Interview de Mme Annick Girardin, ministre des Outre-mer, à France Inter le 11 septembre 2017, sur les mesures prises à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy après le passage de l'ouragan Irma.

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Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Léa SALAME, votre invitée ce matin est la ministre des Outre-mer.
LEA SALAME
Bonjour Annick GIRARDIN.
ANNICK GIRARDIN
Bonjour.
LEA SALAME
Merci d'être en direct avec nous de Pointe-à Pitre. Vous avez passé les dernières heures à Saint-Martin et Saint-Barthélemy. D'abord, un mot, Madame la Ministre : qu'est-ce qui vous a le plus marquée, quelle image vous a le plus touchée de ce que vous avez vu ?
ANNICK GIRARDIN
Eh bien écoutez, Irma a détruit nos administrations, sidéré aux agents, j'ai rencontré des agents publics sidérés, et traumatisé une population.
LEA SALAME
Alors, sur le traumatisme de la population, qu'est-ce que vous répondez à ces habitants de Saint-Martin qui se sentent abandonnés, livrés à eux-mêmes, « par pitié, faites quelque chose pour nous », c'est ce que qu'on pouvait entendre sur l'antenne de France Inter il y a encore quelques minutes ?
ANNICK GIRARDIN
Ecoutez, l'Etat, c'est vrai, a été critiqué, et moi qui viens, vous l'avez dit, de passer plusieurs jours aux côtés des populations et des agents publics, qui sont subi, et je le redis ici, la pire catastrophe climatique qu'ait connu un territoire français. Alors, les polémiques, il y en a, moi je suis ravie de discuter avec tous, dès mon retour en métropole, mais d'abord, priorité à l'action. L'Etat a été présent avant Irma. On a renforcé notre présence sur le territoire en matière de forces, il y a eu une prévention qui a été faite, et d'ailleurs la résilience aussi des populations a fait que même si les habitations ont été totalement détruites, nous... et que malheureusement il faut déplorer un certain nombre de morts, quand on voit la situation sur le territoire, on peut se dire que l'on a évité malgré tout, le pire. Et le pire pour moi, ce serait des pertes humaines beaucoup plus importantes, même si je pense à toutes les familles qui sont touchées et c'est à eux que je pense en ce moment. Je veux aussi dire...
LEA SALAME
C'est vrai qu'on a entendu...
ANNICK GIRARDIN
Oui ?
LEA SALAME
Je vais vous donner la parole, mais c'est vrai qu'on a entendu beaucoup de critiques sur une éventuelle défaillance de l'Etat, a dit Eric CIOTTI, et vous, vous nous dites : non, ça aurait pu être pire, les forces...
ANNICK GIRARDIN
Vous savez, j'ai l'impression juste qu'on a les polémiques après les attentats en métropole, et on a bien vu en bout de courses, que toutes ces polémiques ne servaient personne. Donc là, on a un travail à faire tous ensemble, reconstruire Saint-Martin. On avait trois défis : le défi sécuritaire, le défi de la logistique, puisque tout était détruit, et le premier défi pour moi, qui est celui de l'assistance aux personnes et le secours. Ces défis aujourd'hui, on les a relevés, et puis il faut continuer, bien sûr, sur ces trois objectifs. Mais...
LEA SALAME
Alors, parlons des défis, questions très précises. D'abord, concernant les deux urgences, à savoir la distribution d'eau et le rétablissement de l'électricité, où en est-on, Madame la Ministre ?
ANNICK GIRARDIN
Alors l'électricité est revenue dans certains quartiers, aujourd'hui à Saint-Martin, mais l'ensemble n'est pas aujourd'hui, enfin, les moteurs ne sont pas tous aujourd'hui remis en activité, et surtout, ce que l'on a pu réélectrifier, c'est tous les réseaux qui étaient... les quartiers qui ont des réseaux enterrés. Tout ce qui était aérien est aujourd'hui complètement détruit, donc ça demande effectivement un travail important.
LEA SALAME
Ça prendra combien de temps ?
ANNICK GIRARDIN
Si ça n'est pas allé plus vite, je voudrais rappeler à tout le monde que derrière Irma, il ne s'agissait pas de reconstruire, puisque nous avions un deuxième cyclone, qui s'appelle... qui s'est appelé José, qui devait frapper à nouveau Saint-Martin et Saint-Barthélemy, qui heureusement pour tout le monde n'a pas frappé ces îles, parce qu'elles étaient déjà énormément fragilisées, donc il n'était pas question d'exposer qui que ce soit, que ce soit les agents EDF ou des experts de toutes sortes dont l'Archipel, dont ce territoire a véritablement besoin.
LEA SALAME
C'est pour ça que, et certains habitants ont eu l'impression que ça mettait du temps, la lenteur des secouristes et la lenteur des agents de l'électricité. Vous dites : on a fait exprès, on a dit de ne pas agir parce qu'on attendait José, c'est ça ?
ANNICK GIRARDIN
Bien sûr, on ne peut pas, d'une part, protéger les populations d'un deuxième cyclone qui doit arriver, et en même temps exposer les gens. Il faut comprendre que l'on est à Saint-Martin, dans un territoire isolé, peu administré, parce que les services administratifs d'Etat ou des collectivités, sont à renforcer aujourd'hui. Irma a détruit toutes nos administrations, je vous l'ai dit, et a touché toutes, enfin, 90 % à 95 % de toutes les habitations sur le territoire. Le territoire a été entièrement coupé, ou quasiment, de tout moyen de communication, et quand on vient de vivre un traumatisme, comme les populations l'ont vécu, on a très vite envie de parler à sa famille, de dire « je suis en vie », de raconter ce qui s'est passé, sauf qu'il n'y a pas de communications possibles, et elles commencent juste à être rétablies, et ça, ça provoque effectivement des angoisses encore supplémentaires, et puis l'impossibilité avec José, qui a encore paralysé pendant 48 heures notre riposte, de suffisamment faire voler les avions ou les bateaux, puisque, avant un cyclone, il y a interruption des liaisons X heures, donc c'est ça le contexte.
LEA SALAME
Annick GIRARDIN, justement, sur les évacuations, on parlait hier de 247 personnes évacuées en urgence sanitaire, est-ce qu'il y en a eu davantage ces dernières heures, et est-ce que vous trouvez que c'est suffisant ?
ANNICK GIRARDIN
Ecoutez, on est à 1 000 personnes à peu près, au moment où je vous parle, qui ont été évacuées, ou accompagnées, vers la Guadeloupe. 1 000 personnes, c'est des allers-retours d'avions, c'est des allers-retours de bateaux, ça va encore se renforcer dans les 24/48 heures, avec des moyens qui vont être maritimes, parce qu'il y a une plus grosse capacité, pour rapatrier ou, on va dire, accompagner ceux qui veulent quitter le territoire. Mais je voudrais dire une chose, c'est que ce territoire pour se reconstruire, il a besoin de ses hommes, il a besoin de ses femmes...
LEA SALAME
Mais c'est ce que j'allais vous demander, c'est ce que j'allais vous dire.
ANNICK GIRARDIN
Eh bien c'est pour ça...
LEA SALAME
Beaucoup de gens veulent quitter définitivement Saint-Martin, ils disent « c'était trop violent, trop fort, on a tout perdu, c'est terminé, je veux partir ». Qu'est-ce que vous leur dites ? Vous leur dites : « Restez, attendez, reconstruisez, ou partez ? ».
ANNICK GIRARDIN
Je dis que ce territoire a besoin de forces, d'hommes, de femmes, pour le reconstruire. Je dis qu'il a besoin d'espoir, et c'est pour ça qu'avec le président de la collectivité ce matin, nous avons tenu à redonner espoir, en disant : « Nous rentrons dans cette phase de reconstruction ». On a besoin de tout le monde. Oui il y a des enfants, oui il y a des hommes et des femmes fragiles, il faut les raccompagner vers la Guadeloupe, il faut peut-être les raccompagner en métropole, ou aux Etats-Unis, ou au Canada, parce qu'il n'y a pas que des Français sur le territoire, mais il y a aussi ceux qui doivent rester, on a besoin de bras, on a besoin de forces, d'ingénierie, c'est un travail de longue haleine qui va prendre des mois et des mois pour restructurer ce pays et lui redonner un espoir. Et c'est l'espoir qu'il est urgent de donner. Je ne dis pas qu'il ne faudra pas rendre des comptes, je ne dis pas qu'il ne faut pas aller répondre aux questions des parlementaires, c'est normal, c'est mon boulot. Mais vraiment, donnons de l'espoir à ces gens qui sont peut-être en train d'hésiter s'ils partent ou ils ne partent pas.
LEA SALAME
Deux petites questions rapidement, Annick GIRARDIN. D'abord, puisque vous parlez des questions des parlementaires, est-ce que, Eric CIOTTI et Jean-Luc MELENCHON demandent une Commission d'enquête parlementaire, est-ce que vous trouvez que c'est une demande qui est recevable ?
ANNICK GIRARDIN
Eh bien écoutez, si elle est souhaitée, moi, en tant que ministre, je suis là pour répondre à leurs questions, je le ferai, mais j'espère qu'il n'y aura pas de polémiques qui ne serviront à rien. L'Etat doit rendre des comptes, quand il y a des questions, c'est le rôle des parlementaires de les poser. Vous savez, je suis une parlementaire aussi, je respecte leur position, mais il y a certaines critiques qui aujourd'hui sont un peu déplacées.
LEA SALAME
Très rapidement, sur les pillages, nos reporters nous disent que les pillages continuent, est-ce que vous nous le confirmez ?
ANNICK GIRARDIN
Non, les pillages ne continuent pas. Il y aura... Vous savez, Saint-Martin c'était un territoire où il y avait énormément de violences, Saint-Martin c'est un territoire qui avait beaucoup, déjà, de délinquance. Sur le territoire, Saint-Martin avait des difficultés économiques, on avait déjà un territoire, on va dire, fragile, avec un nouveau président qui donnait un nouvel espoir aux territoires, et il arrive Irma, qui est une véritable catastrophe. Alors il faut reconstruire avec ces gens, et ceux qui étaient violents hier, ils sont violents aujourd'hui. Il y a quelques vols, mais les pillages sont terminés, la sécurité est retrouvée, les forces de l'ordre sont présentes, mais n'oubliez pas aussi la solidarité.
LEA SALAME
Merci Annick GIRARDIN d'avoir été en direct avec nous de Pointe-à-Pitre. Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 septembre 2017