Interview de Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable, à RFI le 3 août 2016, sur la prolongation de l'état d'urgence, les centres d'accueil et d'orientation pour les migrants, l'encadrement des loyers et la préparation des élections présidentielles.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

FREDERIC RIVIERE
Bonjour Emmanuelle COSSE.
EMMANUELLE COSSE
Bonjour.
FREDERIC RIVIERE
Ministre du Logement et de l'habitat durable. Ce matin, alors, c'est le dernier Conseil des ministres avant deux semaines de vacances. La France – on le sait – est encore sous état d'urgence. Alors pour vous, est-ce que ce sera un vrai repos ou bien un agenda allégé ?
EMMANUELLE COSSE
Ecoutez, quand on a des fonctions comme les miennes, on se repose évidemment, mais on reste aussi en alerte, d'une part, parce que ça ne s'arrête pas dans les ministères, et sur mes sujets, comme d'autres, au-delà de la question sécuritaire, il y a toujours des choses à faire, et d'ailleurs, dans le ministère, il y a toujours des permanences. Donc c'est un repos, mais en même temps, une attention particulière à la situation. Et puis, la rentrée va arriver très vite, il faut la préparer.
FREDERIC RIVIERE
A propos de la question sécuritaire, est-ce que vous êtes à l'aise avec la prolongation qui a été décidée de l'état d'urgence ?
EMMANUELLE COSSE
Oui, je le suis, et…
FREDERIC RIVIERE
Vous ne l'avez pourtant pas toujours été ?
EMMANUELLE COSSE
Ah, si, et je tiens  le redire…
FREDERIC RIVIERE
Chez les écologistes…
EMMANUELLE COSSE
Parce que, en tant que secrétaire nationale d'Europe Ecologie-Les Verts, moi, j'avais défendu l'adoption de l'état d'urgence et sa prolongation. J'ai simplement posé une question, qui est d'ailleurs posée aussi par le président de la République ou le Garde des sceaux, c'est : comment est-ce qu'on en sort, et comment est-ce qu'on fait pour que l'état d'urgence ne soit pas un état d'urgence… enfin, l'état d'urgence n'est possible que s'il est temporaire, la vraie question, c'est que s'il doit devenir la norme, dans ce cas-là, ce n'est pas un état d'urgence. Et c'est le débat…
FREDERIC RIVIERE
Mais de mesures temporaires en mesures temporaires, Emmanuelle COSSE, ça dure…
EMMANUELLE COSSE
C'est le débat constitutionnel, oui, en effet, ça dure, et ça a été prolongé, là, alors que tout le monde, je crois, espérait, droite comme gauche, puisque je rappelle quand même que les Républicains avaient, y compris, demandé la levée de l'état d'urgence avant l'attentat de Nice, notamment le président de la Commission des Lois du Sénat, et la question est de savoir qu'est-ce qu'on fait. Et en effet, il y a une demande aussi très forte et une volonté de re-prolonger l'état d'urgence après les attentats de Nice, après, aujourd'hui, il me semble qu'après les modifications législatives, notamment la dernière loi de procédure pénale, qui est rentrée en vigueur le 3 juin dernier, le recours à l'état d'urgence, me semble-t-il, ne sera plus une nécessité. Mais je pense qu'il faut ne jamais oublier le droit, moi, je suis constitutionnaliste d'origine, donc je fais très attention à ces questions-là. La question de l'Etat de droit, du respect des libertés fondamentales, de comment est-ce qu'on manie ces outils, comme l'état d'urgence, c'est très important, mais il faut aussi dire les choses, un moment, ça doit s'arrêter, sinon, ce n'est plus un état d'urgence.
FREDERIC RIVIERE
Le gouvernement justement a dit les choses face à la menace terroriste, il a même fait des annonces ces derniers jours sur la formation des imams, sur la question plus globale de l'islam, la formation des imams en France, le financement transparent des mosquées, est-ce que d'après vous, c'est là le coeur du problème ?
EMMANUELLE COSSE
Je ne sais pas si c'est là le coeur du problème, c'est une des questions, moi, déjà, il me semble qu'il ne faut pas résumer toute la question à une question de religion, et que le problème n'est pas simplement la question des croyants, qu'ils soient catholiques, protestants, orthodoxes, musulmans…
FREDERIC RIVIERE
Ou d'autres confessions…
EMMANUELLE COSSE
Ou d'autres confessions. Ça, c'est une première chose. Maintenant, il y a la question de comment est-ce qu'on organise l'islam en France, et c'est un débat en fait qui n'a jamais été mené jusqu'au bout, aussi, parce que du fait de notre tradition laïque, on estime souvent que c'est aux organisations culturelles de le porter, mais il y a un moment où on peut aussi se poser la question du fait que, il n'y a pas d'argent public pour construire les édifices religieux musulmans, donc on fait appel à des financements étrangers, et ensuite, on dénonce l'arrivée de ces financements étrangers. Ce qui est certain, c'est que, il faut certainement mettre de la transparence là-dessus. Mais au-delà de ça, la question de la formation des imams est, me semble-t-il, la plus importante, mais le radicalisme, qu'il soit dans l'islam ou dans une autre religion, il est dangereux, donc il faut dire les choses telles qu'elles sont, quand un curé tient des propos fanatiques, c'est aussi remis en cause. Et je pense que, aujourd'hui, c'est ça qui est important. La seconde chose, c'est qu'il faut aussi qu'il y ait une organisation plus forte, et me semble-t-il, ce qui se passe aujourd'hui, un peu contraint par les événements, est une bonne chose.
FREDERIC RIVIERE
Autre sujet, Emmanuelle COSSE, la semaine dernière, vous avez présenté une charte pour harmoniser l'accueil des réfugiés dans des centres dédiés, quelle est la vocation de cette charte ?
EMMANUELLE COSSE
Donc c'est une charte pour les centres d'accueil et d'orientation, les CAO, qui sont des centres qui ont été créés au départ pour prendre en charge des personnes qui étaient sur le camp de réfugiés de Calais…
FREDERIC RIVIERE
Des centres de répit en quelque sorte ?
EMMANUELLE COSSE
En fait, c'est des centres de mise à l'abri, donc c'est-à-dire que c'est des personnes qui… on leur propose un hébergement, donc une mise à l'abri dans ces centres, elles y sont prises en charge, dans ces centres-là, elles sont évidemment nourries, informées de leurs droits, pour y présenter leur demande d'asile, et une fois que leurs démarches sont entreprises, elles vont dans les centres de demandeurs d'asile, puisqu'on a par ailleurs augmenté considérablement les places en CADA. Et aujourd'hui, nous avons donc fait des mises à l'abri depuis le camp de Calais, plus de 4.000 personnes depuis octobre, nous avons mis à l'abri plus de 15.000 personnes sur les campements parisiens, et nous allons continuer. Et il nous semblait important, il y a à peu près 150 CAO en France, qu'il y ait une vraie norme sur la qualité de l'accueil, le nombre de personnes présentes, le gardiennage, enfin, des choses qu'il y a pour les centres d'hébergement classiques. Et cette charte, elle est issue des travaux que je mène avec ces associations depuis plusieurs mois. Puisque, avec Bernard CAZENEUVE, qui est en charge aussi de ces questions-là, nous avons monté un comité de suivi en fait, avec les centres d'accueil et d'orientation.
FREDERIC RIVIERE
Et cela nous amène, Emmanuelle COSSE, à parler de l'accueil des migrants à Paris, on sait désormais qu'il y aura deux sites pour le camp humanitaire qui avaient été appelés, notamment des voeux d'Anne HIDALGO, est-ce que cela veut dire qu'il n'y aura désormais plus de camps de fortune dans la capitale française ?
EMMANUELLE COSSE
L'objectif, et c'est sur quoi nous avons travaillé avec la ville de Paris, c'est qu'il y ait sur Paris un centre d'accueil de jour où les migrants qui arrivent puissent avoir une orientation très claire sur leurs droits, et surtout, qu'elle soit délivrée par les autorités, et pas par les passeurs. Parce que, la réalité, c'est que sur les campements de fortune que l'on connaît à Paris, il y a des situations absolument abjectes, et y compris de l'exploitation, de la traite, et un certain nombre de sujets que nous voyons tous les jours, d'où le fait…
FREDERIC RIVIERE
Donc l'idée, c'est de pouvoir avoir un regard, de pouvoir suivre, contrôler, sécuriser ?
EMMANUELLE COSSE
C'est déjà de pouvoir avoir un lieu où on peut délivrer ces informations-là, et aussi, rappeler à ces personnes qu'elles doivent s'engager dans une démarche d'asile, parce que, elles ne peuvent pas errer en Europe éternellement, et que, ensuite, elles vont être envoyées dans des centres d'hébergement, et donc des centres d'accueil et d'orientation dans toute la France. Parce que notre second objectif, c'est de pouvoir faire porter cet effort de solidarité sur l'ensemble des métropoles régionales, et pas simplement à Paris. Et puis, il faut aussi continuer à contrôler, puisque dans ces personnes-là, que nous voyons dans les campements de fortune, il y a aussi des personnes qui ont déjà leur statut de réfugiés, mais qui n'ont pas voulu bénéficier des droits auxquels elles ont, et d'autres personnes qui sont dans d'autres procédures administratives.
FREDERIC RIVIERE
Une autre thématique qui relève de votre ministère, Emmanuelle COSSE, l'encadrement des loyers, la mesure existe à Paris depuis un an, au départ, pourtant, c'est plus de 1.100 communes en France qui devaient en bénéficier, en vertu de la loi ALUR, désormais, vous dites que cela se fera sur la base du volontariat uniquement. Lille en profitera également, l'agglomération parisienne un peu plus tard. Pourquoi ce changement, est-ce que ce n'est pas une reculade ?
EMMANUELLE COSSE
Non, l'objectif dans l'encadrement des loyers…
FREDERIC RIVIERE
On réduit quand même relativement le spectre…
EMMANUELLE COSSE
Non, on ne réduit pas, et je vais revenir là-dessus. L'encadrement des loyers, donc la régulation des loyers, et la loi ALUR avait fixé que cela pouvait être mis en oeuvre dans 28 agglomérations où le marché est tendu, mais il ne faut pas non plus se raconter d'histoires, si vous décidez en tant qu'Etat d'encadrer les loyers dans une ville, mais que vous n'avez pas la municipalité avec vous, et que donc, elle n'est pas d'accord pour mettre en place sa démarche d'observation des loyers, qui est la première étape pour encadrer, parce que pour pouvoir encadrer, il faut au moins connaître les prix, si vous n'avez pas ces communes volontaires, eh bien, vous n'irez jamais. Et je pense qu'il faut être aussi…
FREDERIC RIVIERE
Mais à quoi sert la loi alors ?
EMMANUELLE COSSE
Mais la loi, elle a dit les choses très simplement, donné tous les outils pour encadrer, ce qui est quand même une petite révolution, et je rappelle qu'il a fallu quinze ans, puisque notamment les écologistes depuis le début des années 2000 portaient l'encadrement des loyers, comme c'est le cas en Allemagne, et qu'il a fallu quinze ans pour convaincre tout le monde. Aujourd'hui, c'est effectif à Paris, ça le sera à Lille en décembre, d'autres villes se sont engagées dans une démarche, c'est long pour encadrer des loyers, il ne faut pas raconter d'histoires à nos concitoyens. Il faut pouvoir connaître les loyers, les observer, avoir une mesure qui est opposable devant la justice. Donc il faut construire cette donnée publique, et aujourd'hui, nous avons déjà plus de 25 observatoires des loyers en France, y compris dans des villes qui, après avoir observé, maintenant, réfléchissent à encadrer. Mais plutôt que de dire : on vous force la main, et vous y allez tout de suite, on a préféré laisser du temps, et me semble-t-il, c'est aussi comme ça qu'on arrive à faire passer ces mesures, parce que l'objectif, c'est que ça soit efficace, et qu'à la fin, ça fasse gagner du pouvoir d'achat aux personnes qui louent des logements dans ces villes.
FREDERIC RIVIERE
On va parler maintenant dans la minute qui nous reste, Emmanuelle COSSE, de l'agenda politique à venir, à partir de la rentrée, ce sera la dernière ligne droite avant la présidentielle, François HOLLANDE est-il, d'après vous, le candidat naturel de la gauche pour la présidentielle, malgré la popularité qui est très faible, et malgré aussi l'emploi qui ne repart pas, il avait fixé ça comme condition tout de même ?
EMMANUELLE COSSE
Mais, vous savez, parce que vous n'êtes pas le premier à me poser la question…
FREDERIC RIVIERE
J'imagine…
EMMANUELLE COSSE
Je pense que, aujourd'hui, savoir qui est le candidat naturel, c'est aux personnes qui veulent se porter candidates d'y répondre, et me semble-t-il, aujourd'hui, on n'est pas encore dans cette phase-là. Moi, je peux vous dire simplement que l'objectif de la rentrée, c'est, pour ma part, poursuivre ces efforts sur le logement, notamment sur la construction, vous parlez de l'emploi, on a aujourd'hui des chiffres extrêmement bons sur la reprise de la construction, notamment en matière de logements, et je l'espère, une traduction très forte de l'emploi dans le bâtiment.
FREDERIC RIVIERE
Et très rapidement, en quinze secondes, Emmanuelle COSSE, une candidature écologiste, l'écologie représentée à la présidentielle ?
EMMANUELLE COSSE
Mais comme j'ai souvent l'habitude de le dire, l'écologie, elle peut être représentée même sans candidature, et moi, je crois que je la représente par mes actes, et ce dont on a besoin l'écologie, c'est des actes très forts, on est en train de parler des 1 ans de l'application de la loi Transition énergétique, on prépare la COP22, c'est ça dont on a besoin, des actes.
FREDERIC RIVIERE
Merci Emmanuelle COSSE.Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 août 2016