Interview de M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice, avec RTL le 25 juillet 2016, sur l'attentat terroriste à Nice et la Justice.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


JEROME CHAPUIS
Bonjour Jean-Jacques URVOAS.
JEAN-JACQUES URVOAS
Bonjour.
JEROME CHAPUIS
Nous assistons donc ce matin, un peu surpris, il faut bien le dire, à ce conflit ouvert, conflit public, entre le ministre de l'Intérieur et une policière municipale de Nice, la justice est saisie, par les deux parties. Alors d'abord, comme garde des Sceaux, est-ce que vous pouvez nous dire comment les choses vont se passer dans les jours qui viennent du point de vue de la procédure.
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui, c'est d'ailleurs la seule chose que je peux vous dire, puisque je ne peux pas me mêler de l'enquêter qui est placée sous la responsabilité, maintenant, de magistrats instructeurs, qui ont été désignés jeudi dernier, puisqu'il y a eu deux étapes dans le drame qui nous a occupés depuis le 14 juillet. Il y a d'abord une première enquête, qui est conduite par le Parquet de Paris, et puis le 21 juillet dernier, c'est-à-dire jeudi dernier, a été ouverte une procédure qui relève de six magistrats instructeurs, ce que l'on appelle l'information judiciaire. Donc ceux-là ont besoin de travailler dans la sérénité, parce qu'on est évidemment happé par l'actualité, mais il ne faut pas oublier que sur les 84 personnes qui sont décédées, tous les corps n'ont pas encore été rendus à leur famille, et il y a encore, en ce moment, des personnes, je crois qu'elles sont neuf, qui luttent pour la vie, à l'hôpital.
JEROME CHAPUIS
Mais là vous parlez de l'enquête sur l'attentat, moi je vous parle de l'enquête sur le dispositif de sécurité qui concerne l'attentat. Comment est-ce que ça va se passer quand, d'un côté vous avez un ministre de l'Intérieur qui porte plainte pour diffamation, et de l'autre une policière municipale qui saisit le Parquet contre le ministre de l'Intérieur ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Alors, deux observations. D'abord sur l'origine de la polémique, en la regrettant, eu égard de ce que je viens de dire, puisque cette affaire n'est évidemment pas terminée pour beaucoup de familles qui, encore une fois, attendent que des personnes, elles sont neuf, il y a encore aujourd'hui 47 personnes qui sont hospitalisées. Mais, sur la polémique qui est née, d'abord le ministre de l'Intérieur a indiqué, c'était le 21 juillet me semble-t-il, qu'il demandait une enquête, à l'Inspection générale de la Police nationale, sur la question des effectifs, de façon à corroborer, ou pas, ce qu'il avait affirmée, contrairement à ce que Christian ESTROSI disait, où il n'y avait pas assez de policiers nationaux. Donc ça, cette enquête, nous allons l'avoir cette semaine, et nous aurons un premier élément. Deuxième élément, sur la polémique d'hier, qui est à mes yeux, quand même, relativement étonnante, on parle de faits qui ont eu lieu il y a 10 jours, et il faut ouvrir un hebdomadaire comme Le JDD pour qu'une fonctionnaire de la collectivité de Nice dise qu'elle aurait reçu des pressions. Comme c'est une fonctionnaire, elle connaît le Code pénal, et dans le Code pénal il y a un article qui est l'article 40, qui dit que quand tout fonctionnaire est confronté à la manifestation d'un délit, et ce qu'elle prétend avoir reçu comme pressions est un délit, alors ce n'est pas au JDD qu'elle doit en parler, mais au Procureur de la République.
JEROME CHAPUIS
A contrario on peut aussi vous dire qu'au bout de 10 jours on ne sait toujours pas précisément quel était le dispositif de sécurité à Nice. Est-ce que c'est normal ça ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Alors, c'est logique, dans la mesure où il n'y a rien de pire que la précipitation. A partir du moment où il y a une interrogation, le ministre de l'Intérieur dit « il y avait X fonctionnaires », l'ancien, futur, ex, pseudo maire de Nice, nous dit « non, il n'y avait pas cela », très bien. Qui peut faire le tri ? Eh bien l'Inspection générale de la Police nationale, dont chacun reconnaît à la fois la rectitude et la capacité d'investigations, ce qu'elle fait. Dire du jour au lendemain « c'était X ou Y qui avait raison », beaucoup auraient dit « ça va trop vite, ils n'ont pas eu le temps de travailler », là l'IGPN a été saisie le 21 juillet, et nous aurons son travail cette semaine.
JEROME CHAPUIS
Cette policière municipale elle accuse le cabinet de Bernard CAZENEUVE d'avoir fait pression sur elle pour écrire dans un rapport des choses qu'elle n'aurait pas vues, enfin en tout cas c'est ce qu'elle dit, c'est-à-dire des voitures de la Police nationale là où, selon elle, il n'y en avait pas. Si on vous demande à vous, Jean-Jacques URVOAS, collègue de Bernard CAZENEUVE, votre intime conviction sur cette affaire, qu'est-ce que vous nous dites ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Très honnêtement je pense que vos auditeurs sont assez indifférents à mon intime conviction, moi…
JEROME CHAPUIS
Elle est importante, pardon, mais c'est aussi une affaire politique.
JEAN-JACQUES URVOAS
Je comprends bien, mais je vais vous dire que ma réponse elle est basée sur ma fonction, c'est-à-dire la fonction de ministre de la Justice, qui se doit d'être le gardien de la règle et du droit.
JEROME CHAPUIS
Par fonction vous ne pouvez pas défendre votre collègue Bernard CAZENEUVE ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Je ne défends personne, je défends la vérité, comme Bernard CAZENEUVE fait son travail avec beaucoup de droiture et beaucoup de conscience. Quel est le droit ? Le droit est le suivant : cette affaire part du fait, paraît-il, que des policiers seraient venus demander une écriture d'un rapport. Que faisait ce rapport ? Ce rapport décrit des images, bien. Les images en question ce sont des vidéos qui ont été captées par les caméras de surveillance qui étaient sur la Promenade des Anglais, ces images sont maintenant l'exclusive propriété des magistrats instructeurs. Au plan du droit, les magistrats n'ont strictement rien à faire de ce rapport, rien à fait, ce que vont regarder les magistrats c'est les pièces qu'ils ont demandées à avoir en leur possession, c'est pour ça qu'il y a eu une réquisition judiciaire en disant « donnez-nous les images des vidéos. »
JEROME CHAPUIS
Que les choses soient bien claires, parce qu'il y a effectivement ce que dit la policière hier, et puis il y a ce qu'elle affirme aussi, à savoir que le Parquet antiterroriste a réclamé la saisie, la destruction des vidéos qui seraient encore en possession de la police municipale de Nice. Pourquoi avoir fait cette demande ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Alors, reprenons les faits. Il y a un attentat le 14 juillet, le Parquet de Paris, puisque c'est sa compétence exclusive, quand il y a une affaire de terrorisme c'est le Parquet de Paris, le procureur François MOLINS a besoin d'avoir tous les éléments pour pouvoir investiguer. Dans tous les éléments il y a les images qui ont été filmées le 14 juillet, mais aussi le 13, mais aussi le 12, parce qu'il fallait savoir s'il y avait eu déjà des éléments de préméditation de cet attentat. Le procureur a donc demandé la réquisition judiciaire, c'est le terme, de la totalité des images. A compter du moment où le procureur le fait, les images sont la propriété exclusive de la justice, pour qu'elle puisse travailler. Et donc, pour volonté de protéger les victimes, et pour éviter la dispersion des images, la réquisition a effectivement demandé au Centre de surveillance urbaine de la ville de Nice de donner les images afin qu'il n'y ait qu'une seule possession. Et quand j'ai lu, ce qui vraiment m'a extrêmement interpellé sur l'intention de beaucoup de ceux qui parlent, quand on dit que des preuves ont été détruites, c'est évidemment totalement l'inverse, les preuves, aujourd'hui, sont en possession des magistrats instructeurs.
JEROME CHAPUIS
Toutes les preuves, toutes les images ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Toutes les preuves. Et quand j'entends – pardon de préciser ce point – mais quand j'entends l'ancien, futur, ex-maire de Nice, nous dire « je ne vais pas obéir à la réquisition judiciaire », figurez-vous que le fait de dire ça c'est une infraction. Le Code de procédure pénale dit que quand on fait une réquisition judiciaire, celui qui ne le respecte pas, est en infraction, c'est l'article R641-1 du Code de procédure pénale.
JEROME CHAPUIS
Christian ESTROSI est, aux yeux du droit, obligé, comme adjoint à la sécurité de Nice, de se dessaisir, d'une certaine manière, des images de la police municipale de Nice ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Il est obligé d'obéir au procureur de la République qui a demandé des pièces en appui des compétences. Moi je ne voudrais pas que la ville de Nice, qui est une image formidable au regard de ce qu'est notre pays dans le monde, Nice est extrêmement connue, je ne voudrais pas que cette ville devienne un îlot de divorce avec le droit.
JEROME CHAPUIS
Question au ministre de la Justice, est-ce que la justice, aujourd'hui, est en mesure d'établir les faits, les simples faits, sur le dispositif de sécurité au soir de l'attentat ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Bien sûr, et d'ailleurs seule la justice est en capacité de…
JEROME CHAPUIS
Seule la justice ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Seule la justice est en capacité de dire la vérité.
JEROME CHAPUIS
Parce que, on regarde, au bout du compte c'est aussi une affaire politique. Est-ce que ça ne sera pas aux femmes et aux hommes politiques, je veux dire par exemple aux parlementaires, de se saisir aussi de cette affaire ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, ce n'est pas la compétence du Parlement. Permettez à l'ancien président de la commission des Lois de préciser ce qu'est une commission d'enquête. Une commission d'enquête est là pour analyser s'il y a eu des dysfonctionnements, ce n'est pas le travail de recherche de la vérité, la commission d'enquête elle cherche s'il y a des dysfonctionnements. La vérité c'est la compétence du procureur de Paris, maintenant des magistrats instructeurs, c'est-à-dire des juges d'instruction. Dans le cas d'espèce, le ministre de l'Intérieur a porté plainte pour diffamation publique hier, eh bien cela relève maintenant du Parquet, qui va ouvrir une enquête pour, j'imagine, entendre la policière employée de monsieur ESTROSI.
JEROME CHAPUIS
Est-ce que vous, Jean-Jacques URVOAS, comme Bernard CAZENEUVE, vous avez ce matin la nausée ?
JEAN-JACQUES URVOAS
J'ai une forme d'accablement, d'accablement parce qu'encore une fois nous avons ouvert notre conversation en y pensant, à ces neuf personnes qui luttent encore contre la vie (sic), pour les 84 familles qui ont perdu quelqu'un, mais dont les corps n'ont pas tous été récupérés, et j'ai une forme d'accablement puisque quand on en vient à se jeter une interprétation du droit à la figure, c'est qu'on touche au cadre de notre vie publique. Vous savez, la justice elle est là pour ça, elle est là, ce n'est pas un confort, c'est une boussole, c'est une protection. La séparation des pouvoirs, ce que fait le juge, n'est pas de la compétence du politique, c'est ça qui permet justement à la population d'avoir confiance.
JEROME CHAPUIS
Face au terrorisme, Jean-Jacques URVOAS, la droite vous dit « ouvrez les yeux, nous avons changé d'époque, il faut adapter, changer notre droit. » Est-ce que vous considérez que le terrorisme, aujourd'hui, menace directement notre Etat de droit ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Le terrorisme menace d'abord les Français, et c'est d'ailleurs pour ça que depuis le début de la législature notre majorité a voté plusieurs textes. Maintenant, est-ce que nous avons doté ce pays de tous les outils ? Je le crois en conscience, absolument. Pourquoi ? Parce que la dernière loi que nous avons votée, le 6 juin, le 6 juin, et d'ailleurs les outils que nous avons créés sont utilisés en ce moment dans l'enquête sur Nice. Quand nous avons écrit cette loi, quand elle a été discutée au Parlement, quand elle a été enrichie par le Sénat et l'Assemblée nationale, nous avons d'abord écouté le procureur de Paris, les magistrats antiterroristes, et ils nous ont dit « voilà, il nous manquait tel outil, celui-ci est perfectible. » Je crois vraiment, maintenant, que nous avons – et je demande à être démenti, mais – la législation la plus performante, si ce n'est du monde occidental, en tout cas de l'Union européenne.
JEROME CHAPUIS
Et en même temps les Français vous diront que cette législation adoptée au mois de juin n'a pas permis d'empêcher un attentat.
JEAN-JACQUES URVOAS
C'est vrai, et c'est d'ailleurs pourquoi il faut comprendre que, sur Nice, à mes yeux, aucun dispositif de sécurité n'aurait empêché un fou d'aller broyer des innocents sur une promenade. Nous n'allons pas interdire la location de camions. Il ne faut pas imaginer que toutes les mesures que nous prenons sont bâties sur du sable, nous avons observé les éléments, nous les avons comparés, nous les avons ensuite confrontés à des réalités européennes, qui ne sont pas les nôtres. Nous avons, nous, pris toutes les dispositions, mais c'est vrai que la folie d'un homme ce n'est pas prévisible.
JEROME CHAPUIS
Merci Jean-Jacques URVOAS, ministre de la Justice, d'avoir été l'invité de RTL ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 juillet 2016