Texte intégral
Madame la directrice,
Mesdames, Messieurs
Je tiens à vous dire, sans attendre, l'intérêt et le plaisir que j'ai pris à cette visite. J'ai en effet pu voir réunies, en un même lieu, presque toutes les activités et les productions de la Documentation française, l'une des directions les plus originales de notre administration et l'un des services les plus vivants et les plus divers du Premier ministre. C'est d'ailleurs à ce dernier titre que j'effectue aujourd'hui une visite des installations d'Aubervilliers et du quai Voltaire.
Vous avez choisi de me présenter la chaîne des différents travaux qui marquent vos activités d'éditeur au service du public. J'ai pu rencontrer, à cette occasion, le personnel de cette maison et je suis heureux de pouvoir le saluer et le remercier de la qualité et de l'efficacité de son travail. Je tiens à les saluer tous : ceux qui, quelle que soit leur fonction, participent à la préparation et à la rédaction des publications de la Documentation Française ; ceux qui ont la charge de l'édition des rapports officiels ; ceux qui concourent à la fabrication, à la formation, à la diffusion, à la vente ainsi qu'à l'expédition quotidienne de plusieurs tonnes de documents ; les maquettistes, les informaticiens, les documentalistes, les bibliothécaires, bref tous les agents qui font la Documentation française.
Permettez-moi aussi d'évoquer la mémoire du grand syndicaliste Léon Jouhaux qui, né à Aubervilliers, travailla ici même au début du siècle comme ouvrier à la manufacture d'allumettes, une manufacture qui se trouvait là où sont installés aujourd'hui vos ateliers de façonnage, de stockage et d'expédition.
Et puisque j'évoque l'histoire, permettez-moi de rappeler brièvement les origines de la Documentation française. Elles nous ramènent quarante années en arrière, pendant la période troublée de la guerre. Il était apparu nécessaire aux responsables de Londres et d'Alger de s'appuyer sur une documentation politique sérieuse pour soutenir la Résistance, d'une part, et, d'autre part, préparer l'après-guerre.
Dès janvier 1942, s'était créée, par la volonté du général de Gaulle au lendemain du premier voyage de Jean Moulin à Londres, une section de documentation politique sur la France. Cette première équipe était animée à M. Jean-Louis Crémieux-Brilhac, qui a dirigé la Documentation française de 1969 à 1982. Après avoir accumulé des coupures de presse, des synthèses et des études sur la France, elle fut chargée de préparer, et de faire parvenir secrètement à la Résistance, des documents contenant des éléments de connaissance et d'appréciation dont elle manquait si cruellement sous un régime de censure.
Cette action s'établit sous l'égide de trois hommes : le journaliste Pierre Brossolette ; André Philip, député socialiste de Lyon, et Georges Boris, ancien directeur du cabinet de Léon Blum.
Ils veillèrent à ce que les documents diffusés soient soumis à un contrôle d'objectivité auquel participaient des représentants des diverses tendances de la Résistance.
Sans doute ces souvenirs peuvent-ils apparaître lointains, mais la leçon qui s'en dégage reste vivante. Ceux qui étaient prêts à donner leur existence pour le droit à la libre opinion et au libre jugement ; le droit à la libre circulation des informations ; le droit à la libre expression, bref le droit au pluralisme. Le droit à tout ce qui permet, par des voies multiples, d'approcher la vérité et de comprendre.
Durant cette même année 1942, peu après le débarquement allié en Afrique du Nord, M. Marcel Koch, qui devait être le premier directeur de la Documentation française, créait à Alger un centre de documentation politique et économique d'où sortit bientôt la série des Notes et Etudes documentaires qui, sous une présentation bien différente, prospèrent encore aujourd'hui.
M. Koch, soutenu en cette idée par M. Louis Joxe, avait une conscience toute nouvelle en France de la fonction documentaire au service de l'Etat. Il avait compris que les choix politiques, les décisions, les plans économiques, les réformes sociales, ne peuvent pas s'improviser mais doivent, dans un Etat moderne, s'appuyer sur une connaissance approfondie des documents et des faits.
Ainsi, quand la Documentation française fut créée, après la Libération, par le regroupement de l'équipe de Londres, de l'équipe d'Alger et du service d'analyses de presse étrangère issu du Quai d'Orsay, cette création avait une double signification à laquelle vous vous devez d'être fidèles et qui tient en deux mots "rationalité et démocratisation".
Après avoir été rattachés au ministère de l'Information dès la Libération, les services devaient, en 1947, à la disparition de ce ministère, être institutionnalisés et rattachés au Secrétariat général du Gouvernement : la Documentation française devenait ainsi l'un des services du Premier ministre, aux côtés des Journaux Officiels et du Service d'Information et de Diffusion, chargée de poursuivre, dans le respect de ses règles particulières, sa mission vis-à-vis du Gouvernement et des citoyens.
Que de chemin parcouru depuis lors !
Aujourd'hui, la Documentation française, présente un ensemble impressionnant : 450 agents, 50 périodiques et environ 250 ouvrages produits, édités ou diffusés, une banque de données automatisée. C'est aussi plusieurs centaines de collaborateurs extérieurs : hauts fonctionnaires, universitaires, journalistes, experts, qui acceptent d'être ses auteurs, qui participent aux travaux des comités scientifiques des revues.
C'est des centaines de milliers de lecteurs et d'utilisateurs français et étrangers. Tout ceci fait de cette Direction une institution sans comparaison en Europe et même dans le monde.
La Documentation française n'est pas en effet un service de documentation "comme les autres". Elle doit suivre l'actualité et servir les administrations autant que le public. Elle doit s'adapter en permanence, choisir la meilleure voie, dans le cadre de ses impératifs, de ses moyens, dans le respect de sa mission d'information et d'impartialité. Le changement de génération de l'équipe de direction, la nomination de Mme Françoise Gallouédec-Cenuys il y a quatre mois à peine, témoignent du dynamisme de la Documentation française.
Sa mission, la Documentation française, l'a remplie. Elle doit continuer.
Les chiffres que je viens de citer en témoignent, mais, plus que la quantité des documents produits, c'est sur l'esprit dans lequel ils sont réalisés que je veux insister.
Grâce à ses revues, ses études et synthèses, la Documentation française met à la disposition de nos compatriotes des éléments de connaissance et d'explication des grands problèmes contemporains en France et à l'étranger.
Le crédit acquis, en quelque quarante ans, auprès des différentes familles idéologiques françaises et étrangères est dû au respect de strictes règles de déontologie. Toute la crédibilité des publications en dépend ; la démocratisation de l'information aussi.
La Documentation française participe en outre à l'amélioration des relations entre l'administration et les administrés, en portant à la connaissance du public les rapports officiels qui font le bilan des grandes questions et proposent des projets et réformes. Ces rapports, autrefois confidentiels, sont aujourd'hui à la disposition de tout citoyen intéressé. La Documentation française a ainsi anticipé sur la loi visant à limiter le secret administratif.
Enfin, elle apporte son aide technique aux administrations et aux ministères pour éditer et diffuser leurs études, leurs statistiques, leurs réflexions et leurs projets. Elle est leur intermédiaire tout désigné et le plus apprécié. J'aimerais que toutes les administrations s'en souviennent.
Sur le plan de la documentation, proprement dit, l'apport de la Documentation française est incomparable. Sa bibliothèque est ouverte à tous, sans restriction, ce qui est exceptionnel.
Elle dispose d'un fonds remarquable sur tous les problèmes contemporains français, étrangers et internationaux. La Documentation française offre aussi des dossiers de presse, une photothèque réputée sur la France et sur l'Afrique.
Cette documentation a été modernisée et elle s'ouvre à l'informatique avec la Banque d'information politique et d'actualité. Il convient en effet que la France ne soit pas absente des grandes banques de données mondiales en matière de documentation politique. La Documentation française le permet.
Je sais d'ailleurs que vous vous tenez au courant de toutes les innovations en ce domaine et que vous ne laisserez pas passer, sans les utiliser, les futures inventions technologiques en matière de communication.
Permettez-moi, pour conclure, d'évoquer justement l'avenir et les futures missions de la Documentation française ; celles que vous commandent, d'une part, des besoins croissants d'information et de compréhension du monde dans lequel nous vivons, et, d'autre part, une nécessaire décentralisation de l'information, qui doit aller de pair avec la décentralisation de la France. Grâce aux technologies modernes et à l'informatique, votre banque de données doit se développer, son fonds doit s'élargir notamment aux informations régionales et locales pour répondre aux besoins de tous, sans privilège.
De même, dans une France décentralisée, la Documentation française doit contribuer à favoriser la diffusion d'informations de toutes sources -régionales et locales en particulier- qui enrichiront la connaissance mutuelle des régions, des Français sur les Français et qui doit mettre un terme au monopole parisien de l'information. La Documentation française doit être l'initiateur d'une telle opération. Elle pourrait même proposer un support d'information interrégional, bâtir une revue à base régionale et locale qui serait la voix de nos provinces.
Enfin et dans le même ordre d'idée, je souhaite que vos publications, qu'on trouve facilement à Paris, soient davantage présentes dans les régions. Il faut mettre sur pied une diffusion élargie afin de toucher un public de plus en plus vaste. Etant entendu que, pour toucher un plus large public, vous devez mettre à sa disposition des ouvrages facilement accessibles et d'une grande lisibilité, tout en conservant la rigueur de vos informations. Travailler toujours à une meilleure vulgarisation c'est participer à la démocratisation et à la décentralisation de l'information et de la documentation.
Vous devez continuer à aider les citoyens à comprendre les mécanismes de la vie politique et économique moderne et à réfléchir sur les problèmes actuels et leur avenir.Je souhaite aussi que l'image que vous donnez en France puisse se projeter à l'étranger et que vous contribuiez à soutenir notre action culturelle et la diffusion du français dans le monde. La Documentation française doit être, à l'étranger comme en France, le meilleur support de notre réalité nationale.