Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur la situation en Nouvelle-Calédonie 5 ans après les accords de Matignon, Paris le 9 décembre 1993.

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Circonstance : Réunion du 5ème comité de suivi des accords de Matignon le 9 décembre 1993

Texte intégral

Messieurs les Parlementaires,
Messieurs les Chefs de Délégation,
Mesdames, Messieurs,
Je me réjouis de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui de vous rencontrer et de vous assurer de l'attention particulière que le gouvernement porte à la Nouvelle-Calédonie.
En effet, il s'est établi une tradition depuis la signature ici même des Accords, qui ont pris acte de la volonté commune de préparer l'avenir du Territoire de Nouvelle-Calédonie.
Conformément à cette excellente tradition, je suis heureux d'accueillir à l'Hôtel de Matignon les délégations conduites par M. Rock WAMYTAN, Vice-Président du FLNKS et M. Jacques LAFLEUR, Président du RPCR que je salue. Il s'agit aujourd'hui de conclure le Vème Comité de Suivi au cours duquel vous avez pu débattre des problèmes concrets qui se posent au Territoire, exposer vos points de vue et recueillir du gouvernement des réponses précises aux questions que vous vous posiez.
Monsieur le Ministre des Départements et Territoires d'Outre-Mer a présidé vos réunions de travail. Je sais que vous avez en outre rencontré plusieurs autres membres du Gouvernement. Le compte-rendu que Monsieur Dominique PERBEN vient de faire de ces échanges en révèle tout l'intérêt. Je suis heureux que vous ayez pu parvenir à des conclusions communes sur la plupart des questions qui étaient inscrites à l'ordre du jour et vous entendre sur votre programme de travail pour l'année 1994. Cette approche commune pour aborder les principaux problèmes qui se posent au Territoire confirme la qualité des échanges entre vos délégations et le Gouvernement.
Après les évènements de 1988, s'est clairement manifestée la volonté de toutes les forces politiques qui composent la Nouvelle-Calédonie de retrouver la paix et de construire ensemble leur avenir.
Je rends hommage à la lucidité et au courage des hommes qui ont choisi cette sage résolution.
Le premier des engagements réciproques qui fut alors pris, fut de recourir désormais au dialogue pour résoudre les éventuelles difficultés rencontrées dans cet effort commun pour retrouver l'harmonie des différentes communautés entre elles.
C'est pourquoi, il a été décidé de consacrer dix années à rechercher un meilleur partage des responsabilités entre toutes les composantes de la population et à susciter un développement économique plus équilibré, bénéficiant à toutes les régions du Territoire.
Ce n'est qu'en 1998 que sera débattue la question qui jusque là avait le plus séparé les hommes et les femmes de Nouvelle-Calédonie : celle de la nature des liens entre le Territoire et la République.
J'ai reçu avant même la tenue de ce Comité les principaux partenaires. J'ai pris bonne note des propos des uns et des autres au sujet de l'avenir du Territoire.
Le chemin sur lequel se trouve la Nouvelle-Calédonie est le bon. Le Gouvernement vous encourage à continuer dans cette direction et vous y aidera.
L'Histoire a réuni sur cette terre, comme dans d'autres pays de cette région, des communautés diverses sur un plan ethnique ou culturel. Cette diversité est une richesse qui doit être préservée, en évitant toute forme d'exclusion ou de laisser-faire à l'égard d'une immigration incontrôlée qui en bouleverserait à terme l'équilibre.
Presque chaque jour nous parviennent de plusieurs pays dans le monde des images désespérantes de luttes fratricides.
Il ne suffit donc pas d'affirmer la volonté de vivre ensemble. Si chaque communauté n'est pas convaincue de la place qui lui revient, si elle se sent rejetée ou exclue, la cohésion peut être menacée.
C'est dire qu'il ne peut y avoir en Nouvelle-Calédonie de concorde sans respect de la dignité de chacun.
S'agissant des mélanésiens, le respect de la spécificité culturelle signifie aussi la reconnaissance du rapport particulier qu'ils entretiennent avec cette terre.
Pour que le sentiment d'appartenance à une même communauté résiste à l'épreuve du temps, le partage des responsabilités sociales doit être équitable. L'organisation du Territoire en provinces dotées des plus larges compétences a permis de faire accéder des hommes de toutes les régions aux responsabilités politiques et administratives. Il est nécessaire de poursuivre l'effort de formation qui a d'ores et déjà été entrepris avec succès pour mieux adapter l'école aux réalités économiques et sociales.
Chaque niveau éducatif doit y contribuer, depuis l'école primaire jusqu'à l'Université Française du Pacifique. Je souhaite que le problème de la validité des diplômes du second cycle soit réglé par le Ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche.
Je n'ai pas été surpris que vous ayez consacré une large part de vos entretiens à ces questions ; car il nous faut répondre aux besoins de la jeunesse.
L'avenir de la Nouvelle-Calédonie dépend d'abord de la capacité, de son économie à créer des emplois et à permettre l'insertion sociale d'une jeunesse nombreuse.
Notre volonté est bien que soient créés des emplois dans tout le Territoire en évitant que la croissance du Sud n'accélère la venue des populations du Nord et des Iles, au risque de nouveaux déséquilibres sociaux.
Croyez bien que je partage votre préoccupation au moment où le Gouvernement que je dirige s'engage résolument dans une redéfinition audacieuse de la politique d'aménagement du territoire. Dans ce domaine comme dans celui de la formation des jeunes pour les préparer à un emploi, le gouvernement ne peut qu'adhérer à vos objectifs. Il vous aidera à les atteindre.
En effet, promouvoir un développement économique créateur d'emplois en Nouvelle-Calédonie n'est pas un objectif irréaliste. Grâce à la qualité des hommes, grâce à ses ressources et grâce aussi à l'aide que la solidarité nationale vous apporte et continuera de vous apporter sans faillir, le Territoire peut y parvenir. Je suis convaincu qu'il y parviendra dès lors que tous les acteurs économiques et institutionnels adhéreront à cet objectif de progrès.
Les grands programmes d'infrastructures : routes, eau, électricité, téléphone, constituent un préalable pour le développement économique. Leur réalisation progresse rapidement et de manière satisfaisante. Les contrats de développement qui couvrent la période 1993-1998 s'élèvent à 1,850 milliard de F. Ils seront respectés. D'une manière générale, j'ai décidé que les contributions de l'Etat en faveur de la Nouvelle Calédonie ne feront l'objet d'aucune mesure de régulation ou de gel. En outre, Monsieur Dominique PERBEN a fait inscrire au budget de son ministère, une enveloppe de 380 MF en progression de 8,5 % pour le chapitre réservé à la Nouvelle Calédonie.
Le temps présent n'en impose pas moins la plus grande vigilance dans la gestion des crédits, d'une part parce que les difficultés actuelles l'imposent, mais aussi parce que ces disciplines sont nécessaires à toute forme d'exercice des responsabilités publiques. Je sais que vous n'hésiterez pas à prendre des mesures fiscales courageuses. Je vous en félicite et vous encourage vivement à faire toujours preuve de rigueur dans votre gestion, à privilégier les dépenses les plus utiles au développement et à la solidarité, à étudier avec soin les projets économiques que vous financez.
Les réserves minières du Territoire sont abondantes et de qualité. La crise actuelle du nickel, dont il faut s'attacher à limiter les conséquences pour l'emploi et la vie des entreprises, s'achèvera - nous l'espérons tous - bientôt. Il faut certes être prudent dans le domaine des prévisions économiques. Mais déjà certains signes d'amélioration apparaissent ci et là. Mais le redressement du cours des matières premières ne sera que lent et progressif. Soyons prêts pour cette reprise et préparons nous grâce à une compétitivité accrue, et grâce à plus de cohérence des stratégies des entreprises minières face à la concurrence internationale. L'objectif à atteindre est aussi d'accroître sur le Territoire même la valeur de la production du minerai extrait.
En outre, pour surmonter la crise actuelle, le Gouvernement va envoyer en Nouvelle-Calédonie une mission qui étudiera les mesures économiques et sociales qui s'avéreraient nécessaires, et notamment la question du relèvement éventuel de quelques centièmes de la teneur maximale en minerai pendant une période d'un an.
Par ailleurs, l'espace disponible, la proximité des immenses marchés asiatiques, la qualité exceptionnelle des paysages et la richesse des cultures donnent au Territoire des atouts incontestables dans le domaine du développement du tourisme. J'ai appris avec satisfaction que dans ce secteur, les trois provinces avaient mis en oeuvre des politiques actives, parfois conjointes. Je veux citer à titre d'exemple le projet d'un nouvel hôtel à Nouméa.
La concurrence est certes vive dans la conjoncture présente, nous le savons. Mais le succès est possible si un certain nombre de conditions sont réunies, parmi lesquelles une amélioration de la formation. Enfin, le Gouvernement est attentif à tout ce qui pourrait contribuer à améliorer durablement la desserte aérienne.
La Nouvelle-Calédonie peut aussi mieux approvisionner son marché intérieur et accroître ses exportations pour les produits de l'agriculture, de l'aquaculture et de la pêche.
Prenant acte de la sécheresse qui frappe depuis de nombreux mois le Territoire, j'ai décidé de débloquer un crédit de 2 MF qui sera attribué aux provinces pour indemniser les éleveurs.
L'une des voies du développement économique du Territoire réside également dans une meilleure insertion dans son environnement régional, afin de développer une politique d'exportation. On devra en outre encourager les investissements des pays de la zone dans des entreprises néo-calédoniennes. Des échanges traditionnels existent avec le Japon, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Je suis heureux de constater qu'ils se développent aussi en matière culturelle et universitaire et s'étendent à de nouveaux pays. Ceci contribue utilement au rayonnement de la France et assure le progrès de la francophonie. Ainsi la signature d'un accord de coopération entre le Territoire, les provinces et la République de Vanuatu est-elle un élément positif et concret des liens entre les Etats du Pacifique Sud et la Nouvelle-Calédonie qu'il nous faut renforcer.
Le Pacifique est un océan sur lequel s'ouvrent les zones économiques les plus dynamiques, notamment en Asie. Deux des principales puissances économiques du monde sont donc directement engagées dans cet espace. La France ne peut en être absente. Les trois territoires d'Outre-mer y sont en effet situés. En outre, nous entretenons des liens privilégiés avec plusieurs pays du Sud-Est asiatique. La francophonie y demeure une réalité vivante. Clients, concurrents ou partenaires, ces pays joueront un rôle déterminant dans l'économie mondiale. Ils contribueront au retour à une nouvelle croissance s'appuyant sur une relance du commerce mondial. La paix du monde peut aussi s'y jouer, comme la Nouvelle-Calédonie a pu le constater il y a un demi-siècle.
C'est pourquoi j'ai décidé il y a six mois de confier à M. Jacques LAFLEUR, en sa qualité de Parlementaire, une mission d'étude sur les relations économiques entre la France, l'Asie du Sud-Est et l'Extrême-Orient. Fort de son expérience d'homme d'entreprise et de calédonien, il est sur le point de remettre au Gouvernement des propositions d'une grande importance pour l'avenir des relations économiques de la France avec cette partie du monde.
La loi a fixé à 1998 l'échéance pour le choix d'un nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie. Celle-ci ne doit pas être considérée comme un couperet. Il convient néanmoins de s'y préparer suffisamment tôt, pour que la réflexion de chacun des partenaires puisse progresser sur les modalités de ce choix et évaluer ses conséquences. Cependant, il faut rappeler que les signataires des accords ont voulu se ménager une période relativement longue qui soit consacrée à poursuivre des objectifs économiques et sociaux, tout en évitant que le débat statutaire ne soit un obstacle pour les atteindre.
Des propositions ont été avancées. S'il est sollicité pour le faire, le Gouvernement participera à une telle réflexion. Mais au stade où nous en sommes, il me semble préférable que l'initiative, le calendrier et l'organisation d'un tel débat soient de la responsabilité des partenaires politiques du Territoire. Je ne peux que les encourager à mettre en oeuvre, dans cette discussion, les méthodes de concertation utilisées avec succès pendant les cinq années qui viennent de s'écouler.
En effet la Nouvelle-Calédonie est par comparaison avec tant et tant de contrées frappées par les difficultés de notre temps, dans une situation que je peux qualifier d'enviable. Il s'agit d'une région en paix, où la sécurité et les libertés publiques sont assurées, où le développement économique et social devient chaque jour davantage une réalité pour tous, où la justice et la solidarité s'expriment au profit de ceux qui en ont besoin.
Je suis conscient qu'il ne faut pas céder à un excès d'optimisme et que beaucoup de problèmes demeurent irrésolus.
Vous avez cependant toutes les raisons d'espérer.Mesdames et Messieurs, soyez assurés que le Premier Ministre et le Gouvernement ne ménageront pas leur soutien à la Nouvelle-Calédonie, pendant ces années décisives, pour qu'elle continue de construire avec la France le Territoire prospère et solidaire que nous appelons de nos voeux.