Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, à "France 2" le 31 août 2017, sur la philosophie de la réforme du marché du travail, sur les chantiers de la réforme fiscale et de la politique du logement.

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Média : France 2

Texte intégral

CAROLINE ROUX
Il est là, c'est le ministre des Comptes publics, et vous le savez, c'est le jour, le jour J pour le gouvernement, qui va présenter le contenu de la loi Travail, le jour aussi choisi par Emmanuel MACRON pour accorder une interview fleuve, 20 pages !
Bonjour Gerald DARMANIN.
GERALD DARMANIN
Bonjour.
CAROLINE ROUX
Est-ce que la réussite du quinquennat se joue aujourd'hui ?
GÉRALD DARMANIN
Non, la réussite du quinquennat, elle se joue chaque jour, et à commencer par le lendemain de l'élection présidentielle, où Emmanuel MACRON a été élu face à Marine LE PEN, qui fait onze millions de voix. Et je crois que cette situation…
CAROLINE ROUX
La vraie réponse, Gérald DARMANIN, c'est un jour important, vous le savez bien…
GERALD DARMANIN
Tous les jours sont importants, mais aujourd'hui particulièrement, parce que le Premier ministre annonce les ordonnances de la loi Travail. Mais pendant cinq ans, le quinquennat d'Emmanuel MACRON va connaître la transformation du pays. Et tous les jours, ce sera important pour le gouvernement.
CAROLINE ROUX
Bon, la loi Travail, c'est une réforme comme une autre, c'est ça que vous nous expliquez ce matin ?
GERALD DARMANIN
Non, la loi Travail, aujourd'hui, elle permet de comprendre la philosophie du gouvernement, qui consiste à la fois à la transformation du pays, le changement radical de nos habitudes, parce qu'il faut mettre fin au chômage de masse, qui est le grand problème depuis trente ans de notre pays, et en même temps, eh bien, protéger les salariés, augmenter leur pouvoir d'achat. La loi Travail, c'est la première pierre angulaire, le président de la République a dit que la réforme du Travail, c'est la mère des batailles, mais c'est une journée comme une autre, une journée de travail.
CAROLINE ROUX
Est-ce que ce soir, il y aura des gagnants et des perdants ?
GERALD DARMANIN
Je ne le pense pas, parce que je pense que ce qui va gagner, ce sera l'économie française et donc la France et les Français. Il y a aujourd'hui un équilibre entre ceux qui souhaitent seulement libérer l'économie, ce n'est pas ce que nous pensons, et seulement protéger les salariés, ce n'est pas ce que nous pensons, il faut à la fois libérer et protéger, c'est ce qu'a proposé le Premier ministre.
CAROLINE ROUX
Si c'est un texte équilibré, si tout le monde est content à la sortie, c'est que ce n'est pas une réforme ?
GERALD DARMANIN
Nous verrons bien, je n'ai pas l'impression que tout le monde soit content à la sortie, en revanche, je constate qu'il y a un certain nombre de représentants syndicaux qui considèrent qu'il y a des avancées dans ce texte…
CAROLINE ROUX
Vous pensez à Jean-Claude MAILLY, de Force ouvrière, notamment, qui dit qu'il ne manifestera pas aux côtés de la CGT ?
GERALD DARMANIN
Je note que plusieurs syndicats considèrent qu'il y a des avancées pour les salariés, qu'il y a des protections pour les salariés, qu'il y a un meilleur dialogue social dans l'entreprise. Vous savez, quand certains syndicats qui aujourd'hui souhaitent contester, et ils ont tout à fait le droit de le faire, et en France, le droit de contestation, de manifestation est reconnu, et c'est heureux, disent : il faut plus de dialogue, justement, cette réforme, elle va permettre plus de dialogue social dans l'entreprise, dans la branche. Alors, je pense qu'il faut faire le pari du dialogue, il faut faire le pari de la modernité.
CAROLINE ROUX
Bon, vous avez lu, forcément, vous avez lu les 20 pages de l'entretien d'Emmanuel MACRON accordé dans Le Point. Un mot sur l'initiative du président de la République, c'est le début d'une reconquête ? Qu'est-ce qu'il faut comprendre de l'initiative d'Emmanuel MACRON ? Il y avait besoin qu'il parle aux Français ?
GERALD DARMANIN
Il y a une explication forcément importante du président de la République, qui met de la cohérence dans l'action gouvernementale, maintenant, comme il le dit d'ailleurs très bien, 100 jours, 4 mois, ce n'est pas un moment où on peut tirer un bilan, le bilan, c'est 5 ans, le bilan, c'est la transformation du pays. Il y a la loi Travail, il y a eu la loi de moralisation, il y a eu la loi sur le terrorisme, nous préparons un budget de transformation et de pouvoir d'achat, nous organisons la vie économique du pays pour que ça aille mieux et qu'il y ait moins de chômeurs.
CAROLINE ROUX
Bon, il ne va pas vous faciliter la journée, Emmanuel MACRON, parce qu'il y a des quelques déclarations qui vont être compliquées à expliquer. Le président de la République dit qu'il veut aller plus loin sur la question des APL dans Le Point, est-ce que, aller plus loin, ça veut dire aller jusqu'à la suppression, la disparition des APL ?
GERALD DARMANIN
Bien sûr que non. Aujourd'hui, la politique du logement, en tout cas pour les APL, c'est dix-huit milliards d'euros. Dix-huit milliards d'euros, c'est énorme, et pourtant, il y a toujours autant de mal logés en France, toujours autant de difficultés pour les familles françaises dans des zones urbaines à se loger correctement. Et les APL, elles ont, par un système un peu absurde parfois, augmenté les loyers. Alors, il faut faire l'inverse, il faut trouver ce qui fonctionne, travailler avec les bailleurs sociaux, Julien DENORMANDIE et Jacques MEZARD travaillent à la réforme des APL pour permettre de baisser les loyers…
CAROLINE ROUX
Ça veut dire quoi, une réforme des APL, c'est un sujet qui – vous le savez bien – a crispé un peu les Français cet été ?
GERALD DARMANIN
Ça veut dire qu'il faut arrêter de faire du paramétrique, ce qu'on appelle budgétairement, c'est-à-dire : moins 5 euros, moins 3 euros, c'est le contraire d'une bonne réforme, la bonne réforme, c'est revoir de fond en comble les aides qui doivent être nécessaires pour ceux qui en ont vraiment besoin, notamment dans les zones denses, notamment dans les zones urbaines, notamment pour ceux qui travaillent, et permettre effectivement de dépenser moins d'argent public et de mieux le cibler. Et vous savez, ce n'est pas simplement…
CAROLINE ROUX
Ça veut dire – pardonnez-moi, c'est important – ça veut dire, les APL, mais pas pour tout le monde, ça veut dire quoi, concrètement ?
GERALD DARMANIN
Non, de toute façon, la politique du logement, ça ne peut pas être que des allocations ou des APL, ce qu'est en train de faire le gouvernement, c'est comme pour la loi Travail, ce n'est pas qu'une question d'argent, c'est une question de libération de foncier, de construire plus, de mieux travailler avec les bailleurs sociaux, de faire un logement moins cher en France, d'arrêter avec un certain nombre de normes qui empêchent la construction…
CAROLINE ROUX
En le disant, ça a l'air très facile, donc, vous dites, en gros, on va baisser les loyers, et c'est ce que dit aussi Emmanuel MACRON, il faut aller vers une baisse des loyers, changer la politique du logement en France, il ne suffit pas de le dire…
GERALD DARMANIN
Bien sûr. Lorsque je suis devenu étudiant à Lille, mon propriétaire m'a demandé le montant de mes APL, je m'en souviens très bien, pour fixer le loyer, bon, eh bien, il faut arrêter avec cette politique inflationniste où l'Etat, en donnant une allocation, qui est parfois nécessaire pour un certain nombre de Français, parfois conduit à l'inflation des loyers pour les propriétaires.
CAROLINE ROUX
Ça passe par une baisse des APL ?
GERALD DARMANIN
Ça passe par une refondation des APL, il y a dix-huit milliards d'euros, il faut sans doute dépenser moins, et faire totalement autrement.
CAROLINE ROUX
Voilà, par une baisse des APL ?
GERALD DARMANIN
Ça passe autrement, mais je pense que…
CAROLINE ROUX
Eh bien, non, je ne comprends pas alors…
GERALD DARMANIN
Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'on a augmenté depuis des années un certain nombre de budgets, et ça n'a pas augmenté l'efficacité de la dépense publique…
CAROLINE ROUX
Ça, c'est clair.
GERALD DARMANIN
Il faut donc refaire, transformer le pays. Regardez ce que fait le président sur la loi Travail, il transforme le pays, il faut autrement, il change le paradigme, il change la donne, parce que des millions et des millions d'euros qui ont été mis sur la table ont conduit simplement à autant de chômeurs aujourd'hui.
CAROLINE ROUX
Quand il dit, à propos des contrats aidés, c'est une subvention déguisée aux collectivités locales, les collectivités locales, elles en ont besoin, des contrats aidés. Qu'est-ce que ça veut dire, là encore ?
GERALD DARMANIN
Le président de la République a dit qu'il y avait des contrats aidés qui étaient utiles et des contrats aidés qui l'étaient moins. Et il a tout à fait raison de le dire. Moi, je suis un élu local, et il y a des élus locaux qui ont utilisé parfois les contrats aidés, les contrats subventionnés à 100 %, bien sûr, pour rendre des services publics, mais qui malheureusement n'ont pas offert au jeunes des quartiers, aux personnes qui ont des difficultés sociales importantes, des gens qui, depuis longtemps, sont au chômage, autre chose qu'un contrat subventionné. Eh bien, nous, ce que nous voulons, c'est former, qualifier pour avoir un travail qui soit dans l'entreprise, et c'est très différent. Alors, il faut absolument que le paradigme – qui consiste à aider que des contrats subventionnés – se transforme en formations pour les gens dans l'entreprise.
CAROLINE ROUX
Il y a une phase qui est compliquée, c'est cette phase de transition où les collectivités locales ont besoin de ces contrats aidés, on voit les problèmes que ça pose pour la rentrée scolaire notamment, dans quelques municipalités.
GERALD DARMANIN
Mais vous le dites, mais vous savez, la rentrée scolaire, elle se fera toujours avec des difficultés, parce qu'il est normal que les parents, les enfants, les collectivités locales souhaitent le faire dans les meilleures conditions, mais je suis élu local, et je vois moi-même qu'avec un petit peu d'organisation, en luttant contre la précarité…
CAROLINE ROUX
On peut y arriver…
GERALD DARMANIN
On peut les aider, et on aidera les élus locaux, évidemment…
CAROLINE ROUX
Vous êtes élu local justement, comment est-ce que vous expliquez sur votre terre à Tourcoing, qu'il est indispensable de réformer l'impôt sur la fortune ou de mettre en place une flat tax de 30 % sur le capital ? Qu'est-ce que vous leur dites à ceux qui vous disent, c'était moins urgent de baisser la taxe d'habitation ou de faire en une seule fois la baisse des cotisations sociales ?
GÉRALD DARMANIN
D'abord nous le faisons en même temps, à la fois nous supprimons une partie de la taxe d'habitation pour 80 % des Français, c'est-à-dire ceux qui paie 600 euros de taxe d'habitation cette année paieront 400 euros l'année prochaine, 200 euros de pouvoir d'achat pour les classes populaires. Et je dis aux habitants de Tourcoing, regardez de l'autre côté de la frontière tous les riches sont partis en Belgique, est-ce que c'est ce que vous souhaitez ? Vous souhaitez qu'on continue à ce que des gens qui ont de l'argent arrêtent d'investir dans les usines françaises ?
CAROLINE ROUX
Et il vous croit quand vous leur dites ça ?
GÉRALD DARMANIN
Ils voient qu'il y a aujourd'hui un pourcentage de chômage qui n'a jamais été celui de l'économie française, ils voient aujourd'hui que ça ne marche pas, ils voient aujourd'hui qu'ils ne peuvent attendre que, malheureusement dans certains contrats aidés pour pouvoir subsister, ils voient bien que l'économie française ne fonctionne pas.
CAROLINE ROUX
C'est compliqué à faire passer, sincèrement Gérald DARMANIN, c'est compliqué ou pas à expliquer ?
GÉRALD DARMANIN
Mais bien sûr que c'est compliqué puisque vous transformez la vie d'un pays et vous disiez tout à l'heure vous même qu'une réforme sans effort, une réforme sans interrogation ce n'était pas de réforme. Bien sûr que c'est compliqué et en même temps, il faut du courage. Le président de la République a parlé d'héroïsme politique, je pense qu'il faut effectivement expliquer aux Français que si la situation politique a conduit Madame LE PEN au second tour avec 11 millions de voix, c'est que ça ne va pas bien et je pense qu'il est heureux d'expliquer aux Français que nous transformons le pays.
CAROLINE ROUX
Quand est-ce que vous quittez le Parti Les Républicains ?
GÉRALD DARMANIN
Ca ne m'intéresse pas tellement puisque j'ai l'impression de vivre en profonde corrélation avec mes convictions et j'ai compris qu'ils allaient essayer de nouveau de m'exclure, mais ça fait quatre mois qu'ils le disent.
CAROLINE ROUX
Merci beaucoup Gérald DARMANIN.
GÉRALD DARMANIN
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 septembre 2017