Texte intégral
FABIEN NAMIAS
Bonjour Jean-Jacques URVOAS.
JEAN-JACQUES URVOAS
Bonjour.
FABIEN NAMIAS
Vingt-et-une nouvelles prisons seront construites d'ici à 2025. Ça veut dire tout d'abord que rien ne sera fait pour améliorer la situation et les conditions de détention d'ici-là ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Si, parce qu'il y a toujours des travaux qui sont en cours dans les prisons qui existent, mais c'est vrai que je ne pourrai pas supprimer en quelques semaines la surpopulation qui frappe la totalité des maisons d'arrêt. A cette date aujourd'hui, nous sommes sur un taux de 140 % de suroccupation dans nos maisons d'arrêt.
FABIEN NAMIAS
Et dans des conditions qui sont régulièrement dénoncées par l'Observatoire international des prisons qui parle de détention inhumaine et dégradante par exemple à Fresnes, aux Baumettes, à Strasbourg. On voit des rats dans les couloirs, dans les cellules. Ça, ça peut être améliorée d'ici à 2025 ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Ça, ce sera évidemment à améliorer au quotidien. D'ailleurs sur Fresnes, vous le disiez à l'instant, nous avons été condamnés à juste titre puisqu'il y a des conditions insalubres. Nous multiplions les opérations de dératisation, nous essayons d'utiliser des process pour qu'il puisse y avoir une amélioration de la qualité de vie des personnels. Parce que quand je me bats pour la construction de prisons, c'est d'abord au nom de la dignité, parce que ceux qui vivent dans les prisons, ceux qui travaillent dans les prisons, cette surpopulation ils la subissent toute leur vie professionnelle. Et ceux qui sont incarcérés n'ont jamais été condamnés à vivre dans des équipements insalubres et vétustes.
FABIEN NAMIAS
Mais davantage de places de prison ; parce que ce serait entre 10 000 et 16 000 cellules supplémentaires, ça va uniquement dans le sens d'améliorer les conditions de détention ou c'est aussi une anticipation sur la hausse du nombre de personnes incarcérées dans les années à venir ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Quand vous décidez de construire des prisons, il y a d'abord la volonté de respecter un principe qui est dans notre droit pénal depuis 1875. Celui qui fait que normalement il devrait y avoir un détenu par cellule, ce que l'on appelle l'encellulement individuel. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas le faire.
FABIEN NAMIAS
Ce qui n'existe pas dans les faits aujourd'hui ou presque pas.
JEAN-JACQUES URVOAS
Il n'existe pas dans les maisons d'arrêt, il existe dans les prisons centrales. C'est-à-dire que paradoxalement, les conditions de vie sont meilleures pour un condamné que pour quelqu'un qui est innocent et qui est prévenu. Donc il y a cette volonté-là évidemment de respecter la dignité. Mais il y a aussi le fait que l'administration pénitentiaire n'est pas responsable du flux de personnes dont elle a la charge. Ce sont les juges qui décident en toute indépendance si tel doit être privé de liberté et d'autre doit être condamné à une peine extérieure.
FABIEN NAMIAS
Vous annoncez aujourd'hui un plan qui engage sur plusieurs années, qui engagera donc la prochaine majorité quelle qu'elle soit. Enfin je dis « qui engagera » : est-ce que vous en êtes si certain ? Parce que votre prédécesseur dans le gouvernement socialiste, Christiane TAUBIRA, avait annulé ce qui avait été prévu par le précédent gouvernement et le précédent Garde des Sceaux.
JEAN-JACQUES URVOAS
En partie, parce qu'elle avait fait des choix financiers qui n'étaient pas ceux que nous faisons, puisqu'elle avait interrompu en effet des projets qui avaient été lancés sur des modèles de partenariat public-privé, qui allaient très onéreux pour la collectivité comme souvent le rappel la Cour des comptes, et elle avait donc décidé de suspendre, mais elle a continué d'autres chantiers. J'ai d'ailleurs inauguré des prisons qui ont été décidées par la droite et qui avaient été confirmées par Christiane TAUBIRA.
FABIEN NAMIAS
Et pour ce qui va venir ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Le programme que je propose est un programme dont je crois à la pérennité pour trois raisons. D'abord parce que les terrains qui ont été identifiés sont techniquement solides et c'était difficile de trouver des terrains. C'est souvent ce qui fait la pierre d'achoppement. Là, nous avons travaillé dans la transparence avec les élus, ils savent exactement de quoi nous parlons et ils ont donné leur accord. Deuxième élément, ils sont politiquement assumés.
FABIEN NAMIAS
On entendait dans le journal de 07 heures et demie la maire de Noisy-le-Grand qui n'était pas ravie qu'une prison vienne s'installer chez elle et qui aurait préféré des logements.
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui, mais ce n'est pas une maison d'arrêt. Ce n'est pas une maison d'arrêt. Dans le cas d'espèce, nous faisons un quartier de préparation à la sortie. C'est un équipement beaucoup plus petit et sur lequel nous aurons à discuter. Moi, je parle des maisons d'arrêt qui sont entre 100 et 500 places, mais Noisy c'est vraiment infiniment beaucoup plus petit. C'est politiquement assumé par les élus, c'est financièrement accessible puisqu'il y a un milliard deux cents millions dans le budget 2017 pour financer l'achat des travaux, puisqu'à ce stade je ne peux moi faire concrètement qu'acheter les terrains.
FABIEN NAMIAS
Etes-vous, monsieur Jean-Jacques URVOAS, Garde des Sceaux, inquiet aujourd'hui pour l'indépendance de la justice dans cette campagne présidentielle ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Non. Je suis inquiet que ça soit un objet de polémique. Ça doit être pendant la campagne présidentielle un sujet de préoccupation, parce que la justice a besoin de moyens - vous le disiez à l'instant - qui dépassent le cadre annuel, et donc il faut s'engager sur des lois de programmation à la fois pour les palais de justice, à la fois pour les prisons mais aussi pour les processus de décisions de juge.
FABIEN NAMIAS
Mais vous parlez de polémique. Il y a plusieurs candidats qui ont en ce moment affaire à la justice. Je pense par exemple à la présidente du Front national Marine LE PEN qui met directement en cause. Elle dit, je la cite : « La justice ne doit pas venir perturber une enquête qui pourrait se dérouler plus tard », à propos de la mise en examen de sa cheffe de cabinet dans l'affaire des emplois présumés fictifs au Parlement européen. « Nous ne sommes pas, je la cite toujours, dans la sérénité, l'impartialité, l'indépendance de la justice. » Elle a raison de s'inquiéter ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Elle a évidemment tort de s'inquiéter. La justice est par essence indépendante. Les juges sont indépendants, les procureurs sont indépendants. Ils conduisent, pour ce qui est des procureurs, des enquêtes quand ils estiment qu'ils ont des éléments, des matériaux pour avancer. Les juges se prononcent sur des procédures qui sont établies. Si nous décidions par je ne sais quelle idée de suspendre l'activité de la justice pendant les périodes électorales, mais ce sont des millions de Français qui protesteraient. Parce que le reproche qu'ils font à la justice, c'est bien souvent d'aller beaucoup plus lentement et ils préfèrent au contraire qu'elle s'accélère.
FABIEN NAMIAS
Ça veut dire que les affaires judiciaires et les enquêtes concernant même les candidats à la présidentielle n'ont absolument pas vocation à s'arrêter pendant la campagne présidentielle. Parce qu'on a entendu qu'il pouvait y avoir une réserve dans certaines périodes : vous ne partagez pas ce point de vue et vous nous dites que ça n'existe pas.
JEAN-JACQUES URVOAS
Je m'interdis d'avoir un avis sur ce sujet, parce que depuis que je suis Garde des Sceaux, je ne commente pas les affaires en cours et je respecte les décisions quand elles sont prises. Je vous dis que sur le principe, la justice travaille à son rythme et c'est souvent d'ailleurs un rythme différent de celui de l'émotion politique. Parce que ce qui permet à la justice d'avoir des décisions qui ne sont pas contestées, c'est le recul qu'elle est en capacité de prendre.
FABIEN NAMIAS
Si François FILLON était dans ce studio, il serait évidemment opposé à vos arguments puisque lui parle carrément d'un coup d'Etat institutionnel venu de la gauche, et il accuse le parquet national financier, qui a ouvert une enquête préliminaire, de ne pas être compétent. Là aussi, qu'est-ce que vous lui rétorquez ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Nous parlons d'une structure qui a été créée en 2013. Le procureur de la République financier, puisque c'est son nom, ce procureur de la République financier a été nommé comme tous les procureurs de ce pays. C'est-à-dire nommé par le gouvernement - c'est vrai en termes de droit - mais après avis conforme, c'est-à-dire après validation d'une instance constitutionnelle - le Conseil supérieur de la magistrature - dans lequel ne siègent aucun élu du Parlement, aucun représentant de l'exécutif, aucun magistrat de l'Ordre judiciaire - parle des personnalités qualifiées - ou de l'ordre administratif.
FABIEN NAMIAS
Donc ses compétences ne peuvent pas être remises en cause comme l'ont dit les avocats de François FILLON.
JEAN-JACQUES URVOAS
La compétence de tous les parquets figure dans la loi. Vous savez, le droit c'est d'abord un acte de connaissance. Il suffit de lire le Code pénal ou le Code de procédure pénale pour être fixé sur les compétences de tel ou tel parquet.
FABIEN NAMIAS
Quand vous dites justement que les enquêtes n'ont pas vocation à s'arrêter pendant une campagne présidentielle, quand la décision du parquet national financier dans l'affaire qui concerne François FILLON sera-t-elle connue ? Est-ce une affaire de jours ? Est-ce une affaire de semaines ? Les dépôts de signatures vont avoir lieu dans quelques jours. Quand est-ce qu'on sera au clair sur cette affaire ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Il faut le demander à la procureur de la République financier. C'est une structure comme tous les parquets de France. Elle a sur 2016 géré et traité 196 dossiers qui ont été sanctionnés par des juridictions. Elle a des centaines d'affaires en cours. Je ne rentre pas dans le fonctionnement quotidien, et même d'ailleurs au long terme, du parquet national financier.
FABIEN NAMIAS
Mais comme Garde des Sceaux néanmoins, vous en êtes informé. Sur une affaire de cette nature, on ne peut pas imaginer que vous ne le soyez pas.
JEAN-JACQUES URVOAS
Ma conception de la fonction que j'exerce est d'abord de garantir les moyens pour que les magistrats dans ce pays, qu'ils soient ministère public c'est-à-dire parquetier ou qu'ils soient juges, puissent travailler dans la sérénité. Vous savez, c'est l'empereur romain Marc Aurèle qui disait : « Seul un esprit serein est en capacité de juger. » Mon travail, c'est que les juges puissent être sereins.
FABIEN NAMIAS
Les candidats rivalisent de propositions dans le domaine de la justice dans cette campagne présidentielle. Je reviens à François FILLON qui a proposé la semaine dernière l'abaissement de la majorité pénale à 16 ans, ce qu'avait également proposé Nicolas SARKOZY qui, finalement, ne l'avait pas mis en oeuvre.
JEAN-JACQUES URVOAS
Ça n'a pas de sens parce que c'est la réalité déjà. Qu'est-ce qu'il veut dire à travers cette idée ? Il veut dire que quand un mineur de 16 à 18 ans a commis un acte terrible, il devrait être jugé comme un majeur pour être sanctionné plus durement. Mais la réalité dans ce pays, quand on lit le Code pénal et il suffit de le lire c'est que justement si un mineur a commis un acte terrible, théoriquement il n'encourt que la moitié d'une peine pas majeure, mais le juge peut lever cette exception au regard de la gravité des faits et de la personnalité.
FABIEN NAMIAS
Mais s'il peut lever, s'il y a des exceptions à cette excuse de minorité puisque je crois que c'est la terminologie employée
JEAN-JACQUES URVOAS
Absolument.
FABIEN NAMIAS
Pourquoi dans ce cas ne pas l'institutionnaliser comme le propose François FILLON ? Ça a le mérite d'être clair et simple.
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, mais c'est aujourd'hui le droit actuel qui est simple, parce que nous sommes fondés sur un principe qui est celui de l'individualisation de la peine. C'est donc au regard d'une situation que le magistrat se prononce. On peut aujourd'hui condamner un mineur de 16 ans jusqu'à 30 ans de prison.
FABIEN NAMIAS
Jean-Jacques URVOAS, vous êtes un proche de Manuel VALLS que vous avez d'ailleurs soutenu pendant la primaire. Est-ce qu'on entendra l'ancien Premier ministre pendant cette campagne ? Parce que là pour l'instant, c'est le silence complet.
JEAN-JACQUES URVOAS
Là, il a pris un peu de recul, ce qui est bien normal au regard de l'activité qu'il a eue au ministère de l'Intérieur et à Matignon. Il a pris du repos, il va maintenant s'intéresser à la campagne qui est lancée parce qu'il est candidat. Il est redevenu député et il est candidat dans sa circonscription d'Evry donc naturellement Manuel fera comme toujours de la politique dans le souci de l'intérêt général.
FABIEN NAMIAS
Il soutiendra donc clairement il s'affichera aux côtés de Benoît HAMON.
JEAN-JACQUES URVOAS
Il soutiendra clairement Benoît HAMON parce qu'il a respecté, il respectera et il respectera toujours sa parole, c'est-à-dire que quand il était engagé dans la primaire, il souhaitait qu'il y ait le soutien de tous ceux qui y participent.
FABIEN NAMIAS
Et vous, est-ce que vous soutiendrez clairement Benoît HAMON ? Est-ce que Benoît HAMON est votre candidat ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Je suis membre du Parti socialiste qui a participé à une primaire et qui a choisi un candidat. Du coup, je ne me pose pas ce genre de question. Je fais campagne.
FABIEN NAMIAS
Vous ne vous posez pas ce genre de question mais vous pouvez peut-être me répondre. Vous faites campagne pour Benoît HAMON, on est d'accord.
JEAN-JACQUES URVOAS
Bien sûr, mais bien sûr. C'est évident. Je suis membre du Parti socialiste.
FABIEN NAMIAS
Donc aujourd'hui, Emmanuel MACRON n'est pas le candidat de gauche derrière lequel vous vous retrouvez ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, non.
FABIEN NAMIAS
Parce qu'on a senti quelques flottements et hésitations chez certains membres du gouvernement qui rechignaient à dire clairement pour qui ils voulaient s'engager.
JEAN-JACQUES URVOAS
Non. Le fait est que les propositions de Benoît HAMON ne sont pas celles dans lesquelles je me retrouve le plus aisément. J'ai beaucoup de difficultés à me retrouver derrière un candidat mais ça fait partie du choix. Je suis membre d'un Parti politique, personne ne m'oblige à y être. Si je ne m'y sens pas à l'aise, je m'en vais. C'est d'ailleurs parfois ce qu'on reprocher à d'autres, c'est-à-dire de jouer sur plusieurs tableaux. C'est vrai qu'il y a un certain nombre de propositions du candidat HAMON que je ne partage pas et donc, c'est un débat que j'ai avec lui.
FABIEN NAMIAS
Ce n'est donc pas un vote de coeur.
JEAN-JACQUES URVOAS
Ce n'est jamais un vote de coeur, c'est toujours un vote de raison. Je n'ai jamais voté avec le coeur. La politique, ce n'est pas une question d'émotion. C'est d'abord une question de conviction.
FABIEN NAMIAS
Merci Jean-Jacques URVOAS.
JEAN-JACQUES URVOAS
Merci.
THOMAS SOTTO
Merci beaucoup. Prochain rendez-vous politique sur Europe 1, c'est dimanche notamment avec Le Grand Rendez-vous-Europe 1-iTélé-Les Echos, c'est à 10 heures et ce sera piloté par Antonin ANDRE qui recevra en direct du salon de l'agriculture François BAYROU.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 février 2017