Texte intégral
En ce qui concerne les zones agricoles défavorisées simples (ZDS), il s'agit d'une décision européenne prise par le Conseil et le Parlement européens en 2010 - j'étais membre du Parlement européen à l'époque -, consistant à revoir les critères d'application, qui dataient tout de même de 1970. Tout le monde était d'accord pour rendre ces critères plus objectifs et se doter, à l'échelle de l'Union européenne, d'une carte qui corresponde à des enjeux géophysiques. L'application définitive doit intervenir en 2018.
Comme toujours sur ce genre de sujets, ceux qui n'en bénéficiaient pas et en bénéficieront ne disent rien. J'aimerais que ceux qui voient leurs communes entrer dans le dispositif le disent, car ce sont évidemment ceux qui n'y seront plus qui se plaignent.
Cette révision a une conséquence sur l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN). Plus le nombre d'hectares intégrés en ZDS sera grand, plus il faudra partager l'enveloppe de l'ICHN, qui dépasse tout de même, je le rappelle, le milliard d'euros.
Nous avons défini une première carte appliquant de manière stricte les huit critères géophysiques définis par l'Europe, et nous l'avons présentée, de façon à engager le débat. Dans cette carte, certaines communes ne sont plus intégrées dans les ZDS, mais ce n'est qu'une première étape puisque la France a obtenu une marge égale à 10 % de la totalité de la surface pouvant être ajustée en fonction de critères nationaux. Nous devrons de toute façon faire des choix et certaines communes sortiront du dispositif. Nous avons retiré des ZDS 5% de la surface, aujourd'hui, et nous avons une marge de 10%. La tentation serait de prévoir le maximum d'hectares, mais l'enveloppe n'est pas élastique. Nous travaillons au niveau des départements pour fixer des critères, par exemple ceux concernant l'élevage et le recours à l'herbe, des critères objectifs pouvant être justifiés auprès de la Commission européenne.
Il est toujours difficile de trancher. N'oublions pas cependant qu'une ZDS est une zone «défavorisée». J'ai eu de nombreuses discussions avec la profession agricole sur les zones intermédiaires ayant des rendements céréaliers extrêmement faibles, qui touchaient des aides à l'hectare parfois inférieures à des zones céréalières à gros rendements, et je sais ce que peut être l'injustice. Il faut essayer de faire les choses de la manière la plus juste possible. C'est ce à quoi nous allons veiller en 2017, avec les services du ministère, pour une application en 2018. J'assume cette responsabilité vis-à-vis de l'Europe et de l'État français. L'intégration des critères, dont celui de l'herbe que j'ai cité, donnera lieu à une carte définitive.
Vous avez discuté du CETA avec M. Matthias Fekl, qui vous a expliqué ce qu'il a obtenu au sujet du tribunal arbitral. Il a été efficace et a permis de modifier des règles qui auraient été plus que contestables autrement.
S'agissant de l'agriculture, la vraie question est de savoir si cet accord comporte des risques - il en comporte - et s'il présente des avantages. Il présente un avantage sur un point majeur, à savoir que les IGP, soit quarante-deux AOP françaises, 173 pour toute l'Europe, sont reconnues par le Canada. Cela peut paraître peu de choses mais c'est énorme. Dans le commerce mondial, les grands industriels exportent des marques. Sur le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP ou TAFTA), les Américains, Mme Hillary Clinton elle-même, refusaient de reconnaître les IGP et ne reconnaissaient que les marques. Ils refusaient, par exemple, de reconnaître la spécificité du Comté, qui n'est pour eux qu'un fromage. Je leur répondais : «Une paire de chaussures, ce n'est aussi qu'une paire de chaussures. Pourquoi pourrait-on avoir des marques sur des chaussures et pas d'indications géographiques sur des fromages ?». Ils ne répondaient pas. C'est d'autant moins compréhensible que des IGP commencent à apparaître aux États-Unis, par exemple sur une variété de pomme de terre de la côte est.
L'enjeu est colossal. L'agriculture peut-elle valoriser un terroir sur un marché ? Nous savons le faire sur le marché national, et c'est reconnu sur le marché européen, mais quid du marché mondial ? La dernière fois que je me suis rendu en Chine, les Chinois ont reconnu quarante-deux AOP bordelaises. Dans le CETA, les Canadiens acceptent de reconnaître les IGP : c'est important car le Canada est en Amérique du Nord. Si nous enfonçons un coin dans un pays d'Amérique du Nord, nous marquons un point. Ce qui n'empêche pas que l'importation de fromage pose un problème aux producteurs de lait canadiens, qui pensent que cette concurrence sera très dure pour eux.
S'agissant de la viande, le débat - et cela vaudra aussi pour les négociations avec le Mercosur - portait sur les ouvertures de contingents. À ce sujet, j'ai été très clair dès le départ : il ne peut être question d'importer des viandes qui ne respecteraient pas les critères que nous imposons à nos producteurs. Je pense en particulier à l'utilisation d'hormones de croissance. Le CETA ne prévoit pas d'ouverture de contingents pour le Canada si la viande est produite avec des hormones de croissance. Certains disent n'importe quoi à la télévision, pour faire peur, et cela passe comme une lettre à la poste, mais ce n'est nullement le cas. Les contingents ne seront pas ouverts avant six ans et ils le seront seulement sur des viandes non hormonées.
Ces contingents, dès lors qu'ils respectent les normes européennes, auront certes des conséquences sur le marché. C'est un vrai sujet de structuration de filière et de compétitivité, mais, si les Canadiens sont capables de développer une filière de viande non hormonée, qui n'existe pas aujourd'hui au Canada, la question se posera au mieux dans six ans. En outre, dans la mesure où il s'agit d'un accord mixte, les Parlements des États membres seront consultés. L'accord est signé mais non encore ratifié.
La lutte contre l'antibiorésistance devra devenir une question à l'échelle mondiale. Je pense qu'on ne doit pas lâcher là-dessus. J'ai d'ailleurs vu que le secrétaire général de l'Organisation des Nations unies (ONU) en avait fait une cause internationale, et je suis pleinement d'accord avec lui. Les feed lots américains utilisent aujourd'hui des antibiotiques de manière préventive, ce qui est interdit chez nous. L'Europe et la France sont en train de diminuer de 35 à 40% leur consommation d'antibiotiques. Un jour ou l'autre, la question ne pourra plus être ignorée dans les négociations commerciales internationales. Je le dis pour les États-Unis mais aussi pour l'Amérique latine.
Les peuples ont parfois l'impression que l'on va trop vite sur certains sujets, et ne comprennent pas toujours la nécessité de passer des accords commerciaux. Pourtant, ces accords sont nécessaires. Ainsi, c'est dans le cadre de la discussion sur les «lignes rouges» du TAFTA que la France a obtenu la reconnaissance des indications géographiques protégées - un point essentiel, même si, à l'époque, la question de l'exception culturelle a fait beaucoup plus de bruit médiatique. Si nous n'avions pu imposer cette exigence, c'est tout l'édifice agricole européen et français qui aurait été remis en cause. De même, la bataille qu'a menée et remportée Mme Axelle Lemaire au sujet des noms de domaine numériques attribués au vin était extrêmement importante : une fois de plus, nous avons dû défendre notre droit à mettre sur le marché des produits qui ne soient pas des marques, mais des produits issus d'un terroir et d'une histoire agricole. Sur ce point, j'ai toujours tenu le même discours et vous pouvez compter sur moi pour continuer, à chaque fois que je devrai défendre la position de la France auprès des institutions européennes.
Bien évidemment, nous devrons tenir compte des effets du Brexit dans les discussions à venir. Le Royaume-Uni a en effet l'intention de renégocier seul les accords commerciaux multilatéraux que nous avons passés avec un grand nombre de pays : or, sur quels contingents va-t-on continuer à pouvoir compter si le Royaume-Uni se désengage d'accords négociés par l'Europe avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande, par exemple ? Il s'agit là de sujets qui remettent beaucoup de choses en cause et vont nécessiter un travail important. Lors du prochain conseil, je défendrai au nom de la France une position très claire : on ne peut pas discuter de l'avenir sans évoquer les conséquences éventuelles du Brexit sur les accords commerciaux existants. Comme vous le savez, quand le Royaume-Uni est entré dans l'Union européenne, une partie des relations commerciales du Commonwealth a été intégrée au niveau européen - ce qui a eu des conséquences sur l'agriculture européenne, notamment en matière de production ovine. Il est évident que le départ des Britanniques ne sera pas non plus sans incidences, dont il faudra tenir compte.
Je souligne au passage que, selon moi, on ne s'intéresse pas suffisamment à l'effet produit par le cumul des accords successifs : l'Europe enchaîne les accords sans jamais procéder à une évaluation du système que leur entassement finit par constituer. Dans le cadre des négociations à venir, nous exigerons qu'il soit procédé à cette évaluation.
J'en viens à la question des marchés agricoles, sur laquelle la task force mise en place par le commissaire Phil Hogan doit rendre un rapport. A priori, ce document va essentiellement porter sur les grands enjeux de l'organisation commerciale, en évoquant notamment les filières. Nous en prendrons connaissance avec intérêt, tout en sachant pertinemment qu'il ne contiendra rien de révolutionnaire. La France a déjà travaillé à l'organisation de ses filières et accompli de grands progrès dans ce domaine, notamment en matière de traçabilité. Pour ma part, je préfère me pencher très concrètement sur l'étiquetage d'origine des viandes dans les produits transformés, par exemple, plutôt que de m'interroger sans fin sur l'organisation des filières : ce sujet mérite qu'on s'y intéresse, certes, mais il y a plus important en termes stratégiques.
Sur la question de la maîtrise de la production, et de celle du lait en particulier, il nous a fallu plusieurs étapes pour parvenir à ce que des décisions significatives soient prises à l'échelle européenne. La première étape a été le conseil extraordinaire des ministres de l'agriculture en septembre 2015 - que j'avais demandé en juin 2015, face à ce qui m'apparaissait comme une montée de la crise laitière -, qui a abouti à ce que la Commission débloque un premier paquet de 500 millions d'euros d'aides à la trésorerie. Pour la France, c'est une somme de 69 millions d'euros qui est venue s'ajouter au plan de soutien à l'élevage (PSE). Selon moi, la mise en place d'aides, certes nécessaire, ne répondait cependant pas au problème de fond, à savoir un emballement de la production que les marchés nationaux, européens et internationaux ne parvenaient plus à absorber - on commençait d'ailleurs à avoir recours à l'intervention, c'est-à-dire au stockage des surplus de production sous forme de poudre ou de beurre, faute de trouver des débouchés -, et j'ai exprimé très clairement cette position.
Vous savez qu'en 2008, lorsque la fin des quotas a été annoncée pour 2015, les États ont été autorisés à augmenter leur production de 1% chaque année de 2009 à 2015. Évidemment, certains ont dépassé - parfois très largement - cette augmentation annuelle, et se sont donc vus infliger des sanctions, mises à la charge des producteurs. Les pays concernés, à savoir l'Autriche, l'Allemagne, l'Irlande, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark et la Pologne, sont alors venus me demander le soutien de la France à une procédure de levée des sanctions. Je leur ai répondu que je ne les soutiendrais que s'ils s'engageaient de leur côté à mettre en place des mesures de maîtrise de la production - et, faute d'obtenir un accord de leur part sur ce point, je leur ai refusé mon soutien. Les sanctions se sont donc appliquées, et ont rapporté 700 millions d'euros, ce qui a permis de financer les 500 millions d'euros du plan européen.
D'après les prévisions de la Commission européenne, la crise laitière devait s'arrêter à la fin de l'année 2015, ce qui ne me paraissait pas devoir être le cas si l'on ne faisait pas en sorte de maîtriser la production - hélas, on ne m'a pas écouté ! En février 2016, je suis reparti à l'assaut en déposant un mémorandum qui fixait des règles de maîtrise de la production laitière en recourant à deux articles que nous avions négociés dans le cadre de la politique agricole commune, à savoir les articles 221 et 222 du règlement européen sur l'organisation commune de marché. Si ce mémorandum fut accueilli avec beaucoup d'enthousiasme par la présidence néerlandaise, qui voyait en ma proposition une base de travail intéressante, on me fit savoir que la décision ne serait pas prise immédiatement.
Il me fallut effectivement six mois supplémentaires pour débloquer un accord au Conseil et mettre en oeuvre une solution de maîtrise de la production laitière basée sur l'article 221, qui permet de financer une partie des litres qui ne sont pas produits... autrement dit, nous avons perdu six mois, alors qu'il existait une solution toute prête, qu'il ne restait qu'à mettre en oeuvre. Pendant ce temps, la production laitière excédentaire a été convertie en poudre et en beurre - on a ainsi stocké plus de 350.000 tonnes de poudre de lait, qui sont toujours stockées aujourd'hui.
Depuis la mise en oeuvre des mesures de maîtrise de la production, l'offre laitière a baissé et le marché s'est redressé. Les prix commencent à remonter, ce dont je me félicite, mais ils ne sont pas aussi élevés qu'ils le seraient si on n'avait pas perdu six mois. Malheureusement, c'est le délai qui m'a été nécessaire pour convaincre la Commission et surtout le Conseil et le Parlement européen. Pour trouver une majorité, j'ai été obligé de négocier un accord avec la Pologne et l'Allemagne - et cette dernière a mis un peu de temps avant de s'engager, alors même que les coopératives laitières allemandes voyaient que la production était en train de leur échapper.
Il nous reste maintenant à vérifier que la solution adoptée va vraiment s'appliquer. Pour ce qui est de sa mise en oeuvre automatique, qui permettrait d'éviter de perdre du temps à convaincre tout le monde à chaque fois qu'une crise se profile, je n'y suis pas franchement favorable : le recours à l'article 221 doit continuer à procéder d'une décision politique et démocratique. Cela dit, le fait de disposer d'outils identifiés et efficaces va désormais nous permettre d'intervenir d'une manière plus facile, plus régulière et plus rapide, sans attendre d'être au bout d'une crise pour prendre les décisions qui s'imposent.
Pour ce qui est de la PAC 2020, j'ai pris l'initiative de réunir mes homologues à Chambord début septembre 2016 afin de réaffirmer notre engagement en faveur d'une PAC forte, au coeur du projet européen. Vingt pays se sont engagés, ce qui n'est pas rien - je précise que le Royaume-Uni n'était pas invité : «Pas de PAC Brexit !», avait dit le ministre luxembourgeois, et j'ai repris la formule à mon compte, avec le soutien du ministre allemand.
Cette réunion a été l'occasion d'énoncer collectivement quatre grands principes, qu'il est important de rappeler. Le premier consiste à maintenir un budget à la hauteur de la politique agricole que nous voulons mener.
Le deuxième principe consiste à simplifier la PAC. Vous vous rappelez qu'avec l'orthophotographie, nous avons été obligés de refaire tous les registres parcellaires - 26 millions d'hectares à revoir au mètre carré près - franchement, on ne peut pas continuer à s'imposer de telles choses.
Le troisième principe, c'est que la PAC doit continuer à intégrer les grands enjeux des politiques publiques que sont l'environnement, l'alimentation et la lutte contre le réchauffement climatique - je ne suis pas près de lâcher l'initiative «4 pour 1.000», consistant à augmenter chaque année dans cette proportion le stock de carbone dans les sols, ce qui permettrait de stopper l'augmentation actuelle du CO2 dans l'atmosphère.
Le quatrième principe consiste à renforcer notre approche commune de la gestion des crises, ce qui pose la question du système assurantiel. Peut-on créer un troisième pilier de la PAC, qui permettrait de gérer les aléas économiques, climatiques et sanitaires - ou d'autres systèmes seraient-ils plus adaptés ? Le débat est loin d'être tranché mais à Chambord, nous avons trouvé un accord à vingt pour dire qu'il mérite d'être ouvert.
Pour ce qui est de la France, si vous le souhaitez, vous pourrez inviter la mission du conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), qui doit rendre, pour début décembre, un rapport sur les questions d'assurance et de mutualisation. Ce rapport important dans tous les sens du terme - en volume comme par les enjeux qu'il soulève - fera le constat de ce qui existe déjà en termes sanitaires, économiques et d'aléas climatiques, et proposera de revoir l'ensemble des systèmes et des outils - le contrat socle, le Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) et le Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnementale (FMSE), mais aussi la question de la fiscalité, avec la déduction fiscale pour aléas (DPA). Nous allons nous interroger sur la meilleure façon de réorganiser les choses pour que les agriculteurs puissent faire des provisions lorsqu'ils ont de bonnes années, afin d'être en mesure de faire face à une perte de revenus de n'importe quelle origine - sanitaire, économique ou climatique -, pouvant atteindre 30 %. J'insiste sur l'enjeu essentiel que représente ce rapport, qui viendra s'inscrire dans le débat sur l'avenir de la politique agricole commune.
(Interventions des parlementaires)
Plusieurs questions ont trait, en fait, à l'avenir de la PAC. Je vous ai indiqué qu'il existait, s'agissant de la réforme de cette politique, quatre pistes communes qui sont autant de points d'appui dans la discussion. Ce n'est pas rien, mais la négociation aura lieu en 2019-2020, et elle dépendra de l'actualité et des rapports de force du moment. Même s'il y a longtemps que je suis là, il n'est pas certain que ce soit moi qui négocie en 2020. Je peux néanmoins formuler des propositions afin de poser les bases d'une politique agricole organisée autour du maintien du verdissement, que certains voudraient supprimer et qui suppose que nous modifiions la façon dont on aborde les enjeux environnementaux.
Si nous voulons sortir du système de normes actuel, il faut en effet que nous passions à des modèles qui puissent être considérés comme vertueux du point de vue environnemental. De fait, si des normes ont été édictées, c'est pour lutter contre les pollutions. Prenons l'exemple de la directive sur l'eau. Lorsque j'ai pris mes fonctions, il existait un contentieux entre la France et l'Europe. Nous avons négocié, cela a été difficile, mais ce contentieux est aujourd'hui réglé : la mise en oeuvre des plans d'action est en cours. La Bretagne est d'ailleurs en train de prendre un virage très important, grâce à des mesures telles que la surveillance des flux d'azote total ou la couverture des sols. La chambre d'agriculture régionale considère désormais l'environnement, non pas comme une contrainte, mais comme un enjeu économique de la compétitivité de demain. Cela a bien changé, tant mieux ! On ne va pas s'en plaindre.
(...)
En ce qui concerne le CETA, les clauses de sauvegarde sont bien déclenchées au niveau européen. Elles peuvent l'être, pour l'instant, par la Commission, ce qui signifie que si l'on n'exerce pas de pressions politiques sur celle-ci, on peut parfois attendre longtemps... Ce déclenchement n'est pas automatique ; il s'agit d'une décision politique, qui nécessite donc la mobilisation du Conseil et du Parlement européens.
(...)
Aujourd'hui, on ne vote que les dépenses du budget européen. Les recettes, quant à elles, sont décidées dans le cadre d'un accord qui fixe un cadre financier pour 7 ans. Le budget européen n'a pas de véritables recettes propres. Ses recettes sont constituées des taxes à l'importation - mais plus on signe d'accords commerciaux, plus le produit de ces taxes diminue - et, pour le reste, des contributions des États. D'où le débat sur ce que ceux-ci reçoivent en retour ; chacun se souvient du fameux : «I want my money back» de Mme Margaret Thatcher. Certains États sont contributeurs nets - ils contribuent davantage qu'ils ne reçoivent -, d'autres sont bénéficiaires nets : ils contribuent moins qu'ils ne reçoivent. Cela s'appelle la solidarité, et c'est ce dont ne veulent pas les Anglais.
Le système budgétaire européen ne permet donc pas de faire du contracyclique. C'est pourquoi nous proposons ce dispositif d'épargne de précaution. Il permettrait, lorsque les choses vont bien, de prendre une partie des aides du premier pilier de la PAC - les DPB -, pour alimenter une caisse, une provision, qui permettrait aux agriculteurs de développer des stratégies assurantielles et mutualisées afin de faire face, le cas échéant, aux pertes de revenus liées à des aléas sanitaires, économiques ou climatiques. Il s'agit bien de contracyclique : lorsque les prix sont bons, l'aide, qui n'est pas vraiment utile, est mise de côté pour créer une épargne de précaution qui peut être réutilisée quand les prix baissent. Comme on ne peut pas le faire en modulant le versement des aides, on autorise les agriculteurs à provisionner une partie de celles-ci.
(...)
Le véritable problème réside dans le fait qu'une grande partie du lait européen est exportée hors d'Europe. En effet, une laiterie peut utiliser son lait soit en produit transformé à forte valeur ajoutée, soit en produit peu transformé, du type poudre de lait, qu'elle exporte ; c'est ce que l'on appelle un mix laitier. Plus la part de produit peu transformé est importante dans votre mix laitier, plus vous êtes sensible au prix de la poudre de lait, surtout si vous exportez. Certains développent des stratégies de qualité pour valoriser leur poudre à un niveau plus élevé en exportant de la poudre destinée au lait infantile. Mais il est difficile de définir des prix, car le producteur et l'industriel qui exportent de la poudre dépendent du prix mondial. D'où les tensions. Lorsque, sur le marché Spot Fonterra - Nouvelle-Zélande, Chine -, le prix baisse, quoi qu'il arrive, cela impacte l'Europe. Nous devons donc en tenir compte pour éviter les crises provoquées par des baisses de prix trop importantes.
(...)
Nous devons protéger nos terres agricoles, qui, de plus, et vous le savez, sont stockeurs de carbone : plus vous les retournez, plus vous rejetez de protoxydes d'azote. Il est donc important de garder des terres pour produire, mais il est important de garder des sols agricoles pour stocker du carbone. J'irai la semaine prochaine à Marrakech participer à la COP22 afin de plaider en faveur de l'augmentation du stockage du carbone dans les sols à hauteur de 4 pour 1.000, pour permettre d'augmenter leur fertilité et stabiliser la concentration en dioxyde de carbone dans l'atmosphère.
(...)
La question sur une PAC 2020 plus politique nécessiterait qu'on ouvre un nouveau débat. J'ai tâché de fixer les grandes lignes des prochaines négociations européennes. Les ministres européens de l'agriculture, à Chambord, ont du reste évoqué la PAC 2020 également sous l'angle politique. Ensuite, certains sujets sociaux et environnementaux relèveront d'autres politiques publiques. Nous nous acheminons en effet de plus en plus vers une politique publique différenciée selon les objectifs et les territoires.
Ainsi, l'approvisionnement local et le développement des circuits courts, pour aller vite, c'est une stratégie en soi. Tout ce qui touche aux zones de montagne, à l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN)..., c'est une politique en soi.
La question est ici de savoir comment trouver à ces zones les moyens de poursuivre des activités agricoles avec des débouchés rémunérateurs.
Les grands enjeux internationaux répondront à d'autres problématiques.
Aussi la politique publique doit-elle intégrer les grands enjeux transversaux : pour ce qui nous concerne, les grandes questions d'alimentation et les grandes questions liées à l'environnement et, en particulier, à la lutte contre le réchauffement climatique, à la diminution du recours à la chimie et aux produits phytosanitaires. Il y aura ensuite de nombreuses politiques beaucoup plus ciblées selon les objectifs que l'on se fixe. Et celui concernant les zones où l'on développe des stratégies de localisation de la production consiste à créer des tissus agricoles socialement solides.
J'en profite pour signaler qu'aux États-Unis, le nombre d'agriculteurs a plutôt augmenté et selon un double processus : une augmentation des installations autour des villes pour tout ce qui concerne le nouveau maraîchage, notamment, et, dans le même temps, un maintien des grandes exploitations dans le Middle-West qui ont continué de se structurer et de s'agrandir. Ce double phénomène n'est pas celui que nous allons connaître. En France, certains endroits seront caractérisés par une forte densité agricole - parce qu'ils correspondent à des besoins - alors que d'autres seront moins denses mais nécessiteront une diversification en matière énergétique. Nous devrons sur cette question mener une réflexion de fond.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 novembre 2016
Comme toujours sur ce genre de sujets, ceux qui n'en bénéficiaient pas et en bénéficieront ne disent rien. J'aimerais que ceux qui voient leurs communes entrer dans le dispositif le disent, car ce sont évidemment ceux qui n'y seront plus qui se plaignent.
Cette révision a une conséquence sur l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN). Plus le nombre d'hectares intégrés en ZDS sera grand, plus il faudra partager l'enveloppe de l'ICHN, qui dépasse tout de même, je le rappelle, le milliard d'euros.
Nous avons défini une première carte appliquant de manière stricte les huit critères géophysiques définis par l'Europe, et nous l'avons présentée, de façon à engager le débat. Dans cette carte, certaines communes ne sont plus intégrées dans les ZDS, mais ce n'est qu'une première étape puisque la France a obtenu une marge égale à 10 % de la totalité de la surface pouvant être ajustée en fonction de critères nationaux. Nous devrons de toute façon faire des choix et certaines communes sortiront du dispositif. Nous avons retiré des ZDS 5% de la surface, aujourd'hui, et nous avons une marge de 10%. La tentation serait de prévoir le maximum d'hectares, mais l'enveloppe n'est pas élastique. Nous travaillons au niveau des départements pour fixer des critères, par exemple ceux concernant l'élevage et le recours à l'herbe, des critères objectifs pouvant être justifiés auprès de la Commission européenne.
Il est toujours difficile de trancher. N'oublions pas cependant qu'une ZDS est une zone «défavorisée». J'ai eu de nombreuses discussions avec la profession agricole sur les zones intermédiaires ayant des rendements céréaliers extrêmement faibles, qui touchaient des aides à l'hectare parfois inférieures à des zones céréalières à gros rendements, et je sais ce que peut être l'injustice. Il faut essayer de faire les choses de la manière la plus juste possible. C'est ce à quoi nous allons veiller en 2017, avec les services du ministère, pour une application en 2018. J'assume cette responsabilité vis-à-vis de l'Europe et de l'État français. L'intégration des critères, dont celui de l'herbe que j'ai cité, donnera lieu à une carte définitive.
Vous avez discuté du CETA avec M. Matthias Fekl, qui vous a expliqué ce qu'il a obtenu au sujet du tribunal arbitral. Il a été efficace et a permis de modifier des règles qui auraient été plus que contestables autrement.
S'agissant de l'agriculture, la vraie question est de savoir si cet accord comporte des risques - il en comporte - et s'il présente des avantages. Il présente un avantage sur un point majeur, à savoir que les IGP, soit quarante-deux AOP françaises, 173 pour toute l'Europe, sont reconnues par le Canada. Cela peut paraître peu de choses mais c'est énorme. Dans le commerce mondial, les grands industriels exportent des marques. Sur le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP ou TAFTA), les Américains, Mme Hillary Clinton elle-même, refusaient de reconnaître les IGP et ne reconnaissaient que les marques. Ils refusaient, par exemple, de reconnaître la spécificité du Comté, qui n'est pour eux qu'un fromage. Je leur répondais : «Une paire de chaussures, ce n'est aussi qu'une paire de chaussures. Pourquoi pourrait-on avoir des marques sur des chaussures et pas d'indications géographiques sur des fromages ?». Ils ne répondaient pas. C'est d'autant moins compréhensible que des IGP commencent à apparaître aux États-Unis, par exemple sur une variété de pomme de terre de la côte est.
L'enjeu est colossal. L'agriculture peut-elle valoriser un terroir sur un marché ? Nous savons le faire sur le marché national, et c'est reconnu sur le marché européen, mais quid du marché mondial ? La dernière fois que je me suis rendu en Chine, les Chinois ont reconnu quarante-deux AOP bordelaises. Dans le CETA, les Canadiens acceptent de reconnaître les IGP : c'est important car le Canada est en Amérique du Nord. Si nous enfonçons un coin dans un pays d'Amérique du Nord, nous marquons un point. Ce qui n'empêche pas que l'importation de fromage pose un problème aux producteurs de lait canadiens, qui pensent que cette concurrence sera très dure pour eux.
S'agissant de la viande, le débat - et cela vaudra aussi pour les négociations avec le Mercosur - portait sur les ouvertures de contingents. À ce sujet, j'ai été très clair dès le départ : il ne peut être question d'importer des viandes qui ne respecteraient pas les critères que nous imposons à nos producteurs. Je pense en particulier à l'utilisation d'hormones de croissance. Le CETA ne prévoit pas d'ouverture de contingents pour le Canada si la viande est produite avec des hormones de croissance. Certains disent n'importe quoi à la télévision, pour faire peur, et cela passe comme une lettre à la poste, mais ce n'est nullement le cas. Les contingents ne seront pas ouverts avant six ans et ils le seront seulement sur des viandes non hormonées.
Ces contingents, dès lors qu'ils respectent les normes européennes, auront certes des conséquences sur le marché. C'est un vrai sujet de structuration de filière et de compétitivité, mais, si les Canadiens sont capables de développer une filière de viande non hormonée, qui n'existe pas aujourd'hui au Canada, la question se posera au mieux dans six ans. En outre, dans la mesure où il s'agit d'un accord mixte, les Parlements des États membres seront consultés. L'accord est signé mais non encore ratifié.
La lutte contre l'antibiorésistance devra devenir une question à l'échelle mondiale. Je pense qu'on ne doit pas lâcher là-dessus. J'ai d'ailleurs vu que le secrétaire général de l'Organisation des Nations unies (ONU) en avait fait une cause internationale, et je suis pleinement d'accord avec lui. Les feed lots américains utilisent aujourd'hui des antibiotiques de manière préventive, ce qui est interdit chez nous. L'Europe et la France sont en train de diminuer de 35 à 40% leur consommation d'antibiotiques. Un jour ou l'autre, la question ne pourra plus être ignorée dans les négociations commerciales internationales. Je le dis pour les États-Unis mais aussi pour l'Amérique latine.
Les peuples ont parfois l'impression que l'on va trop vite sur certains sujets, et ne comprennent pas toujours la nécessité de passer des accords commerciaux. Pourtant, ces accords sont nécessaires. Ainsi, c'est dans le cadre de la discussion sur les «lignes rouges» du TAFTA que la France a obtenu la reconnaissance des indications géographiques protégées - un point essentiel, même si, à l'époque, la question de l'exception culturelle a fait beaucoup plus de bruit médiatique. Si nous n'avions pu imposer cette exigence, c'est tout l'édifice agricole européen et français qui aurait été remis en cause. De même, la bataille qu'a menée et remportée Mme Axelle Lemaire au sujet des noms de domaine numériques attribués au vin était extrêmement importante : une fois de plus, nous avons dû défendre notre droit à mettre sur le marché des produits qui ne soient pas des marques, mais des produits issus d'un terroir et d'une histoire agricole. Sur ce point, j'ai toujours tenu le même discours et vous pouvez compter sur moi pour continuer, à chaque fois que je devrai défendre la position de la France auprès des institutions européennes.
Bien évidemment, nous devrons tenir compte des effets du Brexit dans les discussions à venir. Le Royaume-Uni a en effet l'intention de renégocier seul les accords commerciaux multilatéraux que nous avons passés avec un grand nombre de pays : or, sur quels contingents va-t-on continuer à pouvoir compter si le Royaume-Uni se désengage d'accords négociés par l'Europe avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande, par exemple ? Il s'agit là de sujets qui remettent beaucoup de choses en cause et vont nécessiter un travail important. Lors du prochain conseil, je défendrai au nom de la France une position très claire : on ne peut pas discuter de l'avenir sans évoquer les conséquences éventuelles du Brexit sur les accords commerciaux existants. Comme vous le savez, quand le Royaume-Uni est entré dans l'Union européenne, une partie des relations commerciales du Commonwealth a été intégrée au niveau européen - ce qui a eu des conséquences sur l'agriculture européenne, notamment en matière de production ovine. Il est évident que le départ des Britanniques ne sera pas non plus sans incidences, dont il faudra tenir compte.
Je souligne au passage que, selon moi, on ne s'intéresse pas suffisamment à l'effet produit par le cumul des accords successifs : l'Europe enchaîne les accords sans jamais procéder à une évaluation du système que leur entassement finit par constituer. Dans le cadre des négociations à venir, nous exigerons qu'il soit procédé à cette évaluation.
J'en viens à la question des marchés agricoles, sur laquelle la task force mise en place par le commissaire Phil Hogan doit rendre un rapport. A priori, ce document va essentiellement porter sur les grands enjeux de l'organisation commerciale, en évoquant notamment les filières. Nous en prendrons connaissance avec intérêt, tout en sachant pertinemment qu'il ne contiendra rien de révolutionnaire. La France a déjà travaillé à l'organisation de ses filières et accompli de grands progrès dans ce domaine, notamment en matière de traçabilité. Pour ma part, je préfère me pencher très concrètement sur l'étiquetage d'origine des viandes dans les produits transformés, par exemple, plutôt que de m'interroger sans fin sur l'organisation des filières : ce sujet mérite qu'on s'y intéresse, certes, mais il y a plus important en termes stratégiques.
Sur la question de la maîtrise de la production, et de celle du lait en particulier, il nous a fallu plusieurs étapes pour parvenir à ce que des décisions significatives soient prises à l'échelle européenne. La première étape a été le conseil extraordinaire des ministres de l'agriculture en septembre 2015 - que j'avais demandé en juin 2015, face à ce qui m'apparaissait comme une montée de la crise laitière -, qui a abouti à ce que la Commission débloque un premier paquet de 500 millions d'euros d'aides à la trésorerie. Pour la France, c'est une somme de 69 millions d'euros qui est venue s'ajouter au plan de soutien à l'élevage (PSE). Selon moi, la mise en place d'aides, certes nécessaire, ne répondait cependant pas au problème de fond, à savoir un emballement de la production que les marchés nationaux, européens et internationaux ne parvenaient plus à absorber - on commençait d'ailleurs à avoir recours à l'intervention, c'est-à-dire au stockage des surplus de production sous forme de poudre ou de beurre, faute de trouver des débouchés -, et j'ai exprimé très clairement cette position.
Vous savez qu'en 2008, lorsque la fin des quotas a été annoncée pour 2015, les États ont été autorisés à augmenter leur production de 1% chaque année de 2009 à 2015. Évidemment, certains ont dépassé - parfois très largement - cette augmentation annuelle, et se sont donc vus infliger des sanctions, mises à la charge des producteurs. Les pays concernés, à savoir l'Autriche, l'Allemagne, l'Irlande, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark et la Pologne, sont alors venus me demander le soutien de la France à une procédure de levée des sanctions. Je leur ai répondu que je ne les soutiendrais que s'ils s'engageaient de leur côté à mettre en place des mesures de maîtrise de la production - et, faute d'obtenir un accord de leur part sur ce point, je leur ai refusé mon soutien. Les sanctions se sont donc appliquées, et ont rapporté 700 millions d'euros, ce qui a permis de financer les 500 millions d'euros du plan européen.
D'après les prévisions de la Commission européenne, la crise laitière devait s'arrêter à la fin de l'année 2015, ce qui ne me paraissait pas devoir être le cas si l'on ne faisait pas en sorte de maîtriser la production - hélas, on ne m'a pas écouté ! En février 2016, je suis reparti à l'assaut en déposant un mémorandum qui fixait des règles de maîtrise de la production laitière en recourant à deux articles que nous avions négociés dans le cadre de la politique agricole commune, à savoir les articles 221 et 222 du règlement européen sur l'organisation commune de marché. Si ce mémorandum fut accueilli avec beaucoup d'enthousiasme par la présidence néerlandaise, qui voyait en ma proposition une base de travail intéressante, on me fit savoir que la décision ne serait pas prise immédiatement.
Il me fallut effectivement six mois supplémentaires pour débloquer un accord au Conseil et mettre en oeuvre une solution de maîtrise de la production laitière basée sur l'article 221, qui permet de financer une partie des litres qui ne sont pas produits... autrement dit, nous avons perdu six mois, alors qu'il existait une solution toute prête, qu'il ne restait qu'à mettre en oeuvre. Pendant ce temps, la production laitière excédentaire a été convertie en poudre et en beurre - on a ainsi stocké plus de 350.000 tonnes de poudre de lait, qui sont toujours stockées aujourd'hui.
Depuis la mise en oeuvre des mesures de maîtrise de la production, l'offre laitière a baissé et le marché s'est redressé. Les prix commencent à remonter, ce dont je me félicite, mais ils ne sont pas aussi élevés qu'ils le seraient si on n'avait pas perdu six mois. Malheureusement, c'est le délai qui m'a été nécessaire pour convaincre la Commission et surtout le Conseil et le Parlement européen. Pour trouver une majorité, j'ai été obligé de négocier un accord avec la Pologne et l'Allemagne - et cette dernière a mis un peu de temps avant de s'engager, alors même que les coopératives laitières allemandes voyaient que la production était en train de leur échapper.
Il nous reste maintenant à vérifier que la solution adoptée va vraiment s'appliquer. Pour ce qui est de sa mise en oeuvre automatique, qui permettrait d'éviter de perdre du temps à convaincre tout le monde à chaque fois qu'une crise se profile, je n'y suis pas franchement favorable : le recours à l'article 221 doit continuer à procéder d'une décision politique et démocratique. Cela dit, le fait de disposer d'outils identifiés et efficaces va désormais nous permettre d'intervenir d'une manière plus facile, plus régulière et plus rapide, sans attendre d'être au bout d'une crise pour prendre les décisions qui s'imposent.
Pour ce qui est de la PAC 2020, j'ai pris l'initiative de réunir mes homologues à Chambord début septembre 2016 afin de réaffirmer notre engagement en faveur d'une PAC forte, au coeur du projet européen. Vingt pays se sont engagés, ce qui n'est pas rien - je précise que le Royaume-Uni n'était pas invité : «Pas de PAC Brexit !», avait dit le ministre luxembourgeois, et j'ai repris la formule à mon compte, avec le soutien du ministre allemand.
Cette réunion a été l'occasion d'énoncer collectivement quatre grands principes, qu'il est important de rappeler. Le premier consiste à maintenir un budget à la hauteur de la politique agricole que nous voulons mener.
Le deuxième principe consiste à simplifier la PAC. Vous vous rappelez qu'avec l'orthophotographie, nous avons été obligés de refaire tous les registres parcellaires - 26 millions d'hectares à revoir au mètre carré près - franchement, on ne peut pas continuer à s'imposer de telles choses.
Le troisième principe, c'est que la PAC doit continuer à intégrer les grands enjeux des politiques publiques que sont l'environnement, l'alimentation et la lutte contre le réchauffement climatique - je ne suis pas près de lâcher l'initiative «4 pour 1.000», consistant à augmenter chaque année dans cette proportion le stock de carbone dans les sols, ce qui permettrait de stopper l'augmentation actuelle du CO2 dans l'atmosphère.
Le quatrième principe consiste à renforcer notre approche commune de la gestion des crises, ce qui pose la question du système assurantiel. Peut-on créer un troisième pilier de la PAC, qui permettrait de gérer les aléas économiques, climatiques et sanitaires - ou d'autres systèmes seraient-ils plus adaptés ? Le débat est loin d'être tranché mais à Chambord, nous avons trouvé un accord à vingt pour dire qu'il mérite d'être ouvert.
Pour ce qui est de la France, si vous le souhaitez, vous pourrez inviter la mission du conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), qui doit rendre, pour début décembre, un rapport sur les questions d'assurance et de mutualisation. Ce rapport important dans tous les sens du terme - en volume comme par les enjeux qu'il soulève - fera le constat de ce qui existe déjà en termes sanitaires, économiques et d'aléas climatiques, et proposera de revoir l'ensemble des systèmes et des outils - le contrat socle, le Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) et le Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnementale (FMSE), mais aussi la question de la fiscalité, avec la déduction fiscale pour aléas (DPA). Nous allons nous interroger sur la meilleure façon de réorganiser les choses pour que les agriculteurs puissent faire des provisions lorsqu'ils ont de bonnes années, afin d'être en mesure de faire face à une perte de revenus de n'importe quelle origine - sanitaire, économique ou climatique -, pouvant atteindre 30 %. J'insiste sur l'enjeu essentiel que représente ce rapport, qui viendra s'inscrire dans le débat sur l'avenir de la politique agricole commune.
(Interventions des parlementaires)
Plusieurs questions ont trait, en fait, à l'avenir de la PAC. Je vous ai indiqué qu'il existait, s'agissant de la réforme de cette politique, quatre pistes communes qui sont autant de points d'appui dans la discussion. Ce n'est pas rien, mais la négociation aura lieu en 2019-2020, et elle dépendra de l'actualité et des rapports de force du moment. Même s'il y a longtemps que je suis là, il n'est pas certain que ce soit moi qui négocie en 2020. Je peux néanmoins formuler des propositions afin de poser les bases d'une politique agricole organisée autour du maintien du verdissement, que certains voudraient supprimer et qui suppose que nous modifiions la façon dont on aborde les enjeux environnementaux.
Si nous voulons sortir du système de normes actuel, il faut en effet que nous passions à des modèles qui puissent être considérés comme vertueux du point de vue environnemental. De fait, si des normes ont été édictées, c'est pour lutter contre les pollutions. Prenons l'exemple de la directive sur l'eau. Lorsque j'ai pris mes fonctions, il existait un contentieux entre la France et l'Europe. Nous avons négocié, cela a été difficile, mais ce contentieux est aujourd'hui réglé : la mise en oeuvre des plans d'action est en cours. La Bretagne est d'ailleurs en train de prendre un virage très important, grâce à des mesures telles que la surveillance des flux d'azote total ou la couverture des sols. La chambre d'agriculture régionale considère désormais l'environnement, non pas comme une contrainte, mais comme un enjeu économique de la compétitivité de demain. Cela a bien changé, tant mieux ! On ne va pas s'en plaindre.
(...)
En ce qui concerne le CETA, les clauses de sauvegarde sont bien déclenchées au niveau européen. Elles peuvent l'être, pour l'instant, par la Commission, ce qui signifie que si l'on n'exerce pas de pressions politiques sur celle-ci, on peut parfois attendre longtemps... Ce déclenchement n'est pas automatique ; il s'agit d'une décision politique, qui nécessite donc la mobilisation du Conseil et du Parlement européens.
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Aujourd'hui, on ne vote que les dépenses du budget européen. Les recettes, quant à elles, sont décidées dans le cadre d'un accord qui fixe un cadre financier pour 7 ans. Le budget européen n'a pas de véritables recettes propres. Ses recettes sont constituées des taxes à l'importation - mais plus on signe d'accords commerciaux, plus le produit de ces taxes diminue - et, pour le reste, des contributions des États. D'où le débat sur ce que ceux-ci reçoivent en retour ; chacun se souvient du fameux : «I want my money back» de Mme Margaret Thatcher. Certains États sont contributeurs nets - ils contribuent davantage qu'ils ne reçoivent -, d'autres sont bénéficiaires nets : ils contribuent moins qu'ils ne reçoivent. Cela s'appelle la solidarité, et c'est ce dont ne veulent pas les Anglais.
Le système budgétaire européen ne permet donc pas de faire du contracyclique. C'est pourquoi nous proposons ce dispositif d'épargne de précaution. Il permettrait, lorsque les choses vont bien, de prendre une partie des aides du premier pilier de la PAC - les DPB -, pour alimenter une caisse, une provision, qui permettrait aux agriculteurs de développer des stratégies assurantielles et mutualisées afin de faire face, le cas échéant, aux pertes de revenus liées à des aléas sanitaires, économiques ou climatiques. Il s'agit bien de contracyclique : lorsque les prix sont bons, l'aide, qui n'est pas vraiment utile, est mise de côté pour créer une épargne de précaution qui peut être réutilisée quand les prix baissent. Comme on ne peut pas le faire en modulant le versement des aides, on autorise les agriculteurs à provisionner une partie de celles-ci.
(...)
Le véritable problème réside dans le fait qu'une grande partie du lait européen est exportée hors d'Europe. En effet, une laiterie peut utiliser son lait soit en produit transformé à forte valeur ajoutée, soit en produit peu transformé, du type poudre de lait, qu'elle exporte ; c'est ce que l'on appelle un mix laitier. Plus la part de produit peu transformé est importante dans votre mix laitier, plus vous êtes sensible au prix de la poudre de lait, surtout si vous exportez. Certains développent des stratégies de qualité pour valoriser leur poudre à un niveau plus élevé en exportant de la poudre destinée au lait infantile. Mais il est difficile de définir des prix, car le producteur et l'industriel qui exportent de la poudre dépendent du prix mondial. D'où les tensions. Lorsque, sur le marché Spot Fonterra - Nouvelle-Zélande, Chine -, le prix baisse, quoi qu'il arrive, cela impacte l'Europe. Nous devons donc en tenir compte pour éviter les crises provoquées par des baisses de prix trop importantes.
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Nous devons protéger nos terres agricoles, qui, de plus, et vous le savez, sont stockeurs de carbone : plus vous les retournez, plus vous rejetez de protoxydes d'azote. Il est donc important de garder des terres pour produire, mais il est important de garder des sols agricoles pour stocker du carbone. J'irai la semaine prochaine à Marrakech participer à la COP22 afin de plaider en faveur de l'augmentation du stockage du carbone dans les sols à hauteur de 4 pour 1.000, pour permettre d'augmenter leur fertilité et stabiliser la concentration en dioxyde de carbone dans l'atmosphère.
(...)
La question sur une PAC 2020 plus politique nécessiterait qu'on ouvre un nouveau débat. J'ai tâché de fixer les grandes lignes des prochaines négociations européennes. Les ministres européens de l'agriculture, à Chambord, ont du reste évoqué la PAC 2020 également sous l'angle politique. Ensuite, certains sujets sociaux et environnementaux relèveront d'autres politiques publiques. Nous nous acheminons en effet de plus en plus vers une politique publique différenciée selon les objectifs et les territoires.
Ainsi, l'approvisionnement local et le développement des circuits courts, pour aller vite, c'est une stratégie en soi. Tout ce qui touche aux zones de montagne, à l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN)..., c'est une politique en soi.
La question est ici de savoir comment trouver à ces zones les moyens de poursuivre des activités agricoles avec des débouchés rémunérateurs.
Les grands enjeux internationaux répondront à d'autres problématiques.
Aussi la politique publique doit-elle intégrer les grands enjeux transversaux : pour ce qui nous concerne, les grandes questions d'alimentation et les grandes questions liées à l'environnement et, en particulier, à la lutte contre le réchauffement climatique, à la diminution du recours à la chimie et aux produits phytosanitaires. Il y aura ensuite de nombreuses politiques beaucoup plus ciblées selon les objectifs que l'on se fixe. Et celui concernant les zones où l'on développe des stratégies de localisation de la production consiste à créer des tissus agricoles socialement solides.
J'en profite pour signaler qu'aux États-Unis, le nombre d'agriculteurs a plutôt augmenté et selon un double processus : une augmentation des installations autour des villes pour tout ce qui concerne le nouveau maraîchage, notamment, et, dans le même temps, un maintien des grandes exploitations dans le Middle-West qui ont continué de se structurer et de s'agrandir. Ce double phénomène n'est pas celui que nous allons connaître. En France, certains endroits seront caractérisés par une forte densité agricole - parce qu'ils correspondent à des besoins - alors que d'autres seront moins denses mais nécessiteront une diversification en matière énergétique. Nous devrons sur cette question mener une réflexion de fond.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 novembre 2016