Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale (nos 3473, 3515, 3510).
(Présentation)
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, madame et monsieur les rapporteurs, messieurs les ministres, mesdames et messieurs les députés, le premier projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter est destiné à renforcer la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et à renforcer l'efficacité et les garanties de la procédure pénale. Il a été annoncé par le Président de la République devant le Congrès, le 16 novembre dernier, pour être un outil qui améliore singulièrement l'efficacité et les garanties de la procédure pénale et pour être tout à la fois une arme contre la menace et un bouclier pour nos libertés fondamentales.
C'est la raison pour laquelle cette entreprise est polyphonique. Les ministres de l'intérieur et de l'économie vont en effet, dans quelques minutes, présenter les parties du texte dont ils assument la responsabilité directe. Il va donc de soi que je me limiterai, dans ce propos introductif, aux dimensions qui concernent le ministère de la justice.
Pour ce ministère, que j'ai l'honneur d'animer, ce projet de loi s'inscrit dans le cadre d'un chantier très ancien, qui remonte à plus d'un an. En effet, comme j'ai eu l'occasion de le dire devant votre commission des lois le 10 février, il s'est nourri d'un profond travail de réflexion mené par trois hauts magistrats comptant parmi les plus respectés le procureur général près la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, qui a remis en novembre 2013 un rapport sur le ministère public, le procureur général Jacques Beaume, dont les travaux, remis en juillet 2014, portaient sur l'enquête pénale, et le procureur général Marc Robert, qui a travaillé sur la cybercriminalité et dont les préconisations furent remises à Christiane Taubira en septembre 2015.
Les conclusions de ces trois rapports s'accordent pour préconiser de simplifier les procédures tout en accroissant les garanties des justiciables. Toute la partie du texte qui relève de mon autorité s'organise donc autour de cette double ambition.
Les travaux de votre commission ont démontré que nous partagions ce souhait, et j'ai été heureux de le constater. Certes, cela s'est traduit par un doublement du texte partis de trente-quatre articles à l'origine, nous devons maintenant en étudier soixante-sept , mais cet accroissement est parfaitement justifié.
D'une part, en effet, vous avez limité le plus possible la part des habilitations données au Gouvernement pour légiférer par ordonnance il n'en reste d'ailleurs plus qu'une seule qui concerne le ministère de la Justice , ce dont le Gouvernement se félicite. D'autre part, vous avez très légitimement réintroduit une partie des dispositions déjà adoptées par l'Assemblée nationale, puis jugées inappropriées par le Conseil constitutionnel, dans le texte portant diverses dispositions d'adaptation de notre droit pénal au droit de l'Union européenne dont M. Dominique Raimbourg, aujourd'hui président de la commission des lois, était alors l'excellent rapporteur. Le Gouvernement se félicite donc de ces ajouts, qu'il estime très utiles.
J'en profite pour saluer l'important travail conduit par vos deux rapporteurs, Pascal Popelin et Colette Capdevielle, ainsi que par le rapporteur pour avis de la commission des finances, M. Yann Galut, sous la responsabilité de Dominique Raimbourg, président de la commission des lois.
À ces félicitations, je veux naturellement ajouter celles que méritent les contributions décisives apportées, lors de vos travaux, par Yves Goasdoué, Cécile Untermaier et Elisabeth Pochon pour le groupe SRC, Georges Fenech, Patrick Devedjian et Philippe Goujon pour le groupe Les Républicains, Jean-Christophe Lagarde et Michel Zumkeller pour le groupe UDI, Alain Tourret pour le groupe RRDP et Sergio Coronado pour le groupe des Écologistes. À étudier la liasse imposante des amendements, je ne doute pas que d'autres parlementaires, comme Guillaume Larrivé, Sébastien Pietrasanta, Éric Ciotti, Philippe Houillon ou Pierre Morel-A-L'Huissier, sauront apporter, dans nos échanges, leur contribution déterminante.
J'en profite d'ailleurs pour souligner que, conformément à la doctrine de la commission, dont je connais la sévérité, je n'ai pas souhaité que le Gouvernement dépose des amendements visant à créer des articles additionnels entre vos travaux en commission et notre séance de ce jour. Les seuls amendements que nous déposons visent donc soit à revenir à l'écriture initiale du texte car les évolutions apportées nous semblent tout à fait discutables , soit à préciser des modifications enregistrées, soit à répondre aux interrogations émises par la commission des lois.
L'ambition essentielle du texte est donc, du moins pour la partie qui concerne la justice, la simplification. En effet, comme nous le savons tous et l'entendons souvent, les enquêteurs et les magistrats, notamment ceux du Parquet et de l'instruction, sont accaparés par trop de contraintes procédurales.
M. Yann Galut, rapporteur pour avis de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire. C'est vrai !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Les rapports que j'ai évoqués rappellent que beaucoup d'entre elles n'apportent rien au justiciable ou à la sauvegarde des libertés et, dans tous les cas, ces lourdeurs rendent notre procédure incohérente et incompréhensible pour nos concitoyens, lesquels finissent par l'estimer, à tort, déconnectée de la réalité. Pis encore, elles peuvent même finir par créer une insécurité juridique démobilisatrice. En tout état de cause, elles gaspillent un temps précieux, qui pourrait être consacré à l'examen des dossiers.
Ce texte donne donc l'occasion de combattre cette situation. Il ne suffira pas à lui seul, mais j'ai bien l'intention, par tous les moyens législatifs ou réglementaires, d'y revenir dans les prochains mois.
Concrètement, dans ce texte, nous ouvrons déjà, par exemple, la possibilité de faire procéder à la convocation en justice par le délégué du procureur. Cela fera gagner plusieurs mois en évitant une nouvelle transmission du dossier aux enquêteurs pour convocation de l'intéressé, leur permettant ainsi de se concentrer sur leur travail d'enquête.
Nous étendons la possibilité de recourir à la visioconférence pour limiter les transfèrements de personnes détenues lorsque ce n'est pas nécessaire. Ce sera un gain notable de coût et de temps de travail pour les forces de sécurité, qui n'auront plus à organiser des escortes.
Nous simplifions la possibilité, en matière de peines, de prononcer des mesures de travail d'intérêt général, même en l'absence du prévenu à l'audience, lorsque celui-ci a donné son accord et qu'il est représenté par son avocat.
Mais, dans le même temps, à côté de ces simplifications, nous vous proposons de renforcer les garanties dans la procédure pénale, en assurant notamment la place du contradictoire. Depuis vingt ans, l'évolution des pratiques et des textes a consacré un accroissement progressif des enquêtes dirigées par le procureur de la République par rapport à celles confiées au juge d'instruction. Or, ces enquêtes se caractérisent par une présence moindre de l'avocat au cours de la procédure et par l'absence de contradictoire, c'est-à-dire d'accès au dossier et de possibilité de produire des observations.
Si cette situation ne soulève pas de difficultés dans les affaires les plus simples, où les faits sont souvent reconnus, elle n'est plus satisfaisante dans les affaires plus complexes. Le moment est donc venu de renforcer le contradictoire et la présence de l'avocat dans la procédure, et de créer des mesures renforçant la possibilité d'exercer des recours.
Ainsi, l'accès au dossier sera possible, pour le justiciable mis en cause ou pour son avocat, dans les enquêtes dirigées par le procureur, avant l'engagement des poursuites.
De même, la présence de l'avocat sera garantie, lors des reconstitutions et des séances d'identification des suspects.
Nous instaurons, pour les personnes placées en garde à vue, un droit de communication avec les tiers sauf, bien entendu, en cas d'incompatibilité avec les objectifs de l'enquête.
Nous généralisons la possibilité d'exercer un recours en l'absence de réponse à une demande, quelle qu'elle soit, dans un délai de deux mois ce qui sera donc applicable en matière de saisie, de contestations concernant les fichiers ou de permis de visite.
Nous créons une procédure de référé-restitution visant à obtenir en urgence la restitution d'un bien saisi lorsque le maintien de la mesure causerait un préjudice irrémédiable dans l'exercice d'une activité professionnelle.
Enfin, le texte comporte des garanties sur les délais de détention provisoire et sur la présentation dans les plus brefs délais, dans le cadre d'une garde à vue, devant le juge des libertés et de la détention ou le juge d'instruction, qui pourra ordonner la remise en liberté, ce qui respecte évidemment, et j'espère que vous y serez sensibles, les exigences de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Je veux encore citer l'encadrement des perquisitions susceptibles de porter atteinte au secret du délibéré, afin de respecter les exigences constitutionnelles, résultant de la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité le 4 décembre 2016, ou les dispositions relatives aux garanties en matière de droit de la défense exigées par la transposition de la directive du 22 octobre 2013 relative au droit d'accès à un avocat.
Un dernier mot sur la modernisation des techniques spéciales d'enquête. Nous répétons souvent dans cet hémicycle qu'il faut en permanence adapter notre réponse face à l'évolution des réseaux criminels. Certaines critiques évoquent à ce propos l'insécurité juridique ou l'instabilité que cela peut générer, mais je ne les pense pas fondées. En effet, si nous ne prenons pas en compte l'évolution des moyens technologiques et nous considérons le droit comme intangible, nous finirons comme le chêne qui se déracine, alors que nous devons être comme le roseau qui résiste.
C'est donc pour qu'il y ait une réponse toujours plus efficace que ce texte propose, par exemple, de permettre au procureur de procéder aux premières vérifications utiles et de corroborer les premiers soupçons pour saisir utilement le juge d'instruction : cela évitera notamment d'engorger inutilement les cabinets d'instructions si les interceptions décidées ne débouchent sur rien.
Mesdames et messieurs les députés, nous poursuivons un objectif commun : consolider, adapter, parfaire notre État de droit. C'est un travail exigeant, semblable à ce qu'est, dans l'univers de la musique, la recherche de l'harmonie ou de l'accord « juste », au double sens de « justice » et de « justesse ». Personne n'a la solution pour y parvenir avec certitude. C'est donc à un travail collectif que je vous invite.
Victor Hugo disait que la conscience est la loi intérieure et que la loi est la conscience extérieure. C'est avec cette conscience que nous saurons construire la loi dont nous avons besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Monsieur le président de la commission des lois, cher Dominique Raimbourg, madame et monsieur les rapporteurs, messieurs les ministres, mesdames et messieurs les députés, nous sommes réunis aujourd'hui à l'occasion de l'examen du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale. Comme vous le savez ce texte a fait l'objet de travaux préparatoires approfondis entre la chancellerie et le ministère de l'intérieur et je souhaite revenir devant vous sur certains de ses aspects qui concernent plus spécifiquement le ministère de l'intérieur et à l'élaboration desquels mes services ont contribué.
Depuis 2012, de nombreuses mesures ont été adoptées à l'initiative du Gouvernement, en liaison étroite avec la chancellerie, afin de renforcer notre arsenal pénal et de l'adapter aux évolutions de la menace terroriste à laquelle nous sommes confrontés. Trois lois décisives ont ainsi été adoptées par le Parlement : la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, puis la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme et, enfin, la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, à l'élaboration et à la discussion de laquelle l'actuel garde des sceaux avait grandement participé. À chaque fois, nous avons travaillé en lien très étroit avec les magistrats antiterroristes.
Le projet de loi qui est aujourd'hui soumis à votre examen s'inscrit dans la continuité de ce travail législatif très intense. Depuis 2012, le Gouvernement n'a cessé de considérer que la lutte contre le terrorisme appelait certaines adaptations des moyens de police administrative permettant de prévenir la commission d'actes terroristes et de renforcer les moyens dont dispose l'autorité judiciaire pour les réprimer. Tel est donc également l'objectif poursuivi par ce texte.
Je veux d'emblée rassurer celles et ceux qui, mal avisés, ont cru ou fait mine de croire que le Gouvernement entendait, avec ce texte, introduire dans le droit commun des mesures applicables seulement dans le cadre de l'état d'urgence. Comme vous pourrez le constater par vous-mêmes à la lecture du texte et au cours des débats que nous aurons, tel n'est pas du tout le cas. Je l'affirme avec netteté : ce projet de loi s'inscrit en tout point dans le cadre des valeurs de la République et du respect des principes de l'État de droit. Pour le Gouvernement, ce n'est pas une option, mais une exigence et une évidence.
Pour faciliter l'examen du texte, il a été décidé que nous commencerions par discuter des mesures relevant de la compétence du ministère de l'intérieur. Dès demain, nous allons donc commencer par les articles 7 à 10, qui portent sur un sujet central dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé : la lutte contre le trafic et la prolifération des armes, qui constitue l'une des priorités absolues du ministère de l'intérieur.
À cet égard, je vous rappelle que j'ai lancé en novembre dernier, avant les attentats, un grand plan spécifiquement dédié à la lutte contre ce type de trafics et que, dans le cadre de l'état d'urgence, nous ciblons plus particulièrement les réseaux logistiques qui arment et financent le terrorisme. Un très grand nombre d'armes, y compris des armes de guerre, ont d'ailleurs été saisies depuis le 14 novembre dernier pour être précis : 588 armes, dont plus de quarante armes de guerre.
Avant d'en venir aux mesures contenues dans le chapitre V, concernant les enquêtes et les contrôles administratifs, je souhaite évoquer brièvement l'article 4 bis que votre commission, monsieur le président, a souhaité ajouter au projet de loi.
Il revient en effet sur une mesure au sujet de laquelle le Gouvernement s'est déjà prononcé lors du débat relatif à la loi sur le renseignement.
Votre amendement vise à autoriser la direction de l'administration pénitentiaire à recourir à certaines techniques de renseignement, l'intégrant ainsi au « second cercle » des services autorisés à utiliser de telles techniques.
Il va sans dire que cette mesure devra s'accompagner d'un renforcement de la coopération déjà très importante entre les services de la sécurité intérieure et ceux du renseignement pénitentiaire. Cette coopération renforcée permettra incontestablement d'être beaucoup plus efficace dans le suivi d'un certain nombre d'acteurs en lien avec les filières terroristes.
J'en viens maintenant aux articles 17 à 21. Comme je l'ai dit, notre objectif n'est pas de soustraire à la voie judiciaire des personnes qui doivent faire l'objet de poursuites pénales. Je dirai même que ce texte de loi repose sur une logique exactement inverse : nous ne proposons de nouvelles mesures administratives que dans l'hypothèse où il serait impossible d'emprunter la voie judiciaire ou bien pour recueillir des éléments supplémentaires permettant d'entreprendre une telle procédure.
Je souhaite aujourd'hui m'arrêter plus particulièrement sur deux d'entre elles : la retenue de quatre heures et le contrôle administratif des retours sur le territoire national. Si nous avons proposé le principe de la retenue de quatre heures pour vérification de la situation d'un individu, c'est pour une raison extrêmement simple, sur laquelle j'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer à plusieurs reprises lors de débats antérieurs.
La menace terroriste à laquelle nous faisons face a changé de nature et les modes opératoires qu'elle emprunte sont inédits, protéiformes, qu'il s'agisse d'individus radicalisés passant à l'acte en solitaire ou bien encore de terroristes aguerris, revenant des théâtres d'opération moyen-orientaux et agissant dans le cadre d'un plan précisément établi.
La retenue de quatre heures concernerait ainsi le cas d'une personne contrôlée qui apparaîtrait liée à des activités terroristes. Concrètement, il s'agirait des cas de contrôles d'identité de personnes faisant l'objet de fiches « S », notamment à nos frontières. Je rappelle en effet qu'une fiche « S » ne peut, en l'état actuel du droit, autoriser l'appréhension ou la rétention d'un individu fiché.
Cette nouvelle mesure nous permettrait de retenir une personne soupçonnée d'activités terroristes pendant une durée maximale de quatre heures pour interroger le service à l'origine du signalement, qui pourra alors consulter les fichiers de souveraineté auxquels lui seul a accès et, le cas échéant, interroger les services partenaires étrangers.
Sur ce point, la rédaction initiale du projet de loi était insuffisante : elle ne permettait pas au législateur d'épuiser sa compétence. La rédaction issue de la commission, à la suite de l'adoption d'un amendement du rapporteur, est beaucoup plus précise et beaucoup plus efficace : le Gouvernement soutiendra donc cette rédaction.
Lors des débats en commission, vous avez souhaité que la séance permette de préciser encore davantage la mesure. Je le dis sans détour : il ne s'agit en aucun cas de mettre en place une garde à vue sans les garanties que celle-ci apporte habituellement. C'est la raison pour laquelle, afin de mieux circonscrire la portée de cette mesure, le Gouvernement donnera un avis favorable à l'amendement du rapporteur qui précise qu'aucune audition ne peut avoir lieu lors d'une retenue de quatre heures.
De la même manière, le Gouvernement donnera un avis favorable aux amendements déposés par Yves Goasdoué et l'ensemble du groupe socialiste qui limitent cette mesure aux seules personnes ayant un comportement en lien direct avec des activités terroristes.
Je souligne par ailleurs que les garanties offertes dans le cadre de cette nouvelle procédure sont supérieures à celles qui figurent déjà dans le code de procédure pénale pour le régime de la retenue pour vérification d'identité. En effet, les vérifications ne pourront être opérées que par un officier de police judiciaire. Le procureur de la République sera obligatoirement avisé du déclenchement de la retenue et pourra y mettre fin à tout moment. L'individu concerné pourra également prévenir la personne de son choix.
Dans le cas où la personne retenue est mineure et que son représentant légal est absent, la retenue ne pourra débuter qu'avec l'autorisation expresse du procureur, qui pourra bien entendu y mettre fin à tout moment pendant le délai de quatre heures. J'ajoute que, s'agissant des mineurs, seuls les magistrats spécialement qualifiés seront habilités à contrôler la mise en uvre de la mesure, conformément aux principes de l'ordonnance du 2 février 1945.
L'autorisation expresse du parquet n'est pas une mince garantie car, une fois saisi de la situation du mineur, le procureur a toute latitude pour décider en urgence, si la situation le justifie, d'une mesure de protection pouvant prendre la forme d'un placement immédiat dans un foyer de l'aide sociale à l'enfance ou de la protection judiciaire de la jeunesse. La retenue n'a donc pas seulement une finalité répressive : elle a également, pour les mineurs, une finalité protectrice.
Enfin, si la retenue débouche sur une garde à vue, la durée de la retenue s'imputera naturellement sur celle de la garde à vue.
Concernant maintenant le contrôle administratif des personnes de retour d'un théâtre d'opérations terroristes, je veux rappeler devant la représentation nationale un certain nombre d'éléments de contexte.
Tout d'abord, le cadre juridique est aujourd'hui contraint puisque la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme prévoit, dans son protocole no 4, ratifié par la France, que « Nul ne peut être privé du droit d'entrer sur le territoire de l'État dont il est le ressortissant. » Or, au 12 février dernier, sur les 254 individus recensés par la DGSI Direction générale de la sécurité intérieure et dont il a pu être établi qu'ils avaient séjourné dans la zone syro-irakienne ou dans toute autre zone de conflit terroriste, 143 seulement ont pu faire l'objet d'une procédure judiciaire.
La judiciarisation des returnees n'est possible que dès lors que sont réunis des éléments permettant d'établir formellement qu'ils ont intégré un groupe combattant article 421-2-6 du code pénal , qu'ils ont participé à des combats article 421-2-6 du code pénal ou qu'ils sont membres d'une association de malfaiteurs en vue de commettre des actes terroristes article 421-2-1 du code pénal , qu'il s'agisse d'une filière d'acheminement ou d'un projet terroriste proprement dit.
Il est donc nécessaire, et j'insiste sur ce point, de recueillir à chaque fois un faisceau d'indices suffisamment probants pour être présenté au parquet en vue d'obtenir l'ouverture de l'enquête judiciaire.
Il est par conséquent indispensable, concernant les personnes non judiciarisées, d'avoir à notre disposition un outil permettant de contrôler les conditions dans lesquelles elles reviennent sur notre territoire et de les inciter à se soumettre à un programme de déradicalisation.
J'ajoute que la mise en uvre de ce dispositif sera bien évidemment soumise au contrôle du juge administratif ce que vient confirmer un amendement de votre rapporteur que je vous invite à adopter. Comme pour toutes les mesures de police administrative, le juge opérera un entier contrôle de proportionnalité ; il pourra bien entendu être saisi en référé pour se prononcer dans des délais extrêmement brefs.
Le contrôle administratif des retours sur le territoire national n'a donc aucunement vocation à se substituer aux mesures qui peuvent être prises par l'autorité judiciaire dans le cadre d'investigations portant sur les faits commis lors du séjour à l'étranger.
Devant la commission, votre rapporteur vous avait proposé deux amendements, que vous avez adoptés, qui prévoient que le procureur soit informé de cette procédure et qu'en cas d'engagement d'une procédure judiciaire, la procédure administrative prenne fin sur le champ, immédiatement.
Notre objectif premier est la judiciarisation. Lorsqu'elle est impossible, le séjour en centre de déradicalisation est privilégié et, si la personne refuse de s'y conformer, alors, et seulement à ce moment, les mesures administratives peuvent intervenir pour organiser sa surveillance.
Les débats en commission ont révélé une ambiguïté dans la rédaction de cette mesure, laissant à penser qu'une telle procédure administrative pourrait être engagée dans les mêmes conditions qu'une procédure judiciaire du chef d'association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Ce n'est pas l'objectif du Gouvernement ; je donnerai donc un avis favorable à l'amendement du rapporteur qui supprime tout bonnement l'alinéa à l'origine de cette ambiguïté.
J'en arrive au sujet du périple meurtrier, pour lequel je vous demande d'envisager la création d'un nouveau fait justificatif de l'usage des armes par les forces de l'ordre.
Les événements de janvier et novembre 2015 ont donné lieu à l'utilisation, par les terroristes, de modes opératoires jamais observés auparavant dans notre pays, comme le port et l'activation de ceintures explosives, de manière autonome ou bien combinée avec des meurtres de masse commis au moyen d'armes de guerre.
À ce jour, seule la légitime défense permet aux policiers de faire usage de leurs armes. Dès lors que ceux-ci ne sont pas directement menacés ou que le malfaiteur ne menace pas directement un tiers, ils ne sont pas habilités à faire usage de ces armes. Or, dans les cas de figure très spécifiques que je viens d'évoquer, il est absolument vital de donner la possibilité aux forces de l'ordre de faire usage de leurs armes pour neutraliser des individus dont nous savons qu'ils recommenceront à tuer dès lors qu'ils en auront l'occasion, dès lors qu'ils ont déjà tué.
La disposition présentée par le Gouvernement vise par conséquent à sécuriser l'action des forces de l'ordre. La rédaction qui vous est proposée emprunte ses concepts aux décisions de la Cour européenne des droits de l'homme et s'inscrit dans le cadre tracé par sa jurisprudence, en ce qu'elle impose aux policiers et aux gendarmes que soit remplie la condition d'absolue nécessité pour faire usage de leurs armes.
Le but principal de l'auteur des crimes, au cours de son périple, doit être de tuer. Ceci exclut, et je veux être précis sur ce point, le meurtre perpétré par voie de conséquence de son action principale, par exemple celui commis par le braqueur en fuite. Il faudra également que les premiers crimes et l'usage des armes par les forces de l'ordre aient lieu dans un « temps voisin », c'est-à-dire qu'il existe une forme de continuité dans l'enchaînement de ces différentes actions.
Cette mesure s'inspire des réflexions d'un groupe de travail instauré à la suite de l'examen d'une proposition de loi d'Éric Ciotti, permettant aujourd'hui d'avancer vers une proposition qui apparaît équilibrée et consensuelle.
Avant de conclure, je veux évoquer l'article 32 qui prévoit l'instauration de « caméras piétons », devenues, depuis le passage en commission, des « caméras mobiles ». Cette mesure, encore une fois, ne doit rien à l'improvisation. Ce dispositif a été expérimenté et suscite l'adhésion des forces de l'ordre. Nous devrons faire preuve de vigilance afin que les mesures que nous envisageons soient pleinement opérationnelles.
La caméra mobile ne saurait déboucher sur une augmentation du risque contentieux ni sur la multiplication de vices de procédures qui conduiraient à un rejet de ce dispositif par les personnels concernés. Si nous faisions cela, nous nous éloignerions de l'objectif initial de confiance et de proximité entre les forces de l'ordre et la population que poursuit cette disposition. La navette doit permettre de réfléchir aux différentes alternatives qui nous permettront de privilégier la sécurisation de la mesure.
Mesdames et messieurs les députés, l'existence de la menace et son caractère omniprésent nous obligent à nous adapter. Ce projet de loi pénal est le fruit d'une longue réflexion qui a dû nécessairement s'accélérer à la suite des attentats du 13 novembre.
Nous avons, durant la semaine de suspension des travaux parlementaires, poursuivi nos échanges pour parfaire les rédactions et concentrer les mesures sur l'essentiel. Le déroulement des travaux de la commission et l'ensemble des amendements adoptés témoignent de l'implication du Parlement. J'espère que les débats qui vont s'ouvrir permettront de répondre à toutes les préoccupations exprimées par les parlementaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre des finances et des comptes publics.
M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics. Madame la présidente, messieurs les ministres, madame la vice-présidente de la commission des lois, madame et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, le terrorisme, ce sont des actes qui tuent, des actes qui blessent, des actes qui détruisent. Mais le terrorisme commence par la préparation et donc par le financement de ces agissements criminels.
La loi pénale dispose depuis 2001 que le fait de financer en toute connaissance de cause une entreprise terroriste est un acte de terrorisme, indépendamment de la survenance éventuelle d'un tel acte. Les faits nous l'ont cruellement rappelé à deux reprises en 2015 : un acte de terrorisme, c'est un acte qui a été préparé, organisé et financé. La responsabilité du Gouvernement est donc de prendre les mesures adéquates pour assécher le financement des activités des terroristes, qui cherchent à déstabiliser notre pays, à fracturer notre pacte républicain.
Ce financement peut emprunter de nombreuses routes. Un terroriste peut percevoir des fonds issus d'un trafic illicite d'armes ou de stupéfiants, par exemple ou d'une organisation terroriste comme Daech. Il peut aussi se procurer lui-même des fonds par des moyens légaux je pense, par exemple, au crédit à la consommation.
Par ailleurs, l'argent traverse les frontières nationales plus rapidement encore que les hommes. Il nous faut donc agir non seulement au niveau national, mais aussi aux niveaux européen et mondial. Tel est le sens de mon action en tant que ministre des finances. C'est donc en cohérence avec cette évidence que nous promouvons également au niveau européen et au niveau international les mesures que le Gouvernement vous propose d'adopter.
Au niveau international avec le Conseil de sécurité de l'ONU, qui a adopté une résolution en décembre 2015 ; avec le G20, qui à l'occasion de sa réunion d'Antalya en novembre 2015 a adopté des textes extrêmement puissants et a confié au Groupe d'action financière, le GAFI, le soin d'élaborer des standards internationaux de lutte contre le financement du terrorisme et de vérifier que chacun des pays concernés les mettaient en uvre.
Au niveau européen, avec une proposition adoptée en mai 2015, qu'il vous sera proposé de retranscrire en droit français ; avec les propositions toutes récentes de la Commission, qui a déposé un paquet supplémentaire dont la France exige qu'il soit discuté et adopté d'ici le milieu de cette année.
En France, nous avons depuis plusieurs mois renforcé les moyens consacrés à la lutte contre le financement du terrorisme : les effectifs de Tracfin, ou Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins, c'est-à-dire la cellule de renseignement financier , sont passés de 94 agents en 2013 à 118 en 20l5 et ils seront de 138 en 2016. Nous avons également travaillé à faciliter la circulation de l'information entre les différents services dont chacun a une connaissance fine d'un aspect du financement du terrorisme, qu'ils dépendent de mon ministère ou, par exemple, du ministère de l'intérieur.
Mais l'augmentation des ressources humaines engagées dans la lutte contre le financement du terrorisme n'est pas suffisante. Elle doit s'accompagner d'une adaptation de notre arsenal juridique. Après les attentats de janvier 2015, j'avais décidé de mettre en uvre un plan de lutte contre le financement du terrorisme comportant plusieurs mesures destinées à faire reculer l'anonymat dans l'utilisation des moyens de paiement. Parmi les plus emblématiques ou les plus visibles, je veux mentionner l'abaissement de 3 000 euros à 1 000 euros du plafond de paiement en espèces pour les résidents ; le signalement systématique à Tracfin des dépôts et retraits d'espèces supérieurs à 10 000 euros cumulés sur un mois.
Les articles 12 à 15 du projet de loi qui vous est présenté s'inscrivent dans le droit fil de ces mesures.
Nous devons pouvoir sanctionner pénalement le trafic de biens culturels provenant de territoires sous l'emprise d'un groupement terroriste ce sera fait sous l'autorité du garde des sceaux car il s'agit d'une disposition de caractère pénal. On sait que le trafic d'antiquités constitue une source importante de financement pour Daech et porte une atteinte grave au patrimoine culturel mondial.
Nous devons pouvoir plafonner la valeur monétaire pouvant être chargée sur une carte prépayée. Aujourd'hui il n'existe pas de montant maximal. Il est donc possible de dissimuler sur un tel support des sommes d'argent très importantes.
Nous devons renforcer le cadre juridique dans lequel se déploie l'action du service Tracfin. Ce service aura le pouvoir de signaler, pour une durée limitée, aux établissements bancaires les opérations ou les personnes qui présentent un risque élevé de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Ces établissements pourront alors mettre en uvre les mesures de vigilance adaptées à la situation qui leur a été signalée.
Par ailleurs, le droit de communication du service Tracfîn sera étendu aux entités chargées de gérer les systèmes de cartes de paiement ou de retrait, comme le groupement d'intérêt économique Carte bleue ou les sociétés Visa et Mastercard.
Nous devons par ailleurs alléger la charge de la preuve de l'origine illicite des fonds en matière de délit douanier de blanchiment, dans le respect des jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l'homme. Ce caractère illicite sera présumé lorsque certaines circonstances, notamment de dissimulation, sont réunies, sauf à l'intéressé de démontrer l'origine licite des fonds.
Enfin, il vous est demandé d'habiliter le Gouvernement à transposer par ordonnance la quatrième directive « anti-blanchiment et financement du terrorisme » de l'Union européenne du 20 mai 2015 ainsi qu'à renforcer le dispositif de gel des avoirs des terroristes.
Cette série de mesures sera complétée par un décret en Conseil d'État en préparation par mes services. Celui-ci prévoit notamment une prise d'identité dès le premier euro pour les cartes prépayées anonymes, c'est-à-dire chargeables ou rechargeables en espèces, et permettra au service Tracfin d'avoir un accès direct au fichier des personnes recherchées afin qu'il puisse enrichir davantage ses analyses et orienter mieux ses investigations.
Madame la présidente, mesdames et messieurs, telles sont donc les principales dispositions sur lesquelles la France est mobilisée et qu'il vous est demandé d'adopter. Ces dispositions sont cohérentes au niveau européen, au niveau international et au niveau national. Elles nous permettront à l'évidence de lutter plus efficacement contre le financement du terrorisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
source http://www.assemblee-nationale.fr, le 2 mars 2016