Interview de Mme Juliette Méadel, secrétaire d'Etat à l'aide aux victimes, à iTélé le 28 juillet 2016, sur la nécessité de l'unité nationale dans la lutte contre le terrorisme et l'aide aux victimes de l'attentat de Nice, notamment avec le lancement d'un site Internet unique pour les victimes.

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Média : Itélé

Texte intégral

ALICE DARFEUILLE
Je reçois ce matin Juliette MEADEL, secrétaire d'Etat chargée de l'Aide aux victimes. Bonjour.
JULIETTE MEADEL
Bonjour.
ALICE DARFEUILLE
Vous n'y étiez pas mais vous avez vu les images hier, de cette messe d'hommage, de recueillement, à la cathédrale Notre-Dame, le gouvernement est venu rendre hommage au prêtre Jacques HAMEL, et avec lui les principaux responsables politiques, Nicolas SARKOZY, Gérard LARCHER, Claude BARTOLONE. Moment d'émotion, d'unité, d'applaudissements aussi, applaudissements pour François HOLLANDE et Monseigneur VINGT-TROIS. Une unité nationale qui n'aura duré que quelques minutes, mais qui a fait du bien.
JULIETTE MEADEL
Oui, je crois que dans un moment comment celui que nous vivons, et qui s'installe, puisque nous avons maintenant en l'espace de 15 jours vécu deux attentats, chaque responsable politique doit faire preuve d'un minimum de dignité et de sens de l'union. Nous avons besoin, nous, nos concitoyens ont besoin d'union parce que c'est l'union qui fait la force, et ce qu'il ne faudrait surtout pas, ça serait que ces attentats terroristes nous divisent. Les Français doivent être unis, la classe politique doit aussi faire preuve d'une vraie solidarité face à l'adversité.
ALICE DARFEUILLE
Vous pensez que quelques leçons ont été retenues depuis l'attentat de Nice ? Au lendemain de cet attentat, très vite la classe politique avait été déchirée, divisée.
JULIETTE MEADEL
Je crois que la droite en particulier, j'espère, qu'elle tirera les leçons de son attitude qui a été évidemment désavouée et qui a fait preuve, je crois, d'un manque de sang-froid. Vous savez, dans des moments de crise comme ça, c'est à ces moments-là qu'on juge la capacité des uns et des autres à assumer les plus hautes responsabilités. Et quand je vois Nicolas SARKOZY qui a réclamé un Guantanamo à la française, au mépris évidemment de notre Constitution, je crois qu'il a fait preuve de son incapacité totale à avoir du sang-froid dans les moments douloureux. Donc, hier, oui, hier c'était bien, moi je trouve que tout ce qui peut rassembler, tout ce qui peut faire preuve de la maîtrise de soi, et de sang-froid, est bon.
ALICE DARFEUILLE
C'était bien, et en même temps ce n'était pas un peu étrange cette classe politique au sein de Notre-Dame alors que la République est fondée sur la laïcité ?
JULIETTE MEADEL
Je crois que chacun a la liberté de célébrer, de commémorer, de se recueillir, comme il le souhaite, c'est ça la laïcité en France aussi, c'est cette liberté reconnue à chacun de pratiquer, ou de ne pas pratiquer, ou de rendre hommage, comme il l'entend, et en la matière je crois qu'il ne faut donner de leçon à personne.
ALICE DARFEUILLE
Sur le plan de l'enquête, ça y est, le deuxième terroriste de Saint-Etienne-du-Rouvray a été identifié, il s'appelle donc Abdelmalik P, c'est un autre jeune de 19 ans, il est né dans les Vosges, un jeune homme dont l'identité a été confirmée il y a quelques minutes. Il avait été repéré quelques jours avant l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray par les services de renseignement, une photo de lui avait été diffusée à tous les services de police, parce qu'il était soupçonné d'être prêt à participer à un attentat sur le territoire national. Ce qui est terrible, Juliette MEADEL, c'est qu'on a l'impression que les terroristes ont toujours un temps d'avance.
JULIETTE MEADEL
Ce qui est terrible c'est surtout qu'ils arrivent à jouer sur l'imprévisibilité de leurs actes, mais reconnaissons-le, le risque zéro n'existe pas. Le Premier ministre l'avait dit, il y aura d'autres attentats. Le modus operandi, à chaque fois, est différent, les services de sécurité font vraiment leur maximum, les services de renseignement, petit à petit, progressent, les moyens ont été renforcés, fort heureusement, car ils avaient été très largement diminués sous le quinquennat précédent. Donc, maintenant, je crois que ce qu'il faut c'est continuer à soutenir les forces de l'ordre et à maintenir aussi notre mode de vie.
ALICE DARFEUILLE
Il faisait l'objet d'une fiche S depuis le 29 juin dernier, vous comprenez Juliette MEADEL que cette réponse, le risque zéro n'existe pas, ça ne suffise plus aux Français ?
JULIETTE MEADEL
Mais le drame que nous avons vécu fait qu'évidemment, aucune réponse n'est audible lorsqu'on a vécu un drame pareil, c'est certain, néanmoins, croyez vraiment, et ne mettons pas en cause aussi le travail des forces de l'ordre, ça signifie que chacun a sa tâche, est complètement dévoué, complètement dédié, mais qu'on ne peut pas dire, au risque d'affaiblir la parole publique, qu'il n'y aura plus d'attentat en France.
ALICE DARFEUILLE
Est-ce que ça ne repose pas la question des centres de rétention pour les personnes qui font l'objet d'une fiche S, comme le demande la droite ?
JULIETTE MEADEL
Vous savez, il y a des principes constitutionnels dans notre pays, dans les principes constitutionnels on ne prive pas de liberté quelqu'un qui n'a pas été jugé, si l'on fait ça, alors on est à l'encontre de l'Etat de droit. Et par ailleurs, on sait à quel point les Guantanamo à la française, ou à l'américaine, pardon, n'ont jamais été efficaces. Vous croyez franchement que les Américains ont réussi à éviter la menace terroriste en créant sur leur sol des Guantanamo à la française ? Donc, c'est contraire à nos principes fondamentaux et c'est totalement inefficace.
ALICE DARFEUILLE
Donc, pour vous, la confirmation de cette identité de ce deuxième terroriste, pas de faille, pas de dysfonctionnement ?
JULIETTE MEADEL
Je crois qu'il est aujourd'hui… en plus l'enquête est en cours, donc laissons au moins l'enquête aller à son terme, et surtout, surtout, ne tirons pas de conclusion hâtive, à chaud. Ce sinistre attentat a eu lieu il y a quelques heures à peine, il y a moins d'une semaine, essayons vraiment d'être serein. Franchement, je vous le dis, jouer sur des petites peurs ou essayer de s'appuyer sur des prétendues failles, ça provoque le désordre et ça provoque l'anxiété de nos concitoyens. Donc il faut vraiment analyser les choses avec sérénité et surtout se concentrer sur l'essentiel, on lutte contre le terrorisme et la Nation doit rester unie.
ALICE DARFEUILLE
Alors, on parlait de l'unité politique, l'union nationale hier à Notre-Dame qui a donc duré quelques heures et puis ce matin ça recommence, 12 jours de polémiques au sein de la classe politique. Aux arguties politiques du gouvernement, dénoncées par Nicolas SARKOZY, le garde des Sceaux Jean-Jacques URVOAS dénonce de son côté, ce matin, « la guantanamoïsation » du droit de Nicolas SARKOZY, en fait ça ne s'arrête jamais.
JULIETTE MEADEL
Le débat, évidemment, se lance en permanence, on voit bien d'ailleurs les arrière-pensées de la droite avec l'élection présidentielle qui arrive. Maintenant, il faut débattre de tout, l'Assemblée nationale a été le lieu la nuit de l'adoption de la prolongation de l'état d'urgence…
ALICE DARFEUILLE
Là on ne peut pas dire que ce soit un réel débat, ce sont plutôt des invectives, des piques de la gauche vers la droite, la droite vers la gauche…
JULIETTE MEADEL
Le ministre de la Justice rappelle, dans sa tribune, quels sont nos principes fondamentaux, il rappelle également qu'en matière d'outils juridiques tout a été fait dans la loi de 2016. Donc, je crois que l'arsenal juridique est le plus propice à une lutte contre le terrorisme. Tous les magistrats de la lutte antiterroriste vous le diront, les outils juridiques sont sur la table. Donc, le garde des Sceaux l'a très bien exprimé, je ne veux pas revenir sur ce sujet-là car tout est dit, tout est bien dit, je dis simplement à la droite, et à l'extrême droite aussi, de ne pas jouer sur des peurs au risque de disloquer notre Etat de droit.
ALICE DARFEUILLE
Juliette MEADEL, parlons à présent de l'attentat de Nice. Tout d'abord, quel est le dernier bilan des victimes et quelles sont les dernières nouvelles des blessés ?
JULIETTE MEADEL
Alors il y a aujourd'hui encore une quarantaine de personnes qui sont hospitalisées et 11 qui sont encore en réanimation. Ce qui est essentiel aujourd'hui, ce que je veux leur dire, c'est que nous avons aujourd'hui mis en place un processus d'aide et d'accompagnement pour la reconstruction des victimes, y compris évidemment celles qui sont blessées, mais aussi toutes les autres, toutes les victimes qui auraient ou être choquées et qui, présentent sur les lieux, auraient besoin d'être aidées. J'ai donc réuni hier les membres du conseil d'administration du fonds d'indemnisation, qui est le FGTI, pour une première réunion où nous réfléchissons et nous mettons en place, déjà, les processus pour aider les victimes à être indemnisées.
ALICE DARFEUILLE
Combien de personnes ont été indemnisées jusqu'à présent ?
JULIETTE MEADEL
Alors, aujourd'hui, nous avons près de 300.000 euros qui ont été versés, dès la semaine dernière, aux premières victimes, alors ce sont des avances sur indemnisation, c'est-à-dire que dans ces moments-là, vous avez des proches de victimes décédées qui ont besoin pour des frais d'urgence d'être indemnisées. Donc c'est des premiers versements qui les aident à faire face à des premiers besoins. C'est très important et l'Etat est là, l'Etat est aux côtés des victimes parce que pouvoir être présent sur des obsèques lorsqu'on n'a pas par exemple les moyens de se déplacer fait partie de ces moyens qui sont également couverts par le fonds d'indemnisation.
Nous avons donc, et j'insiste, nous avons mis en place pour la première fois des comités départementaux d'aide aux victimes. Qu'est-ce que ça veut dire ? Quand vous êtes sur la promenade des Anglais, vous n'êtes pas forcément Niçois, et ça veut dire qu'il faut que dans toute la France vous puissiez être aidé. Donc il y a aujourd'hui une quarantaine d'endroits, de départements de France, où des comités départementaux d'aide aux victimes vont aider les victimes de l'attentat de Nice à avoir pas seulement leur indemnisation.
Il y a toute une série d'autres dispositifs d'aide et de soutien. Par exemple, il y a les dispositifs de ce qu'on appelle les cellules d'urgence médico-psychiatriques ; il y a également des associations qui aident dans les démarches ; il y a également une nécessité d'informer les victimes sur leur parcours. Certaines, qui seront par exemple blessées, vont peut-être être obligées de changer d'emploi. Donc ce parcours est essentiel.
ALICE DARFEUILLE
Il était difficile de distinguer les victimes, puisqu'il y avait beaucoup de monde ce soir-là sur la promenade des Anglais ?
JULIETTE MEADEL
Le processus n'est évidemment pas achevé. Le parquet, comme vous le savez, établit la liste des victimes au terme évidemment d'un ensemble d'analyse de preuves et le processus est en cours. J'ai lancé hier le site Internet unique pour les victimes.
ALICE DARFEUILLE
Ça s'appelle GUIDE.
JULIETTE MEADEL
Exactement. GUIDE, de guichet unique. Il permet d'avoir accès à toute l'information nécessaire, parce que c'est complexe, et en même temps de réaliser les démarches en ligne.
ALICE DARFEUILLE
L'objectif, c'est évidemment de simplifier toutes ces démarches mais est-ce que lorsqu'on est une victime, on n'a pas davantage envie de parler à quelqu'un plutôt qu'à un ordinateur ?
JULIETTE MEADEL
Toute victime est accompagnée par des associations et par des référents. Vous savez, l'aide aux victimes marche sur deux jambes. L'aide, c'est-à-dire un référent qui est un référent évidemment humain, un accompagnement humain, et l'accompagnement avec GUIDE qui permet de réaliser les démarches facilement. Ce que je souhaite, c'est de ne pas rajouter de la complexité à la douleur lorsqu'on a été victime d'attentat terroriste par exemple. Pour que ce soit simple, il faut qu'il y ait un outil Internet simple d'accès et un accompagnant, et c'est le cas. Vous savez, on a mis en place pour la première fois à la demande des associations de victimes avec lesquelles on a élaboré ce site, ce que l'on appelle un coffre-fort numérique. C'est-à-dire que vous pouvez déposer tous vos documents administratifs ou juridiques sur ce coffre-fort numérique pour faciliter vos démarches.
ALICE DARFEUILLE
Et vous nous dites ce matin qu'il y a donc encore une quarantaine de personnes dans un état grave. C'est ça ?
JULIETTE MEADEL
Non. Hospitalisées et onze en réanimation qui sont progressivement en train de – par pour les onze – mais de sortir de cet état d'urgence absolue.
ALICE DARFEUILLE
Combien de personnes sont encore dans un état d'urgence absolue ?
JULIETTE MEADEL
Aujourd'hui onze personnes sont en réanimation. On n'utilise pas le terme urgence absolue pour les onze mais elles sont en réanimation. Je crois que nous avons surtout à coeur aujourd'hui d'indemniser et de protéger en particulier ces victimes qui seront, pour certaines hélas, peut-être avec des séquelles.
ALICE DARFEUILLE
Une idée fait son chemin ces derniers temps au sein de la classe politique mais aussi au sein des médias - vous êtes d'ailleurs à l'origine de cette idée : ne plus diffuser aucune photo ni nom des auteurs des attentats dans les médias pour saper l'une de leurs principales motivations, à savoir la notoriété mais aussi par respect pour les victimes et leurs familles. En parallèle de cette idée que vous avez lancée, je crois que vous allez proposer des mesures à la rentrée. C'est bien ça ?
JULIETTE MEADEL
Nous sommes en train de réfléchir. Nous avons lancé une réflexion mais il y a aussi beaucoup d'autres personnes qui y réfléchissaient.
ALICE DARFEUILLE
Une pétition en ligne a aussi été lancée.
JULIETTE MEADEL
Les citoyens se sont emparés de ce sujet-là. Vous savez en la matière, je crois qu'évidemment la liberté d'information est intangible et si j'ai commencé à y réfléchir avec un certain nombre de spécialistes de la question, c'est que je crois qu'il faut pouvoir apporter des réponses qui ne sont pas forcément des réponses qui viennent du pouvoir politique mais qui sont des réponses qui sont inspirées par la pratique des journalistes eux-mêmes. En l'occurrence, je crois beaucoup à la déontologie et aux chartes de déontologie qui existent d'ailleurs, et le fait même que par exemple Le Monde ou Europe 1 ou La Croix pour ne citer qu'eux aient indiqué s'appliquer à eux-mêmes une sélection dans la manière dont elles présentent l'information, on est exactement dans le cadre idéal. Chacun se saisit, chacun fait preuve de responsabilité.
ALICE DARFEUILLE
Certains spécialistes des réseaux jihadistes et pas n'importe lesquels – je pense notamment à Wassim NASR ou encore David THOMSON – disent que cela ne changera rien et qu'au contraire, ça donnera du grain à moudre aux complotistes. C'est un argument que l'on doit aussi entendre.
JULIETTE MEADEL
Je crois qu'il n'y a pas de réponse uniforme en la matière. Précisément, si je suis en train d'y réfléchir avec des profils très variés, c'est qu'il faut accepter une palette de solutions et surtout reconnaître et encourager l'initiative individuelle, que chacun se saisisse avec sa sensibilité de cette question sensible. Moi je suis très, très, très sensible à ce que me disent les associations de victimes, par exemple lorsqu'elles évoquent que la juxtaposition d'une photo de victime à côté d'une photo de terroriste heurte leur mémoire. Ça ne veut pas dire évidemment qu'il ne faut plus publier la photo des terroristes, mais ça veut dire que nous réfléchissions collectivement à différentes options possibles et nous délivrerons le produit de notre réflexion qui contribuera à enrichir le débat, je l'espère, à la rentrée.
ALICE DARFEUILLE
Est-ce qu'on ne demande pas du coup à François MOLINS d'arrêter de dire les noms des terroristes ?
JULIETTE MEADEL
Le procureur de la République est le garant de la vérité judiciaire comme vous le savez et nous avons besoin plus que jamais d'une autorité judiciaire indépendante, libre et pouvant évidemment remplir son office comme il se doit.
ALICE DARFEUILLE
Merci beaucoup Juliette MEADEL, Secrétaire d'Etat chargée de l'aide aux victimes, d'avoir été avec nous ce matin.
JULIETTE MEADEL
Merci à vous.Source : Service d'information du Gouvernement, le 2 août 2016