Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur les droits de l'homme, le racisme et l'immigration, Paris le 21 mars 1994.

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Circonstance : Remise du rapport annuel de la commission nationale consultative des droits de l'homme, Paris le 21 mars 1994.

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
En cette journée mondiale de lutte contre le racisme, vos travaux ont tout naturellement trouvé place en cet Hôtel de Matignon.
Placée auprès du Premier Ministre, la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme assiste de ses avis en effet le Chef du Gouvernement sur toutes les questions nationales et internationales relatives aux droits de l'Homme.
Son activité est importante. Vous avez rappelé, Monsieur le Président, quelles furent les questions traitées par la Commission cette année 1993 : la bioéthique, la législation anti-raciste, l'exploitation sexuelle des mineurs, la réforme du code de la nationalité, la maîtrise des flux migratoires et le phénomène dit des sectes.
Vos travaux se sont concrétisés notamment par la remise au Gouvernement de votre rapport annuel sur le racisme et la xénophobie.
Si les manifestations de racisme restent encore trop nombreuses dans notre pays, les faits de violence raciste les plus graves y sont en régression.
C'est l'un des effets dissuasifs de notre législation en la matière. Avec mon accord, Monsieur le Ministre d'État, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice travaille à gagner encore en efficacité. Il a rappelé aux Procureurs Généraux que la lutte contre le racisme est une des priorités de la politique criminelle du Gouvernement.
Mais nous ne pouvons pas seulement réprimer. Notre responsabilité première est de transmettre sans trêve les valeurs humanistes qui sont notre meilleure défense. C'est une des missions de l'école.
L'éducation civique a heureusement retrouvé droit de cité dans les programmes scolaires. De nombreuses initiatives, comme celle du Concours René CASSIN, rappellent justement à notre jeunesse que le respect de l'autre est aussi respect de soi.
Mais il appartient à chacun d'agir selon ses valeurs morales ou les préceptes de sa foi et de prendre ainsi part à l'oeuvre commune.
L'enquête d'opinion que publie chaque année votre rapport, révèle que pour nos concitoyens la lutte contre le racisme incombe principalement au Gouvernement.
Est-ce la nouvelle illustration de la propension bien connue des Français à se reposer sur l'Etat ?
En somme, la vérité réside dans la conjonction des efforts. A l'exemple de nombreuses associations, à la suite de toutes les autorités morales, sociales et religieuses dont je salue les représentants, la société toute entière saura extraire tous les germes de haine. Le Gouvernement saura s'engager pleinement dans ce combat.
Cette lutte se déroule sur plusieurs fronts. L'exclusion est l'un des plus importants. Elle peut engendrer le racisme et priver ses victimes de leurs droits élémentaires.
A l'initiative de Madame le Ministre d'Etat, Ministre des Affaires Sociales, de la Santé et de la Ville, le Gouvernement a donc décidé d'agir dans ce domaine.
La politique de la Ville, pour laquelle un effort sans précédent a été consenti, est un de nos outils privilégiés dans cette action. J'ai veillé à ce que les sommes allouées aient au plus vite des effets concrets. J'ai fait de l'intégration des populations étrangères un objectif prioritaire de notre politique.
Les étrangers résidant sur notre sol sont sans doute les premiers à souffrir d'une situation économique difficile. Les barrières culturelles et sociales rendent moins aisés la connaissance et le bénéfice de leurs droits.
Tout doit être mis en oeuvre pour que les moyens d'une bonne intégration dans la société française leur soient garantis. Ce devoir doit se concilier avec la responsabilité qui est celle du Gouvernement de maîtriser les flux migratoires et de lutter contre l'immigration clandestine.
L'intégration des étrangers qui résident paisiblement et régulièrement sur notre sol ne saurait se faire sans prévenir tout développement incontrôlé de l'immigration et les abus qui en résultent. Dans cet esprit, sur la proposition de Monsieur le Ministre d'Etat, Ministre de l'intérieur et de l'Aménagement du Territoire, le Gouvernement a fait adopter par le Parlement la loi du 24 août 1993 relative à la maîtrise des flux migratoires.
Fidèle à nos principes républicains et démocratiques, il a d'abord poursuivi l'effort pour que les sources de l'immigration clandestine se tarissent.
Dans le même temps, il a donné un statut législatif au regroupement familial.
La réforme du droit de la nationalité, qui fut l'occasion d'exécuter les propositions de la Commission de la Nationalité, s'est faite selon les principes traditionnels de notre droit : le droit du sol et de larges voies de naturalisation.
Mais le Gouvernement voulait aussi que l'on ne devînt plus Français par hasard, sans l'avoir voulu. Il a ainsi conféré toute sa force au libre choix.
Il va de soi que ces textes devront être appliqués, certes fermement mais en respectant impérativement la dignité des intéressés. Je suis persuadé que l'administration saura prendre en compte, autant qu'il le faudra, le souci humanitaire qui est celui de notre civilisation.
Cette civilisation, nous la construisons ensemble chaque jour. Elle progresse à chaque fois que les anathèmes et l'affrontement cèdent au débat démocratique.
J'apprécie la qualité du dialogue qui s'est instauré à l'intérieur de votre Commission entre les représentants de ce qu'on appelle désormais "la société civile" et ceux du Gouvernement. Seul ce dialogue, fondé sur le respect mutuel, est digne de la cause des Droits de l'Homme.
Il est pour beaucoup dans la réputation internationale de votre Commission. De même, votre rapport a un grand retentissement à l'étranger. J'aime à souligner cet exemple de transparence et de responsabilité, surtout quand l'Etat français, par ses représentations à l'étranger, en est l'initiateur.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, la France a une image unique au monde en matière de droits de l'homme. Une image et des responsabilités particulières.
Notre pays assume pleinement ses responsabilités internationales en intervenant chaque fois que possible en faveur des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Il y a d'abord les cas d'urgence. On parle souvent d'urgence humanitaire. On y songe moins pour les droits de l'homme.
Chargée de ces deux domaines au sein de mon Gouvernement, Madame MICHAUX CHEVRY remédie avec diligence aux situations d'urgence.
J'invoquerai un exemple récent : celui du Pasteur DIBAJ. Condamné pour apostasie dans son pays, l'Iran, il a pu recouvrer sa liberté après une intervention appuyée du Gouvernement français, alors même que certains assuraient de son exécution imminente. D'autres actions similaires ont été menées avec succès au Soudan ou en Ethiopie.
Au traitement des urgences, s'ajoute tout le travail qui fonde une politique véritable de protection et de promotion des droits de l'homme.
Dans ce domaine, le souci d'efficacité dicte les priorités. Il impose qu'on veille aux actions entreprises dans les enceintes internationales et sur le terrain, en collaboration étroite avec les organisations non gouvernementales. Le Ministre délégué à l'action humanitaire et aux droits de l'homme a donc choisi de travailler, depuis bientôt un an, dans deux directions principales : la protection de l'enfant et la formation en matière de droits de l'homme.
Plusieurs facteurs prédisposaient la France à défendre les droits de l'enfant.
La présence sur notre sol d'un centre international de l'enfance et de nombreuses associations très actives en est un.
Le travail que nous avons entamé il y a dix mois porte ses premiers fruits : un groupe de travail a fait des propositions pour améliorer la protection de l'enfant dans le monde. Il remettra sous peu son rapport.
S'inspirant de ses réflexions, la France a mené une campagne vigoureuse pendant la 50ème session de la Commission des Droits l'Homme des Nations Unies. Celle-ci s'est achevée il y a dix jours. Un protocole additionnel à la Convention sur les droits de l'enfant, destiné à lutter contre la prostitution enfantine, la pornographie qui implique des enfants, et la vente d'enfants a vu le jour. Une résolution vient d'être votée : elle confie l'étude de ce projet à un groupe de travail. Un premier pas a donc été franchi et il faut s'en réjouir.
Rédiger un protocole prendra du temps. Nous le savons tous. A côté de ce travail de longue haleine que poursuivent nos diplomates, des mesures plus immédiatement visibles ont été prises par le Gouvernement. Le Ministre délégué a soutenu, dès le mois de novembre dernier, une campagne destinée à lutter contre le tourisme sexuel concernant des enfants en Asie.
Enfin, le Gouvernement soutient financièrement plusieurs dizaines de projets d'organisations non gouvernementales. En Amérique, en Asie ou en Afrique, elles s'efforcent de réhabiliter des enfants victimes de l'esclavage et de la prostitution. Il convient de rendre un hommage particulier à toutes ces associations qui, sur le terrain, face à des situations d'extrême détresse, prolongent l'action du Gouvernement.
Améliorer la situation de l'enfant, lutter pour ses droits dans le monde, voilà une des priorités de la France.
Sensibiliser aux droits de l'homme et à leurs exigences, en voilà une seconde.
Vous le savez, la démocratie ne s'hérite pas, elle se conquiert ! La France se doit d'aider à cette conquête, de soutenir les efforts réalisés dans le monde pour l'éducation aux droits de l'homme. Le Gouvernement français aidera le Centre pour les droits de l'homme de l'O.N.U, conformément à la décision qu'il avait prise lors de la conférence mondiale de Vienne. Il participera à des travaux de formation menés par des O.N.G. auprès de publics scolaires ou de fonctionnaires, dans des pays aussi divers que le Tchad, le Cambodge, le Guatemala ou le Honduras.
Complément de l'action humanitaire, l'action en faveur des droits de l'homme est donc une composante pleine et entière de la politique étrangère du Gouvernement. Nous ferons tout pour que vive cette longue et belle tradition française de la défense et du service de l'homme.Plus qu'en tout autre chose, je crois en l'homme et en la dignité de sa lutte. Comme le Général de GAULLE le disait, "il n'y a que la cause de l'homme qui vaille".