Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur l'action du gouvernement et du conseil général du Doubs en faveur de l'emploi (le licenciement "doit être le dernier recours de l'entreprise") et sur le prochain débat national sur l'aménagement du territoire, Besançon le 1er octobre 1993.

Prononcé le 1er octobre 1993

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Circonstance : Déplacement d'Edouard Balladur en Franche Comté-réception au conseil général du Doubs

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les parlementaires, les élus et les chefs d'entreprise,
Mesdames et Messieurs,
Vous connaissez les liens particuliers qui m'unissent à la région de Franche-Comté et donc le plaisir que j'éprouve à être aujourd'hui parmi vous, à Besançon, l'hôte du Président du Conseil Général, le Sénateur Georges Gruillot.
Je voudrais d'abord le remercier de cette invitation, et saluer également le Président du Conseil régional M. Chantelat, les parlementaires du département, les Députés Monique Rousseau, Jean Geney, Claude Girard, Michel Jacquemin et Roland Vuillaume, les Sénateurs Jean Pourchet, Louis Souvet et l'ensemble des membres du Conseil général. Je voudrais enfin lui dire combien j'apprécie l'initiative, prise par le Conseil Général du Doubs, qui nous réunit aujourd'hui.
Premier département à s'engager de la sorte, le Doubs a en effet mobilisé tous ses moyens dans un plan pour l'emploi, qui est à tous égards un plan exemplaire.
Exemplaire par son souci de concertation. Le Conseil Général, maître d'oeuvre, s'appuie à la fois sur les communes, qui recevront des subventions exceptionnelles pour investir dans les mois qui viennent, les entreprises qui bénéficient d'invitations particulières à la création d'emplois.
Exemplaire par son effort d'imagination. Vous avez su rechercher tous les gisements d'emplois trop peu explorés dans notre pays, l'apprentissage, les services de proximité, l'insertion des personnes en difficulté.
Exemplaire enfin par son caractère pragmatique. Vous avez mis en place, très concrètement, des moyens qui permettent de lever les obstacles de toute nature qui, trop souvent, empêchent d'embaucher.
Je voudrais saluer l'état d'esprit dans lequel vous avez travaillé, qui ne vous a pas conduit à tout attendre de l'Etat, mais à mettre en oeuvre toutes les possibilités d'agir pour le bien commun, en complétant et en renforçant l'action du Gouvernement en faveur de l'emploi.
Cet état d'esprit est exactement le nôtre. Ce dont la France a besoin, ce n'est pas que nous nous perdions en querelles politiques ou en débats académiques stériles, pour savoir, par exemple, si nous faisons face à une crise de l'offre, à moins que ce ne soit à une crise de la demande.
Ce dont la France a besoin, c'est de la mobilisation de tous pour le bien commun, et c'est pour cela qu'elle fait aujourd'hui confiance au Gouvernement.
Cette confiance nous crée des devoirs : un devoir de vérité, un devoir d'efficacité, un devoir de solidarité.
Un devoir de vérité. La France fait face à la situation la plus difficile qu'elle ait connue depuis 1945. Je l'avais dit avant les élections, certains avaient trouvé le propos excessif, chacun peut juger aujourd'hui.
La production industrielle est en baisse en 1993 ; le chômage s'accroît et est, plus que jamais, la principale source d'inquiétude des Français ; les déficits, que nous avons trouvés en arrivant au Gouvernement, pouvaient, si rien n'avait été fait, remettre en cause toute la protection sociale des Français.
Nous n'avons pas voulu cacher les difficultés. Nous les avons dites aux Français, parce que les Français sont un peuple majeur, qui comprend le langage de la vérité. Nous avons agi, en prenant les mesures de redressement nécessaires, même si elles ne sont pas populaires, parce qu'il fallait d'abord sauver la protection sociale des Français.
Un devoir d'efficacité. Le Gouvernement a usé, use et usera de tous les leviers à sa disposition pour soutenir l'activité économique dans notre pays.
Nous avons, dans le collectif budgétaire du printemps, dégagé des crédits exceptionnels pour le logement et les travaux publics, dans le cadre d'un plan de relance sans précédent. Nous avons, grâce aux excédents du grand emprunt, trouvé les moyens nécessaires à l'achèvement des contrats de Plan entre l'Etat et les Régions, par lesquels sont réalisés les équipements et les infrastructures régionales. Nous avons prévu le remboursement, avant la fin de 1993, de l'ensemble des créances des petites et moyennes entreprises sur l'Etat au titre de la T.V.A., ce qui soulagera d'autant leur trésorerie. Nous avons triplé le montant de l'allocation de rentrée scolaire, qui atteindra 1500 F. par enfant pour les familles les plus modestes.
Ces décisions ont permis ou vont permettre d'injecter plus de 50 milliards de francs directement dans les entreprises au second semestre de 1993, avec une considération particulière pour les plus petites d'entre elles, et 85 milliards en année pleine.
Le projet de budget pour 1994 continue dans cette voie. Grâce aux économies dégagées sur les dépenses les moins utiles, nous avons trouvé les moyens de financer une réforme sans précédent de l'impôt sur le revenu, qui représentera un allégement total de 19 Milliards de Francs, qui profitera à tous les contribuables mais particulièrement aux classes moyennes et aux familles nombreuses.
Je le dis de la façon la plus nette : nous n'aurons aucune hésitation à prendre les nouvelles mesures qui s'avéreraient utiles, en fonction des nécessités du moment, dans l'esprit le plus pragmatique, car la situation de l'économie et de l'emploi est suffisamment sérieuse pour que nous ne nous enfermions pas dans des tabous idéologiques ou des querelles doctrinales.
Un devoir de solidarité.
La France est le pays développé qui crée le moins d'emplois quand il y a croissance, qui détruit le plus d'emplois quand il n'y a pas de croissance. Tous les mécanismes de notre économie, toutes les contraintes fiscales, sociales, réglementaires, et malheureusement toutes les mentalités sont ainsi orientées que la baisse des coûts de production se fait toujours au détriment de l'emploi.
Je le dis avec force : il faut changer cette logique qui, si elle était poussée à son terme, détruirait le tissu social.
Entendons nous bien : il n'est pas question de nier que nos entreprises ont besoin d'être compétitives. La France n'a pas à regretter d'être engagée dans la concurrence internationale. Elle y réussit comme le montrent aujourd'hui les excédents de notre commerce extérieur et les gains de parts du marché mondial réalisés par nos entreprises - Chacun sait bien que le retour à une économie administrée n'apporterait pas plus d'emplois mais moins d'emplois - Chacun voit aussi que la France n'a rien à gagner à se replier sur elle-même, mais qu'elle accroîtra son rayonnement et sa prospérité en tenant son rang face à la compétition des autres nations.
En revanche, il n'est pas possible de prendre des décisions économiques sans considération pour leurs conséquences humaines et sociales. Le licenciement ne peut pas être le premier recours mais doit être le dernier recours de l'entreprise, celui dont on n'use que lorsque tous les autres moyens ont été épuisés.
C'est là tout l'objet des possibilités d'adaptation offertes aux entreprises par la loi quinquennale pour l'emploi, en réduisant les charges sociales pesant sur l'emploi des plus modestes, en diversifiant les formes de travail salarié, en rénovant et en décentralisant la formation professionnelle, des possibilités que l'initiative parlementaire pourra enrichir encore.
Autre solidarité essentielle, celle qui s'exprime par l'aménagement du territoire.
L'aménagement du territoire est une priorité nationale, un choix politique du Gouvernement, une responsabilité éminente de l'Etat.
Le diagnostic est connu. La trop forte différence entre les croissances régionales laisse de côté de vastes espaces ruraux. L'égalité des citoyens n'est plus respectée. L'Etat a perdu toute vision et toute ambition à long terme.
Pour corriger cette évolution, j'ai décidé d'engager un débat national pour préparer une loi d'orientation sur l'aménagement du territoire.
Elle permettra de dessiner et de construire la France telle que nous la souhaitions, et non comme seul aboutissement d'évolutions subies.
L'Etat porte une responsabilité éminente en ce domaine : il a le devoir d'assumer l'exigence de cohésion et d'harmonie nationales ; cette exigence relève de sa vocation. Mais le sens de son intervention doit s'inscrire dans une volonté nationale clairement partagée par les collectivités territoriales, certes, mais également par l'ensemble des acteurs économiques et sociaux.
Le débat national répond à cette nécessité.
Il permettra d'éclairer les choix gouvernementaux à la lumière des préoccupations exprimées par les forces vives de la nation et par les élus locaux. Il renforcera la prise de conscience par les Français eux-mêmes de l'enjeu auquel la France est confrontée. Il conduira, je le souhaite, à l'expression de suggestions quant aux modalités de l'action publique.
Ce débat doit permettre d'apporter une réponse à trois questions : quelle France souhaitons-nous en 2015 ? Quelle place y revient à chaque partie du territoire national ? Quels moyens faut-il pour parvenir à l'équilibre ainsi dessiné ?
La construction européenne notamment, nous incite à répondre à ces questions, afin que la France renforce son poids et son influence.
Le débat s'inscrit donc dans une perspective à long terme. Il est l'expression d'une ambition : celle que les Français d'aujourd'hui dessinent le pays qu'auront en héritage les prochaines générations. Il sera aussi un moyen pour restaurer plus de confiance dans la chose et la responsabilité publiques.
Le débat national sur l'aménagement du territoire est à présent officiellement engagé.
Il s'agit là d'une entreprise qui offre pour la prospérité et pour l'emploi, un réservoir considérable de croissance et de développement.
Les ressources du pays, l'utilisation de l'espace, les rapports institutionnels et financiers, les spécificités régionales constituent quelques uns des thèmes majeurs. Sans doute y en a-t-il d'autres.
C'est aux Français de trouver en eux-mêmes la force, l'imagination et la raison qui donneront au pays cet élan devenu si nécessaire à l'aube d'un nouveau millénaire.
La revitalisation du monde rural et la conversion des anciennes zones industrielles à présent en situation de crise grave, constituent deux priorités.
Il faut parer à l'urgence.
C'est pourquoi, j'ai décidé dès mon arrivée à la tête du Gouvernement, un moratoire de la fermeture des services publics en milieu rural. J'ai demandé aux Préfets d'être particulièrement vigilants dans le suivi de l'application de ce moratoire que je viens de prolonger jusqu'au dépôt au Parlement du projet de loi d'orientation sur l'aménagement du territoire.
La cohérence doit, par ailleurs, être obtenue avec la politique régionale que conduit la Commission de la Communauté Européenne. Le Gouvernement défend avec vigueur les intérêts de la France, en particulier ceux du Doubs.
Ainsi, en ce qui concerne la possibilité d'affecter la prime d'aménagement du territoire à Montbéliard, il a fallu d'abord réduire à néant les risques d'ouverture d'un contentieux qu'envisageait la Commission contre la décision prise par le précédent gouvernement.
Il a fallu ensuite persuader nos interlocuteurs de la légitimité de la décision.
Je m'engage à ce que ce dossier aboutisse favorablement, au plus tard, en même temps que la définition des zonages d'éligibilité aux fonds structurels de la Communauté.
Sur ce point, je propose le classement du massif du Jura au titre des zones rurales et le renouvellement du bassin d'emploi de Montbéliard au titre des zones industrielles en conversion. Cette proposition ne vaut pas garantie de résultat ; les négociations vont se dérouler dans les prochaines semaines. Soyez persuadés que le gouvernement ne ménagera pas ses efforts pour défendre ses propositions.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
La France traverse une crise. La crise passera, la France demeurera. Mais cette crise rend urgente la réponse à cette question simple : quelle France voulons nous ?
Est-ce la France que façonnerait une société sans âme, avec tous les déséquilibres sociaux, économiques, géographiques qui en résulteraient ?
Est-ce la France qu'enserrerait un système d'économie administrée, qui inéluctablement déboucherait sur le protectionnisme, le repli sur soi, et, ultimement, l'appauvrissement du pays ?
Non, la France que nous voulons est celle qui, retrouvant sa tradition d'être un exemple pour les autres nations, tracera la voie d'une nouvelle croissance, d'une croissance équilibrée qui fait à l'homme sa juste place, qui donne sa chance à chaque région et à chacun qui se fonde sous des rapports sociaux plus fraternels et plus respectueux des individus.Cette France rénovée je sais que vous nous aiderez à la construire.