Interview de M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice, avec France 2 le 25 mai 2016, sur la grève dans les raffineries, les violences pendant les manifestations et sur la loi sur la justice du 21e siècle.

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Média : France 2

Texte intégral


ROLAND SICARD
Bonjour Jean-Jacques URVOAS.
JEAN-JACQUES URVOAS
Bonjour.
ROLAND SICARD
La plupart des raffineries françaises sont bloquées, est-ce que le pouvoir légalement peut les faire repartir ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui, les préfets ont des dispositions dans le code général des collectivités territoriales qui permet de faire lever ces blocages quand ils considèrent que c'est une menace à l'ordre public, cette notion de menace à l'ordre public est suffisamment extensible pour qu'effectivement un groupe minoritaire ne gène pas le développement économique du pays.
ROLAND SICARD
Mais les raffineries sont en grève, qu'est ce qui se passe ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Si les raffineries sont en grève, on est exactement dans le même cas, c'est-à-dire qu'on a une capacité de réquisition de personnel, cela a été fait déjà dans le passé, je crois que c'était en 2010, quand le préfet a estimé par une décision administrative que c'était de son devoir de réquisitionner les personnels pour que l'accès au pétrole puisse être garanti.
ROLAND SICARD
Est-ce que c'est une piste aujourd'hui que le gouvernement examine sérieusement ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Par définition le gouvernement a à sa disposition des outils et il ne refuse jamais d'étudier l'usage de l'un d'entre eux.
ROLAND SICARD
Donc ça va se faire ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Je ne dis pas que ça va se faire, nous regardons évidemment, il n'y a aucune espèce de raison de s'interdire, quand vous avez un groupe minoritaire qui bloque un système au détriment de toute une population et de l'activité économique, il n'y a aucune espèce de raison que cela perdure, dans la mesure où en plus il n'y a pas de problème d'approvisionnement. Vous avez eu la consommation, le ministre de l'Intérieur disait hier, le ministre des Transports, Alain VIDALIES pardon, disait hier que nous avions eu la consommation la plus importante depuis des années dans la journée. Donc il n'y a pas de problème d'approvisionnement, nous avons des stocks, nous avons des pétroliers qui acceptent, donc il n'y a aucune difficulté. Donc pénaliser l'activité économique est quelque chose qui ne peut pas durer.
ROLAND SICARD
Est-ce qu'il y a aujourd'hui un risque de blocage de la France ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, il n'y a évidemment aucun risque, le gouvernement, je le dis, utilisera tous les moyens à sa disposition parce que l'activité économique doit se développer.
ROLAND SICARD
Alors la semaine dernière, en marge des manifestations il y a eu beaucoup de casseurs qui ont été vus et finalement peu ont été arrêtés, est-ce qu'il n'y a pas eu une sorte d'indulgence de la justice ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, la justice a un rythme, on le trouve toujours trop lent, il est parfois lent, il y a des décisions, je viens de défendre un texte à l'Assemblée nationale qui justement vise à simplifier beaucoup de procédures…
ROLAND SICARD
On va y revenir.
JEAN-JACQUES URVOAS
… pour que la justice soit prononcée rapidement et dans le cas d'espèce, c'est vrai qu'on voit des images, on voudrait que la sanction soit immédiatement prononcée. Simplement la justice doit étudier les dossiers. Vous savez nous sommes devant un système qui est très bon, celui de l'individualisation de la peine, il faut être certain que la personne qui est devant le juge soit celui qui doit être le responsable. Il faut qu'il soit sanctionné. Les juges prennent le temps, ce n'est pas le temps des médias, ce n'est pas le temps de l'opinion, ce n'est pas le temps de l'émotion, c'est celui de la sérénité, de la responsabilité et surtout pour les juges de l'impartialité.
ROLAND SICARD
Vous parliez d'images, il y a une image que les Français ont vraiment remarqué, c'est celle de cette voiture de policiers qui a été, où le feu a été mis, le policier est sorti, il s'est défendu, trois des quatre agresseurs ont été remis en liberté sous contrôle judiciaire. Est-ce que c'est un bon signal ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Vous demandez au Garde des Sceaux de commenter une décision d'un magistrat, comprenez que la situation est délicate et je ne vais évidemment pas le faire. Ce que je vous demande juste de prendre en compte, c'est que vous avez vu des images, vous avez vu le sang froid de ce policier et chacun a loué sa bravoure et l'image qu'il a donné de la police à ce moment là. Vous avez vu l'agresseur, mais vous n'avez pas vu son visage. Le juge, les procureurs qui poursuit parce que ces individus sont recherchés, quatre d'entre eux ont été suspectés. Le procureur a demandé le placement en détention, le juge de la liberté et de la détention qui est le juge qui doit contrôler puisqu'on ne décide pas comme cela de mettre quelqu'un en prison, il faut qu'il y ait quelqu'un, un autre juge, un contre pouvoir à l'intérieur de la magistrature qui puisse s'assurer que le dossier est solide. Ce juge de la liberté et de la détention sur un dossier que vous ne connaissez pas, que je ne connais pas, et que je n'ai évidemment pas à connaitre a estimé que les éléments à sa disposition ne permettaient pas de le mettre en prison. Cela ne veut pas dire qu'il est libéré, il est sous contrôle judiciaire. Il est mis en examen sur des infractions extrêmement graves dont la peine encourue est la perpétuité avec une possibilité de demander une mesure de sureté, c'est-à-dire qu'il ne sortirait pas pendant 30 ans. On peut comprendre qu'au regard de ce qu'il risque, les éléments du dossier doivent être suffisamment avérés. A ce stade le juge de la liberté et de la détention a considéré que ce n'était pas le cas, le parquet va regarder ce matin.
ROLAND SICARD
Mais est-ce que le parquet va faire appel ce matin ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Ecoutez, hier soir la décision a été prise par le juge de la liberté et de la détention, le parquet va regarder les motivations de l'ordonnance qui a décidé, qu'a pris le juge de la liberté, donc on verra dans la matinée si le parquet fait appel, il serait logique que le parquet regarde avec attention.
ROLAND SICARD
Il y a une loi qui a été adoptée hier, une loi importante, la loi sur la justice du 21ème siècle et parmi les dispositions de cette loi, il y en a une qui retient l'attention, après l'affaire d'Outreau, la décision avait été prise de faire une collégialité des juges d'instruction, cette disposition est supprimée, pour quelle raison ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui, parce que vous l'avez très justement rappelé, c'est une décision qui a été prise après l'affaire Outreau qui avait beaucoup là aussi choqué sur les dysfonctionnements de la justice, 2007. Depuis 2007, nous n'avons pas été capables de concrétiser cette décision.
ROLAND SICARD
Parce qu'on n'a pas mis les moyens.
JEAN-JACQUES URVOAS
Parce qu'on n'a pas mis les moyens. Le fait de le dire en soi est déjà la réponse la plus définitive, puisqu'il faut pour mettre en place la collégialité de l'instruction 300 juges immédiatement dans les juridictions. Nous n'en avons pas fait depuis 2007.
ROLAND SICARD
Est-ce que vous ne pouvez pas le faire maintenant, s'y attaquer maintenant ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, je vais vous dire, on ne peut pas le faire parce que je n'ai pas les moyens de cela, je peux le regretter, d'ailleurs vous avez remarqué que depuis que je suis Garde des Sceaux, je passe mon temps à parler des moyens de la justice, parce que c'est pour moi la condition d'une bonne justice. Celui qui rentre dans un palais de justice, il y a quatre millions de Français qui tous les ans vont dans un palais de justice, aucun d'entre eux n'y va par plaisir. Ceux qui y vont ont besoin d'être protégés, et donc quand ils voient l'état des bâtiments, ils disent si la forme vaut le fond, je crains de la sérénité de la justice. Je reviens à l'histoire de la collégialité, nous n'avons pas les moyens de le faire aujourd'hui, mais surtout ce qui justifie le fait que l'Assemblée nationale…
ROLAND SICARD
On ne doit pas s'en donner des moyens ?
JEAN-JACQUES URVOAS
On va s'en donner les moyens mais sur la collégialité, depuis 2007 le droit a évolué et l'un de ceux qui ont porté ce texte, André VALLINI, qui est ministre aujourd'hui et Philippe HOUILLON qui est un député de l'opposition, je les ai consulté tous les deux, depuis 2007 le droit a changé, il y a notamment une pratique qui s'appelle la co-saisine qui permet d'avoir une collégialité des juges sur les dossiers les plus importants. Comme cette collégialité est permise par cette disposition qui n'existait pas en 2007, j'ai considéré qu'il était effectivement possible de la supprimer. D'autant que dans 70 tribunaux, si j'avais créé la collégialité d'instruction, non seulement il fallait que je mets des magistrats supplémentaires, mais j'en enlevais aussi dans 70 tribunaux pour les concentrer dans d'autres et vous auriez eu dans votre invitation beaucoup de parlementaires, beaucoup de maires qui seraient venus dire, mais on nous dépouille de juges d'instruction pour les mettre dans les villes où il y en a déjà beaucoup.
ROLAND SICARD
Mais on ne risque pas un nouvel Outreau ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, non, justement parce que le droit a évolué et que la collégialité est permise par d'autres pratiques.
ROLAND SICARD
Alors la loi prévoit d'autres dispositions et notamment celle de pouvoir divorcer sans passer par un juge.
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui, quand deux personnes sont d'accords, qu'il y a un avocat chacun qui ont défendu leur point de vue, que l'équilibre est garanti, quand deux personnes qui vivent un échec ensemble, celui de décider de divorcer, qui là non plus n'est pas une mesure que l'on prend par plaisir et comme ça parce qu'on ne sait pas quoi faire, c'est l'aboutissement d'un raisonnement. Quand deux adultes se mettent d'accords, pourquoi aller demander à un juge de valider cela ?
ROLAND SICARD
Les choses vont vraiment changer avec cette loi ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Moi, je crois que les choses vont changer parce que vous savez cette loi, elle a deux objectifs, simplifier les procédures, les chiffres sont faramineux, 92 % des Français considèrent que la justice est trop complexe, 80 % d'entre eux considèrent qu'elle est trop lente, 70 % d'entre eux considèrent qu'elle n'est pas efficace. Ma responsabilité, c'est de faire en sorte que ce soit plus simple, plus accessible, plus prévisible. Donc je mène deux chantiers, d'abord la simplification des procédures, on en a pris beaucoup. Changer de prénom par exemple, on a 2 700 personnes par an qui changent de prénom. Leur prénom est déclaré à l'état civil, pourquoi demander au juge l'autorisation, l'officier de l'état civil peut le faire. Alors il y a pleins de mesures de simplification et il y a un autre gros chantier, mais vous me réinviterez à la fin de l'année, on pourra parler du budget et il faut qu'il augmente et j'espère qu'il augmentera.
ROLAND SICARD
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 mai 2016