Interview de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, avec France Inter le 6 juillet 2017, sur les projets de loi concernant la moralisation de la vie publique et la lutte contre le terrorisme.

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Média : France Inter

Texte intégral


MARC FAUVELLE
Bonjour Nicole BELLOUBET.
NICOLE BELLOUBET
Bonjour.
MARC FAUVELLE
Voilà deux semaines que vous avez rejoint le gouvernement au poste de ministre de la Justice après la démission de François BAYROU. C'était une surprise pour vous aussi, votre arrivée ?
NICOLE BELLOUBET
Oui, bien sûr, oui, oui.
MARC FAUVELLE
Vous l'avez su quand ?
NICOLE BELLOUBET
Je l'ai su au moment de la nomination du nouveau gouvernement, non, je l'ai su, on va dire, dans la journée du mercredi.
MARC FAUVELLE
Pas avant, il n'y avait aucun signal de fumée auparavant ?
NICOLE BELLOUBET
Non, non, non.
MARC FAUVELLE
Voilà, et vous avez donc accepté de quitter le Conseil constitutionnel pour prendre la succession de François BAYROU. Merci de réserver à France Inter votre première interview. On évoquera avec vous ce matin tous les dossiers qui vous concernent, l'engorgement des tribunaux, la situation dans les prisons, également, la justice au quotidien, comment accélérer les procédures, faut-il dépénaliser certains délits ? Lesquels ? Toutes les questions évidemment que les auditeurs voudront bien vous poser après la revue de presse, le standard est d'ores et déjà ouvert : 01.45.24.7000. Mais d'abord, Nicole BELLOUBET, la loi sur la moralisation de la vie publique, premier gros chantier du quinquennat, lancé par François BAYROU, et dont vous avez hérité lors de la passation de pouvoir. François BAYROU avait promis de continuer à vous aider à porter cette loi, est-ce qu'il le fait encore en coulisses ?
NICOLE BELLOUBET
Ah, je suis sûre qu'il le fait, bien entendu, je…
MARC FAUVELLE
Mais pas avec vous…
NICOLE BELLOUBET
Non, non, ce n'est pas la question, mais si vous voulez, les choses vont très vite, et je ne suis pas au téléphone quotidiennement avec François BAYROU.
MARC FAUVELLE
Est-ce que vous sentez déjà face à vous le poids des lobbies et du premier concerné par cette loi, celui des élus et des parlementaires ?
NICOLE BELLOUBET
Alors, écoutez, d'abord, je voudrais dire juste un point, puisque vous avez utilisé le terme de loi de moralisation, ce n'est pas un terme que je souhaite utiliser. Nous ne sommes pas du tout dans un esprit de moralisation, ce n'est pas le propos, on est plutôt, je crois, dans un souci d'éthique, et dans un souci de rétablissement de la confiance, pourquoi est-ce que je dis cela ? Parce que j'ai lu l'autre jour, dans un grand journal de l'après-midi, une enquête qui était extrêmement frappante et qui expliquait que 69 % des Français n'avaient pas confiance en leurs hommes politiques, qu'ils estimaient qu'ils agissaient plutôt pour leurs intérêts personnels, etc. Moi, je connais la vie politique, en tout cas locale, puisque j'ai été élue locale pendant des années, je sais la probité, le travail absolument formidable que font les élus, mais le problème n'est pas ce que moi, je pense, c'est ce que pensent les Français, et il me semble qu'ils ont besoin d'éléments qui les rassurent sur leurs personnels politiques, et c'est l'objet de cette loi.
MARC FAUVELLE
Alors, elle a changé de nom, cette loi, en cours de route, c'était bien moralisation de la vie publique, l'intitulé que lui avait donné François BAYROU. Il y a beaucoup de mesures dans cette loi, Nicole BELLOUBET, la fin de la réserve parlementaire, l'interdiction des emplois familiaux également, les frais réels pour les parlementaires, pas plus de trois mandats consécutifs au même poste, mais il y a aussi…
NICOLE BELLOUBET
Ce n'est pas dans la loi les trois mandats, ça viendra après.
MARC FAUVELLE
Ah, pardon. Il y a aussi des mesures qui ont disparu, ces dernières semaines, plus question par exemple d'exiger un casier judiciaire vierge pour être candidat à une élection ?
NICOLE BELLOUBET
Si vous voulez, il y a des éléments extrêmement importants qui sont écrits dans la loi, autour de la nécessité pour le parlementaire d'avoir acquitté ses obligations fiscales, et autour, bien entendu, des crimes et des délits qui auraient pu être éventuellement commis par un candidat, et qui ne pourra pas être parlementaire dans ce cas-là, c'est écrit.
MARC FAUVELLE
Et il y a une mesure qui fait débat, qui concerne l'activité de conseil des parlementaires, à l'origine, elle devait leur être interdite, finalement, elle sera simplement encadrée, on pourra donc continuer à être à la fois, par exemple, député et avocat, est-ce que ce n'est pas gênant ?
NICOLE BELLOUBET
Alors, écoutez, les incompatibilités entre les activités de conseil et le mandat parlementaire sont considérablement renforcées par la loi, il nous a semblé extrêmement difficile de poser une interdiction générale, parce que nous sommes dans un Etat de droit, et que dans cet Etat de droit, le Conseil constitutionnel, d'où je viens, vérifie, contrôle la conformité des lois à la Constitution, et il a eu l'occasion de préciser dans une décision récente, assez récente, de 2013, parce qu'il y a déjà des efforts considérables qui avaient été faits en matière de probité, et notamment des lois en 2013, et donc dans ces lois de 2013, le Conseil avait eu l'occasion de dire qu'on ne pouvait pas poser une interdiction générale et absolue, que ce serait contraire à la liberté de choix de l'électeur. C'est la raison pour laquelle la loi actuelle renforce vraiment, met des verrous assez puissants sur les incompatibilités, mais n'interdit pas absolument.
MARC FAUVELLE
Donc quand Emmanuel MACRON, à quelques jours du premier tour, déclare dans Le Parisien, au mois de mars : quand on est chargé de légiférer, on ne peut pas avoir une activité de conseil, il se trompe ?
NICOLE BELLOUBET
Non, encore une fois, il y a une incompatibilité qui est posée de manière assez puissante, puisque vous ne pouvez pas commencer une activité de conseil quand vous êtes parlementaire, vous ne pouvez pas l'avoir…
MARC FAUVELLE
Mais si vous en avez une auparavant ?
NICOLE BELLOUBET
Pas douze mois auparavant, donc quand même, ça limite considérablement…
MARC FAUVELLE
Je suis avocat, dans deux ans, je suis député, je garde mon job d'avocat ?
NICOLE BELLOUBET
Mais, concrètement, oui, mais il y a aussi des principes constitutionnels qu'il faut respecter, il me semble que le principe de la liberté de choix de l'électeur fait partie de ces principes-là.
MARC FAUVELLE
Nicole BELLOUBET, il y a un autre projet de loi qui va sans doute marquer le début du quinquennat, celui sur ou plutôt contre le terrorisme qui doit permettre notamment de faire entrer dans le droit commun plusieurs dispositifs liés à l'état d'urgence, c'est votre collègue de l'Intérieur, Gérard COLLOMB, qui va porter ce projet de loi. Est-ce que vous aurez quand même un droit de regard, un mot à dire sur ce texte ?
NICOLE BELLOUBET
Eh bien, il va de soi que le ministère de la Justice est très lié à ce qui sera écrit dans ce document, que, d'ores et déjà, moi, ce que je constate, c'est que les dispositions qui sont prises, 1°) : ont pour objectif de mettre fin à l'état d'urgence, puisque c'est la volonté du président. Et 2°) : vont introduire dans le droit commun des éléments qui visent exclusivement à la prévention du terrorisme, c'est-à-dire que, on pourra mettre en place un certain nombre de procédures, mais pour prévenir le terrorisme. Et dans la plupart des cas, le juge désormais interviendra, c'est le cas du juge des libertés et de détention qui devra intervenir pour toutes les visites domiciliaires, saisies, etc.
MARC FAUVELLE
Alors, ce texte provoque déjà – vous l'avez sans doute noté – une levée de boucliers, que ce soit chez les magistrats, chez le Défenseur des droits, Jacques TOUBON, chez les associations de défense de Droits de L'Homme, qui dénoncent une forme d'Etat policier, je rappelle quelques-unes des mesures : les perquisitions de jour comme de nuit, les assignations à résidence qui continuent, la possibilité également de fermer des lieux de culte, l'instauration d'un périmètre de protection pour sécuriser des événements. Prenons une de ces mesures, si vous voulez bien, les perquisitions administratives, qui, à l'avenir, les décidera, et sur la foi de quels éléments ?
NICOLE BELLOUBET
Alors, comme je viens de vous le dire, ce qui est, je dirais, nouveau dans le dispositif qui sera mis en place, c'est, d'une part, le fait qu'il ne peut intervenir que dans des circonstances précises, qui sont la prévention de l'acte de terrorisme, et d'autre part, le fait que le juge des libertés et de détention interviendra. Donc c'est quand même une garantie qui me semble être posée dans le cadre de ce texte.
MARC FAUVELLE
Quel élément le juge aura entre les mains au moment de décider s'il faut lancer ou non une perquisition administrative, des infos des services de renseignements ? Des notes blanches, les fameuses notes blanches dont, on sait que parfois, elles se trompent, comme tout le monde…
NICOLE BELLOUBET
Il aura à sa disposition l'ensemble des éléments de la procédure. Et c'est donc sur la foi de ces éléments-là qu'il pourra prendre sa décision.
MARC FAUVELLE
On n'est pas là dans une forme de justice prédictive, quand vous regardez les chiffres depuis un an des perquisitions administratives, 590 ont été pratiquées en France, 65 ; une sur dix seulement a donné lieu à des poursuites ?
NICOLE BELLOUBET
Oui, mais il me semble que ce qui est visé, là, c'est au fond une forme d'efficacité de la lutte contre le terrorisme et de lucidité, et à cette exigence-là, qui est aussi un objectif quand même d'intérêt général, à cette exigence-là, la présence du juge apporte une garantie. Par ailleurs, il y a également en aval des dispositifs de contrôle qui sont mis en place et qui existent d'ailleurs d'ores et déjà.
MARC FAUVELLE
Autre point, Nicole BELLOUBET, les assignations à résidence, est-ce que vous pouvez nous dire ce matin, à ce micro, qu'il n'y a pas de risque de détournement de la loi, on l'a vu au moment de la loi Travail, des militants obligés de rester chez eux, au moment de la COP21, des militants écolos qui n'avaient pas le droit non plus de participer, on n'est plus du tout dans le terrorisme ?
NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, je souhaite, et j'imagine qu'il en ira ainsi, que les magistrats puissent exercer leur travail en toute lucidité et en toute indépendance, et moi, je fais confiance aux juges. Et donc je suis certaine que les mesures qui seront prises seront des mesures qui seront parfaitement en adéquation avec la situation.
MARC FAUVELLE
Des militants écolos chez eux, ça peut se reproduire, bloqués chez eux, ça peut se reproduire ou pas ?
NICOLE BELLOUBET
Cette situation, je la connais, puisque nous avons eu l'occasion d'en juger au Conseil constitutionnel, nous avons pris la décision qui s'imposait, et je suis certaine que dans le cadre du respect de l'Etat de droit, les autorités qui sont concernées par les décisions à prendre suivront les décisions qui ont été prises par le Conseil.
MARC FAUVELLE
J'ai du mal à vous suivre, ça se reproduira ou pas ?
NICOLE BELLOUBET
Eh bien, sûrement pas.
MARC FAUVELLE
Sûrement pas. Plus d'assignation à résidence, dans le cas qui ne concerne pas le terrorisme, vous en prenez l'engagement.
NICOLE BELLOUBET
Non, je ne prends pas l'engagement, mais vous me posez des questions qui ne relèvent pas de mon ministère. Donc non, non, ce n'est pas…
THOMAS LEGRAND
Oui, le texte est porté par Gérard COLLOMB effectivement, mais vous…
(Brouhaha)
NICOLE BELLOUBET
Absolument, mais c'est ce que je vous dis, moi, je fais confiance aux magistrats et je fais confiance aux autorités administratives qui respectent les décisions prises par les juridictions.
MARC FAUVELLE
Merci Nicole BELLOUBET. Vous restez avec nous bien évidemment pour répondre aux questions des auditeurs, juste après la revue de presse, dans quelques instants, on s'intéressera à la transparence évidemment encore, mais aussi à la justice du quotidien, comment désembouteiller les tribunaux, quels moyens également pour la justice dans le quinquennat qui vient de s'ouvrir.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 juillet 2017