre la biopiraterie un principe de justice qui fonde le partage équitable des avantages tirés des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles, pour le bénéfice mutuel des habitants et des territoires directement concernés, de la recherche scientifique et de ses prolongements industriels et commerciaux dans les secteurs comme celui de l'agro-alimentaire, des cosmétiques ou de la pharmacie.
Certaines entreprises françaises ont commencé à le faire.
La Polynésie française, la Province Sud de la Nouvelle Calédonie et le Parc amazonien de Guyane ont mis en place avec profit de tels systèmes sur leurs territoires qui comptent parmi les « points chauds » de la planète.
Les contreparties peuvent être des avantages en nature (formation, mise à disposition gratuite d'études scientifiques, recrutements locaux ) voire le cas échéant financiers.
Je vous proposerai d'ailleurs une disposition qui permettra de s'assurer qu'aucun dépôt intempestif de brevet ne vienne limiter l'accès à des ressources dont il s'agit de partager les bénéfices.
III. L'Agence française de la biodiversité
Trop d'instances, je l'ai dit, se sont additionnées au fil du temps.
Le projet de loi en réunit les missions et en simplifie les structures avec la création :
- d'une seule instance d'expertise scientifique, le Conseil national de la protection de la nature
- et d'une instance de débat qui rassemblera toutes les parties prenantes, le Comité national de la biodiversité, flanqué de Comités régionaux dans les outre-mer où les enjeux de la biodiversité sont stratégiques comme l'a notamment souligné le Message de la Guadeloupe adopté en 2014 lors de la Conférence internationale sur la biodiversité et le changement climatique et comme l'ont souhaité à juste titre les élus ultra-marins.
Innovation majeure et outil très attendu : l'Agence française de la biodiversité que crée le texte qui vous est soumis.
C'était un engagement du Président de la République lors de la Conférence environnementale 2014 et une forte demande des ONG.
Pour qu'elle puisse être opérationnelle dès la promulgation de la loi, j'ai installé dès octobre 2014 une mission de préfiguration dirigée par Olivier Larroussinie, à laquelle Hubert Reeves a accepté de donner son parrainage, actif et vigilant, et Gilles Boeuf son conseil scientifique.
Cette mission a travaillé d'arrache-pied pour que l'Agence soit en mesure d'exercer, dès sa création, les missions qui lui incombent en matière :
- d'appui technique, de conseil et d'expertise pour tous les acteurs de la biodiversité ;
- de mobilisation des moyens nécessaires aux politiques en faveur de la biodiversité terrestre, marine et aquatique ;
- de gestion des aires protégées et d'appui aux missions de police de l'eau ;
- de formation initiale et continue ;
- de référence et de représentation dans les instances européennes et internationales.
J'ai réuni en février dernier un atelier sur la déclinaison dans les outre-mer des objectifs de la future Agence.
Un séminaire avec tous les partenaires de l'Agence s'est tenu les 22 et 23 mai à Strasbourg dans le cadre d'une démarche de co-construction à laquelle je suis très attachée, et qui a témoigné d'une ambition partagée par tous.
Les professionnels de la biodiversité ont été étroitement associés à la réflexion sur les services attendus de l'Agence, notamment lors des Assises de la biodiversité qui se sont tenues à Dijon les 10 et 11 juin.
Ces bases ont été formalisées dans le rapport qui m'a été rendu le 25 juin puis dans le complément relatif aux déclinaisons de l'Agence dans les outre-mer qui m'a été remis en juillet. L'Agence bénéficiera de 60 millions d'euros qui s'ajouteront à son budget de l'ordre de 230 millions d'euros au titre des investissements d'avenir car la biodiversité est, à proprement parler, un investissement d'avenir.
Elle regroupera l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, le groupement d'intérêt public Atelier technique des espaces naturels, l'Agence des aires marines protégées, l'établissement public des Parcs nationaux de France, avec la mise en place de services communs assurés par l'Agence.
Elle privilégiera une logique de réseaux avec des organismes intégrés, des organismes rattachés et d'autres avec lesquels elle passera des conventions de partenariat (comme le Muséum national d'histoire naturelle, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, l'IFREMER, le Centre d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement.
J'ai bien entendu que nombre d'ONG et certains d'entre vous auraient souhaité que l'ONCFS y soit intégré au même titre que l'ONEMA mais j'ai la conviction qu'une bonne contractualisation des relations de l'Office avec l'Agence ainsi que le rapprochement des équipes dans l'action et sur le terrain permettront de dépasser les blocages institutionnels et créeront une dynamique plus positive j'y serai très attentive que ne l'aurait fait une fusion autoritairement imposée qui aurait, de surcroît, ralenti le processus.
Je crois davantage au pouvoir d'entraînement des incitations et des dynamiques collectives qu'à celui des contraintes qui braquent inutilement et souvent paralysent.
Je crois que, chemin faisant et en travaillant ensemble sur des projets partagés, l'hybridation se fera de manière plus pragmatique et plus sereine, pour le plus grand bénéfice de la biodiversité.
Cette Agence sera le fer de lance d'une politique volontariste, mobilisatrice, à la fois protectrice et innovante, en liens étroits avec tous les territoires.
Elle donnera une meilleure lisibilité à la stratégie française, décloisonnera les politiques de l'eau et de la biodiversité terrestre et marine afin de mettre à la disposition des acteurs un instrument intégré capable d'appuyer pleinement leur action.
Elle sera aussi le lieu d'une expérimentation inédite des relations entre l'Etat et les collectivités, avec une forme d'organisation très souple à adapter aux niveaux régional et départemental, selon les territoires et la nature de leurs projets relatifs à la biodiversité.
C'est d'ailleurs pourquoi, parmi les amendements gouvernementaux que je vous présenterai et que j'ai voulus peu nombreux, je vous proposerai une rédaction plus souple qui permettra l'adoption, Région par Région, d'un dispositif particulier sur mesure, en fonction des demandes des nouveaux exécutifs régionaux.
Cette manière innovante d'organiser les relations entre l'Etat et les Régions pourra, qui sait, faire école pour les politiques publiques conduites dans d'autres secteurs
Je vous proposerai également un amendement corrigeant une disposition de la loi de modernisation de l'action publique qui affecte aux communes la compétence de gestion des eaux, des milieux aquatiques et de la prévention des inondations car elle ne permet pas aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale qui ont transféré leurs compétences à un syndicat ou un établissement public de lever la taxe qui a été instaurée.
Il s'agit simplement là de supprimer un frein inutile et de rendre plus cohérente notre organisation territoriale.
Je tiens à souligner que toutes les collectivités sont concernées par les objectifs de ce projet de loi et les outils qu'il met en place.
Les Départements jouent à ce titre un rôle important avec la gestion des espaces naturels sensibles.
Je sais que nombre d'entre vous connaissez très bien ces questions et avez à coeur d'approfondir les liens à venir entre l'Agence et ces espaces.
L'élargissement du champ de compétences des Agences de l'eau à la biodiversité et au milieu marin va permettre de mieux intégrer l'ensemble des acteurs des territoires dans la mise en oeuvre des politiques publiques, de faire évoluer leur gouvernance et de tenir compte des remarques de la Cour des Comptes en matière de transparence et de prévention des conflits.
IV.- Paysages
Les paysages, leur protection et leur valorisation, constituent également un axe important de ce projet de loi.
C'est, là aussi, un sujet auquel je suis de longue date attachée.
Il est aujourd'hui possible d'aller plus loin en englobant dans une action vigoureuse, au-delà de nos sites remarquables, les paysages du quotidien qui concernent directement la qualité de vie des Français et contribuent si puissamment à forger l'image de la France.
Pays parmi les plus visités du monde pour la qualité et la diversité de ses paysages, la France se doit d'être exemplaire dans leur gestion.
Nous aurons l'occasion de débattre plus en détail de l'articulation entre l'inscription et le classement mais une chose est sûre : ce projet de loi donne aux territoires les moyens de renforcer la prise en compte de leur qualité paysagère.
Le paysage, c'est l'environnement de tous les jours, un facteur de santé, de bien-être et d'équilibre, une composante essentielle de l'attractivité de la France et une dimension fondamentale de l'économie touristique, un gisement d'emplois et de métiers traditionnels et nouveaux : autant de raisons de prendre mieux soin de ce capital paysager qui est le bien commun des Français et auquel ils sont très sensibles car une part de notre histoire et de notre identité communes s'y rattache.
C'est d'ailleurs pourquoi je me réjouis que, désormais, les journées annuelles du patrimoine allient ses deux dimensions, naturelle et culturelle, entre lesquelles la frontière est loin d'être étanche.
Je remettrai prochainement, le 3 février, le Grand Prix des Paysages que j'ai relancé dès mon arrivée à la tête du Ministère de l'Ecologie au fronton duquel j'ai inscrit cette année ces mots de Gilles Clément, jardinier, botaniste et poète, qui nous appelle chacun à prendre soin ensemble du jardin planétaire et à en partager les beautés.
V.- Biodiversité et Santé
Je sais qu'à certains, la biodiversité apparaît encore comme un terme un peu abstrait et quelque chose de complexe, bien que la COP 21 ait contribué à en rendre les enjeux plus compréhensibles et plus sensibles, ce que, je l'espère, va poursuivre la loi dont nous commençons aujourd'hui la discussion.
La biodiversité, c'est pourtant très concret et ça concerne directement la santé de chacun car une nature malmenée par le dérèglement climatique et les pollutions, ce sont aussi des risques sanitaires accrus.
Ce projet de loi intègre la relation entre la santé et le bon état de la biodiversité, par exemple en facilitant le recours au traitement naturel de l'eau et en interdisant le rejet en mer des eaux de ballast non traités.
Le génie écologique protège la santé en promouvant l'utilisation de solutions fondées sur la nature qui préviennent le développement de maladies transmises par des vecteurs biologiques (moustiques, tiques, etc.) et en agissant sur le maintien des équilibres entre espèces.
Ce sont d'ailleurs des démarches encouragées par le Plan Santé-Environnement 2015-2019.
Le texte qui vous est soumis ainsi que les plans d'action qui l'ont anticipé et l'accompagnent en 2016 se fixent des objectifs de santé publique, à travers notamment la réduction de l'utilisation des pesticides :
- en développant des alternatives aux pesticides (c'est possible comme le montre la remise des 50 premiers labels « Terre saine, commune sans pesticides ») ;
- en mettant en place, comme il va en être donné instruction aux préfets, des périmètres d'interdiction d'épandage autour des écoles et des lieux sensibles, conformément aux recommandations de la dernière Conférence environnementale, première étape vers le bannissement des pesticides de tous les espaces publics puis des jardins des particuliers.
Même objectif avec la restauration de la qualité écologique des eaux marines, la réduction des déchets et polluants qui contaminent le milieu marin. Dès 2016, les sacs plastiques à usage unique seront supprimés aux caisses et début 2017, la distribution de sacs plastiques non biodégradables sera interdite.
Car non seulement ils défigurent nos paysages mais les micro-déchets de plastique passent au travers des systèmes d'épuration, attirent et déplacent sur de longues distances microbes et virus, contaminent toute la chaîne alimentaire.
Même objectif, encore, avec le soutien au développement d'un couvert végétal sain qui limite l'expansion de l'ambroisie, cette plante envahissante dont le pollen provoque des allergies.
Ou encore avec le soutien apporté aux jardins thérapeutiques en milieu hospitalier et aux bienfaits des contacts avec la nature pour les convalescences mais aussi les apprentissages scolaires et, plus largement, l'équilibre et l'épanouissement de chacun.
Développer, parmi les solutions s'inspirant de la nature pour lutter contre le changement climatique et restaurer la biodiversité, les mares, les haies, les bosquets qui captent la pollution, le mécanisme des obligations réelles environnementales ou les espaces de continuité écologique, c'est aussi mieux protéger la santé.
Certaines de ces dispositions figurent dans le projet qui vous est soumis, d'autres ont été intégrées à la loi cousine relative à la transition énergétique ou font l'objet d'appels à projets comme celui sur les « Territoires zéro déchet, zéro gaspillage » : tous mettent la santé au coeur de la mutation écologique dans laquelle notre pays a choisi de s'engager.
VI.- Actions d'accompagnement de la loi
Je présenterai demain au Conseil des Ministres l'ensemble des actions qui accompagnent le projet de loi sur la biodiversité.
J'en ai évoqué quelques-unes. Permettez-moi d'en citer quelques autres :
- Dans les 212 Territoires à énergie positive pour la croissance verte, la 2ème vague des appels à projets que j'ai lancée aujourd'hui met l'accent sur leur mobilisation pour la biodiversité comme, par exemple : la réalisation d'atlas de la biodiversité communale élaborés avec les écoles et les habitants afin de recenser les espèces remarquables locales pour mieux les faire connaître et mieux les protéger.
Ou la mise en place de ruchers municipaux et la protection des pollinisateurs (parallèlement à l'accélération du Plan national « France, terre de pollinisateurs » qui fixe un objectif d'installation de 1000 ruchers locaux et de développement de couverts végétaux favorables aux pollinisateurs).
Ou encore la restauration de trames vertes et bleues, le retour de la nature en ville.
J'y joute le développement de l'éducation à l'environnement dans le cadre de laquelle le Ministère de l'Écologie accompagne 2000 écoles des Territoires à énergie positive pour qu'elles mettent en place en 2016 un « coin nature » et les écoles volontaires pour la création d'aires marines éducatives, une démarche venue de la Polynésie française avec laquelle j'ai signé un accord de partenariat lors de la COP 21.
A l'occasion de la Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique qui se tiendra en décembre 2016, la Stratégie nationale de la biodiversité est relancée et son caractère inter-ministériel affirmé.
Je propose également que la France se positionne pour accueillir la Conférence des parties de 2020, qui tirera le bilan des objectifs fixés à Nagoya 10 ans plus tôt et définira des objectifs actualisés.
VII.- Innover pour créer les emplois de la croissance verte et de la croissance bleue : le grand enjeu transversal de la loi sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
Je l'ai gardé pour la fin mais j'aurais pu commencer par lui tant est majeur ce grand objectif transversal de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages : innover avec la nature pour créer les emplois de la croissance verte et de la croissance bleue.
J'ai évoqué l'importance de l'océan, thermostat de la planète, au regard du climat et de la biodiversité.
C'est pourquoi la France finalisera son réseau de 10 Parcs naturels marins et dépassera en 2016 son objectif de 20% de ses espaces marins protégés, avec l'extension de la réserve naturelle des Terres australes françaises, d'une surface égale à celle de notre pays.
La protection et la valorisation de la riche biodiversité océanique et de ses ressources halieutiques qui nourrissent la population mondiale et en font vivre une large part sont aussi le support de multiples activités économiques, contribuent à l'essor des énergies renouvelables et nous fourniront demain de nouvelles ressources, énergétiques, scientifiques et médicales qui permettront à la croissance bleue de déployer tout son potentiel.
Car l'océan et les écosystèmes marins sont aussi de formidables gisements d'emplois dès lors qu'ils sont en bonne santé, que la pêche y est durable et le transport maritime responsable, objectifs pour lesquels des coalitions d'acteurs motivés se sont formées lors du Sommet de Paris.
L'innovation scientifique et technologique, le développement de filières d'avenir et la création d'emplois ancrés dans les territoires constituent, comme je vous l'ai dit, le grand enjeu transversal et très concret de la loi dont nous allons débattre.
400.000 emplois dépendent aujourd'hui, toutes catégories confondues, de la croissance bleue et j'évalue à 500.000 le potentiel de création d'emplois nouveaux de la croissance verte.
A très court terme, les emplois directement liés à la protection et à la gestion de la biodiversité (dans les Parcs nationaux et régionaux, les aires protégées, etc.) atteindront le chiffre de 40.000.
Les différents métiers du secteur des jardins et paysages représentent aujourd'hui plus de 150.000 emplois sur un marché de 10 milliards d'euros.
Les activités fortement dépendantes de la biodiversité et de ses services écosystémiques (comme la pêche, l'agriculture, la sylviculture et la première transformation) pèsent 2 millions d'emplois.
Les emplois indirects induits par la protection et la valorisation de la biodiversité (tourisme, filière bois, cosmétiques ) se chiffrent à près de 5 millions.
Le secteur, en plein essor, du génie écologique regroupe déjà un demi-millier d'entreprises et réalise un chiffre d'affaire de l'ordre de 2 milliards d'euros.
Les travaux du 10ème programme des Agences de l'eau soutiennent en moyenne 70.000 emplois.
Je cite ces chiffres en vrac pour donner une idée du poids économique actuel de la biodiversité et plus encore du potentiel d'activités et d'emplois susceptibles d'être activé par sa préservation et sa mise en valeur.
Car l'avenir est là : dans le soutien à l'émergence des métiers de l'économie verte et bleue, dans le soutien à l'innovation dont le rythme s'accélère et où excellent de nombreuses entreprises françaises, grandes et petites.
C'est aussi ce tournant-là que la loi sur la biodiversité, la nature et les paysages doit permettre d'accélérer, d'amplifier et d'approfondir.
En facilitant la création d'un réseau de start ups et de PME à la pointe de l'ingénierie écologique.
En encourageant le développement et les applications du bio-mimétisme et de la bio-inspiration qui ont déjà à leur actif de formidables découvertes scientifiques et de belles réalisations industrielles dont, jusque dans notre vie quotidienne, les exemples abondent : des ailes des avions inspirées de celles des rapaces aux pare-brises qui, comme la feuille de nénuphar, ne retiennent pas l'eau, en passant par ces systèmes de climatisation naturelle calqués sur la circulation de l'air dans les termitières, ces bétons hyper-légers, résistants et compostables qui imitent le squelette des éponges calcaires ou ces scratch qui reproduisent les capacités adhésives des pattes du gecko.
Et le Centre européen d'excellence en biomimétisme de Senlis est le quartier général des chercheurs et des entrepreneurs qui se passionnent pour ces innovations écologiques de rupture et leurs marchés présents et à venir.
Robert Barbault avait raison : « la biodiversité est une véritable bibliothèque d'innovations auprès de laquelle les bibliothèques de nos pays ne représentent même pas un bout d'étagère ».
Autre passionnante nouvelle frontière : la chimie verte, affranchie des hydrocarbures, qui mise avec succès sur la nature et l'industrialisation des bioprocédés.
Le Programme des Investissements d'avenir soutient ces démarches.
Et l'appel à projets « Initiative PME Biodiversité 2015 », lancé dans le cadre de son action « Démonstrateurs de la transition écologique et énergétique », a rencontré un vif succès et permis de sélectionner 13 projets innovants qui bénéficient de 6,6 millions d'euros d'investissement et de 2,2 millions d'aides de l'Etat.
L'un utilise le bruit d'insectes destructeurs des palmiers pour mieux les localiser et les combattre.
L'autre crée une plate-forme de financement participatif de la biodiversité sylvicole.
D'autres ont conçu des systèmes de détection des chauve-souris ou des oiseaux migrateurs pour leur éviter les accidents à proximité des éoliennes.
D'autres ont mis au point des procédés de réhabilitation des sols stériles, d'étude et de dépollution des fonds marins, de partage des connaissances et de restauration de la biodiversité, etc.
Une nouvelle édition de cet appel à projets a été lancée pour 2016 afin de faciliter la structuration de nouvelles filières dans l'immense domaine des solutions s'inspirant de la nature, avec l'objectif de doubler, dans les PME, les emplois du secteur à l'horizon 2020.
Les Trophées de la Stratégie nationale de la biodiversité ont, eux aussi, permis de distinguer une douzaine de lauréats parmi lesquels, cette fois-ci, des groupes comme Air France pour son engagement dans les sciences participatives au service d'une meilleure connaissance de la biodiversité aéroportuaire, ou Véolia pour son soutien à une expédition de recherche et de sensibilisation sur la préservation des coraux, ou Eiffage pour son soutien à la recherche sur l'intégration du biomimétisme dans les domaines de l'architecture et de l'aménagement.
Cela ne vaut pas quitus pour l'ensemble de leurs pratiques mais c'est le signe d'une évolution.
J'ai vu, il y a une dizaine de jours à Las Vegas et dans la Silicon Valley, combien la créativité des entreprises française de la Green Tech séduisait et intéressait outre-Atlantique.
Les talents sont là.
L'imagination est là.
Les fonds publics sont là, avec notamment le Programme des Investissements d'avenir, la Banque publique d'investissement, la Caisse des Dépôts dont les financements ont un effet de levier sur les investissements privés.
La révolution écologique et numérique est en marche.
La loi sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages va lui donner une très forte impulsion.
Conclusion
Permettez-moi, pour conclure, deux remarques.
La première, c'est que, comme je vous l'ai dit, il s'agit de doter notre pays d'une loi d'action et de mobilisation de toutes ses forces vives (citoyens, associations, entreprises, territoires).
Une bonne loi est tout le contraire d'une usine à gaz : elle doit simplifier, clarifier, fixer le cap, mettre en place et optimiser des outils opérationnels.
C'est, avec ce texte, ma priorité.
C'est pourquoi j'ai voulu que les amendements gouvernementaux soient peu nombreux et pris l'initiative de réduire le plus possible le renvoi à des textes d'application, en particulier des décrets en Conseil d'Etat, ce qui va permettre une mise en pratique plus rapide des dispositions que vous adopterez.
C'est aussi pourquoi j'ai entendu vos demandes relatives aux articles d'habilitation à légiférer par ordonnances : je vous proposerai des amendements qui les suppriment en intégrant directement dans la loi les sujets sur lesquels elles devaient porter.
L'efficacité n'y perdra pas et la rapidité y gagnera.
Ma deuxième remarque, c'est que la biodiversité est aussi un bel enjeu démocratique car sa protection et sa valorisation supposent que tous les citoyens et toutes les générations joignent leurs forces, puissent contribuer à son observation (comme c'est le cas avec les sciences participatives et notamment le programme « 65 millions d'observateurs » piloté par le Muséum national d'histoire naturelle).
Elles supposent aussi que l'information soit mutualisée et accessible à tous, experts et profanes, que les décisions soient co-construites et non pas imposées d'en haut.
Dans un monde et en un temps où prévaut si souvent le sentiment de perdre prise, la biodiversité est une belle occasion de redonner à chacun un pouvoir d'agir pour améliorer concrètement et du même pas son environnement quotidien et l'état de la planète en contribuant à réparer et renforcer cette toile du vivant dont nous sommes parties intégrantes.
Hubert Reeves a coutume de dire que le temps presse mais que la bonne nouvelle, c'est que l'action est possible, si nous en avons la volonté et actionnons les bons leviers.
« Issus nous-mêmes de la biodiversité, dit-il aussi, utilisons sa stratégie : innovons ! ».
C'est la raison d'être du projet aujourd'hui soumis à votre discussion qui, j'en suis sûre, ne manquera pas de l'enrichir.
Je vous remercie.Source http://www.developpement-durable.gouv.fr, le 22 janvier 2016