Déclaration de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, sur les dix ans de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), au Sénat le 30 juin 2016.

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Circonstance : Colloque "La comptabilité générale de l'Etat, dix ans après : engager une nouvelle étape ?" au Sénat le 30 juin 2016

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Premier Président,
Mesdames, messieurs,
Il me revient de clôturer ce colloque et je le fais avec beaucoup de plaisir.
En premier lieu, je voudrais adresser mes très chaleureux remerciements au Président Gérard LARCHER qui a accepté d'accueillir ce colloque au Palais du Luxembourg.
Permettez-moi également de me réjouir de vous voir nombreux assister à ce colloque, qui présente l'originalité d'être organisé conjointement par le Sénat et la Cour des comptes. Cela met en évidence que la LOLF est un texte d'origine parlementaire et que dix années après sa mise en oeuvre, elle a profondément transformé les relations entre le Parlement et la Cour.
Ce colloque a été une occasion pour de nombreux acteurs, parlementaires, administratifs, universitaires, de débattre ensemble des apports du volet comptable de la LOLF, peut-être trop méconnu et de s'interroger sur les moyens d'en préserver et d'en renforcer l'esprit et la dynamique.
Je suis certain que le haut niveau et la variété des intervenants ont permis un débat sans tabou. Née d'un large consensus entre les différentes sensibilités politiques, la LOLF a en effet besoin que ce consensus soit sans cesse vérifié, prolongé et renouvelé. L'expression et le partage de divers points de vue sont donc essentiels pour que se dégagent des réponses appropriées, ambitieuses mais aussi réalistes et durables, au défi permanent que représente la bonne gestion publique.
Ce thème du volet comptable de la LOLF est d'autant plus important que nous célébrons ce dixième anniversaire dans une période qui place la question des finances publiques au coeur de toutes nos préoccupations. Le débat d'orientation budgétaire aura lieu la semaine prochaine et le rapport sur les perspectives des finances publiques publié aujourd'hui même par la Cour contribue à le préparer.
Gérer avec rigueur nos finances, c'est plus que jamais vouloir rester maître de notre avenir politique, économique mais aussi social parce que je ne dissocie pas la solidarité de la maîtrise de nos finances publiques.
Et pour cela, notre premier atout c'est de nous appuyer sur un droit budgétaire et comptable profondément modernisé depuis 20 ans, qu'il s'agisse de l'Etat, de la sécurité sociale, des opérateurs ou encore des collectivités locales. Avec des évolutions importantes au cours des dernières années, je pense par exemple à la loi organique du 17 décembre 2012 qui a créé le Haut conseil des finances publiques et réorganisé la gouvernance d'ensemble de nos finances publiques.
S'agissant de l'Etat, c'est la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, la "LOLF" qui constitue notre "socle de référence", et je voudrai maintenant revenir sur les apports de son volet comptable.
1. Plus de transparence d'abord.
La LOLF a permis une meilleure transparence de l'action publique en imposant à l'Etat de rendre des comptes, au sens propre.
Depuis dix ans en effet, depuis 2006 l'Etat publie chaque année un bilan et un compte de résultat détaillé, permettant à chacun (parlementaires, magistrats, observateurs des finances publiques, citoyens, contribuables, etc.) d'avoir une vue précise sur son patrimoine - parc immobilier, infrastructures routières, participations, stocks, créances - mais également son passif - dette financière, dettes d'exploitation.
Au-delà, la tenue d'une comptabilité patrimoniale a également amené l'Etat à recenser et évaluer les obligations potentielles susceptibles de s'imposer à lui puis à les traduire en comptabilité sous forme de provisions ou d'engagements hors bilan selon leur probabilité de réalisation.
Ce travail, dont je salue la rigueur, a permis une amélioration sans précédent de la transparence financière relative aux risques supportés par l'Etat.
2. Une gestion financière plus efficace ensuite.
Ayant pris conscience de la valeur mais également du coût de gestion des actifs qui leur sont confiés, les gestionnaires sont encouragés à gérer plus efficacement leurs achats et leurs immobilisations : programmation des dépenses de maintenance, arbitrage entre différents modes de gestion des actifs, renouvellement des actifs sur la base d'un diagnostic objectivé de l'état de leur patrimoine, etc.
Le recensement des actifs de l'Etat a également mis à jour le formidable potentiel économique de certains actifs (parc immobilier, concessions, spectre hertzien, patrimoine immatériel, pour ne citer que quelques exemples). Cette optimisation passait par une meilleure connaissance, par un inventaire de ces richesses. Voilà qui est fait. Les premières retombées de ce travail se font sentir, avec un impact financier substantiel.
L'établissement d'une comptabilité générale en droits constatés a également eu des effets bénéfiques sur la gestion publique, notamment en fournissant un éclairage sur des enjeux financiers qui échappent à la comptabilité budgétaire traditionnelle : actifs immobilisés pour mener à bien l'activité, charges à payer, risques financiers à la réalisation probable, etc. Le débat, à la fin de chaque exercice désormais, sur la "dette de l'Etat envers la sécurité sociale" ou sur le niveau des dettes envers les fournisseurs, n'est possible que grâce à la comptabilité générale - et je peux vous assurer que les deux paramètres que je viens de citer sont pris en compte dans les décisions budgétaires ! Et alors que nous réformons cette année la politique immobilière de l'Etat, les choix à faire par exemple entre location et acquisition ne peuvent être complètement objectivés que grâce à la comptabilité générale.
Parallèlement, le déploiement d'une comptabilité générale en droits constatés a accéléré la diffusion d'une culture de maîtrise des risques au sein de l'administration : formalisation des circuits d'information et de gestion, identification des responsabilités, hiérarchisation des contrôles, renforcement du contrôle interne, etc.
Enfin, la mise en place d'une comptabilité générale en droits constatés a contribué à accélérer la modernisation des systèmes d'information avec le déploiement réussi de Chorus, et l'évolution des organisations notamment pour mieux gérer les factures et réduire les délais de paiement.
3. Davantage de crédibilité enfin.
Le contexte actuel – immédiat même – des finances publiques, au niveau français, européen et mondial, montre à quel point les finances publiques doivent répondre à des règles qui en assurent la transparence, la fiabilité et le pilotage par la performance. Une des demandes essentielles, qu'elle émane des marchés financiers ou du simple citoyen, est en effet d'avoir la certitude que les comptes publics sont sincères et que l'information sur les objectifs, les moyens et les résultats des politiques publiques est disponible.
La certification des comptes de l'État, par la Cour des comptes, permet d'en garantir la sincérité et la régularité au Parlement et aux citoyens.
Nous prenons cet exercice de certification très au sérieux. La France est d'ailleurs le seul État de la zone euro à faire certifier ses comptes, ce qui est un gage de crédibilité internationale.
Les comptes de l'année 2015 ont été certifiés avec cinq réserves, soit huit de moins qu'à l'occasion de la première certification en 2006. Récemment, les efforts ont porté sur l'évaluation du patrimoine immobilier de l'Etat ainsi que sur les passifs non financiers, deux sujets majeurs qui faisaient l'objet de réserves, désormais levées suite à un dialogue fructueux avec le certificateur.
Je vois dans ce progrès continu de la qualité comptable le signe de la mobilisation des directions de mon ministère, en lien avec la Cour, et de l'ensemble des ministères ; qu'il me soit permis de leur adresser mes remerciements.
La certification des comptes de l'Etat s'inscrit par ailleurs dans un cadre beaucoup plus général de modernisation comptable de l'ensemble des administrations publiques - c'est un point majeur que je voudrais souligner. La sécurité sociale présente aussi ses comptes en droits constatés, et ils sont également certifiés - par la Cour pour le régime général. C'est aussi le cas d'un nombre croissant d'établissements publics, je pense par exemple aux hôpitaux. Et, comme vous le savez, pour le secteur local, la loi dite "NOTRE" de 2015 prévoit une expérimentation de la certification pour les collectivités territoriales intéressées- le dispositif est en préparation.
Le volet comptable de la LOLF a donc représenté une avancée décisive pour la gestion publique. Cette avancée est prometteuse. Elle doit être confortée, poursuivie, accentuée.
La mise en oeuvre de cette dimension de la LOLF n'a en effet pas encore atteint sa pleine utilité opérationnelle. Vos échanges le démontrent sans fard. La comptabilité générale de l'Etat, complémentaire de la comptabilité budgétaire doit pouvoir trouver sa place, toute sa place, dans le paysage financier et être mise au service d'une démarche de progrès renouvelée, dans 4 domaines principaux.
Premier axe : réserver davantage de place à la comptabilité générale dans la communication financière.
La comptabilité générale a pour fonction d'enrichir le débat budgétaire en éclairant certains « angles morts » de la comptabilité budgétaire : c'était là, je crois, l'intention des pères fondateurs de la LOLF.
Mon ministère va se mobiliser sur ce chantier et s'attacher à promouvoir la diffusion d'une information financière articulant plus clairement, pour nos concitoyens et les observateurs des comptes publics, les déterminants budgétaire et comptable de notre situation financière.
Dans le même esprit, je souhaite que le compte général de l'Etat fasse davantage de place à une présentation par ministères, qui rendrait plus lisible le lien entre la production de nos états financiers et la mise en oeuvre des politiques publiques budgétairement connues.
Enfin, je profite d'être au Palais du Luxembourg pour lancer une suggestion aux commissions des finances des deux assemblées, celle de réfléchir à l'intérêt de consacrer annuellement une audition à la présentation des comptes patrimoniaux et à leur articulation avec l'exécution budgétaire. Je suis convaincu que de tels rendez-vous éclaireraient la vision des parlementaires.
Le deuxième axe de l'ambition que je nourris pour la comptabilité patrimoniale est de faire en sorte que celle-ci soit davantage mobilisée pour éclairer les choix de gestion des décideurs, à Bercy et dans l'ensemble des ministères.
Les données de comptabilité générale peuvent en effet aider, je l'ai dit tout à l'heure, les gestionnaires à analyser leur gestion et éclairer leurs choix de répartition des moyens.
Il importe donc que les acteurs de la gestion (directions des affaires financières, gestionnaires, contrôleurs de gestion) disposent de données comptables déclinées au niveau pertinent pour leur propre activité. Ceci passe par la production d'états spécifiques sur certaines composantes du bilan ou du compte de résultat, d'une part, et par un soutien renforcé aux ministères dans l'interprétation de ces informations comptables.
Cette ambition resterait lettre morte ou presque sans un meilleur partage de la culture comptable. Tel est le troisième axe de notre action commune.
De ce point de vue, les moyens offerts aux acteurs de la gestion publique pour s'approprier les concepts comptables sont perfectibles.
Cette appropriation est pourtant nécessaire pour savoir ce qu'on trouve dans les chiffres, ce qu'on peut en tirer et les questions qu'on doit se poser pour interpréter correctement leurs évolutions.
Je souhaite ainsi un renforcement de la formation comptable au sein des grandes écoles de la fonction publique et la mise en place d'une formation interministérielle continue aux concepts et aux outils comptables.
Il me semble également qu'à l'heure de l'ouverture quasi-généralisée des données, notamment publiques, il serait envisageable de traiter les comptes de l'État en open data, pour permettre aux citoyens intéressés de s'en saisir.
Enfin, et ce sera mon dernier point, nous devons valoriser notre expérience au plan européen. La Commission européenne réfléchit, vous le savez, à une harmonisation des normes comptables européennes du secteur public.
Ces normes comptables pourraient concerner la plupart des administrations publiques de tous les Etats membres. C'est dire si nous devons être soucieux de la bonne adéquation du projet par rapport aux enjeux.
La France s'est déclarée, dès le début de ce projet, favorable à l'harmonisation des principes de la comptabilité en droits constatés pour les entités publiques des Etats membres, tout en laissant à ces mêmes Etats la possibilité de les adapter en fonction de la spécificité de leurs administrations publiques, qu'il s'agisse de l'Etat, des établissements publics, des collectivités locales, de la sécurité sociale ou des autres organismes publics.
L'harmonisation des principes comptables doit en effet se faire dans le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité, fondateurs dans notre Union, et en préservant un rôle essentiel aux Etats membres dans tout le processus décisionnel.
Nous continuerons à oeuvrer en ce sens au niveau communautaires, sachant que plusieurs options sont encore concevables, allant de textes juridiquement contraignants, à une simple recommandation de bonnes pratiques, se fondant sur des échanges d'expériences entre Etats membres et renvoyant à des principes communs largement partagés.
Je vous remercie.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 1er juillet 2016