Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle (nos 3872, 3904).
(Présentation)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, si la commission mixte paritaire portant sur le projet de loi organique a été un succès, celle portant sur le projet de loi ordinaire de modernisation de la justice du XXIe siècle ne fut pas conclusive. Cette issue prévisible ouvre la voie à la poursuite du processus parlementaire. Le texte adopté par la commission des lois est donc dénué de surprises, même si vous avez eu à discuter de plus de deux cents nouveaux amendements. Heureusement, la plupart d'entre eux étaient connus pour avoir souvent été discutés deux fois, en commission puis en séance. Dès lors, leur sort était largement prévisible.
Je me souviens d'ailleurs que la discussion de la réforme du règlement de l'Assemblée nationale avait donné lieu en 2009 à un amendement déposé par le président du groupe UMP de l'époque, Jean-François Copé, visant à interdire le dépôt en séance d'un amendement rejeté en commission. Peut-être devrait-on discuter à nouveau d'un tel principe car je ne suis pas certain qu'examiner trois fois les mêmes amendements contribue à faire progresser la compréhension des sujets en cause !
M. Marc Dolez. Ah non !
M. Guy Geoffroy. Il a parfois de bonnes idées ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Vous avez donc confirmé, mesdames et messieurs les députés, la totalité des options intégrées dans la version adoptée par votre assemblée le 24 mai 2016. Je commencerai donc par remercier, tout aussi chaleureusement que sincèrement, pour leur travail remarquable les rapporteurs Jean-Yves Le Bouillonnec et Jean-Michel Clément, qui ne peut être parmi nous ce soir en raison d'un deuil familial et que nos pensées accompagnent. Sa présence aurait été utile car voilà des mois que Jean-Yves Le Bouillonnec et Jean-Michel Clément pensent « Justice XXI », mangent « Justice XXI » et dorment « Justice XXI » ! Il était donc temps d'abréger leurs souffrances et d'avancer vers la sortie ! (Sourires.)
Qu'ils soient donc remerciés de leur très grande disponibilité ! Vous voudrez bien, monsieur le rapporteur, transmettre à votre collègue Jean-Michel Clément ces félicitations du Gouvernement. Je salue aussi la vigilante compréhension dont vous avez fait preuve à l'égard des attentes du Gouvernement. Je remercie également M. le président de la commission des lois, Dominique Raimbourg, qui a suivi ce texte de très près ès qualités et a su user de son influence autant que nécessaire pour trouver des formules de compromis sur des sujets délicats. Je remercie enfin Cécile Untermaier et Colette Capdevielle, qui ont souvent participé à nos discussions, de leur implication dans ce texte.
Comme il ne saurait être question d'aborder de nouveaux sujets ni de défricher de nouveaux terrains à ce stade de la procédure parlementaire, je me contenterai de rappeler que ce texte poursuit un triple objectif : simplifier et clarifier certaines procédures, recentrer le juge sur sa mission première, qui consiste à décider et trancher les litiges par l'application du droit, et ouvrir de nouvelles conditions d'accès au droit.
Sans revenir à l'excès sur les débats que nous avons eus lors de la première lecture et que sans nul doute nous reprendrons à l'occasion de cette nouvelle lecture, il faut tout de même rappeler l'évolution du divorce par consentement mutuel, désormais prononcé sans passage devant le juge, ce qui est une mesure de bon sens d'ailleurs soutenue par nos concitoyens : interrogés à de multiples reprises depuis que ce débat a eu lieu, ceux-ci ont indiqué qu'ils en étaient satisfaits à 75 %.
J'ai lu et entendu nombre de doutes et de réticences, semblables d'ailleurs à ceux que les précédentes réformes du divorce avaient suscités. Ce sont toujours les mêmes craintes et elles sont légitimes. Il faut veiller en permanence à l'équité, à l'impartialité, au respect des droits des enfants et à la protection des plus faibles. Chacun ici partage ces convictions. Le Gouvernement persiste donc à penser que les époux seront mieux protégés, en particulier la personne la plus faible, financièrement ou psychologiquement, par le fait que deux avocats sont présents au lieu d'un. J'ai d'ailleurs noté que nombre de ces critiques n'étaient pas assorties de propositions, ce qui revient à se satisfaire de l'existant dont il m'a pourtant semblé qu'il méritait quelques critiques.
De même, la simplification de notre organisation judiciaire est un aspect du texte auquel le Gouvernement attache la plus grande importance. La fusion progressive des contentieux de la Sécurité sociale dans un contentieux unique confié au pôle social du tribunal de grande instance améliorera la lisibilité du traitement de ces contentieux actuellement répartis entre plusieurs types de juridiction.
La suppression des tribunaux correctionnels des mineurs allégera le fonctionnement des juridictions tout en garantissant une spécialisation de la justice des mineurs. La forfaitisation de la sanction de certains délits routiers contribuera à améliorer le fonctionnement des juridictions tout en renforçant la répression des délits routiers concernés, le défaut de permis de conduire et le défaut d'assurance. Quant à la création d'un socle commun aux actions de groupe, qui n'existe actuellement qu'en droit de la consommation, elle fera, par l'introduction de déclinaisons en matière de discrimination, d'environnement ou de protection des données personnelles, bénéficier nos concitoyens de nouvelles garanties
Lors de nos précédents échanges, j'ai entendu reprocher à ce texte d'être un « fourre-tout » sans ambition. Ayant eu l'honneur de siéger pendant des années dans cet hémicycle, au titre de responsabilités diverses, j'ai souvent entendu cette critique. Je crois même qu'il m'est arrivé de la formuler ! (Sourires.) Sans doute est-ce le destin de ces projets qui sont exclusivement gouvernés par le bon sens. Le bon sens est en effet le fil rouge qui donne une cohérence à toutes ces petites mesures, qui, sans bouleverser l'équilibre du droit existant, changeront cependant grandement la vie de bien des justiciables. Tel est par exemple le cas de la procédure dédiée au changement de sexe à l'état civil que vous avez souhaité faire figurer dans ce texte, mesdames et messieurs les députés. Simplifiée et démédicalisée, elle permettra aux personnes transgenres de bénéficier plus rapidement de papiers en adéquation avec leur identité, mettant ainsi fin à des situations de souffrance et de discrimination.
Au reproche de manque d'ambition de ce texte, je réponds qu'il n'aurait servi à rien d'ouvrir de nouveaux chantiers et de susciter des illusions nouvelles en sachant pertinemment que nous n'aurions ni le temps ni les finances nécessaires pour les mener à bien. Comme je l'ai dit la première fois que j'ai eu l'honneur de m'adresser à vous, je ne veux pas être un garde des sceaux qui bâtit des droits de papier. Ce texte est la manifestation de cette conviction. Les droits nouveaux qui sont ici ouverts sont financés, les progrès qui sont ici forgés sont préparés et les évolutions qui sont ici décidées sont anticipées.
Cela m'amène à profiter de l'opportunité qui m'est offerte pour vous dire un mot du projet de loi finances pour 2017. Vous le savez fort bien, le budget de la justice est un petit budget puisqu'il ne représente que 2 % du budget de l'État, soit en réalité 6,6 milliards d'euros car je ne prends pas en compte l'ensemble des 8 milliards d'euros qui comportent une partie non négociable, le compte d'affectation spéciale « Pensions ». Seuls 6,6 milliards d'euros sont donc consacrés au financement de la justice.
Depuis 2012, sous l'impulsion du Président de la République, les gouvernements de Jean-Marc Ayrault et de Manuel Valls ont beaucoup fait, notamment en matière de créations d'emplois. Alors que l'engagement initial du Président de la République était de de créer 500 emplois par an pendant toute la législature, soit 2 500 en tout, nous en avons créé 2 000 de plus soit 4 500 en tout.
Nous avons notamment créé 590 emplois de magistrat, soit une croissance des recrutements de 75 % par rapport à la législature précédente, et 806 emplois de fonctionnaires au profit des juridictions destinés à accompagner les magistrats dans leurs actions.
Mais les besoins sont immenses et je ne cesse, depuis cinq mois et treize jours, de plaider en faveur d'une progression du budget. Il me semble d'ailleurs que cette préoccupation est devenue consensuelle, si j'en crois les déclarations communes faites par les présidents des commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat lors d'un déplacement à Créteil le 2 juin dernier. Vous avez même plaidé, monsieur le président Raimbourg, dans un entretien publiée le 3 juin dernier dans Libération, en faveur d'une loi de programmation pluriannuelle pour la justice. Le Premier ministre a eu l'occasion de vous répondre lors de l'inauguration du nouveau palais de justice de Caen le 13 juin. Il a alors déclaré que, non seulement le budget 2017 s'inscrirait dans la continuité de l'augmentation constante et résolue des dernières années mais qu'il faudrait sans doute faire plus.
Les chiffres sont maintenant connus puisque vous avez eu un débat d'orientation budgétaire. Vous savez donc que je suis un garde des sceaux soulagé. L'an prochain, le budget de la justice progressera de 4,5 %, ce qui constituera sa plus forte hausse depuis 2012. Les crédits alloués à la justice auront donc progressé de 14 % au cours de la législature, dans un contexte budgétaire pourtant contraint par les exigences du redressement de nos finances publiques. Ainsi, vous savez que vous aurez à débattre d'une proposition gouvernementale qui frôle les 7 milliards d'euros. Elle atteint en effet 6,9 milliards d'euros, soit 300 millions de plus que l'an passé. C'est une bonne nouvelle pour tous ceux qui contribuent à l'uvre de justice mais aussi et surtout pour les justiciables.
Évidemment, cela ne soldera pas toutes les difficultés mais ce nouvel effort significatif marque la tendance et la constance des gouvernements qui se sont succédé depuis le début de la législature.
Voilà, mesdames et messieurs les députés, ce que je voulais dire à l'orée de nos débats de ce projet de loi ordinaire qui en fin de compte ne l'est peut-être pas tout à fait ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
source http://www.assemblee-nationale.fr, le 25 juillet 2016